HABILLÉ D'UN TATOUAGE
(Le Yakuza)
CHAPITRE 2
PREMIÈRE EXPÉRIENCE AMOUREUSE

Quand enfin Soda put parler avec Kazunari, il lui demanda avec une lueur malicieuse dans les yeux,

"Il portait encore son fundoshi rouge?"

"Comment le saurais-je, nous n'avons fait que parler."

"C'est ça, chef! Que parler ! Deux heures enfermés dans un salon privé. Et puis quoi encore ? Tu ne me fas plus confiance ?"

"Nous avons seulement parlé, vilain singe !" dit Kazunari joyeux en lui tapant sur la tête avec un journal plié.

Oui, ils avaient juste parlé. Mais Kazunari se sentait plus heureux que s'ils avaient baisé. Ce garçon était doux, droit, simple, et de disposition plus qu'agréable. Désirable, sûrement. Si désirable, que plusieurs fois, il avait senti le besoin de le toucher, de le caresser, de le prendre dans ses bras pour l'embrasser. Mais il n'avait pas osé le faire. Captivé, comme par une fleur rare et délicate qu'il avait peur de flétrir. Alors il s'était contenté de le regarder, de l'admirer et de l'écouter.

Et ils s'étaient donnés rendez-vous à huit heures moins le quart en face de l'opticien. Il aurait aimé le retrouver plus tôt, mais malheureusement, il ne pouvait pas. Même s'il n'avait rien dit au garçon, il espérait pouvoir passer toute la soirée avec lui.

Il apporta le contrat à sa mère. Elle le prit sans émotion apparente, ni même de satisfaction. Mais Kazunari pouvait lire son approbation dans le ton de sa voix et cela lui suffisait.

Sa mère, plus forte qu'une armée, avait toujours été ainsi. Toute sa force et sa détermination était apparue après que son père ait été tué dans une embuscade. L'assassin n'avait jamais été identifié. Celui qui avait fait ça avait fait en sorte qu'il soit impossible d'identifier ni les tueurs, ni les commanditaires. Les Oshima, peut-être ? Ou peut-être les Abe, ou... qui sait ? Tous étaient présents aux funérailles, et très probablement, l'instigateur du meurtre de Yamaguchi Noboru, était là aussi. Tous s'étaient tenus impeccablement, avec un air de circonstance et tous avaient signé le registre de condoléances, et déposé une enveloppe, avec de grosses sommes d'argent devant le portrait du défunt. Ils s'étaient inclinés et avaient brûlé l'encens rituel. Tous. Et un de trop. Et tous attendaient la chute de l'empire Yamaguchi. Aux commandes, ne restaient que la veuve et le fils aîné de seize ans et demi.

Immédiatement après la cérémonie, la veuve avait rassemblé tous les membres les plus influents du groupe et leur avait tenu un discours simple et direct, "S'ils pensent qu'ils vont nous mettre à genoux, ils se trompent lourdement. Kazunari est encore trop jeune, et des deux frères de mon mari, l'un est trop impulsif et l'autre est trop indécis. Ils ne seraient pas capables de guider efficacement la famille. Aussi, je vous demande de me jurer la fidélité que vous aviez jurée à mon mari jusqu'à ce que Kazunari soit assez vieux et expérimenté pour prendre la place de son père comme c'était la volonté de Noboru. Unis, nous pouvons continuer et renforcer ce que construisait Noboru quand ils l'ont abattu."

Ils parlèrent l'un après l'autre, principalement en faveur de la proposition de Michiko, jusqu'à arriver à Iwakura, le bras droit du défunt patron. Il dit que bien sûr, il comprenait et appréciait ce que "Madame" avait dit, mais une femme ne pouvait pas conduire une famille avec l'énergie nécessaire. Elle perdrait le respect des hommes et ne serait pas capable de les freiner utilement. Le successeur le plus logique était donc lui-même, Iwakura. C'était à lui qu'ils devaient jurer fidélité, certainement pas à une femme. Une femme ! ajouta-t-il avec une pointe de dédain, trop facile à intimider, à faire plier, à contraindre, à flatter et à courtiser.

Les autres prirent la parole. Presque tous étaient en faveur de la proposition de Michiko.

