LES HUIT LIVRES DU COLLIER D'OR |
TROISIÈME LIVRE OÙ ON DÉCRIT L'EFFET DES MOTS DE L'EMPEREUR SUR AMI |
Ciel l'attend à la porte de l'école. "J'ai appris que cet après-midi tu es libre." "Oui, pour aller à la fête au temple de l'Ouest." "Je sais, en fait les amis nous attendent déjà là-bas et ils nous gardent nos places. On y va ?" Ami est heureux de ces attentions de la part de Ciel. Il est sûr que depuis les places réservées, il pourra bien mieux assister aux rites, beaucoup plus confortablement. Lorsque Ciel lui prend délicatement le bras, il se sent frémir et éprouve une légère honte à penser que, malgré tous ses bonnes intentions, il est retourné l'après-midi précédent dans cette auberge, si excité à cette idée. Beau Charmant, quand il l'a vu arriver, lui a fait un grand sourire chaleureux et l'a immédiatement fait monter dans la chambre. Il l'a déshabillé avec la hâte habituelle, en le touchant comme il sait faire et a immédiatement allumé son désir avec force. C'était quelque chose d'animal, mais terriblement agréable. La seule odeur du fort et musculeux corps de Beau Charmant lui a donné le vertige. Et il s'est livré avec transport, gémissant avec lui sous l'intensité du plaisir. Le soldat aussi semblait avoir perdu la tête pour lui, et ça ajoutait encore à son plaisir. Beau Charmant, pendant qu'il le prenait avec passion, lui jurait que, depuis qu'il l'avait retrouvé, il ne conduisait plus aucun autre dans cette chambre. Ami y croit, Beau Charmant ne semble pas capable de mentir. Même les compliments crus du soldat, pendant qu'ils faisaient l'amour, lui donnaient un étrange plaisir. Et chaque fois, la jouissance était très intense. Mais, tout de suite après, Ami a éprouvé un pressant besoin de le quitter rapidement. Mais à présent, en se promenant avec Ciel, il sent bien qu'avec lui, il n'aurait jamais eu besoin de fuir, après. Mais, il se demande, y aura-t-il jamais un "après" avec Ciel ? La façon dont il le guide dans les ruelles étroites de la capitale vers le temple a quelque chose de protecteur, de possessif, il sent son désir, et pourtant, à part son regard caressant, rien en lui ne le manifeste. Pourquoi ? se demande Ami avec regret. "Tu es bien silencieux, aujourd'hui." lui dit Ciel avec un doux sourire. "Oui." répond simplement Ami. "Je ne sais pas si tu es plus beau quand tu es pensif ou quand tu souris." continue Ciel. Et puis il ajoute, "De toute façon, tu es vraiment beau." Ami pousse un léger soupir et dit, "Pour toi, j'espère l'être toujours." "Tu le seras, je le sais." répond Ciel, calme mais affirmatif en serrant légèrement le bras du garçon. Ils arrivent au temple et montent jusqu'aux gradins de la noblesse. Ami remarque quelques autres élèves de l'école impériale assis auprès de leurs protecteurs. Gazelle et Fleur les accueillent avec un sourire. "Alors, Ami, tu es de nouveau des nôtres." lui dit aimablement Gazelle pendant qu'ils s'assoient auprès d'elle. "Merci." répond simplement Ami. "Ne crois pas que tu t'en sortiras avec juste un merci !" lui dit gaiement Fleur. "Ah bon, pourquoi ?" demande Ami. Ciel sourit, "Excellente réponse, Ami." "Eh non, après la fête, il viendra avec nous pour nous remercier et composera une poésie pour l'occasion." "Je n'ai pas encore le niveau." se défend Ami. Ciel lui fait comme une légère caresse sur le bras, fugace, et dit, "Ça, je n'y crois pas. Tu as la poésie dans l'âme." Ami rougit, heureux du compliment. La fête a commencé. Ami se laisse absorber par les rites, les chants, les danses. Mais il