HABILLÉ D'UN TATOUAGE (Le Yakuza) |
CHAPITRE 6 LUNE DE MIEL AVEC TEMPÊTE |
La mère de Kazunari arriva à 11 heures 30 alors que Jun s'était résigné quelques minutes plus tôt à quitter le chevet du lit où Kazunari n'avait toujours pas repris conscience, pour aller dans la petite salle en face de la chambre. Il entendit le bruit de ses pas, et sa voix basse et décidée. Il ne discernait pas les mots, mais le ton était dur. Il entendit la porte de la chambre de Kazunari se fermer, puis plus rien. Il restait assis, attendant anxieusement que Soda vienne lui dire quelque chose. Il regardait continuellement sa montre. Il aurait voulu aller dans la chambre pour prendre des nouvelles, savoir, mais Soda lui avait suggéré de rester là. Il se demandait si Tomoya était arrivé avec sa mère. Il n'avait pas entendu la voix du garçon. Tomoya était amical envers lui. Soda et Tomoya étaient les deux seuls amis qu'il ait. Tous les autres, y compris les gardes du corps qui étaient maintenant assis dans le couloir de l'hôpital lui étaient inconnus. Et sans Kazunari, il se sentait terriblement seul et perdu. Il pouvait être minuit et demi quand la porte de la pièce s'ouvrit. Jun pensa que c'était Soda et se leva, prêt à entendre des nouvelles. Il se trouva en face d'une grande et mince femme entre deux âges, très belle dans son kimono, et il reconnut la mère de Kazunari. Instinctivement, il se pencha en avant dans un salut formel crispé. La femme le scruta attentivement. "Je suis Yamaguchi Michiko, la mère de Kazunari." "Enchanté de vous rencontrer, Madame. Je suis Takeda Jun." "Tu es le petit ami de Kazunari." dit la femme. C'était une affirmation, plus qu'une question. "Oui, Madame." "Assied-toi. L'aimes-tu ?" demanda la femme en le regardant dans les yeux. Jun ne baissa pas les yeux et répondit très sérieusement, "Plus que moi-même, Madame." La femme esquissa un sourire. Elle était assise au bord de sa chaise, droite comme un i, royale dans son précieux kimono de soie. Jun soutint son regard, sans insolence, mais sans crainte. La femme laissa paraître un deuxième léger sourire et dit lentement, "Tomoya m'en a plus dit sur toi durant ce voyage que Kazunari en deux ans. Tomoya t'estime, Kazunari t'aime, je voudrais au moins te connaître." "Qui est resté avec Kazunari ?" "Tomoya. Je lui ai demandé de veiller son frère pendant que nous parlons. Je suppose que tu préfèrerais être auprès de mon fils, non ?" "Evidement, Madame, mais comment est-il ?" "Comme tu l'as laissé il y a une heure. Il est toujours inconscient. Mais il est tranquille. Les docteurs disent qu'ils pourront bientôt se prononcer. Nous prendrons les meilleurs docteurs et tu verras que nous le remettrons vite sur pieds." "Madame, J'ai tellement peur. Je..." dit Jun en hésitant. Puis comme un flot qui rompt ses digues, il recommença à parler. "Pardonnez-moi, Madame, si je peux me permettre, mais vous êtes sa mère, vous pouvez comprendre mon angoisse de le perdre. Vous aussi, j'en suis sûr, tremblez et priez pour sa vie. Combien de fois ça devra-il arriver encore ? Lui, Kazunari est un bon garçon, doux, mais il vit dans un monde impitoyable. Pourquoi ne pas le persuader d'abandonner, de changer de vie ? Pourquoi doit-il toujours risquer d'être tué d'une manière si barbare, si inhumaine ? Et pourquoi faire ? Il n'est pas violent, il n'est pas... Non, ce n'est pas sa vie. Ce n'est pas la vie dont vous avez rêvé pour lui, Madame. Pas pour Kazunari. Pardonnez-moi, Madame, si je