Alors, Iwakura fit une erreur. Il interrompit celui qui parlait, et se tournant vers Michiko qui présidait au bout de la table, à côté de lui, il lui demanda, "Que leur avez-vous promis pour les avoir de votre côté ? De les accueillir dans votre lit ?"

En réponse, Michiko sorti de son kimono son petit pistolet incrusté de perle et lui tira une balle droit entre les deux yeux. Puis, regardant les autres qui avaient sauté sur leurs pieds, elle dit sèchement,

"Asseyez-vous !"

Puis, avec un calme glacial, elle ajouta,

"Et maintenant, si vous me voulez à votre tête, faîtes disparaître le corps. Sinon, appelez la police, et faîtes-moi arrêter. Je monte dans ma chambre. J'y attendrai que l'un d'entre vous me rappelle pour la cérémonie du serment ou que la police frappe à ma porte. Il n'y a pas d'autre alternative." Elle posa le pistolet sur la table et sortit.

Ils la rappelèrent moins d'une heure après pour lui jurer fidélité. Le corps d'Iwakura avait disparu de la pièce et le sang était parfaitement nettoyé. La famille Yamaguchi continuait, plus forte et déterminée que jamais. Guidée par une femme de fer, Yamaguchi Michiko.

Kazunari se détendait dans les bains familiaux quand Tomoya entra. Le garçon se lava soigneusement et entra dans la vaste vasque de bois à côté de son frère.

"Kazu-chan, dis-moi, comment as-tu persuadé ce bâtard de Nakamura ? Tu lui as fais la peur de sa vie, c'est ça ?"

"Tomo, tu devrais apprendre qu'on ne peut pas tout obtenir par la peur. Et la peur est même parfois contre-productive. Regarde les animaux, par exemple le chat. Si tu lui parles d'une voix menaçante, mais que tu lui laisses une porte de sortie, il te regardera avec peur, mais il obéira. Alors que si tu l'attaques sans lui laisser de chemin de retraite, il te saute dessus et te griffe, même s'il sait très bien que tu es le plus fort. Ne mets jamais quelqu'un en position de ne pas trouver de solution de sortie honorable si tu veux le soumettre. Tu dois lui montrer que tu es le plus fort, mais le laisser décider par lui-même de se soumettre ou pas. Alors tu auras ce que tu voudras beaucoup plus facilement. Toi, Tomo, tu es un bon garçon et je t'aime bien, mais tu dois apprendre à être moins impulsif, moins passionné. Sinon, tu risques de sous-estimer ton adversaire et la dangerosité des faibles."

"Oui, oui, d'accord, mais comment as-tu fait avec Nakamura ? Tu lui as montré la dynamite comme tu avais dit ?"

Kazunari rigola en se rappelant la scène, "Non, bien plus simplement. C'était ma deuxième carte si la première n'avait pas fonctionné. J'ai seulement fouillé dans la vie privée de Monsieur Nakamura avant de le rencontrer. C'est pour ça que notre mère m'en a chargé."

"Et tu as trouvé des histoires compromettantes ? Quoi ? Tu l'as fait chanter ?" demanda le garçon avec des yeux égrillards.

"Non, pas exactement. Evidement je lui ai fait comprendre que je savais des choses que très peu de gens savent, mais je ne l'ai pas fait chanter. Un homme qu'on fait chanter peut se rendre immédiatement, mais il devient alors un dangereux ennemi, surtout s'il a les moyens de Nakamura et l'appui des Oshima. Non, je l'ai simplement informé qu'un tiers des administrateurs qui l'avaient nommé était entre nos mains et que nous contrôlerions bientôt un autre tiers. Cela voulait dire que pour la deuxième élection, il serait certainement réélu, s'il était des nôtres. Et que c'était bien d'avoir un homme de cet acabit à la tête de Matsuda, et que nous n'avions aucun intérêt à changer s'il était notre allié. Alors, en me basant sur quelques particularités de sa vie privée, je lui ai suggéré que je pourrais lui fournir, en remerciement de la signature du contrat, une chose dont il avait envie, dont il avait en fait rêvé toute sa vie..."

"Quoi ? Dis-moi, quoi ? demanda Tomoya dévoré de curiosité.