perçoit encore à ses côtés la présence de Ciel. Il se sent heureux. "Bientôt, aura lieu la fête du Soleil Victorieux, nous sommes déjà au Solstice d'été. Viendras-tu avec nous au temple du Soleil ?" lui demande Gazelle. "Si vous voulez bien de moi." répond Ami. "Ciel ne te laissera pas t'échapper. J'ai l'impression qu'il ne peut plus respirer sans ta présence à ses côtés," lui chuchote Gazelle, puis il ajoute, "Je ne l'avais jamais vu aussi heureux que depuis qu'il t'a rencontré. Toute la tristesse des années passées semble disparue, grâce à toi." Ami lui est reconnaissant pour ces mots. Fleur leur fait signe de se taire. Ami se remet à suivre les rites. Inconsciemment, il se serre plus contre Ciel, qui lui met un bras autour de la taille. Ami frissonnant se sent excité, il voudrait l'embrasser, même là, devant tout le monde, lui faire sentir à quel point il a envie de lui. Pourtant, il sent clairement, que même ce geste affectueux de Ciel n'est malheureusement qu'un geste amical, dénué de sensualité. À la fin de la cérémonie, ils quittent l'enceinte du temple et Gazelle les invite à aller ensemble manger dans une auberge. C'est une vieille construction dans la partie haute de la ville, presque à la limite de la forêt qui la borde au sud. Ils prennent une table en plein air, séparée des autres par un buisson et une cloison de roseaux. Au cours du repas, Ami pose la question qui lui tient à cœur. "Pourquoi Ciel a-t-il été triste pendant des années ?" "Oh, une histoire vieille de quatre ans. Ciel était désespéré d'avoir perdu son premier amour." dit Fleur avec un sourire. Ciel opine gravement, "La première déception est la pire." dit-il d'un ton tragique. Fleur enchaîne comme si elle racontait une des histoires du livre des créations, "Ciel était amoureux fou de Calme Vent du Bois des Robiniers, un garçon de la tribu du Coyote, de deux ans son cadet, qu'il avait connu pendant une chasse en battue. Vent s'était offert sans hésiter, mais lorsqu'il s'aperçut qu'être l'amant de Ciel voulait dire passer plus de temps nu qu'habillé, et que, même s'ils s'aimaient deux, trois fois, Ciel était de nouveau prêt à recommencer, Vent s'affola et s'enfuit, et ne voulut plus jamais revoir Ciel." "Non, ce n'est pas vrai, c'était lui qui n'arrivait pas à enlever son pagne. En un mois je ne réussissais à lui faire l'amour que trois ou quatre fois, et seulement en insistant. Il s'amusait à m'exciter et ensuite il ne voulait plus rien faire. C'est de sa faute." "Quoi qu'il en soit, Vent a disparu et Ciel est entré dans une terrible crise. Pour lui changer les idées, on l'a accompagné à la fête de la Première Bière de maïs, où on sait qu'il y a toujours des gamins disponibles, et même qui n'y vont que pour ça. On peut boire à volonté et réaliser ses phantasmes. En effet, on l'a bientôt vu se retirer avec un jeune brasseur et on était tous bien contents pour lui. Peut-être qu'il oublierait Vent dans ses bras. Mais très vite, il est revenu, ivre mort, en disant qu'il voulait seulement se coucher et mourir." "J'avais essayé, mais je n'avais pas réussi. Ce n'était pas Vent." "Et alors il s'est enfermé dans sa tristesse, il n'a plus voulu aller avec personne, même pas pour une nuit. Il s'est mis à composer des poésies sur la mort... jusqu'à ce que tu arrives et le sourire est revenu sur ses lèvres. Voilà l'histoire." "Et depuis... l'amour sans sexe." laisse passer Ciel. "Ou alors... du sexe sans amour." répond Ami pensivement. "On est bien, tous les quatre ensemble. Ne sommes-nous pas devenus