me permets, pour vous, je ne suis rien, je le sais, je le comprends. Mais je l'aime, Madame. Vous l'aimez aussi. Oh je j'aurais voulu que Kazunari soit le fils de quelqu'un d'ordinaire, pour pouvoir l'aimer, pour qu'il m'aime dans la paix. Sans gardes du corps autour de nous, sans mille précautions, et puis trembler comme ça à côté d'un lit d'hôpital ou pleurer sur une tombe." dit Jun avec les yeux pleins de larmes. Michiko l'écouta sans l'interrompre, puis elle lui tendit un mouchoir en papier. "Jun, mon garçon, penses-tu que je ne puisse pas te comprendre ? Penses-tu que je n'ai pas eu les mêmes idées, des milliers de fois ? Crois-tu que j'étais heureuse de pleurer sur la tombe de mon mari, et avant ça, jour après jours, le cœur au bord des lèvres, attendre de savoir s'il rentrera vivant. C'est notre vie, la vie que j'ai acceptée en me mariant avec le père de Kazunari." "Moi aussi, je l'ai accepté, Madame, pour être à ses côtés. Et je l'accepte, si c'est la seule façon de rester à ses cotés. Je n'ai pas peur du risque, je donnerais ma vie pour lui, croyez-moi. Mais c'est sa vie qui compte, pour laquelle je tremble. Kazunari est honnête, gentil, même s'il se donne des airs de dur, même s'il doit paraître ainsi. Il n'est pas violent. Je... je ne peux pas me permettre de juger, rien ni personne, mais... Mais Kazunari, au fond de son cœur, n'est pas vraiment un yakusa, croyez-moi. Je le connais bien. Il veut juste rester fidèle à la mémoire de son père. Mais ce n'est pas un yakuza au fond de son cœur. C'est un garçon gentil, passionné, qui aime la vie et les belles choses." "Oui, je le sais, je l'ai toujours su. Ecoute, Jun, plus tard, je te laisserai veiller Kazunari comme je sais que tu le désires. Mais maintenant, pendant que Tomoya est à ses côtés, viens avec moi." "Où, Madame ?" "Viens avec moi, je veux te montrer quelque chose. Pour que tu puisses comprendre mieux qu'avec des mots." Ils sortirent de la pièce. Soda attendait dans le couloir avec d'autres hommes. Michiko donna quelques ordres secs et ils quittèrent l'hôpital. Des hommes montèrent dans la première voiture, Michiko et Jun avec le chauffeur et un garde du corps dans la deuxième voiture aux vitres fumées et les autres dans la troisième voiture, et les trois véhicules démarrèrent ensemble. Ils entrèrent sur la voie rapide. Michiko était assise, droite comme un i, plongée dans ses pensées, regardant par la fenêtre en fumant une longue et fine cigarette. Jun aurait voulu lui poser mille et une questions, mais il avait peur de la déranger. Il pensait qu'elle était vraiment royale, même dans sa peine. Ils quittèrent le périphérique pour une autre voie rapide. Au bout d'un moment, Michiko prit l'interphone et dit au chauffeur, "La prochaine sortie. Et puis la première à droite, et au troisième croisement il y aura les panneaux." Les voitures ralentirent, quittèrent la voie rapide, et suivirent la nouvelle direction. Et finalement, après un épais bois de cyprès rouges et de bambous, ils s'arrêtèrent devant un groupe de maisons traditionnelles au toit de chaume. Quand les voitures s'arrêtèrent et que les passagers descendirent, une famille vêtue de kimonos sortit de la maison centrale où des lumières étaient allumées, et s'alignèrent, s'inclinant devant la femme. Jun vit l'enseigne et comprit que c'était des bains. "Viens, Monsieur Haruta, le gérant, va nous faire visiter." dit doucement Michiko au garçon. Ils firent le tour. Jun ne comprenait pas, ils