"Tu vois, Monsieur Nakamura, sexuellement, est un masochiste. Il aime être attaché, fouetté et obligé d'obéir à une femme de la façon la plus humiliante. Mais il rêvait en particulier d'une femme inaccessible. Une femme qui nous est fidèle et dévouée, et qui, à ma demande, était prête à faire avec lui tout ce qu'il voudrait..."

"C'est qui ? Je la connais ?"

"Tout le monde la connaît. C'est Sasaki Rumiko."

"L'actrice ? Et elle est d'accord pour..."

"Je l'ai appelée avant de rencontrer Nakamura. Oui, pour nous, elle y était prête. Qui plus est, Nakamura est riche et n'est pas physiquement si déplaisant. Et ça serait elle qui mènerait le jeu dans son lit. Elle a accepté. Alors j'ai juste demandé à Nakamura de me laisser passer un coup de téléphone. Je l'ai appelée et je lui ai passé le combiné. L'irréprochable Monsieur Nakamuta a failli se faire dessus, juste à l'entendre dans le téléphone. Il était rouge comme une tomate et bégayait d'émotion. Quand il a raccroché, je n'ai eu qu'à pousser devant lui une copie du contrat. Il m'a regardé et il a demandé, "Vous me donnez votre parole d'honneur ?", "Bien sûr !" Il a sorti son stylo et il a signé sans battre un cil. Et puis, pour lui montrer qu'il avait fait le bon choix, j'ai pris mon portable et j'ai donné l'ordre à mes hommes de sortir le camion d'explosifs du parking. Nakamura a compris."

"Et maintenant, c'est l'amant de Sasaki ?"

"Oui, Tomoya, ils se sont rencontrés hier soir dans l'appartement que nous avons meublé pour lui, comme un petit cadeau de la maison. Alors tu vois, presque sans le menacer, sans le faire chanter, sans élever la voix, le terrible Nakamura est maintenant avec nous, corps et âme. Et très bientôt, d'ici même pas un an, Matsuda sera complètement à nous, tout en restant en paix avec les Oshima et les autres."

Les Oshima. Le père d'Oshima Yoshiki, Yoshio, et le père de Yamaguchi Noboru, Naiki, étaient amis d'enfance. Les deux familles étaient alliées. Mais Naiki avait volé la femme de Yoshio et s'était marié avec elle. Ce fut le début des hostilités entre les deux familles et de nombreux conflits avaient éclaté entre elles, souvent pour des raisons futiles.

Kazunari lui-même avait été la cause involontaire d'une de ces batailles.

Il avait vingt ans lorsqu'il avait rencontré dans un bar gay un garçon de dix-huit ans nommé Hayato. Ils se plurent tout de suite. Hayato était dans la voiture de Kazunari quand il émit l'idée d'aller nager et de faire l'amour dans la mer, sous la lune. Les deux garçons avaient commencé à se déshabiller sur la plage, se regardant mutuellement avec une excitation croissante, quand Hayato remarqua l'ombre des gardes de Kazunari qui faisaient le guet aux environs.

"Il y a des gens..." avait dit le garçon.

"Ce sont juste mes gardes du corps, ils ne nous ennuieront pas. Au contraire, ils éloigneront d'éventuels passants, viens."

"Garde du corps ? Mais qui es-tu ?" demanda le garçon.

"Yamaguchi Kazunari." répondit-il tranquillement.

"Yamaguchi ? Tu es un Yamaguchi ?" demanda le garçon avec des grands yeux, en commençant à se rhabiller.

"Qu'est-ce que tu fais ? Qu'est-ce qui te prend?" demanda Kazunari surpris, essayant de l'empêcher de s'habiller.

"Arrête, laisse-moi partir ! Je baiserai jamais avec un Yamaguchi. Pas moi ! Lâche-moi tout de suite !" dit le garçon en commençant à élever la voix.

"Mais pourquoi ? Qu'est-ce qui ne va pas ?"

"Je suis un homme d'Oshima, imagine que je baise avec toi ! Lâche-moi, vire tes sales pattes !"

"Ecoute, pourquoi se soucier des querelles de clans? Tu me plais et je te plais, tu l'as dit. Désape-toi, allez. Et profitons tranquillement de l'occasion."

"Laisse-moi ! Je me la couperais plutôt que de coucher avec toi !"

