SURGI DE LA MER CHAPITRE 1 - L'INSTITUT DE LA PÊCHE

Pendant qu'ils reboutonnaient leurs pantalons, Akira demanda, "Hé, Minoru-kun, pendant la Golden Week de cette année, on a le stage de mise en situation, tu as déjà posé une candidature ?"

"Non, pas encore."

"Dépêche-toi, sinon, tu risques de ne pas trouver de place sur un bateau de pêche, et alors, tu te retrouveras sur une barquette avec un pêcheur."

"J'avais pensé de demander un individuel."

"T'es fou ? T'aurais pu aller sur un gros bateau de pêche, et même peut-être sur le Naïkaï-maru. Kenji a embarqué dessus l'année dernière, et il dit qu'il y a un couple de jeunes et beaux pêcheurs. Je te laisse deviner ce qu'il a fait avec eux..." dit Akira en riant.

"Tu veux dire qu'ils ont fait l'amour ?" demanda Minoru incrédule, en fermant sa veste d'uniforme.

"Bien sûr ! L'un d'eux faisait le guet pendant que Kenji baisait avec l'autre. Si tu pars en individuel, c'est pas si simple, au contraire."

"Tu veux dire qu'ils étaient tous les deux gays, Akira-kun ?"

"Peut-être pas. Il a dit qu'un des deux était certainement marié, moi j'en sais rien. Mais il semble qu'ils aimaient tous les deux le faire, surtout celui qui était marié. Et puis sur les autres bateaux, d'après Masato et Junichi, il y a des pêcheurs qui bandent. Spécialement pour quelqu'un comme toi qui aimes faire des pipes et la prendre dans le cul. Tu trouveras facilement un beau pêcheur pour s'amuser avec toi."

"Et bien, j'aime aussi la mettre, tu sais, même si tu n'as jamais voulu me laisser faire." répondit le garçon avec un rien d'accusation dans la voix.

"Ça c'est plus difficile, mais qui sait. Kentaro a dit qu'il avait pu. Hé ! regarde s'il n'y a personne et vas-y."

"Tu ne viens pas ?" demanda Minoru, allant à la porte du dépôt et regardant à l'extérieur.

"Plus tard. J'attends Junichi."

"Je ne t'ai pas suffit ?" lui demanda Minoru, amusé.

"Je ne baise pas avec lui. On doit se mettre d'accord pour embarquer un nouveau dont il pense qu'il serait d'accord."

"Ah, alors bonne chance." Dit Minoru en s'éloignant.

Il se rappelait parfaitement comment il s'était fait embarquer, pendant sa première année d'école, par trois anciens. Ils l'avaient attiré sous un prétexte quelconque, ici, dans le hangar à bateaux. Ils lui avaient dit qu'ils l'avaient observé et ils voulaient savoir s'il voulait se joindre à eux, dans le "club secret" de l'école. Il n'avait pas compris ce qu'ils voulaient dire, mais il avait compris que les grands étaient prêts à l'accepter, quelques semaines seulement après son entrée dans l'institut d'exploitation de la mer, et il en était tout excité. Il répondit oui. Ils lui firent jurer solennellement qu'il garderait le secret. Il jura, même s'il ne savait pas de quel secret il s'agissait. Alors ils lui dirent de se déshabiller. Il hésita un peu mais pensa que cela devait faire partie d'un rituel d'admission et obéit.

Quand il fut nu, le grand sortit sa queue de son pantalon et dit: "Joue de ma flûte, allez !" et il la poussa vers lui.

Minoru savait ce que cette expression voulait dire le sucer mais n'avait pas envie de le faire. Il ne l'avait jamais fait jusque là. Il n'avait pas d'expérience sexuelle à part se branler tout seul. Il regardait la queue mise à nu, menaçante, qui durcissait et se redressait doucement. Il refusa. Mais le grand l'attrapa par les cheveux, le forçant à se mettre à genoux.

"Ou tu joues de ma flûte ou on te transforme en tambour !" dit-il d'un ton menaçant.

Minoru refusa encore. Alors les deux autres le saisirent et le firent se mettre à quatre pattes, et chacun à son tour avait profité de lui. Quand enfin ils l'avaient laissé libre, le grand lui avait dit que maintenant il était l'un d'entre eux. Qu'il devait le respect aux grands, mais qu'il pouvait s'amuser avec les petits. Le fait est qu'il était le plus jeune. Mais il grandirait, et alors il pourrait aussi s'amuser se dit-il pour se consoler.