inséparables ?" demande Gazelle. "Oui, comme les quatre points cardinaux." note Ami. "C'est ça, et Fleur est le nord, le soleil resplendissant." dit Ciel. "Alors Gazelle est le sud, le doux soleil." dit Ami. "Bien sûr. Ami est l'est, le soleil qui se lève et Ciel l'ouest, le soleil qui se couche !" s'exclame Fleur gaiement, puis elle ajoute, "Oui, nous sommes inséparables, les quatre points cardinaux. Je propose que nous nous fassions faire par un orfèvre quatre bracelets avec nos symboles, pour que tout le monde comprenne qui nous sommes." "Excellente idée, j'offre les bracelets !" dit Ciel gaiement. Ami se sent toujours plus attaché au gracieux Ciel, pourtant lorsque vient l'après-midi du jour du rat, il retourne à l'auberge et il le passe au lit avec Beau Charmant. Il ne s'est jamais senti si bien avec le soldat que ce jour-là. Bien sûr il a toujours eu beaucoup de satisfaction avec Beau Charmant, sinon il ne reviendrait pas, mais cet après-midi là a quelque chose de différent, de nouveau. Faire l'amour avec Beau Charmant sans rien partager avec lui de sa vie, sans communiquer, faire précisément du sexe sans amour, lui donne un sentiment de liberté qu'il n'avait encore jamais éprouvé. Le soldat aussi ne s'intéresse qu'au sexe, à rien autre. Cette fois, après lui avoir fait l'amour, Ami ne se sauve pas immédiatement. Beau Charmant sent qu'il y a quelque chose de différent et quand il s'aperçoit qu'Ami ne se rhabille pas, il se remet à le caresser entre les jambes, réveillant son désir et ils se remettent à faire l'amour. Beau Charmant est radieux et porte Ami aux sommets du plaisir, en le prenant de nouveau avec une vigueur renouvelée. Cette fois ils s'unissent encore plus longtemps que la première fois, avec une jouissance profonde et réciproque. Le jeune soldat semble infatigable, le jeune étudiant insatiable. Ami dort encore, aujourd'hui est jour de fête, alors il peut se lever un peu plus tard que d'habitude. Plus tard il reprendra ses études. Derrière la porte, il entend la voix du gardien qui lui dit qu'il est attendu devant l'entrée. Il se lève paresseusement revêt son pagne et sa jupe et se rend jusqu'à l'entrée. "Hé, Ami !" le salue joyeusement Ciel, "Tu es libre aujourd'hui, non ?" "Tu es toujours au courant de tout ?" "Bien sûr, en ce qui te concerne. Tu viens passer la journée avec nous." "Je pensais étudier." "Non, Allez ! Tu ne veux pas venir avec moi ?" "Si, évidement, mais..." "Allez, viens !" "Je suis tout décoiffé, et je ne me suis même pas baigné." "Tu es parfait comme ça." lui dit Ciel en le regardant avec un doux sourire et, lui prenant la main, il l'entraine. Ami est comme hébété. Il suit Ciel jusqu'à la maison de Gazelle. "Ah, bien, il a réussi à t'arracher à tes études, alors !" dit Fleur avec un large sourire. "J'ai gagné mon pari." dit Gazelle, "Alors on peut y aller." "Où ?" demande Ami en pensant qu'il est vraiment bien avec ces trois-là. "Matin a une maison en dehors de la ville, auprès du petit lac de la Plume. Il nous y attend. Il a dit qu'il préparait à manger, et il fait ça bien. On va nager, manger. On passera une bonne journée." dit Fleur. "Et on dormira là-bas." ajoute Gazelle. "Mais j'ai cours demain matin..." "Et tu y seras, je te le promets." lui dit Ciel. Ils s'y rendent. Ami est incapable de dire non à Ciel. En fait, il ne veut pas lui dire non. Arrivés à la maison de Matin, celui-ci les accueille avec sympathie. Il n'est plus triste comme la première fois qu'ils se sont rencontrés, au contraire, il est l'image même de la