Kazunari essaya de le faire changer d'avis, de l'arrêter. Ce garçon lui plaisait et il ne voulait pas le laisser partir, mais l'autre commença à crier et ils se mirent à se battre sur le sable. Les hommes de Kazunari se précipitèrent pour l'aider mais n'intervinrent pas quand ils virent que leur patron tenait fermement le garçon et le déshabillait facilement. Au contraire, quant ils eurent compris que le garçon était lié aux Oshima, ils incitèrent Kazunari à y aller franchement, avec des expressions vulgaires.

Kazunari était excité, et ne s'occupait pas des autres. Il voulait juste se faire le garçon, en profiter. Au moment de le pénétrer, Hayato réussit à se libérer et à s'enfuir. Les autres le rattrapèrent et le tinrent en position pour que Kazunari puisse se le faire.

"Hayato, tu n'y as pas mis de bonne volonté. Tu nous as offensés. Alors, maintenant, rappelle-toi que tous les Yamaguchi peuvent enculer les Oshima quand et comme ils le veulent." dit-il avec rage, et l'attrapant par les cheveux, il présenta la tête de son membre turgide entre les fesses écartées et donnant une forte poussée, il s'enfonça en lui, jusqu'à la garde.

Hayato eut un sursaut mais ne poussa pas la moindre plainte. Quand Kazunari commença à le posséder, il ressentit une sorte de joie sauvage. Hayato répondait à chaque coup de reins par une insulte d'une voix basse mais claire. À la fin, Kazunari, criant son propre plaisir, éjacula dans le garçon, au milieu des rires et des plaisanteries de ses hommes. Puis ils partirent en laissant le garçon sur le sable.

Deux jours plus tard, les Oshima tuèrent un des hommes qui avaient immobilisé Hayato sur la plage, et laissèrent sur lui une note sur laquelle était inscrite, "Et d'un." Les amis de la victime tuèrent un des Oshima. Un deuxième homme du groupe de la plage fut retrouvé mort avec la note, "Et de deux."

À ce moment, les hommes des Yamaguchi eurent l'idée de retrouver Hayato et de le châtrer. Kazunari n'était pas d'accord et leur interdit de le toucher. Mais deux jours plus tard, le jeune homme fut retrouvé mort sur la plage, châtré. Les hommes de Kazunari jurèrent que ça n'était pas leur travail.

Les Oshima tuèrent alors trois hommes des Yamaguchi. À ce moment, Michiko vit ce qui se passait et se demanda pourquoi. Elle comprit que si elle ne faisait rien, ce pourrait être le début d'une vraie guerre. La première chose qu'elle voulut savoir de son fils fut la réalité exacte, en détail. Puis elle prit sa voiture, avec juste un chauffeur, et alla rencontrer Oshima Yoshiki, face à face.

"Nos familles sont devenues ennemies pour une histoire de fesses, et une autre guerre commence également pour une histoire de fesses. Nous devons arrêter ça, faire cesser cet absurde jeu de massacre. Et tu en conviendras, Yoshiki, à la fin c'est nous qui gagnerons et vous serez anéantis. Oh, bien sûr, nous perdrons aussi beaucoup de bons éléments, et puis très probablement, une troisième famille prendra la place et nous ne pourrons rien faire. Est-ce là ce que tu veux ?"

"N'est-ce pas un peu exagéré de me demander d'arrêter après que ton fils ait commencé en violant le fils d'un de mes hommes ?"

"Violer, Yoshiki ! C'est un bien grand mot pour ce qui c'est passé, tu ne crois pas ? Le garçon draguait dans un bar gay, ce n'était sûrement pas un petit saint. Et tout le monde l'a vu sortir bras-dessus, bras-dessous avec mon fils, tout content. Il n'a pas été enlevé, pris de force."

"Mais sur la plage..."

"Les garçons ont compris qui ils étaient et la bagarre a commencé. S'ils n'avaient pas su pour l'autre, rien ne serait arrivé et ils se seraient sautés sans problème, en s'amusant bien."

Yoshiki hocha la tête en ricanant. Mais il dit, "Mais le garçon a été châtré et massacré."

"Yoshiki, mes hommes m'ont juré qu'ils ne l'avaient pas fait. Et je les crois. Parce qu'ils savent que je pardonne même les fautes les plus graves, mais que je punis de mort celui qui me ment."

"Mais alors ?"