Parfois, parmi les garçons, des couples stables se formaient qui pouvaient durer le temps d'une année scolaire. Akira, son copain de classe, lui plaisait beaucoup. Il avait un physique puissant et bien proportionné, mais Saburo aussi lui plaisait bien, un garçon aimable et déluré de seconde année. Mais il n'avait de relation stable avec aucun d'entre eux.

Il leva les yeux vers le ciel presque complètement dégagé et respira le parfum ténu des premières azalées. Et puis, repensant au conseil d'Akira, il se dirigea immédiatement vers le secrétariat pour faire sa demande pour la Golden Week. Suivant l'avis de son camarade, il demanda un gros bateau.

La secrétaire lui fit remplir des formulaires, puis quand elle vit ses préférences, elle grommela, "Mais, trop d'entre vous demandent des gros bateaux. Il faudra tirer au sort. Pourquoi la demande pour les gros bateaux augmente-t-elle chaque année ?"

Minoru rigola intérieurement.

Dans son école, environ trente pour cent le faisaient. Même si personne ne s'affichait gay. Mais lui savait qu'il l'était, et il savait qu'au moins un sur trois des acolytes du club secret l'étaient aussi, comme Akira. Mais personne n'utilisait jamais le mot "gay". Des fois, on parlait des folles avec dédain. Personne n'aimait les folles, même pas lui. C'étaient des caricatures de femmes. Minoru se sentait un homme, à cent pour cent, et il aimait les mâles. Rien de plus. Une fois, Akira, pendant les vacances, lui avait donné rendez-vous et l'avait conduit au Shinjuku Nicchome, dans des bars gay. Et puis Akira était parti avec un jeune américain. Minoru l'avait envié. Un vieux bonhomme, maigre, petit et plutôt laid l'avait dragué, alors Minoru était rentré à la maison, seul. Sur le chemin, une folle avait cherché à le draguer...

Quelques jours plus tard, le professeur parla à la classe de la Golden Week et de leurs candidatures. Il leur expliqua comment leur expérience pratique de la pêche se déroulerait. Et il leur donna d'autres formulaires à remplir jour après jour.

"Rappelez-vous, les garçons, ce ne sont pas de vacances, mais une part importante de vos études. Ceux d'entre vous qui iront sur des gros bateaux vivront toute la semaine à bord. Ils auront heureusement peu le temps de s'ennuyer. En revanche, les autres demeureront au pair dans la famille d'un pêcheur ou dans une auberge. De toutes façons l'école organisera tout. Ceux qui seront hébergés dans une famille doivent se rappeler qu'ils leur faut amener un présent, quelque chose dans les deux ou trois mille yens sera suffisant. Et maintenant, remplissez bien chaque jour le formulaire que je vais vous donner, pendant votre temps libre. N'imaginez pas que vous pourrez le faire au dernier moment. Ça se verrait immédiatement. À la fin, vous serez notés sur le contenu de vos notes, aussi, appliquez-vous !"

Les garçons posèrent encore quelques questions. Minoru demanda: "Quand connaîtrons-nous nos destinations ?"

"La semaine prochaine, je pense. Sur ce papier vous trouverez la liste des vêtements à emporter et quoi prendre avec vous. Et vous trouverez également les numéros de téléphone à composer en cas d'urgence."

Le professeur donna encore quelques explications, puis leur montra sur une carte les points d'embarquement sur les bateaux de pêche. Pour ceux d'entre eux qui devaient monter sur des embarcations avec un seul pêcheur, ils recevraient un plan et le nom de la personne avec laquelle ils devraient vivre cette expérience.

Enfin, la semaine suivante, la liste fut affichée. Les garçons de quatrième année s'agglutinèrent contre le panneau d'affichage. Quand Minoru vit sa destination, il fut déçu. Pas un gros bateau, mais une petite île au large de Kyushu dont il n'avait jamais entendu le nom, avec un pêcheur du nom de Katsuzaka Shinji, et même pas dans la famille mais dans un ryokan, dieu sait de quelle dernière classe.

La tête basse, il se dirigea vers le guichet pour prendre les papiers, la carte, et quelques autres documents.

D'abord le Shinkansen, et puis le car, et enfin le ferry pour la petite île, qui comme par fait exprès, se nommait Kojima, "petite île", avec un seul village de deux cent trente sept âmes, nommé Tamachi. Le nom du roykan était Takenoya. Horaires, tickets, tout était en ordre. Quelle merde !

