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histore originale par Andrej Koymasky


LA VIE COMMENCE
A VINGT-CINQ ANS
CHAPITRE 7
UN HEUREUX SCANDALE

Leurs corps étroitement enlacés, fondus, ils frémissaient comme sous des secousses électriques. Alain se détendait peu à peu, il haletait sur le corps haletant de Jacques.

"C'était fabuleux. Merci, mon amour." murmura Alain en caressant une joue de Jacques à qui il posait de petits baisers sur les paupières, le nez et les lèvres.

Jacques ferma les yeux et sourit, béat : "Oui, c'était magnifique. Merci, mon amour."

"Alors, maintenant tu es convaincu que je t'aime ?"

"Oui."

"Et ça te fait plaisir ?"

"Oui. Et toi, mon amour ?"

"Plus que ça. Jacques, ils sont nombreux ceux qui m'ont fait jouir, mais aucun ne m'a donné le bonheur que tu sais me donner. Je veux être à toi pour toujours. Je veux que tu sois à moi à jamais."

"Je commence la gym dès demain. Je veux un meilleur corps... pour toi."

"Oui, d'accord, mais je t'aime aussi comme ça. Tu es mon prince charmant. Tu es l'être le plus extraordinaire que je puisse rencontrer."

"Sans jambes..." dit Jacques, tendre mais triste.

Alain lui posa un doigt sur les lèvres pour le faire taire.

"Non, avec deux belles jambes, dont malheureusement tu ne peux pas te servir. Mais nous arriverons à te rendre la forme, même si on ne peut pas te guérir. Ça te gêne, si je te caresse ?"

"Non, j'aime. Elles ne me répondent pas, mais elles gardent leur sensibilité et j'aime tes caresses. Oh ! Que fais-tu ? Tu veux que je jouisse encore ?" demanda-t-il quand Alain recommença à lui caresser le sexe. Puis il dit, d'un ton un peu gêné : "Je t'ai tout sali. Tu m'as encore fait jouir. C'était trop bon..."

"Je te porte hors d'ici et on prend un bain ensemble, tu veux ?"

"Oui, merci. J'aime quand tu me prends dans tes bras. Tu es fort, tu me soulèves comme une plume."

"Et moi j'aime te prendre dans mes bras. Surtout maintenant qu'on est nus. Tu peau est du velours." dit Alain en l'emmenant.

Il passa à la cuisine et ouvrit la porte de la salle de bain. Il le soutint d'un bras, le fit s'asseoir sur sa jambe repliée et commença à faire couler l'eau dans la baignoire basse. Jacques se tenait serré contre lui, l'enlaçait et lui faisait de petits baisers sur l'épaule et le cou et lui caressait la nuque. Puis, sans cesser de le tenir contre lui, Alain entra dans la baignoire, s'assit et le fit s'asseoir entre ses jambes, tourné vers lui. Pendant que l'eau tiède remplissait la baignoire, Alain prit le gel douche et le shampooing et commença à laver le corps de son amant. Lequel à son tour se mit à laver Alain.

"Mon dieu qu'il est bon de prendre un bain à deux, comme ça..." dit Jacques avec un sourire lumineux.

"Nous le prendrons toujours comme ça, ensemble."

"Et nous ferons aussi l'amour dans le bain ?" demanda Jacques avec l'air ravi d'un gamin à qui on promet la lune.

"Bien sûr. Tout ce que tu voudras, mon amour."

Ils se lavèrent, Alain ouvrit la bonde et, avec la douchette, il rinça leurs corps. Puis il sortit de la baignoire, prit Jacques sous les aisselles, le souleva et le sortit de la baignoire. Il prit une serviette et commença à le sécher puis se sécha. Enfin, il le reprit dans ses bras et le ramena sur le lit.

"Tu veux te rhabiller tout de suite ?"

"Non, pas encore. Restons encore un peu comme ça, ça me plait. Et puis maman reviendra tard. À quelle heure dois-tu rentrer ?"

"J'ai dit que je dînais dehors, je voulais rester longtemps avec toi. Que dirais-tu d'aller au restaurant ?"

"Au restaurant ? Je n'y suis plus jamais allé, depuis l'accident et même avant, juste deux ou trois fois..."