"Penses-tu que parmi les tiens il puisse y en avoir un qui veuille cette guerre ? Ou une autre famille prête à ramasser les morceaux après la bagarre ? Veux-tu tenter cette partie ?"

Yoshiki fut convaincu. Et la guerre s'arrêta aussi vite qu'elle avait commencé. Une semaine plus tard, deux hommes de la famille Segawa furent retrouvés sur cette même plage, châtrés et tués de la même façon que Hayato. Puis on n'entendit plus parler de cette histoire.

Kazunari avait été extrêmement choqué par le dénouement sanglant de cette nuit sur la plage, et devint très prudent dans ses rencontres et avec ses relations. Il vint prier sur la tombe de Hayato, lui demandant son pardon parce que, même s'il ne l'avait pas voulu, il avait indirectement causé la mort du pauvre garçon pour une baise stupide, initialement dictée par le désir, puis par l'orgueil. Une bête dangereuse, l'orgueil.

Kazunari raconta tout ça à Tomoya qui écouta son frère avec beaucoup d'attention sans l'interrompre

"Comprends-tu pourquoi je voudrais que tu sois moins impulsif ? Tu es un garçon remarquable, Tomo. Tu peux vraiment devenir quelqu'un d'exceptionnel, si tu apprends à te contrôler, comme j'ai dû le faire. Au début, ça paraît dur, mais ça ne l'est pas."

"Tu as dû apprendre à te contrôler ?" demanda Tomoya avec un regard incrédule.

"Oui, je te ressemblais beaucoup, adolescent. C'est probablement pour ça que tu es mon frère préféré. Je voulais tout, tout de suite. Mais la vie m'a appris la valeur de la patience. Et le sens des limites. Nous, les Yamaguchi, nous pouvons parfois nous sentir tout puissants, mais ce n'est pas vrai. Et le pouvoir doit être utilisé avec mesure ou il coulera comme de l'eau entre tes doigts. Tu vois, c'est comme quand tu joues au golf, tu dois utiliser le bon club, la bonne force, sinon tu risques d'être moins bon que ton caddie."

"Kazu-chan, je peux te demander quelque chose d'autre ?"

"Quoi ?"

"Tu as déjà été avec une fille ?"

"Non, elles ne m'intéressent pas, tu le sais bien."

"Mais comment as-tu su que tu préférais les hommes ?"

"J'ai toujours préféré les hommes depuis que je suis petit garçon."

"Et ton premier homme ?"

"J'avais quatorze ans. Il avait ton âge, un pêcheur de Komatsujima. Il ne m'avait pas remarqué. Il pensait être seul. Il a dénoué son fundoshi et il a commencé à se branler. Je savais déjà depuis un moment que les hommes me plaisaient, et celui-là était vraiment beau. Il me fascinait. Et je bandais terriblement. Alors, nu avec mon outil dressé devant moi, sans réfléchir, j'ai marché devant lui. De surprise, il s'est arrêté un instant, puis quand il a vu mon excitation, il a recommencé à se branler, et m'a fait signe en souriant de venir plus près. Et puis il m'a demandé de le sucer."

"Et alors ?"

"Je me suis mis à genoux entre ses cuisses musclées et j'ai fait ce qu'il m'avait demandé. Et puis on a fait l'amour. Il m'a appuyé contre son bateau et il m'a pris."

"Il t'a plu ?"

"Lui ? Je le trouvais trop beau. Et il savait faire. Je suis revenu le voir tous les jours de ces vacances."

"Je n'avais que sept ans. Je me rappelle à peine Komatsujima. Vous alliez où pour faire l'amour ?"

"Après la première fois sur la plage, il m'a conduit au hangar à bateaux où il avait sa chambre avec un futon. Mais toi ? Tu veux tout savoir sur moi, mais tu ne me racontes rien sur toi ?

"Moi ? Je l'ai fait la première fois l'année dernière avec la fille de l'ascenseur de notre banque. Elle n'était pas vierge, mais elle me plaisait bien. Même si au début, je me sentais gêné, j'avais peur de pas le faire bien. Quand j'ai compris que je lui plaisais, j'ai attendu la fin de son service. Elle m'a conduit dans un hôtel de passe. D'abord, elle m'a sucé, et puis on a fait le reste."

"Tu as une fille, maintenant ?"

"Non, pas de régulière. Et toi, tu as un garçon particulier ?"