Akira l'appela: "Minoru-kun, où vas-tu ?"

"Le pire du pire possible !" s'exclama le garçon d'humeur noire.

"Fais-moi voir... Oh, pauvre Minoru ! Tu n'as vraiment pas de chance. Deux cent trente sept habitants. Mais au moins tu es dans un ryokan, tu seras plus libre, mieux que chez le pêcheur, non ? Peut-être un vieux bonhomme avec une femme acariâtre et une horde de filles affamées de mâles. Et puis tu économises l'argent du cadeau, pas vrai ?" ricana Akira.

"Ouais, tu peux rigoler ! Et puis cette Golden Week passera comme les autres." répondit le garçon d'un air boudeur. "Et toi, t'es tombé sur quoi ?"

"Un gros bateau, avec Masato-kun. Alors si on ne trouve pas un beau et sémillant pêcheur, je le baiserai. Pas mal, non ?"

"Tu as toujours du pot, toi." répondit Minoru.

De retour à la maison, Minoru prépara ses vêtements en suivant la liste, les mit dans un sac à dos, mit le short bleu et la chemise blanche avec le symbole de l'école et le béret de mer bleu. Il vérifia qu'il avait tous les papiers, les tickets, assez d'argent, dit au revoir à ses parents et alla prendre le train pour Tokyo d'où il voyagerait dans le Shinkansen. Il était d'humeur morose. Dans le train bondé, il sentit qu'on le touchait. Quelqu'un le tripotait. Il se trouva un peu excité mais déchanta aussitôt. Pourquoi il n'y avait rien que des vieux qui essayaient avec lui ? Et affreux en plus ! Il se dégagea, lui lançant un regard mauvais. Le bonhomme fit semblant de rien, mais ne recommença pas.

Et puis encore dans le Shinkansen, la personne assise à côté de lui était encore un vieux. Vraiment très prévenant. Minoru se fit froid, silencieux. L'homme insista, alors Minoru fit semblant de dormir. Au bout d'un moment l'homme lui saisit la main. Le garçon se sentit persécuté. Il ouvrit alors les yeux, et regarda droit l'homme qui lui souriait. "Arrêtez, ça suffit !" dit sèchement Minoru. Heureusement l'homme cessa.

Le voyage semblait interminable. Après le Shinkansen, le car, qui, après avoir passé le grand pont, suivait la côte de Kyushu. Une belle vue, il faut dire. Minoru resta à regarder par la fenêtre tout le temps, jusqu'à l'arrivée. Et enfin, le ferry qui ne faisait qu'une traversée quotidienne vers Kojima et les petites îles des environs. Il vit l'île approcher, une petite île, comme disait le nom, avec la forme d'un chapeau de paille et une falaise rocheuse à chaque extrémité, à peine plus qu'un rocher. Minoru soupira.

Il débarqua sur le quai de bois, avec trois insulaires. Tout en marchant, il regardait autour de lui. Il était dans le village, s'il était possible de l'appeler ainsi. Il n'y avait pas trace du ryokan et personne ne l'attendait. Il vit un homme assis sur l'appontement.

Il s'approcha. "Excusez-moi, je cherche le Takenoya et un pêcheur nommé Katsuzaka-san."

"Ici, une personne sur trois s'appelle Katsuzaka et nous sommes tous pêcheurs." dit l'homme en le toisant des pieds à la tête en fronçant les sourcils, et puis il parut se dérider. "Mais n'es-tu pas l'étudiant de Tokyo ? Alors c'est Shinji que tu cherches. Il était là il y a une minute. Ohé, Shiin ! Shinjiiii !" cria l'homme en se tournant vers les maisons.

Un pêcheur arriva en courant et Minoru écarquilla les yeux. C'était un jeune homme d'environ vingt-cinq ans, exactement vingt-quatre, comme il le découvrirait plus tard, avec une étroite bande de tissu rouge enroulée et nouée autour de sa tête, sur le front, les sourcils épais, les lèvres douces, la poitrine large et musclée, nue, parée de deux beaux petits tétons. Il avait des bras musclés et ne portait qu'un vieux pantalon en jeans très serré, avec le premier bouton ouvert d'où sortait une fine ligne de poils noirs qui montait jusqu'à son nombril. Il était pieds nus. Son jean couvrait des jambes fermes et musclées et un agréable relief remplissait sa braguette. Minoru restait fasciné, sans voix.