"Alors c'est décidé : nous y allons ce soir pour fêter ça. Et après nous irons au cinéma ensemble, puis je te ramène chez toi."

"Au cinéma ?"

"Bien sûr, comme n'importe quel couple d'amoureux. Qu'est-ce que tu aimes, comme genre de film ? Que veux-tu aller voir ?"

"Je ne sais pas, ce que tu veux. En fauteuil roulant au restaurant, au cinéma. C'est possible ? Il n'y aura pas de problèmes ?"

"Je ne crois pas, de toutes façons, on peut essayer, d'accord ? À présent rhabillons-nous, on laisse un mot à ta mère et on y va."

"Je... je ne sais pas... j'aimerais, mais... je n'ai pas l'habitude." dit Jacques indécis, en le regardant, les yeux incrédules.

"Il faudra que tu t'habitues à plein de choses, avec moi..." dit Alain avec douceur, puis il ajouta : "Comme je devrai m'habituer à plein de choses avec toi. Tu sais, toi et moi commençons une nouvelle vie et il faut qu'elle soit belle, belle comme notre amour."

"Tu entres dans ma vie comme un cyclone : salle de gym, restaurant, cinéma."

"N'oublie jamais que c'est toi qui es entré le premier dans ma vie, avec ton télescope et tes romans. Mais j'en suis heureux. Pas toi ?"

"Si, bien sûr. Mais j'avais une vie tranquille."

"Peut-être un peu trop tranquille, non ? Plus la vie d'un retraité que celle d'un garçon de vingt-cinq ans."

"Vingt-quatre, s'il te plait." le corrigea Jacques avec un sourire un peu coquet.

"Oui, dont tu as déjà trop perdu. Tu les rattraperas avec moi. Je veux vivre une vie normale, avec toi. Nous ne pourrons pas aller danser ensemble ni skier, c'est sûr, mais beaucoup d'autres choses si, et nous les ferons."

"Ça ne te manquera pas ? D'aller danser ou skier, par exemple ?"

"Non, parce que nous pourrons faire plein d'autres choses ensemble et parce que si je suis avec toi, je serai bien."


Et ce fut vraiment pour Jacques le début d'une nouvelle vie. Alain passait le prendre en sortant des cours et l'emmenait à la salle, où il le faisait s'entraîner deux heures. Il avait même convaincu Jacques de prendre une douche à la salle : ils utilisaient une douche privée, le faisait s'asseoir sur une chaise en plastique et se laver seul, il ne l'aidait que pour les rares endroits où il n'y arrivait pas tout seul. Le père d'Alain, qui pensait juste qu'Alain s'était engagé dans une expérience d'épanouissement des handicapés et prévoyait un intéressant développement des activités de ses salles de gym, était content de la nouvelle marotte de son fils. Didier était descendu à la salle pour rencontrer Jacques et parfois il aidait son frère.

Tout allait au mieux et le corps de Jacques retrouvait la forme. Toutefois, ce qu'il aimait par dessus tout c'était de nager à la piscine : là, il oubliait presque son infirmité et il fut vite en mesure de bien nager. Les autres clients de la salle s'habituaient à Jacques et ne tardèrent pas à le traiter avec naturel et sympathie et cela aussi lui fit du bien. Il allait aussi avec Alain au solarium et sa peau perdit sa pâleur pour prendre une discrète nuance bronzée, très agréable à voir.

La mère de Jacques était très contente de ces transformations. Un jour où elle était seule avec son fils, elle lui demanda : "Tu es content, Jacques ?"

"Comment pourrais-je ne pas l'être ? Je suis très bien, avec lui..."

"Oui, tu as changé. Et pas que physiquement. Par chance, il arrive à te faire faire des choses que je n'aurai jamais pu. Peut-être t'ai-je un peu trop plaint, sans le vouloir, et je t'ai un peu trop laissé faire à ta manière..."

"Moi aussi, maman, je me plaignais trop, je m'étais résigné. Mais tu n'as vraiment rien à te reprocher. Tu as toujours fait tout ce que tu pouvais, pour moi."

"Je le croyais... J'ai essayé..."