"Non, pas pour le moment. Mais il y en a un qui me plait beaucoup."

"Ken, c'est ça ?"

"Non, pas lui. Mais comment sais-tu pour Ken et moi ? Il te l'a dit ?"

"Non, pas lui, mais j'ai compris. Tu dois bien lui plaire. Et lui à toi."

"Oui, c'est vrai, mais il n'y a rien de vraiment sérieux entre nous. On s'amuse ensemble, c'est tout. Mais Ken a un beau corps et il est sympathique, et il le fait bien."

"Je connais l'autre ? Celui qui te plait ?"

"Non. C'est un étudiant à l'université. Il est si beau. Mais je ne sais même pas s'il est gay. Peut-être que non. Et même s'il l'était, je ne sais pas si je lui plairais."

"Tu es vraiment bel homme. S'il est gay, ça m'étonnerait que tu ne lui plaises pas. Et même s'il ne l'est pas, il pourrait peut-être dire oui. Je connais des garçons qui ne disent pas non à un petit coup avec un autre garçon." dit Tomoya en souriant à son frère.

"Je le saurais ce soir. Je vais essayer de lui demander. Mais je voudrais que ça ne soit pas que pour un soir."

"Bien. Tu me diras, après. Puisqu'on s'est fait des confidences, j'aimerais bien que ça continue. Si tu es d'accord. Parfois, j'ai besoin de parler à quelqu'un."

Kazunari sourit à son frère, lui ébouriffa les cheveux dans un geste affectueux et quitta la vasque d'eau chaude pour aller dans la froide, puis il sortit.


Il retrouva Jun à huit heures moins le quart devant l'opticien. Le garçon était habillé de manière décontractée mais élégante. Depuis leur première rencontre, Jun n'avait pas cessé de penser à Kazunari. Il le trouvait sympathique, et même fascinant. Mais plus que ça, une chose l'avait frappé lors de sa rencontre avec le jeune homme, pendant le tremblement de terre, alors que Kazunari le tenait immobile, malgré la panique, il avait clairement ressenti l'érection du jeune homme pressée contre son corps, et ça lui en avait immédiatement valu une.

Il y avait longuement pensé. L'autre était excité de le tenir dans ses bras, et lui avait bandé à la sensation du membre dur de l'homme. Si deux hommes s'excitent juste à se toucher, ça ne pouvait vouloir dire qu'une seule chose.

Et puis l'insistance de Kazunari à lui payer de nouvelles lunettes, à rester avec lui, à vouloir le revoir. Sa façon de le regarder pendant qu'ils bavardaient.

Jun s'était préparé très soigneusement à cette rencontre, et espérait qu'après avoir récupéré ses lunettes, Kazunari l'inviterait à passer la soirée ensemble, et puis peut-être aussi la nuit... Jun bandait à cette idée et il pensa que c'était la première fois qu'il était excité, juste à penser à quelqu'un. Le fait que ce quelqu'un soit un homme ne lui posait pas de problèmes. Il se sentait seulement heureux d'éprouver du désir, d'être désiré.

Pour lui, l'acte sexuel restait au second plan. Il aimait Kazunari pour sa personnalité. Il le sentait fort, viril, mais chaleureux, tendre et gentil, et ça le captivait. Il ne fantasmait pas explicitement sur le fait de faire l'amour avec lui, mais juste d'être enlacé, de se sentir de nouveau protégé, entouré et désiré entre ces bras et ces jambes puissantes. Il était conscient de ce qui pouvait vraiment arriver, plus tard, du rapport physique, de faire l'amour, mais ça ne l'inquiétait pas. Cette possibilité restait en arrière plan, comme une chose concrète, mais secondaire. Pour lui, ne comptait que cette étreinte, douce, forte, intime. Et le plaisir de sentir cette érection qu'il avait provoquée.

"Jun ! Comment vas-tu ?" le salua joyeusement Kazunari.

"Bien, et toi. J'aime bien les habits que, Kazunari a mis aujourd'hui." dit en souriant le garçon, en proie à une légère émotion.

"Et Jun est très élégant. Allons récupérer tes lunettes. Ils vont bientôt fermer."