"Hé ! Tu dois être l'étudiant. Je t'attendais demain." dit le jeune homme avec un fort accent de Kyushu.

"L'école m'a dit que je devais arriver aujourd'hui. Je suis désolé. Mais si vous êtes occupé, j'irai au ryokan, si vous me montrez où c'est. Je ne veux pas vous déranger. Je suis désolé."

"Non, non, c'est juste derrière, à trois minutes, vers la montagne. Viens. Tu t'appelles Minoru, c'est ça ? Ça te va si je t'appelle Minoru-kun ? Toi aussi, tu peux m'appeler Shinji-kun, si tu veux. Es-tu fatigué du voyage ? Tu sais, c'est la première fois que je prends un étudiant. Un de mes amis, en ville, m'a dit que je pourrais faire un peu d'argent, et tu sais, avec seulement la pêche, de nos jours, c'est pas facile de vivre." lui expliquait joyeusement le jeune homme en lui montrant le chemin.

"Est-ce que Shinji-kun habite loin ?"

"Du ryokan ? Non, je suis sur la côte. Ici personne n'habite loin. Je garde le bateau sous la maison, c'est plus facile."

"Tu vis avec ta famille ?"

"Non, plus maintenant, ça fait longtemps. C'était la maison de mon grand-père. À dix-sept ans, je suis venu vivre avec lui, et puis, au bout de quatre ans, il est mort, alors je suis seul. Tant mieux. Si c'était que moi, je t'aurais pris chez moi, comme l'a conseillé la coopérative, mais c'est pas une maison pour des gens de la capitale, je pense. Pour Minoru-kun, le ryokan sera plus mieux, je pense. Ça te fâche pas, au moins que je t'aie pas pris chez moi ? "

"Non, bien sûr. Même si... si tu vis là, je pense que je pourrais aussi." dit le garçon avec un peu de regret.

Shinji rit et le cœur de Minoru bondit, en voyant la figure heureuse et franche du jeune homme. "Mais non, allez ! Je suis né là, c'est bon pour moi. Mais toi, tu viens de Tokyo."

"Ma famille vit à Chiba. L'école est à Tokyo."

"D'accord, mais tu as l'habitude de la capitale, pas vrai ? J'y serais perdu, quand on la voit à la télé. Tu sais, des fois, je vais chez mon oncle pour regarder la télé."

"Tu n'as pas la télé ?" demanda Minoru, complètement incrédule.

"Non, c'est pas utile. Et puis c'est cher. Nous y voilà. Rieeeekooo-san ! Hôôôôtes! L'étudiant de Tokyo est arrivéééé !"

Une femme entre deux âges, vêtue d'un kimono, souriante et rondouillarde, vint à la porte et s'agenouilla pour accueillir son hôte: "Bienvenu dans mon humble ryokan. Je vous attendais. J'ai préparé un bain. Vous êtes sûrement fatigué. Entrez, s'il vous plaît, je vais vous montrer votre chambre." dit la femme en le guidant.

Shinji les suivit et dit à voix basse, "J'ai l'impression que je suis le seul à pas avoir compris quand tu arrivais à Kojima. Excuse-moi."

Minoru sourit et fit oui de la tête.

"Vous pouvez vous changer ici et voilà le yukata. Je vous laisse, je vais préparer le dîner. Tu restes aussi dîner avec notre hôte, Shinji ?"

"Oui !" acquiesça le pêcheur, puis la femme les salua et sortit, fermant la porte derrière elle.

Minoru posa son sac à dos et regarda autour de lui avec curiosité. "C'est chouette ici. Il y a combien de clients ?"

"Trois pour le moment, un père, une mère et leur fils. Ils viennent ici tous les ans pour les vacances. Je ne sais pas ce qu'ils aiment ici ! Tu prends pas ton bain ?" demanda le jeune homme en le regardant.

"Si, bien sûr. Tu viens aussi ?" demanda Minoru plein d'espoir.

"Non, j'en sors. J'ai encore à faire et puis je reviendrai manger avec toi et on pourra encore parler." répondit Shinji sans bouger.

Minoru commença donc à se déshabiller pour le bain. Si seulement le jeune homme s'était également déshabillé, il se serait senti moins gêné, mais comme ça, avec le jeune homme qui ne partait pas et qui le regardait tranquillement, il se sentait un peu honteux. Mais il se mit nu et enfila le yukata.