étaient dans des bains, beaux, anciens, mais il n'y voyait rien de spécial et ne comprenait pas pourquoi elle l'avait amené là, faire cette étrange visite nocturne. À la fin de la visite, Haruta ouvrit une pièce qui donnait sur un ravin, et par les fenêtres on apercevait le Mont Fuji, splendide sous la lumière de la lune. Michiko fit signe à Jun de s'asseoir et prenant place à côté de lui, demanda à Haruta de leur faire porter un kaiseki. "Tu vois ? Depuis les bassins extérieurs, et par les fenêtres des bassins couverts, il est possible de profiter du même panorama. J'ai acheté ces bains il y a environ dix ans. Mon intention était de les faire complètement, soigneusement restaurer, en gardant la structure et les matériaux originaux, mais de les équiper de tout le confort et les équipements modernes, pour en faire un établissement luxueux pour les plus riches et influents personnages de notre pays. Cet endroit est vraiment merveilleux. Il faut juste refaire la route, nettoyer et clôturer les bois, moderniser les services, et ça peut devenir le plus bel établissement thermal de tout le Japon. Crois-moi, j'avais l'intention de faire ça et de le donner à Kazunari, de sorte qu'il puisse venir et y vivre. Parce que moi aussi, au fond de mon cœur, j'étais et je reste convaincue que de tous mes fils, c'est celui qui a le moins l'âme d'un yakuza. Parce que moi aussi, j'ai peur pour sa vie. Mais quand je lui en ai parlé, sa seule réponse a été de se faire tatouer sur tout le corps, de manière à confirmer son appartenance définitive aux yakuza, à ce monde sans pitié. Mon mari, moi-même, Hiroshi et même Tomoya sommes yakuza. Nous sommes capables de faire taire notre cœur, pas Kazunari. Mais... tu n'as pas réussi à le faire changer d'avis, comme moi je n'y suis pas arrivée. Tomoya, il y a quelques heures m'a raconté ton hésitation initiale à te lier à Kazunari, et comment tu l'as supplié de changer de vie, et comment tu as renoncé. Et pourtant, Kazunari t'aime. Tu vois ? C'est ma réponse à la demande que tu m'as faite. Ces bains qui attendent d'être restaurés, pourraient donner à Kazunari une vie riche, honnête, élégante... et sans danger. Et ils sont toujours là, dans leur beauté triste et un peu négligée, un peu décadente. Penses-tu que je ne serais pas heureuse de le savoir là au lieu de lutter pour la vie dans une chambre d'hôpital ? De l'avoir ici, avec toi, heureux, loin des complots, des embuscades et des assassinats ? Dis-moi, Jun ?" "Pardonnez-moi, Madame, j'ai parlé sans savoir." dit le garçon en s'inclinant, ému par ces mots accablants. "Non, tu as parlé par amour, et je t'en remercie. Tu me plais, mon garçon, et je suis contente que Kazunari t'aime. C'est maintenant mon tour de te demander quelque chose." "Dites-moi, Madame, si je peux..." "Reste toujours à côté de mon Kazunari, essaye de le rendre heureux, comme je pense que tu en es capable. Ne le quitte pas, quoi qu'il arrive. C'est la seule chose que je te demande." "Madame, tant que l'un de nous deux sera vivant, tant qu'il voudra de moi, je ne le quitterai jamais. Je le jure." "Merci, Jun. Et maintenant, mangeons quelque chose, et puis on retournera à Tokyo. Je dois régler cette affaire avec la police, et prendre la place de mon fils dans les affaires qu'il traitait, mais je suis plus tranquille maintenant que je te sais à ses côtés. Avec ton amour. Je te remercie, Takeda Jun." "Merci, Madame." répondit le garçon, ému. Après avoir mangé, ils rentrèrent à Tokyo.