gaîté. La maisonnette d'un étage, en pierre, comporte une large terrasse sur le toit et une petite chambre dans l'angle de la terrasse. Elle est construite sur la berge du petit lac entre des arbres pleins de fleurs. L'endroit est charmant. Le soleil arrive au zénith et l'air est chaud et doux. Pendant que Matin finit de préparer à manger, les quatre amis se déshabillent et plongent pour nager. Pour la première fois, Ami voit Ciel complètement nu et pense que le fait de s'être rapidement jeté à l'eau a dissimulé son érection. Mais Fleur arrive en nageant près de lui et il lui dit : " Ciel te fait de l'effet, hein ?" Ami rougit. "Mais tu dois avoir de la patience. Tu l'attires aussi beaucoup, mais il n'est pas encore prêt." "Prêt ?" demande Ami sans comprendre. "Il craint d'être abandonné de nouveau. Il veut mieux te connaître, tu comprends ? Il a beaucoup souffert à cause de Vent, il ne veut pas souffrir de nouveau." "Oui, je comprends. Mais que puis-je faire ?" "Rien. Laisse-le te connaître, simplement." "Simplement." répète Ami pendant que Fleur s'éloigne à la nage. De retour au rivage, Ami remet vite son pagne, contrairement aux autres qui ramassent leurs habits et remontent vers la maison. Ami les suit. Ils passent à table, puis ressortent s'étendre au soleil. Matin aussi a conservé son pagne, si bien qu'Ami ne se sent pas mal à l'aise. Ils sont en train de bavarder quand Fleur déclare : "Je comprends." "Tu comprends ? Tu comprends vraiment, Fleur ?" demande Ciel d'un air étrange. "Je ne suis pas idiote, non ?" répond Fleur en feignant d'être offensée. "Comprendre... D'après toi, Ami, qu'est-ce que ça signifie, comprendre ?" "Et bien, comprendre... ça veut dire saisir le vrai sens des choses." hasarde le garçon. "Comprendre. Ce n'est pas seulement saisir. Tu saisis une fleur, tu la tiens en main, tu peux même croire qu'elle est à toi, mais... comprendre... la comprends-tu vraiment cette fleur ?" "Je peux l'étudier, l'examiner, l'analyser..." dit alors Ami. "Oui, en la disséquant pétale par pétale, pistil par pistil, une étamine après l'autre, mais à la fin tu n'as plus de fleur. Comme ça, tu peux la connaître, pas la comprendre." objecte Ciel avec un sourire. "Mais alors ?" demande Ami dérouté. "Comprendre une fleur c'est devenir cette fleur. Porter ses couleurs, répandre son parfum, accueillir l'abeille et devenir ensuite un fruit ou une graine. Etre la Fleur." "Alors, je ne pourrai jamais comprendre une fleur, ni même un grain de sable." "Non, c'est vrai." "Donc il est impossible de comprendre." dit Ami. "Une fleur, un grain de sable... mais l'homme peut comprendre l'homme, parfois. Connaître et ensuite comprendre. Mais il y faut beaucoup d'humilité." dit Ciel. "Ça... je n'ai pas l'impression que nous en ayons beaucoup, y compris toi, Ciel." dit Fleur en se moquant. "Il suffit d'en avoir quand c'est important." dit Gazelle. "Et quand est-ce que c'est important ?" demande Matin. "Quand on veut connaître quelqu'un." répond Ami qui reçoit un sourire d'approbation des lèvres de Ciel et de Gazelle. Ils tressent une couronne de fleurs et se mettent à improviser des poésies, après chaque série de poésies, ils décident qui doit porter la couronne de fleurs et un des autres écrit la poésie choisie. Le soir, après avoir dîné, ils se mettent à jouer avec les coquilles et le perdant doit chanter une chanson. Puis ils demandent à Ami de raconter l'histoire de la première création et le garçon la déclame d'une belle voix. Enfin ils décident d'aller dormir. Matin a distribué