"Tu as l'air plus mieux avec le yukata." dit Shinji avec sérieux. Puis il ajouta, "Je te montre où qu'est le bain, et j'y vais. Suis-moi."

Minoru se lava, se rinça et entra dans la large vasque pour se détendre. Shinji... il était pensif. Jeune et un si beau corps, de caractère aimable, souriant, et même s'il parlait avec une grammaire terrible, il lui plaisait. Il aimait ses yeux au regard serein et profond. Ça devait être la vie au contact de la nature. Oui, Shinji était un élément naturel, d'une certaine façon, simple, beau et spontané ! À se rappeler le pêcheur, Minoru fut excité. Il aurait aimé faire l'amour avec Shinji, ça lui aurait vraiment plu. Mais, beau comme il était, il avait peut-être une petite amie. Quand Minoru s'était déshabillé, Shinji ne l'avait pas regardé d'une façon particulière. Il le regardait, mais comme n'importe qui. Les yeux tranquilles du jeune homme ne montraient aucun intérêt particulier, et encore moins du désir.

Quand il se sentit complètement détendu, Minoru sortit de l'eau, se sécha et remit le yukata. De retour dans sa chambre, il trouva que la patronne ou quelqu'un d'autre avait déroulé le futon. Il mit ses quelques affaires dans le placard, ouvrit la cloison coulissante et vit que la fenêtre donnait vers la montagne et la mer. La vue était magnifique. Il se coucha sur le futon et pensa encore à Shinji. Tant pis, même s'il ne pouvait rien faire avec lui, ce serait un agréable compagnon. Pendant le dîner, il lui demanderait le programme du jour.

La patronne revint lui dire que le dîner était prêt dans la pièce voisine. Le soleil se couchait et le temps était parfait. Shinji l'attendait déjà dans la salle à manger. À une autre table, il y avait le couple avec leur fils d'environ treize ans. Ils se saluèrent puis Minoru s'assit en face du pêcheur.

"Minoru-kun nage bien ?"

"Oui, l'école nous fait faire beaucoup de natation."

"Ah, bien. Ce soir, nous irons pêcher. Le bateau est prêt, la lampe aussi. Sais-tu comment on pêche au 'lamparo' ?"

"Nous l'avons étudié à l'école mais en fait, c'est la première fois que je peux le faire en vrai."

"Quoi ? Etudié à l'école ? Tu veux dire dans les livres, sans le faire vraiment ? C'est bizarre. Moi j'ai appris avec mon grand-père, pas dans les livres. Tu l'as vraiment appris dans les livres ?"

"C'est pour ça que je suis là, pour voir comment on fait en vrai. J'espère que tu m'apprendras plein de chose, Shinji-kun."

La femme revint et servit le repas, "Le poisson, c'est Shinji qui l'a apporté. Il l'a pêché la nuit passée. Ah, un poisson aussi frais, tu n'en manges sûrement pas à Tokyo !" dit la femme avant de se retirer. Shinji servit Minoru, puis lui-même.

"Combien de temps serons-nous en mer ?" demanda Minoru, commençant à manger avec plaisir. La nourriture était vraiment exquise.

"Heu... je sais pas. Je prends jamais de montre, et tu ferais mieux d'en faire autant."

"C'est une montre étanche, je peux aussi plonger avec."

"Ah, tu fais aussi de la plongée ?"

"Non, je n'en n'ai jamais fait, mais j'aimerais essayer. Mais je n'ai pas d'équipement."

"Un équipement ? Ça sert à rien, un équipement. Un harpon suffit, je t'en passerai un. Peut-être demain ou après-demain, je t'emmènerais dans un très bel endroit. L'eau est pure comme du cristal. Et personne pour nous ennuyer. Mais peut-être que tu n'as pas l'habitude alors ça serait mieux que je trouve des lunettes, tu sais. Mon oncle doit en avoir, il a tout."

"M'apprendras-tu aussi à préparer la lampe, à réparer les filets, à armer le bateau ?" demanda Minoru.

"Hé, peut-être demain, ou plus tard. Pour aujourd'hui, c'est déjà prêt."

"Demain matin ?" demanda encore Minoru.

"Demain matin ? Demain matin on dort, parce qu'on reviendra tard, c'est à dire tôt, de la pêche. Probablement après le déjeuner."

"Je vois. Tu déjeuneras ici, demain ?"

"Eh, je lui ai promis du poisson à l'œil, alors pendant ce temps, je mangerai avec toi, si ça t'ennuie pas."