Kazunari reprit conscience vers cinq heures du matin et la première chose qu'il vit fut Jun. Il ouvrit un large sourire. "Je suis toujours vivant." murmura-t-il presque incrédule. "Oui, par chance." répondit Jun en caressant ses joues avec délicatesse. "Je pensais qu'ils avaient réussi... j'aurais été triste de te laisser si tôt." "Ne plaisante pas avec ça. Qu'est ce que je deviendrais sans toi ?" "Tu as raison, je dois penser à ton futur. Je ne veux pas te laisser en plan au milieu de la rue." "Ne dis pas de bêtises ! Sans toi, plus rien n'a d'importance, tu ne comprends pas ? Mon futur, si tu veux t'en préoccuper, c'est toi, ta vie ! Je préfèrerais être mendiant avec toi que l'homme le plus riche du Japon sans toi ! Tu ne le comprends pas ?" "Hé, hé, hé ! Doucement. Bien sûr que je le comprends." murmura le jeune homme avec un pauvre mais doux sourire. Jun pensa que Kazunari ferait mieux de ne pas trop parler et qu'il fallait prévenir les infirmières qu'il avait repris conscience. Il actionna donc la sonnette. Bientôt, une infirmière arriva, suivi de Tomoya et de Soda. L'infirmière, quand elle vit que Kazunari avait repris ses sens, appela immédiatement un docteur. Soda, avec émotion, demanda pardon à Kazunari pour n'avoir pas su le protéger. Kazunari lui fit signe de se taire, sourit et lui dit, "Soda, si tu n'as pas pu, personne n'aurait pu le faire, n'en doute pas Ça devait arriver. Et après tout, je m'en tire bien. Qui aurait pu imaginer une chose pareille ici, dans Tokyo, de jour et en pleine rue ? On sait qui c'est ?" "On cherche. Les familles. Qui que ce soit, on ne laissera pas passer." "Si on les trouve." Le docteur entra et examina rapidement Kazunari. "Tout va bien pour le moment. Plus tard, nous ferons des examens plus approfondis. Mais maintenant il vaut mieux ne pas vous fatiguer. Un d'entre vous peut rester mais il ne faut pas le faire parler." Ils se retirèrent tous sauf Jun qui s'assit à côté du lit de Kazunari et prit sa main entre les siennes. "Je t'aime, Jun." "Moi aussi. Mais tais-toi, le docteur a dit que..." "Au moins, que je t'aime, je le dis quand et autant que je le veux. D'accord, je me tais, mais je t'aime trop !" dit le jeune homme avec un sourire, en serrant les mains de Jun dans la sienne.
Kazunari dormait quand Tomoya revint vers neuf heures. "Jun, va un peu dormir, je vais le veiller, maintenant. Tu dois te reposer, tu ne peux pas continuer comme ça." "Mais s'il se réveille, tu m'appelleras ?" "S'il me le demande, oui." dit Tomoya avec un sourire. Jun s'allongea et s'enfonça immédiatement dans le sommeil. Il se réveilla dans l'après-midi. Kazunari dormait toujours. "Comment il va ?" "Plutôt bien. Les docteurs disent qu'il réagit bien, mais qu'il mettra des mois à se remettre. Ma mère a décidé qu'il fera sa convalescence aux bains, près du Mont Fuji, là où tu as été la nuit passée. Toi, lui et quelques hommes. Vous aurez les bains pour vous. Il n'y aura aucun client, vous serez tranquilles. Tu as l'air d'avoir fait bonne impression à Maman. C'est une femme avare de paroles, mais elle m'a dit que Kazunari avait de la chance de t'avoir. Et qu'elle dise ça, c'est le plus beau compliment qu'elle puisse faire." "Oui. Mais les docteurs ont donné un pronostique ?" "Non, pas encore. Mais ils ont l'air