"Non, maman, vraiment." dit Jacques en lui caressant la main.

Puis il réalisa que depuis qu'il voyait Jacques sa mère avait cessé de l'étouffer de mille histoires banales et il comprit que, par ce bavardage, elle tâchait à sa façon de le maintenir au contact du quotidien, de l'empêcher de se refermer sur lui-même et il fut attendri de gratitude.

Alors, comme pour lui montrer ce qu'il venait de comprendre et que maintenant il appréciait, il demanda : "Mais ma cousine Babette, elle est toujours avec cet homme marié ?"

Sa mère le regarda un peu surprise, puis Jacques la vit deviner la raison de sa question.

"Il semble qu'ils se voient moins, qui sait... elle se calme peut-être, elle doit commencer à comprendre que ce serait une histoire bourrée de problèmes. Et puis aussi, par ailleurs, lui ne veut pas renoncer à sa famille, il reste le cul entre deux chaises. Elle n'a pas l'air très heureuse, la pauvre."

Jacques sourit, il sentait qu'entre sa mère et lui réapparaissait une communication complète et s'instaurait un rapport plus serein que jamais, et de cela aussi il fut gré à son Alain.


Sa mère s'était mise à tutoyer Alain et elle avait voulu que ce dernier aussi, dont elle s'affectionnait beaucoup, la tutoie. Et quand il fréquentait leur maison depuis à peu près un mois, elle avait voulu donner à Alain un double des clés pour qu'il puisse entrer librement, même lorsqu'elle était absente.

Les deux garçons, à mesure qu'ils se connaissaient mieux, s'aimaient davantage et Jacques retrouvait, outre la forme physique, une profonde sérénité. Les profs d'Alain suivaient avec intérêt les résultats de son travail avec Jacques et étaient prodigues en conseils. Tout semblait se passer pour le mieux. Mais peu à peu il commença à leur peser de plus en plus de devoir se séparer chaque soir. Ils souhaitaient vivre ensemble, partager tout. Le principal problème était la famille d'Alain : comment leur justifier un éventuel déménagement chez Jacques ? L'autre problème était l'appartement et la chambre de Jacques, petite, pas vraiment adaptée à ce qu'Alain vienne y habiter avec lui.


Un soir, Didier était venu parler à son frère dans sa chambre, Alain lui dit : "Didier, j'aimerais tant aller habiter chez Jacques, mais je ne sais pas comment faire. Comment le justifier à papa et maman ? Si j'étais indépendant, économiquement... Mais même dans ce cas, après, papa ne me laisserait peut-être plus venir à la salle, alors que c'est très important pour Jacques. Vraiment, je ne sais pas quoi faire."

"Continuez comme ça. Oui, je vois que c'est dur pour vous, mais je crois que c'est le mieux. Et puis vous vous voyez tous les jours, à présent."

"Oui, mais quand il vient à la salle, trois jours par semaine, après on n'a pas le temps de faire l'amour."

"Bah, mais il vous reste quatre jours par semaine." lui répondit son frère avec un sourire.

"J'aimerais tant pouvoir rester dormir avec lui. Nous n'avons pas encore passé une nuit ensemble, depuis cinq mois. J'ai presque vingt ans, maintenant, je voudrais pouvoir vivre à ma façon, avec mon Jacques."

"D'ici deux ans tu seras diplômé, tu trouveras peut-être un bon boulot. Essayez de résister." lui conseilla Didier.

"Je crois que c'est notre seul choix. Mais jamais être en famille ne m'a autant pesé que ces derniers mois. Nous sommes si amoureux."

"Je sais, je le vois. Et Jacques me plait. C'est un garçon remarquable, il sait se faire apprécier, je comprends que tu en sois amoureux. Mais je crains que papa ne puisse pas comprendre. Pour l'instant il a l'air bien disposé envers Jacques parce qu'il est intéressé par le programme pour handicapés que tu mets au point avec lui. Même si parfois il dit que tu exagères un peu à t'occuper autant de lui."

"Et s'il savait ce qu'il y a entre Jacques et moi, tu imagines sa réaction ?"

"Malheureusement. Alors, si vous tenez à rester ensemble sans trop de problèmes, il faut que vous ayez patience et que vous continuiez comme ça."