"Non, bien sûr, ça me fait plaisir."

"Mmh. Alors c'est bon. Je sais pas, je pourrais faire des bourdes avec vous, les gens de Tokyo, parce qu'on m'a pas appris les bonnes manières."

"Mais non ! Ne t'inquiète pas. Il n'y a pas de problèmes."

"Tu es gentil. Mais si je fais pas bien, tu me le diras, s'il te plait ?"

"Hé, bien sûr." répondit le garçon, et il sourit intérieurement. Il avait si naturellement répondu 'hé' à la place de 'oui', tout comme le pêcheur.

"À moi, l'organisation m'a dit que tu devais rentrer content et satisfait, et j'espère que ça sera le cas."

"L'organisation ?"

"Hé, la coopérative des pêcheurs. C'est eux qui m'ont dit que tu venais. Je me demandais comme c'était, un étudiant de Tokyo."

"Et comment je suis ?" lui demanda Minoru, amusé

"Ben, tu parles comme les gens de la télé, t'es gentil, mais je ne te connais pas encore, mais t'es pas mal pour un gars qui vient de la ville."

"Merci, j'espère qu'on va bien s'entendre."

"Hé, j'espère aussi. Alors, l'an prochain, un autre étudiant viendra et je pourrai encore faire de l'argent."

"Ils te payent bien ?"

"Sûr ! Mille yens par jour."

"Mi... mille ?" demanda Minoru qui avait pensé à beaucoup plus. Avec mille yens, à Tokyo, on avait une ou deux tasses de café...

"Hé, c'est bien, non ? C'est pour ça que j'ai dit oui. Enfin, tu vois, je veux dire... Je te connaissais pas encore, et si j'avais su que t'étais bien, je l'aurais fait pour rien puis que je travaille tout pareil. Mais c'est mieux comme ça, non ?" demanda joyeusement le pêcheur en se resservant de riz.

Après le repas, ils discutèrent encore un peu, et puis Shinji dit à Minoru, "Bon, c'est l'heure. Allons dans ta chambre, que tu te changes et nous pourrons aller pêcher. Mets des habits comme les miens, tu seras confortable."

Shinji portait le même jean que l'après-midi, il avait juste ajouté un maillot. Minoru se déshabilla puis se rhabilla sous le regard du pêcheur, mais, au grand regret du garçon, le jeune homme ne montra aucun intérêt pour sa nudité. Puis il le suivit vers le village. Ils arrivèrent à une petite maison de deux étages. Celui du bas était au niveau de l'eau. Ils entrèrent là. Le bateau était prêt. C'était un vieux bateau de bois, traditionnel, sur lequel on avait ajouté un moteur. À la proue était un long espar mobile avec une grosse lampe et un réflecteur. Avant d'embarquer, Shinji expliqua quelques trucs de base à Minoru, montrant avec sa torche électrique les détails dont il parlait. Puis ils embarquèrent, Shinji largua les amarres et s'assit.

"On est parti !" dit le jeune homme en poussant sur une longue gaffe. Quand ils furent un peu plus loin, il démarra le moteur. La barque eut comme un sursaut et démarra. Shinji, à la barre, lui fit faire un grand arc, regardant aux alentours. Au bout d'un moment, il coupa le moteur.

"C'est là. Maintenant, un peu de silence, parce que le moteur a dérangé les poissons. Ensuite le filet, et après la lampe. S'il y a un banc dans les environs, on pourra en attraper. Il n'y a plus autant de poissons qu'avant. Mais d'un autre côté, il n'y a plus autant de pêcheurs, alors on s'en sort. C'est sûr, les villages se vident. Avant, le ferry passait trois fois par jour. Mais maintenant... Même les jeunes, on est si peu qu'on nous compterait sur les doigts d'une seule main."

Ils commencèrent. Ils pêchèrent toute la nuit, se déplaçant de temps en temps avec les avirons, et recommençant. Ils remplirent un grand panier. Minoru aidait en silence, essayant d'imiter les mouvements du jeune homme, d'être utile, même si parfois il sentait qu'il était plus une gêne qu'une aide. Parfois, il regardait les muscles de Shinji, et sentait un grand désir de les toucher, de les caresser. De beaux muscles, le résultat du travail, et pas celui de la musculation. Le renflement de la braguette aussi, était attirant...

Quand ils rentrèrent, il était quatre heures du matin. Minoru était fatigué, mais content. Il aida Shinji à accoster, à amarrer le bateau et à le décharger. Shinji tria le poisson dans des paniers plus petits. Il donna un petit panier à Minoru.