confiant." "Veux-tu t'étendre et dormir un moment, maintenant ?" "Plus tard. Tu dois avoir faim, je leur demande de t'apporter quelque chose." "Merci. Il ne s'est pas encore réveillé ?" "Si, mais il voulait qu'on te laisse dormir. Excuse-moi..." "Il m'a demandé ?" "Son premier mot. J'espère être un jour amoureux de cette façon." "De ton modèle ?" "C'est fini. Elle n'en voulait qu'à mon argent, cette pute. Toutes les mêmes." "C'est pour ça que je préfère les hommes." dit Kazunari depuis son lit avec un sourire coquin à l'adresse de son frère et de Jun, qui se tournèrent vers lui. "Oh, il s'est finalement réveillé, le paresseux !" plaisanta Tomoya. "Peux-tu nous laisser un moment ?" demanda le jeune homme à son frère. "Bien sûr, les amoureux, mais pas de folies, hein ?" dit Tomoya avec un clin d'œil à son frère en sortant. "Jun ?" "Dis-moi, Kazu-chan." "Je veux faire l'amour avec toi." "Moi aussi, mais on peut pas. Tu dois d'abord guérir." "Mais j'ai vraiment besoin. Touche un peu là !" dit-il en lui posant la main sur son érection. Jun la caressa légèrement et Kazunari frissonnant ferma les yeux avec une expression béate. Jun retira la main. "Pourquoi ?" demanda Kazunari déçu. "Parce que si on ne s'arrête pas maintenant, on ne s'arrêtera plus. Moi aussi, j'ai tellement envie de toi. Mais d'abord tu dois guérir, je te l'ai dit." "Alors laisse-moi te toucher. Aller, laisse-moi la sortir..." "Non, c'est pareil. Est-ce que tu peux penser à autre chose, toi ? Tiens-toi tranquille, maintenant." "Mais je peux pas penser à autre chose, avec toi à côté." "Alors je m'en vais." "Ne dis pas de bêtises. Crois-tu que je vais te laisser partir ?" "Tu crois que j'en serais capable ?" "Embrasse-moi, au moins." demanda Kazunari en l'attirant légèrement vers lui. Ils s'embrassèrent sur la bouche avec une douce passion. Puis Jun s'écarta. "Kazunari, ça suffit... J'ai trop envie de toi." "Combien de temps faudra-t-il attendre ?" "Trop longtemps, mais il faudra attendre." dit Jun avec décision en se rasseyant. "Caresse-moi comme avant, s'il te plait..." "Pas maintenant, on est tous les deux trop excités, plus tard." "C'est une promesse ?" "Je te le promets." Plus tard, pendant que les docteurs l'examinaient, Kazunari demanda soudain, d'une voix forte et claire, entre les petits rires étouffés des infirmières qui firent rougir Jun, "Combien de jour avant que je puisse de nouveau faire l'amour avec lui ?" "Eh, jeune homme, au moins dix jours, peut-être plus. Disons deux semaines pour être sûr." "Tant que ça ?" "Voyez-vous, Monsieur Yamaguchi, quand on fait l'amour, les vaisseaux sanguins font un gros effort. Et vous venez de subir une intervention sur l'aorte. Voulez-vous qu'elle éclate ?" "Ça serait vraiment une belle mort." dit Kazunari avec un grand sourire. "Ça ne serait pas mieux d'attendre deux, maximum trois semaines, et de vivre une belle vie ? " demanda le docteur amusé. "Hé, hé, on est maintenant à trois semaines ! Ça va pas !" se renfrogna Kazunari, les faisant tous rire de nouveau. "Et bien retenez-vous alors, ou ça sera quatre !" répondit le docteur d'un air décidé et il ajouta. "Le jour de votre sortie, vous pourrez faire ce que vous voudrez et comme vous le voudrez, je vous le garantis. Nous allons vous remettre à neuf !" Il eut en fait besoin de quatre