"Mmmh, je crains fort que tu aies raison."


Jacques aussi, si désireux qu'il soit de pouvoir vivre avec Alain, l'engageait à prendre patience. Entre temps il avait envoyé son deuxième roman à son éditeur et il lui écrivit dans la lettre d'accompagnement que c'était la conclusion du premier et qu'il ne prévoyait pas de suite. L'éditeur accepta ce nouveau roman qu'il apprécia autant que le premier, mais il lui demanda, s'il ne voulait pas faire de suite, d'en écrire un autre. Jacques accédait à une certaine célébrité, même si elle était limitée au monde de la littérature gay. Son éditeur avait aussi reçu d'Angleterre une proposition pour l'acquisition des droits pour traduction anglaise et publication. Jacques accepta.

Alain avait arrêté depuis longtemps de travailler pour Gay Pied, au grand regret de la rédaction, vu le succès de ses deux premières publications. Mais Alain était désormais trop pris par sa relation avec Jacques et il lui semblait avoir trop peu de temps à lui consacrer, même s'il passait de trois à quatre heures par jour avec lui et presque tout le dimanche où il l'emmenait au cinéma, au théâtre ou au stade, au restaurant ou même hors de Paris faire de longues promenades dans la nature.


C'était le printemps et les deux jeunes hommes s'apprêtaient à fêter la première année de leur relation, et les vingt-et-un ans d'Alain, quand quelque chose arriva qui fit se précipiter leur situation. Un journaliste d'une des revues au plus grand tirage national entendit un prof de l'Académie Nationale d'Education Physique parler du travail qu'Alain faisait avec Jacques. Il se dit qu'il pourrait en tirer un bel article, alors il entreprit de faire des recherches sur eux, des interviews, et il prit les services d'un photographe pour l'assortir d'un reportage photographique. Jusque là, rien de spécial. L'idée d'un article ne déplaisait pas aux deux garçons, ils pensaient que d'autres handicapés pourraient en tirer profit. Alors ils se prêtèrent volontiers aux demandes du journaliste.

Mais celui-ci, en leur parlant lors des interviews, commença à soupçonner quelle était la vraie nature de leur relation et il se dit que, si ses soupçons étaient fondés, l'article ne serait plus qu'intéressant, il pourrait s'avérer piquant. Aussi, sans rien en dire à sa rédaction, et moins encore aux intéressés, il lança une enquête secrète parallèle. Et malheureusement, par chance ou par professionnalisme, son enquête réussit parce qu'il trouva un copain de fac avec qui Alain avait eu une histoire et quelques clients de la salle qui par le passé avaient couché avec Alain et qui, le connaissant, avaient deviné la vraie nature de son lien avec Jacques.

Puis le journaliste rencontra Patrick, qui lui parla du roman "Mon Garçon" et le mit sur la piste de l'auteur, Marc Jaurès. Et là encore, par malheur, le journaliste eut de la chance ; il avait un ami qui travaillait pour l'éditeur du roman, duquel il eut confirmation que Marc Jaurès n'était autre que Jacques Moiret.

Ainsi, quand son article parut, par ailleurs très précis et bien fait en ce qui concernait la récupération physique des handicapés, avec des interviews de médecins du sport célèbres, quatre pages de description du travail d'Alain, des interviews d'Alain et de Jacques, la relation amoureuse entre les protagonistes y était indiquée noir sur blanc. Un sous-titre vers la fin de l'article soulignait : "La force de l'amour qui lie ces deux jeunes hommes" et, même s'il évoquait leur relation homosexuelle sans critique ni ironie, il en disait tous les détails et citait des extraits du roman comme preuve de leur relation et en soulignait des phrases qu'il mettait en parallèle avec les réponses des deux protagonistes dans leurs interviews.

Le père d'Alain lut l'article (il savait qu'il serait publié parce qu'il avait été interviewé, à peu près en même temps que son fils et qu'Alain, pour un petit encart à propos de ses salles de gym "qui se spécialisaient dans l'accueil des handicapés physiques"). Et ce fut pour lui la fin du monde. Quand Alain vit son père, il avait déjà lu l'article, aussi s'attendait-il à cette confrontation.