"Tu sais rentrer, hein ? Tu donneras ça à la patronne, et puis couches-toi. On se retrouve dans l'après-midi."

"Tu te couches aussi, maintenant ?"

"Non. D'abord il faut que je livre le poisson. J'irai me coucher plus tard. Tu dois être fatigué. Tu n'as pas l'habitude."

"Tu t'es arrêté à cause de moi ?"

"Non, non. C'est le poisson. Il n'y en a pas beaucoup. Et puis, on en a assez pour aujourd'hui. Et puis tu m'as aidé, et tu es meilleur que je pensais. Vraiment. Tu pourrais faire un bon pêcheur. Peut-être que c'est pas si bête d'étudier dans les livres !"

Minoru sourit. Il lui dit au-revoir et rentra au ryokan. Il aurait aimé rester plus longtemps avec Shinji, mais il était fatigué et le jeune homme désirait peut-être rester un peu seul.

Quand il se réveilla, il était déjà une heure de l'après-midi. Shinji l'attendait, bavardant avec la patronne. Minoru prit un bain, et vint pour déjeuner.

"Peut-être, même si tu es là pour la pêche, tu voudrais faire un tour dans la montagne ? Il y a un veux sanctuaire, tu sais ? Quand mon grand-père était petit, le sanctuaire était déjà là et peut-être même quand son grand-père était enfant, qui sait. Et il y a une source d'eau fraîche si bonne que le meilleur saké aurait honte. Ça te tente ?"

"Tu n'as rien à faire ?"

"Non, non, c'est bon. Nous devons juste être de retour pour dîner pour préparer les filets et tout le reste. Et nous aurons du temps pour les réparer. OK ? Si tu veux, je pourrai peut-être te montrer comment les réparer."

"Très bien. Tu es très gentil."

"Hé, je t'ai dit, je veux que tu rentres content."

"Merci."

Ils montèrent dans la montagne. Shinji, cette fois, en plus de son jean habituel, portait un polo qui cachait les beaux muscles de son torse. Mais pendant qu'ils montaient, Minoru admirait les deux magnifiques hémisphères du postérieur du jeune homme, moulés dans son jean, et ses cuisses qui tendaient à chaque pas le tissu bleu délavé.

Arrivés au sanctuaire, ils burent l'eau de la source et s'assirent sur la plate-forme de bois qui entourait la construction. Le panorama était vraiment magnifique.

"L'eau est bonne, non ? Elle est renommée, tu sais ?"

"Oui, elle est fraîche..."

"Pas seulement fraîche, non, non. Que quand t'en bois, tu te sens renaître." dit le jeune homme.

"Tu es fiancé, Shinji-kun ?" demanda le garçon en le regardant.

"Cette île est un trou. Il n'y a pas de jeunes filles. Et puis qui tu crois qui voudrait devenir la femme d'un pauvre pêcheur comme moi ? Ah, une fiancée ? Même mes frères et mes sœurs sont partis, pour trouver du travail, avoir une meilleure vie."

"Et toi ? Pourquoi tu restes ici ?"

"Pourquoi je reste ? Heu, pour aller où ? Faire quoi ? Je me sens bien ici. Je mourrai ici. Je sais juste pêcher, rien d'autre."

"Tu pourrais trouver du travail sur un gros bateau de pêche."

"Quand j'avais dix-huit ans, j'ai essayé, et je me suis sauvé. Ça pue, et puis c'est pas ça, être pêcheur. Non, je suis content de rester. Et puis en ville, personne ne te connaît, personne ne te salue. Si tu tombes, ils te regardent et font un pas de côté pour ne pas trébucher. Ici, on est une famille, et moins on est nombreux, plus on est une famille."

"Mais tu ne te sens pas seul ?"

"Seul ? Non. Je me sens plus seul et perdu en ville. Et aussi sur les grands bateaux de pêche ! De là, tu ne peux même pas plonger quand tu en as envie ! Non, Minoru-kun, c'est pas pour moi, les gros bateaux ni la ville."

"Mais plus tard, pour avoir quelqu'un avec toi..."

"On restera entre vieux."

"Je veux dire, maintenant aussi tu es jeune, toujours seul à la maison, toujours seul sur ton futon..."

Shinji rit, "Ah, ça ! Je n'y peux rien."