Ils entrèrent dans la boutique. Jun les essaya. "Oh, je vois de nouveau clair. Comme elles sont légères, et belles. Merci, Kazu." dit le garçon en lui souriant, étudiant timidement son expression après qu'il l'avait appelé d'une façon si affectueuse et amicale.

Kazunari sourit, heureux. "Elles te vont bien."

"Elles t'ont coûté beaucoup d'argent."

"C'est avec grand plaisir. Écoute, es-tu libre, maintenant ?"

"Oui," répondit immédiatement le garçon, heureux.

"Je pensais qu'on pourrait aller souper au Teppoya. Aimes-tu la cuisine kaiseki ?"

"Au Teppoya ? Quel rêve !"

"Allons-y, alors." dit joyeusement Kazunari en le prenant par le coude et en le guidant vers sa voiture.

Du coin de l'œil il vit Soda dans l'autre voiture. Il lui avait expliqué le programme de la soirée en lui demandant de ne pas se faire repérer par le garçon. Ils allèrent au restaurant. Il avait réservé un salon privé sur le jardin. Des lumières douces, le bruit d'une petite fontaine, et d'un shakuhachi qui jouait dans l'ombre.

Une fille en kimono apportait les plats. Ils mangèrent, parlant peu, se regardant timidement. Kazunari ne s'était jamais senti aussi troublé par la présence d'un garçon qui lui plaisait. C'était une émotion nouvelle, belle, douce. Il sentait le désir de le prendre dans ses bras, de la caresser, mais il se retenait, pas tant à cause de la discrète présence de la serveuse, allant et venant avec les plats, mais surtout par crainte de briser l'enchantement.

"Jun-chan ?"

"Oui ?"

"Je me sens si bien à côté de toi."

"Moi aussi, Kazu. Tu es une personne splendide. Je suis si heureux de t'avoir rencontré."

"Vraiment ? Merci. J'espère que cette soirée marquera le début d'une amitié spéciale."

"Merci à toi. Et pas seulement pour m'offrir tout ça, mais aussi ton temps et ton amitié."

Kazunari tendit une main et la passa légèrement sur celle du garçon et la caressa en le regardant dans les yeux. Jun baissa les yeux, frissonnant au doux contact.

"Tu me plais, Jun. Tu me plais vraiment."

"Je t'aime bien aussi, Kazu-chan." répondit Jun, ému, à voix basse. Incapable de regarder son compagnon dans les yeux, il fixa son regard sur la main qui caressait la sienne.

"Voudrais-tu venir avec moi, chez moi ? Je voudrais passer toute la nuit avec toi, si tu peux. Veux-tu rester avec moi, ce soir ?"

"Je dois... Je dois juste téléphoner à la maison, pour leur dire que je ne rentrerai que demain... Sinon ils vont s'inquiéter."

Kazunari lui tendit son téléphone portable. Le garçon le prit et composa le numéro.

"Papa, c'est Jun. Je ne rentrerai pas ce soir, je reste en ville. Oui, bien sûr... Oui... Ne t'inquiète pas. D'accord. Bonsoir." dit-il et il rendit le téléphone en disant, "C'est fait."

"Il n'y a pas de problème, alors ?" demanda Kazunari en observant l'expression du garçon.

"Non, aucun problème."

"Tu as l'habitude de faire ça ? Je veux dire, de coucher à l'extérieur ?"

"Non, c'est la première fois, mais ils n'ont pas fait d'histoires. J'ai quand même dix-neuf ans."

"La première fois ?" demanda Kazunari avec curiosité.

"Au pire, je rentrais avec le dernier train, quand j'allais prendre un pot avec mes amis. J'étais couché avant deux heures du matin."

"Alors tu viens avec moi ?"

"Oui."

Kazunari était content, et Jun l'était aussi.

Ils allèrent dans le studio du jeune homme. Kazunari le fit visiter, puis de retour dans le salon, il lui offrit à boire.

"C'est chouette, ici. J'aurais pas pensé qu'on trouve un style si traditionnel dans une résidence aussi moderne. J'aime beaucoup."

"J'aime beaucoup le style traditionnel."

"Moi aussi. Mais où dors-tu ?"

"Dans l'autre pièce. C'est la plus tranquille. As-tu remarqué ce qui est écrit dans le tokonoma ? Je l'ai choisi pour toi en espérant que tu viendrais."

"Pour moi ? Je suis désolé, je ne l'ai pas lu."