"C'est quoi cette honte ? Cette cochonnerie ?" dit son père furieux, il l'avait fait appeler et brandissait la revue ouverte devant son fils qui venait d'entrer dans son bureau au premier.

"Ce qui est écrit. Et il n'y a rien de sale ni de honteux." répondit Alain, sérieux et ombrageux.

"Ah non, hein ? Nous sommes la risée de tout le monde et tu oses dire qu'il n'y a rien de honteux ?"

"Papa, ce titre dit vrai : nous nous aimons. J'aurais préféré que tu ne l'apprennes pas, mais c'est peut-être mieux ainsi..."

"Ah, tu ne voulais pas que je le sache, donc tu admets que c'est honteux ? Tu vois que c'est obscène !"

"Absolument pas. C'est juste que je me doutais que tu ne pourrais pas comprendre et malheureusement j'avais raison."

"Je ne comprendrais pas ? Quoi ? Que tu es un dépravé, tout comme ton pauvre estropié ? Bien sûr je ne comprends pas !"

"Papa, mon pauvre estropié a un nom et je l'aime, alors s'il te plait abstiens-toi de ces expressions absurdes !"

"Nous sommes la risée de tous. Tu m'as fait perdre la face, toi et ta honteuse relation. Ce Jacques t'a perverti. Il t'a séduit."

"Papa ! Ça suffit !"

"Ça suffit ? Qu'est-ce qui suffit ? Mais tu te rends compte ? Mes salles de gym présentées comme un repère d'homosexuels ?"

"N'exagère pas, maintenant, L'article ne parle que de Jacques et moi, il ne parle pas de tous les clients de tes salles avec qui j'ai baisé avant de rencontrer Jacques !" cria Alain sur un ton de défi.

Son père écarquilla les yeux, stupéfait, puis, tremblant de dédain, il dit : "Tu veux dire que... tu veux dire que tu..."

"Oui, papa. Jacques ne m'a pas du tout perverti. Il y a des années que je baise des garçons et des hommes, dont certains de tes précieux clients et amis. Tu veux des noms ? René, le président de ta banque, demande-lui s'il n'aimait pas me sucer ou que je l'encule, quand j'avais dix-sept ans ! Et si monsieur Fleury n'aimait pas mon petit cul qu'il palpait à chaque fois que personne ne le voyait, et s'il ne jouissait pas souvent et volontiers de moi dans sa garçonnière ? Un des derniers, quand j'avais dix-huit ans, a été le fils de ton cher ami Damien, il m'enfilait sa bite de vingt centimètres dans la gorge avec un tel plaisir. Ou tu veux que je te parle de mon premier ? Ton ami et collègue Jean Chambard, qui m'a fait comprendre que j'étais pédé quand il m'a baisé dans les douches de ta salle ? Ou bien..."

"Ça suffit ! Assez !" cria son père en se levant et il frappa le poing, fort, sur le bureau.

"Ah, c'est toi maintenant qui dis assez ? Tu vois, néanmoins, que ce n'est certainement pas Jacques qui m'a perverti comme tu pensais. Pas plus que ton ami Chambard, qui m'a simplement fait découvrir quelque chose que de toute façon j'aurais découvert tôt ou tard avec un autre. Et puis aussi, avec tous ceux-là, avant, je m'amusais. À présent par contre je suis amoureux, papa, et Jacques est une merveilleuse personne."

"Amoureux ! Amoureux ! Et à cause de vous je suis dans la merde !"

"Mais arrête. Sois tranquille, tu ne perdras pas de clients, puisque c'est la seule chose qui t'inquiète. Au contraire, suite à cet article il y aura un bel afflux de handicapés et de gays, tu verras. Tu ferais mieux de préparer des box pour qu'ils puissent baiser sans trop déranger les autres clients." dit Alain, sarcastique.

"Quoi qu'il en soit... quoi qu'il en soit... nous en reparlerons. Ne crois pas t'en sortir comme ça..." dit son père, furieux.

Alain sortit du bureau de son père. C'était fait. Maintenant il pouvait aller habiter chez Jacques, si ce dernier voulait. Il monta chez eux, prépara un sac de sport et une valise, descendit les mettre sur sa moto. Didier le vit et comprit.