semaines. La cicatrice sur la poitrine, même si les chirurgiens avaient fait un travail soigné, défigurait un peu le tatouage de Kazunari. Mais le jeune homme se remettait bien. Jun avait du mal à le persuader de ne pas lui faire l'amour, mais demeura inflexible. Au mieux, il permettait à son amant de l'embrasser ou de le caresser intimement, mais seulement pour quelques instants. Pendant ce temps, la mère finissait les discussions qu'avait engagées son fils, au bénéfice de la famille. Les familles découvrirent les exécuteurs de l'embuscade, mais pas le commanditaire. La police les retrouva noyés dans un des canaux de Tatsumi, avec une pierre attachée au cou. Quand Kazunari put enfin sortir de l'hôpital, Michiko les accompagna aux bains, où elle les laissa pour rentrer à la maison avec Tomoya. Seuls restèrent dans l'établissement Kazunari et Jun, Soda et neuf gardes du corps avec trois voitures, y compris la voiture blindée de Michiko. "Soda, Jun et moi, nous allons dans le bassin extérieur. Nous ne voulons pas être dérangés, compris ?" dit Kazunari dès que sa mère fut partie. "D'accord, chef, c'est compris." Kazunari conduisit Jun. Le vaste bassin était entouré d'arbres et de rochers, avec une cascade d'eau d'une source chaude, tournée vers le Mont Fuji, éclairé pas le soleil qui commençait à se coucher. La vue était merveilleuse. Ils se déshabillèrent mutuellement, puis se lavèrent l'un l'autre. S'étant rincés et se tenant la main, il descendirent dans le vaste bassin. Ils s'enlacèrent en s'embrassant. "Enfin !" murmura Kazunari et faisant flotter le corps de Jun à la surface, il se pencha pour le sucer délicatement, d'abord ses petits seins foncés, puis le ventre plat et tendu et enfin le membre gonflé. "Oh, Jun-chan, je ne tenais plus. J'ai cru que j'allais devenir fou pendant ces jours où tu étais près de moi, et où je n'avais pas le droit de te faire l'amour. Tu es si beau, si désirable ! Je te veux en moi, Jun-chan, je n'ai rêvé que de ce moment." "Moi aussi, je te veux en moi, mon amour. Ces semaines ont été dures pour moi aussi, tu sais. Mais nous allons nous rattraper, pas vrai ?" "Tu peux en être sûr !" Ils firent l'amour jusqu'au coucher du soleil, se donnant passionnément à l'autre. Puis ils se rincèrent, revêtirent un confortable yukata et rentrèrent dans leur chambre. Après un moment, un bon et riche repas leur fut apporté et ils le mangèrent de bon appétit. Puis ils se couchèrent sur le futon et se remirent à faire l'amour face à la large fenêtre, ouverte sur la vue du Mont Fuji. Les jours suivants, ils mangèrent parfois avec les hommes, mais ils se gardaient de nombreuses heures d'intimité, pour apaiser la soif intense accumulée pendant leur longue retraite à l'hôpital. "Es-tu heureux, Jun ?" "Très, et toi ?" "Moi aussi. C'est presque comme une lune de miel." "Si seulement tu avais accepté de t'occuper de cet endroit..." dit Jun et il se tut... Kazunari se crispa et le regarda d'un œil torve. "C'est pour ça que ma mère a décidé que je devais venir en convalescence ici, hein ? Vous avez passé un accord pour me faire changer d'avis, c'est ça ? Toi et elle, derrière mon dos, hein ?" cria le jeune homme fâché. "Non, non, attends ! Il n'y a aucun accord !" "Comment peux-tu connaître cette vieille idée de ma mère, alors ? Ne me mens pas ! Ou alors je devrai cesser de croire que tu es la plus sincère et honnête personne que je connaisse ?" "Ne crie pas. N'élève pas la voix contre moi. Je ne le mérite pas. Je ne t'ai jamais menti, et je ne vais pas commencer maintenant. Oui, ta mère m'a conduit ici et m'a parlé de ce vieux projet. Mais il n'y a rien d'autre, pas d'accord, pas de complot derrière ton dos, crois-moi !" "Et comment pourrais-je te croire ? Tu n'as jamais abandonné l'idée que je quitte la famille, pas vrai ? Tu attendais juste le bon moment, c'est ça ?" dit Kazunari rouge de colère, exaspéré. "Tu es injuste ! Injuste et méchant. Je t'ai accepté comme tu es, y compris la terreur de te perdre. Et toi ? Maintenant tu m'accuses de comploter derrière ton dos. Bien sûr, au fond de mon cœur, je voudrais que tu ne prennes plus d'autres risques, ça te semble bizarre ? Mais j'ai accepté ce que tu fais, ce que tu décides. T'ai-je demandé quelque chose ? Dis-moi, ai-je jamais exigé quelque chose ? Réponds-moi !" dit Jun d'une voix basse, mais véhémente. "Non, c'est vrai, mais..." admit le jeune homme, encore tendu. "Mais ? Mais quoi ? Parce que dans un moment tranquille j'ai osé te dire que j'aimerais que cette tranquillité continue toujours ? C'est si horrible ? Ça te semble plus horrible que de trembler pour ta vie jour après jour, pendant deux ans et puis de trembler pour quelque chose de concret, pendant des jours, jusqu'à ce que les docteurs te déclarent hors de danger ? C'est ça, ton amour pour moi ? Pourquoi ne peux-tu accepter que pendant un instant je te montre un petit coin de mes rêves, en sachant que ça n'est qu'un rêve ? Que veux-tu de moi ? Quoi ? Ce que je te donne ne te suffit pas ? Je n'ai rien d'autre à te donner, je suis désolé. Je t'ennuie ? Tu ne me veux pas sur ton chemin ? Tu n'as qu'à me le dire." "Non, excuse-moi." dit Kazunari, presque accablé par la véhémence du garçon et regrettant ce qu'il lui avait dit. Il essaya d'attirer le garçon à lui, pour le prendre dans ses bras, mais Jun se dégagea brusquement. "Non, Kazunari, non. On ne peut pas tout résoudre avec un baiser comme si de rien n'était. Tu ne devais pas me blesser comme ça, je ne le mérite pas." "Je sais, tu as raison. Je te demande pardon. Viens, maintenant !" "Non, ne me touche pas ! Laisse-moi tranquille, maintenant." "Tu ne m'aimes plus ?" demanda Kazunari d'une voix pleine de chagrin. "Comment je pourrais ne plus t'aimer ?" répondit douloureusement Jun. "Alors ?" "Laisse-moi le temps de me calmer, de guérir les blessures." "Je t'ai blessé, je veux te guérir. Ne me repousse pas, s'il te plait. Je sais que je ne le mérite pas, mais pardonne-moi." "Kazunari, j'accepte que tu continues cette vie, tu devrais très bien le savoir, maintenant. Alors tu dois savoir aussi que, caché en moi, il reste un infime espoir qu'un jour, nous pourrons avoir une vie normale, ensemble. Si tu n'es même pas capable de ça, j'ai peur que ça ne soit pas facile de vivre ensemble. Je ne veux plus me battre encore avec toi comme aujourd'hui. Ça fait trop mal." "Jun-chan ?" "Quoi ?" "Tu ne me pardonnes pas ?" "Je t'aime. Ne me fais pas de mal." "Je le jure. Je t'aime aussi. Vraiment. Pardonne-moi, s'il te plait..." "Oui... Bien sûr que je te pardonne." "Alors je peux te prendre dans mes bras ?"