"Viens voir, alors. Elle est tirée du Makura-no-Soshi."

Ils retournèrent dans l'autre pièce. Jun admirait l'écriture. De derrière, Kazunari le prit dans ses bras, l'attirant contre lui, et l'embrassant dans le cou. Jun frissonna, ferma les yeux et renversa la tête contre l'épaule de Kazunari, se tournant vers lui. Kazunari l'embrassa sur les lèvres puis, tendant la main, poussa un bouton sur le mur. Silencieusement, la cloison s'effaça et un grand lit, bas et carré apparut. Le jeune homme poussa Jun dessus. Il se coucha sur lui, continuant à l'embrasser et commençant à déboutonner sa chemise.

"Non, s'il te plait..." murmura le garçon en tournant la tête de côté et tentant de lui retenir les mains.

Kazunari essayait de continuer à le déshabiller, mais sans vraiment le forcer.

"Non, pas comme ça s'il te plait, attends." répéta Jun, les yeux fermés, à voix basse.

"J'ai envie de toi, Jun. Je veux faire l'amour avec toi. S'il te plait, ne me repousse pas, tu me plais trop."

"Je... je ne l'ai encore jamais fait." murmura le garçon.

"Je ne te ferai pas mal, crois-moi."

"Je sais... mais éteins les lumières, d'abord. Je suis gêné."

Kazunari sourit et poussa un soupir de soulagement. Il éteignit les lumières, retira sa veste et sa chemise, et revint vers le lit. Il se coucha contre le garçon qui le prit dans ses bras. Il embrassa Jun et recommença à le caresser et à le déshabiller lentement.

"C'est ta première fois avec un homme ?" demanda-t-il doucement.

"Ma première fois tout court." murmura Jun en caressant le large dos de Kazunari pendant qu'il lui enlevait son maillot de corps.

Puis il se pencha pour ouvrir la ceinture et la braguette de Jun. Le garçon releva son bassin pour aider le jeune homme à baisser son pantalon.

"Tu as encore ton fundoshi rouge..." dit Kazunari excité en le dénouant.

"Comment peux-tu savoir qu'il est rouge ? Il fait trop sombre, ici."

"Je t'ai vu avant-hier, à la plage. Tu étais si beau dans ton fundoshi rouge vif. J'ai eu immédiatement envie de toi, mais je n'aurais jamais rêvé que nous nous rencontrions de nouveau, et que nous serions réunis moins de deux jours plus tard...

"C'est pour ça que tu étais excité pendant le tremblement de terre ?"

"Tu l'avais remarqué ?" demanda Kazunari en continuant à caresser et à embrasser le corps frais tout en finissant de se déshabiller.

"Oui. Et c'est pour ça que j'ai aussi commencé à avoir envie de toi."

"Personne ne m'a jamais attiré autant que toi, le sais-tu ?" murmura Kazunari très ému, pendant qu'il l'enlaçait étroitement et l'embrassait avec passion et tendresse.

La tendresse, c'était un sentiment nouveau que ressentait Kazunari pendant qu'il faisait l'amour à Jun. Un désir croissant et une tendresse croissante. Quelle différence énorme avec les autres garçons ! Même le désir physique était transfiguré. Ils firent l'amour tranquillement, longuement, avec une douce passion, s'embrassant à perdre haleine pendant qu'ils se caressaient mutuellement. Ils se frottaient l'un à l'autre avec passion, jusqu'à rejoindre ensemble le sommet du plaisir. Etroitement enlacés, ils se détendirent enfin sur le matelas, comblés, haletant, heureux.

Kazunari sentit le corps du garçon se détendre dans ses bras et glisser dans le sommeil. Il embrassa légèrement le garçon sur le front. Jun poussa un léger soupir de contentement et murmura d'une voix basse, presque endormie, mais claire,

"Je t'aime, Kazu-chan. Je t'aime. Pourquoi ne m'as-tu pas pris ? J'en avais envie..."

"La première fois, ça peut être douloureux, et je n'ai pas envie de te faire mal. Veux-tu être mon amoureux, Jun ? Veux-tu être à moi, pour toujours ?"

"Oui, je veux. Mais la prochaine fois, tu me prendras, d'accord ?"

"Oui..."

"Demain matin. C'est promis ?"

"C'est promis..."


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