"Tu vas chez Jacques, maintenant ?"

"Bien sûr, enfin."

"Papa... tu l'as rencontré, c'est ça ?"

"Et je l'ai entendu parler, tu t'en doutes."

"Oui. Il ne manquait plus que ça... Quel fumier ce journaliste ! Quel droit avait-il de publier ces choses ?"

"Il a été plus correct envers nous dans son article que papa."

"Si on me demande, je dois dire où tu vas ?"

"Je crois qu'ils s'en douteront. À bientôt, Didier."

"Je pourrai venir vous voir ?"

"Quand tu veux." répondit Alain et il monta sur sa moto et démarra.

Et il alla chez Jacques.

Lequel avait aussi lu l'article. Quand il entendit la clé jouer dans la serrure, il comprit que c'était Jacques. Il vint à sa rencontre en fauteuil, la revue sur les jambes.

"Alain, mon amour, tu as vu ?"

"Oui. Tu veux bien de moi ici, avec toi, maintenant ?"

"Ton père t'a mis à la porte ?"

"Non, c'est moi qui ai décidé de partir : je peux le faire, à présent, puisqu'il sait aussi. Il l'a sacrément mal pris, comme j'imaginais."

"Je suis désolé..."

"Non, moi pas. Nous pouvons enfin vivre ensemble, si tu veux bien de moi. À l'étroit, mais..."

"Bien sûr que je te veux ici avec moi. Maman dort, elle est dans sa chambre, je le lui dirai plus tard. Mais elle sera contente."

"Elle a lu l'article ?"

"Oui, c'est elle qui m'a acheté la revue, en rentrant à la maison. Elle a été secouée, mais pas trop. Elle est forte, ma mère, malgré les apparences. Mais toi, comment vas-tu, mon amour ?"

"Bien à présent, avec toi. Tu sais, je suis presque content que ça soit arrivé. Au moins on est ensemble, maintenant." dit Alain en posant ses bagages à côté du lit et il alla prendre son amant dans ses bras.

Jacques le serra, lové contre lui, et le berça presque, avec tendresse.


Deux jours plus tard, pendant qu'Alain était à la fac, où personne n'avait fait de commentaires sur l'article ni sur sa relation avec Jacques, lequel était à la maison avec la mère d'Alain, quelqu'un sonna chez les Moiret.

"Madame Moiret, je pense..."

"Oui. Et vous, qui êtes-vous ?"

"Monsieur Dumarne, le père d'Alain. Il est ici ?"

"Non, il est en cours, vous devriez le savoir."

"Ah, oui, bien sûr... Je peux entrer ? J'aimerais vous parler."

"Oui, entrez. Voulez-vous que j'appelle Jacques ?"

"Non. C'est à vous que je voudrais parler, madame."

"Je vous écoute..."

"Vous aussi, j'imagine, êtes bouleversée par la... nouvelle."

"Bouleversée ? Moi ? Non, j'étais déjà au courant."

"Quoi ? Vous..."

"Depuis l'accident, je vis en plus étroit contact avec mon fils que la moyenne des mères, alors n'est-il pas naturel que je sache tout de lui ? Je savais déjà qu'il était gay, j'ai su qu'il était amoureux de votre fils et je vois que les deux garçons sont très bien ensemble. Mon fils retrouve le bonheur depuis que..."

"Alors pour vous, tout est normal. Tout va bien." dit-il incrédule et stupéfait, et il lui lança un regard dur.

"Normal ? Qu'est-ce qui est normal ou pas ? Ce n'est pas à moi d'en juger, je ne suis qu'une pauvre veuve. Mais je sais que mon fils est comme ça, que votre fils aussi, qu'ils se sont rencontrés et qu'ils sont bien ensemble. Et que ce sont deux très bons garçons. Et le bonheur de mon fils me tient à cœur, le peu de bonheur qu'il arrive à grande peine à arracher à la vie. Vous trouvez ça si étrange ?" dit-elle, tranquille.