Ils firent la paix. Kazunari devint avec Jun encore plus gentil et attentionné qu'avant. Le garçon, de son côté, se jura qu'il ne montrerait plus jamais le plus petit signe de son profond désir d'avoir une vie normale avec son homme. Quand la période de convalescence se termina, de nouveau réunis comme et plus qu'avant, ils revinrent à la maison. Dans le petit appartement, Jun trouva des centaines de roses blanches, avec au centre, une splendide rose rouge et une note écrite de la main de Kazunari avec quelques mots, "Bienvenue à la maison, mon amour. Je t'aime de tout mon cœur. Ton Kazu-chan." "Comment t'as fais ? On était toujours ensemble." demanda le garçon ébahi et heureux. Le jeune homme sourit, "J'ai donné des ordres à Soda avec mon portable pendant que j'étais aux toilettes. Et j'ai aussi écrit cette note aux toilettes et je l'ai passée à Soda..." "Je crois que je ne peux même pas te laisser seul aux toilettes !" dit Jun en riant, l'enlaçant étroitement. "M'as-tu vraiment pardonné notre discussion ?" lui demanda Kazunari dans un souffle. "Tant que tu m'aimeras, je te pardonnerais tout. Tu le sais bien." "Je le sais, et j'essaye de ne pas en tirer avantage. Mais pourquoi m'aimes-tu autant ? Sais-tu que j'en suis toujours aussi surpris." "Parce que... parce que tu es entré dans ma vie comme un tremblement de terre, et que maintenant, sans toi, je me sens mort. Parce que tu es l'homme le plus splendide que j'ai rencontré." "Alors, si un jour tu rencontres un homme plus beau que moi, tu me laisseras pour le suivre ?" "Non, plus maintenant. Si même un tel homme existait, il n'y a plus de place pour lui dans mon cœur, parce que tu le remplis. Je t'aime, il n'y a aucune chance que je tombe amoureux de cet hypothétique lui." "Je ne pourrais jamais aimer quelqu'un comme je t'aime. Je n'oublierai jamais l'émotion que j'ai ressentie ce jour-là, quand je t'ai vu émerger des vagues avec ton fundoshi rouge. C'est la même émotion que je ressens à chaque fois que je le dénoue de tes hanches. A chaque fois." Ils reprirent leur vie habituelle. Jun rattrapa progressivement le temps qu'il avait perdu à l'université. Maintenant, Michiko invitait Jun dans leur maison assez souvent, alors le garçon put rencontrer Hiroshi et sa femme Keiko, Naoko et son mari Ryuta. Jun était respecté par tous, mais le seul qui était, et qu'il sentait comme son ami, était Tomoya. Officiellement, quand il était invité dans la maison Yamaguchi pour une fête, il était présenté aux autres invités comme "le meilleur ami de Kazunari". Et, quand ils passaient à table, Michiko installait toujours Jun entre Kazunari et Tomoya, comme un membre de la famille, et Jun appréciait cette délicate attention. Kazunari avait décidé d'acheter un appartement plus grand et plus beau pour Jun et lui, mais le garçon lui avait dit qu'il préférait rester dans le petit appartement qui avait été le lieu de leur premier rendez-vous amoureux.
Jun était dans sa dernière année d'université, et préparait sa thèse. Il passait donc de nombreuses heures à la bibliothèque de l'université pour ses recherches. Ses gardes du corps restaient dans leur voiture en face de l'unique portail de cette partie de l'université, attendant qu'il ait fini pour le ramener à la maison. Ce matin-là, il arriva à neuf heures, et alla directement à la bibliothèque. Il consultait des textes quand un employé s'approcha de lui. "Monsieur Takeda Jun, c'est ça ?" "Oui." "Vous avez emprunté ce texte il y a deux mois et vous l'avez encore ?" dit l'homme en lui montrant une carte. "Non, ça doit être une erreur. Je l'ai rendu il y a plus d'un mois, j'en suis sûr." dit Jun surpris. "Mais là, c'est noté que vous l'avez encore. Pouvez-vous me suivre dans le bureau, s'il vous plait ? Comme ça nous y verrons plus clair. Vous le savez, vous ne pouvez pas les garder plus d'un mois." "Oui, bien sûr. Mais vraiment, je ne l'ai plus. Mais allons-y quand même." dit Jun en laissant ses affaires à sa place et en suivant l'homme. Et il demanda, "Mais, excusez-moi, le bureau n'est pas par-là ?" "Non, c'est le bureau des prêts. Nous allons au bureau de contrôle, par-là."
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