Minoru aurait voulu demander 'Mais quand tu es excité ?' Mais il n'osa pas. Il n'y avait pas encore assez d'intimité entre eux et une question pareille aurait pu l'ennuyer. Non, ce que Minoru aurait vraiment aimé dire était, 'Je vais venir avec toi sur ton futon' mais bien sûr, il pouvait encore moins le dire. Il essaya d'imaginer comment pouvait être Shinji nu dans un lit, et cette image l'excita. Il n'avait pas encore vu le pêcheur nu. Mais à ce qu'il pouvait imaginer, il était de premier choix. Il pensait que le jeune homme avait un corps extrêmement sensuel.

Ils rentrèrent. Ils réparèrent quelques accros dans le filet, le portèrent à bord, le plièrent correctement et firent le plein de la lampe. Puis Shinji l'invita à monter et lui offrit une bière.

C'était une pièce pauvre et simple. Un petit réfrigérateur portait un petit autel domestique bouddhique et Minoru pensa qu'il devait contenir la plaque commémorative du défunt grand-père. Une porte qui donnait probablement sur la cuisine, une autre sur la petite entrée. Une grande et belle fenêtre ouvrait sur la mer d'où on pouvait voir l'eau colorée par l'approche du soleil couchant. Minoru pensa qu'il aurait aimé vivre dans un tel endroit, surtout avec Shinji, si par chance il avait été d'accord...

Ils revinrent au ryokan, mangèrent leur dîner. Puis ils ressortirent pour la pêche. Shiji portait le même maillot que la veille. Minoru le préférait avec le maillot qu'avec le polo. Il pouvait apercevoir les beaux pectoraux. Il l'aurait même préféré sans maillot, comme le premier jour. Et peut-être même sans son jean, sans rien. Il devait être magnifique, tout nu !

L'après-midi suivant, Shinji le prit pour lui faire faire le tour de l'île avec son bateau à moteur. Et cette fois, au grand plaisir de Minoru, torse nu. Minoru aussi se mit torse nu, goûtant la caresse de l'air sur sa peau, les rayons du soleil, l'odeur de la mer. Sur le côté opposé de l'île, Shinji coupa le moteur et se coucha sur le banc.

"Quand j'étais enfant, avec mes amis, je venais souvent ici chercher des coquillages. On faisait la course à la nage ou on regardait qui restait le plus longtemps sous l'eau. On se baignait tout nu, comme on était seul et que des enfants. On faisait aussi des concours à qui giclerait le plus loin."

"Gicler ? De l'eau ?" demanda Minoru sans comprendre.

Shinji rigola, "Non, non, on se tenait tous en ligne, et puis, heu, avec la main, comme ça." dit le jeune homme en faisant le geste de la main, "jusqu'à ce qu'on gicle. Je n'ai gagné qu'une fois. C'était toujours mon cousin Eiji le vainqueur."

"Tu avais quel âge quand tu as eu ta première fille ?" demanda alors Minoru, attendant anxieusement la réponse.

"Quel âge ? Je n'en ai toujours pas eu, moi. Une fois, j'ai presque réussi avec la sœur d'un copain, et juste quand il faut pas, il arrive et appelle sa sœur et elle a à peine le temps de se sauver et de se cacher. Et mon copain arrive et demande où est sa sœur. Qu'est-ce que j'en sais, je lui dis, mais j'ai le cœur qui bat comme un fou. S'il nous avait surpris ! Et après ça, elle a fait comme si elle ne voulait plus me voir. Mais ça lui plaisait à ce moment, quand son frère est arrivé, et s'il n'était pas venu... Qui sait pourquoi, elle n'a pas voulu essayer de nouveau. C'est peut-être que je suis destiné à être comme un bonze."

"Mais c'est pas pesant ?" demanda Minoru, en pensant que parfois les bonzes le font avec leurs novices...

"Qu'est-ce que j'y peux ? C'est comme ça, c'est tout."

De nouveau, Minoru n'osa pas pousser le sujet plus loin, surtout parce que Shinji ne lui posa aucune question sur ce sujet.

Puis ils allèrent pêcher pour la troisième nuit. De nouveau, le jeune homme le fit entrer chez lui pour boire une bière. Juste une bière, sans même la possibilité de faire semblant d'être un peu ivre, pour avoir le prétexte de le toucher, pensa Minoru avec regret. Il désirait de plus en plus Shinji. Ils discutèrent quelques minutes, puis Shinji le renvoya dormir au ryokan.


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