"Si ça me paraît étrange ? Bien sûr que je trouve ça étrange. Comment pouvez-vous être si flegmatique, accepter que votre fils soit un dépravé ? Moi je ne l'accepterai jamais !"

"Pauvre monsieur Dumarne, je vous plains, croyez-moi."

"Moi ? Vous me plaignez, moi ? Votre fils est homosexuel et vous me plaignez, moi ?" demanda-t-il, presque offensé.

"Mon fils est avant tout mon fils. Et c'est un merveilleux garçon, comme le vôtre, si seulement vous saviez lui accorder un regard objectif. Qu'il soit dépravé, comme vous dites, homosexuel, gay, pédé, pédale... Et bien ce sont des choses qui arrivent et ne dépendent ni de moi, ni de vous, ni des garçons. C'est le cas et c'est tout. Et s'ils sont comme ça, autant qu'ils soient heureux, non ?"

"Il faut empêcher que se poursuive un tel scandale. Je ferai demander par mes avocats un droit de réponse, mais cette relation doit finir. À tout prix."

"Pauvre monsieur Dumarne... Vous me faites vraiment pitié. Si obtus, sans cœur, plein d'argent, d'avocats et d'incompréhension. Mais comment voyez-vous la vie ? Une série de chiffres à planifier ? Le bonheur de nos enfants ne vous importe vraiment pas ? Mais quel père êtes-vous ! Vous n'avez pas honte ? Même pas un peu ? Vous avez le courage de venir me demander à vous aider à faire le malheur de nos fils. Mais allons ! Quel homme êtes-vous ? Je ne suis qu'une pauvre veuve, peu instruite, qui tâche de joindre les deux bouts, mais que je suis plus riche que vous, monsieur Dumarne. Alain est majeur et responsable. Il fera ce qu'il croit juste. Et si, comme je pense, vous lui coupez les vivres, Jacques et moi l'aiderons à finir ses études, au prix de sacrifices. À présent, si vous n'avez rien d'autre à me dire, je vous raccompagne..."

"Je... Découvrir de cette façon que mon fils est homosexuel, qu'il a un amant... Écrit noir sur blanc, imprimé, à côté du nom de mes salles de gym pour lesquelles je me suis tant battu. Tout est plus simple pour vous, plus simple à accepter..."

"Ah, vous croyez ? Vous croyez qu'il m'a été facile d'accepter d'abord la perte de mon mari et que mon fils, à quinze ans, soit réduit à cette condition ? Simple, oui ? C'est sûr, moi je n'avais pas de salles de gym à faire prospérer, je n'avais qu'à tâcher de ne pas mourir de faim. Mais qu'en savez-vous ? Comment osez-vous me dire que c'était facile pour moi ? Puis, presque aussitôt, découvrir que mon fils était gay. Essayer tout d'abord de comprendre ce que veut vraiment dire être gay. Commencer par me demander si c'était de ma faute. Réaliser peu à peu que ce n'était ni la mienne ni la sienne. Puis me demander comment assurer son bonheur : en tant que mère, s'il avait été hétéro, je lui aurais cherché une brave fille. Ce n'aurait pas été facile, mais possible. Mais comment aurais-je pu lui chercher un garçon ? Je ne savais pas par où commencer. Et, dans cette condition, il ne pouvait certainement pas le chercher seul. Je le voyais souffrir, désirer un compagnon qu'il ne pouvait pas trouver.

"Oui, cher monsieur, parce qu'un garçon handicapé a exactement les mêmes désirs qu'un garçon sain, et je parle aussi des désirs sexuels, sauf qu'il rencontre mille difficultés pour espérer, oui, je ne parle que d'espoir, les réaliser. Que savez-vous des souffrances quotidiennes de Jacques, et par conséquent des miennes ? Votre problème est d'avoir appris comme ça que votre fils est gay et qu'il aime le mien ? Je sais juste que si entre votre fils et vous il y avait eu de la communication, du dialogue, ne serait-ce qu'un tout petit peu, peut-être que votre fils se serait confié à vous, comme mon fils se confiait un peu à moi. Mon fils, lui, ne s'est jamais senti jugé par moi, et encore moins rejeté. Vous me donnez l'impression d'être plus effrayé par le scandale et l'avenir de vos salles que par ce qu'éprouve votre fils. Mon pauvre, pauvre monsieur Dumarne..."

"Mais arrêtez de me plaindre comme ça ! Ne comprenez-vous pas que je suis bouleversé par cette nouvelle et que je recherche la meilleure façon de m'en sortir ? Ne comprenez-vous pas que nous risquons de nous retrouver avec toute la presse à scandale à notre affût ? Ne comprenez-vous pas que je..."

"Je sais juste que j'aurais voulu entendre de vous un mot de compassion pour votre fils, mais je ne vous l'ai pas encore entendu dire."

"Je... je pourrais le comprendre, si cela n'était pas apparu lié à un tel scandale..."

"Vous êtes vraiment un bon bourgeois dans la saine tradition française, c'est ça ? Tant que ça ne se sait pas, vous pouvez faire ce que vous voulez : tromper votre femme, tricher en affaire avec votre meilleur ami, tant que ça ne se sait pas. Chapeau pour votre moralité, monsieur."

"Il est impossible de parler avec vous. Vous déformez tout ce qu'on dit. Que voulez-vous que je dise ? Que je suis content et que je bénis les deux garçons ? Que je remercie le ciel de m'avoir donné un fils homosexuel ?"

"Eh, bien, ce ne serait peut-être pas si mal. Moi, je remercie le ciel d'avoir un fils. Et je voudrais qu'il soit valide, plus que je voudrais qu'il ne soit pas gay. Et je remercie le ciel qu'il ait trouvé un ami sain, fort et bon comme votre fils, qui par bonheur ne vous ressemble pas, cher monsieur Dumarne. Je suis contente de vous avoir rencontré, vous savez ? Parce qu'à présent j'estime encore plus votre fils."

"Et bien, je ne peux pas dire que ce n'est pas un bon garçon. C'est juste que j'espérais qu'il serait normal."

"Mais il est normal, pauvre homme ! Ça vous ferait du bien de participer aux réunions de parents de gays, oui, ça vous ferait beaucoup de bien. Moi, ils m'ont beaucoup aidé à retrouver la sérénité et à voir les choses sous un jour juste..."

"Il existe donc une association de parents de gays ?" demanda le père d'Alain, stupéfait.

"Il y a de tout dans ce monde. Il y a même des parents qui ne veulent pas comprendre leurs enfants, non mais !"

Le père d'Alain se tut, songeur. Puis il lui dit : "Alors, en fait, que me conseilleriez-vous ?"

"Pour les journalistes, le renom de votre salle de gym, je parie. Pour les journalistes, nous devons faire rempart autour de nos fils, ne pas en avoir honte, faire comprendre à ces messieurs, s'ils y arrivent, que l'amour est sacré, quelle que soit sa couleur. Vous avez lu l'article ? La force de l'amour entre deux jeunes hommes. Il dit bien ça, non ? Voici la réponse. Quant à votre salle de gym, poursuivez le programme d'Alain pour handicapés physiques, et croyez-moi vous aurez l'estime et le respect de tout le monde, du moins des gens intelligents. Mais surtout, et j'ignore si ce conseil-là vous voudrez l'entendre, tâchez d'accepter votre fils comme il est de lui faire sentir que vous l'acceptez. Essayez, au moins."

"Il faut que j'y pense. Je ne sais pas..."

"N'y pensez pas trop longtemps, monsieur Dumarne, ou vous risquez de vous faire dépasser par les évènements."

Le père d'Alain s'en alla.

Jacques sortit de sa chambre : "M'man... tu as été géante !"

"Tu es resté à tout écouter !" dit sa mère agacée.

"Vous parliez si fort. Tu ne m'avais jamais dit être allée à l'association des parents de gays."

"Ce n'était pas la peine. C'était mon problème à moi..."

"Peut-être que nous deux aussi nous aurions dû parler un peu plus, hein ? Moi surtout, j'aurais dû être moins fermé avec toi."

"Tu avais tes problèmes, Jacques, je le comprenais bien."

"Maman ?" lui demanda soudain Jacques, "Il y a un homme dans ta vie, n'est-ce pas ?"

"Alors tu t'en es aperçu. Oui, depuis trois ans..."


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