les chambres, pour Fleur et Gazelle la chambre à ouest, pour Ciel celle au nord, pour lui celle près de l'échelle et pour Ami la petite pièce sur le toit. Ami monte avec sa lanterne, enlève son pagne et s'étend sur le lit confortable. Il éteint la lanterne, et, par la fenêtre, il contemple le croissant de lune dans le ciel limpide et semé d'étoiles. Il aurait espéré pouvoir de nouveau dormir auprès de Ciel, mais il n'a pas su s'opposer à la décision de Matin. Il s'endort excité en pensant au beau corps de Ciel. "Ami, Ami..." le réveille une voix étouffée. Dans la chambre obscure, il devine à peine une silhouette. "Qui c'est ?" demande le garçon en se redressant. Un corps nu se penche sur lui et il le repousse contre le matelas, "Matin..." dit Ami en le reconnaissant. "Oui... Ils dorment tous." dit l'autre et Ami sent qu'il est excité. Matin l'enlace étroitement et cherche les lèvres d'Ami avec les siennes et l'embrasse profondément. Ami frissonne, excité et, après une brève hésitation, l'étreint, caressant le corps viril. Ami est étonné que Matin sache le toucher où il faut, comme il faut. Il a l'air d'être partout à la fois, sans incertitudes, sans hésitations, sans doutes. Ami a l'esprit vide, tout absorbé par la perception de cette visite imprévue. Il se sent enveloppé, entouré, encerclé par Matin, suivant des cercles croissants de sensations physiques toujours plus profondes. Ami est un peu essoufflé, le cœur battant, ses tempes pulsent comme s'il avait la fièvre. Il lui semble presque que les frontières entre son corps et celui de l'autre ont cessé d'exister quand les deux corps s'interpénètrent étroitement sans effort, comme si chaque partie trouvait seule sa place, comme un mouvement dicté par la nature. Pourtant, étrangement, Ami sent que Matin est "un autre". Mais ça n'entrave pas le plaisir qu'il éprouve, et Ami sait qu'il ne lui appartient pas. Ces instants, ces sensations, sont beaux et Ami décide d'en jouir sans remords. Pas à pas, Matin l'accompagne dans le plaisir, jusqu'à le conduire au point de non-retour en même temps que lui et les deux corps unis, agités de plaisir comme des feuilles au vent, frissonnent à l'unisson dans un orgasme fort, intense. "C'était bon !" soupire légèrement Matin, heureux. "Oui, très bon." "Tu me plais." "Mais moi... je suis tombé amoureux d'un autre." "Je sais, de Ciel et lui de toi. Mais il ne s'est encore rien passé, non ?" "Tu le sais ? Mais pourquoi, alors ?" "Parce que tu en avais besoin, et j'en avais besoin. Et parce que je sentais qu'avec toi, ce serait magnifique, même une seule fois." "Je suis désolé, Matin, mais je..." "Chut... Ce n'est pas utile. C'était bien, et ça suffit. Heureux sera Ciel, quand il se décidera. Si sans amour tu es si splendide, avec l'homme que tu aimes qu'est-ce que ce sera ?" le coupe Matin en lui caressant une joue. Puis il lui effleure l'œil d'un baiser léger, se glisse hors du lit et lui chuchote bonne nuit. "Ami... réveille-toi..." la voix de Ciel pénètre enfin ses rêves et le ramène à la réalité. Il ouvre les yeux et, en voyant son regard, il se rappelle qu'il est nu. Il a un réflexe pour se couvrir, mais ne le fait pas. "Si tu te lèves rapidement, on a le temps d'être à l'heure à ton école. Les autres dorment, ne fais pas de bruit." "Oui." répond Ami en sautant du lit. Sous le regard de Ciel qui ne le quitte pas un instant, il passe son pagne, sa jupe et se prépare. "Allons-y." dit Ciel. Pendant qu'il marche à grands pas vers la capitale, Ciel lui demande, "Comment c'était ?" "Comment c'était quoi ?" demande Ami sans comprendre. "Avec lui, cette nuit." reprend Ciel en soulignant le pronom masculin. "Tu le sais ? Tu l'as vu monter ?" "Non. J'ai vu comment il t'a regardé toute la journée." "Très bon... mais sans amour." répond Ami légèrement embarrassé. "Je vois, comme avec l'autre pendant les après-midi du rat ?" demande Ciel d'un ton tranquille. "Tu m'espionnes ?" "Si je t'espionne ? Non. J'ai simplement remarqué que tous les après-midi du rat tu n'es pas à école. C'est tout." "Pourquoi me le demandes-tu ?" "Parce que je veux te connaître, pour quoi d'autre ?" "Avec celui-là aussi... sans amour. Et puis c'est tout, crois moi, il n'y en a pas d'autres. Ne me juge pas trop mal." "Qui suis-je, pour te juger ? Tu es un garçon, tu aimes le sexe. Normal. Nous sommes vraiment les quatre points cardinaux, amour sans sexe ou sexe sans amour. Voilà !" "Non. Fleur et Gazelle ont l'amour et le sexe, elles." "Mais ce n'est pas vrai, tu sais ? Sexe sans amour, entre elles aussi. Elles sont amies, c'est vrai, mais pas amantes. Gazelle va aussi parfois avec des hommes, avec Matin, et Fleur avec d'autres femmes. Simplement elles sont bien ensemble." Ami se tait. Puis, craignant presque de poser la question, il demande, "Mais toi, le sexe ?" "Rien, du moins pour l'instant." "C'est la faute de Vent ?" "Non, plus maintenant, du moins. Je ne pense plus à lui, plus comme à un amant perdu, au moins. Peut-être que moi aussi, je me suis trompé sur lui. J'avais la prétention qu'il ne vive que pour moi." "N'est-ce pas normal, pour un amant ?" "Non, j'aurais du vivre pour lui, et s'il m'aimait, il aurait vécu pour moi, par choix. Mais ça ne s'est pas passé comme ça, je ne vivais pas pour lui et je voulais qu'il vive pour moi. Il a eu raison de partir. C'est moi qui l'ait fait fuir." Le silence retombe. Arrivé sous le porche de l'école, Ciel lui dit, "Quoi qu'il en soit, tu es très beau, nu. Je voudrais te voir toujours comme tu étais ce matin quand je suis venu te réveiller." Et, sans rien ajouter, il se retourne et s'en va. Ami le regarde partir et sent qu'il l'aime profondément. Arrive l'hiver et la fin de sa première année scolaire. Depuis ne nombreux jours Ami ne voit plus les amis, mais il continue à aller voir Beau Charmant. Il se plonge dans les études et se prépare aux examens. Pendant de longues nuits, à la lueur de la lampe, il révise assidument les textes, des notes. Il dort peu, mais il ne sent pas la fatigue. Sa seule détente consiste dans les après-midi au lit avec Beau Charmant, mais depuis la nuit avec Matin, Beau Charmant lui semble encore moins intéressant. Il est agréable, bien sûr, mais c'est tout. Arrivent les examens, Ami les réussit en se classant premier dans toutes les matières, il reçoit les félicitations même des enseignants les plus sévères. Ses camarades l'envient, et pas toujours gentiment. Le jour de la remise des prix, l'Empereur vient à l'école. Ami, aligné avec tous les autres, l'attend avec le cœur au bord des lèvres, ils lui ont expliqué par le menu le cérémonial et fait répéter cent fois de sorte que il ne se trompe pas lorsqu'il devra monter jusqu'à la loge se mettre devant l'Empereur. Quand ils se prosternent, Ami tremble des pieds à la tête. Lorsqu'ils se lèvent, il le regarde et se sent nouveau enflammé d'amour. Il aime Ciel, mais... pour l'Empereur il donnerait sa vie. "Je vivrai pour lui, mais il ne vivra jamais pour moi." pense-t-il avec regret, puis il se dit qu'une telle pensée est un blasphème, l'Empereur est un dieu, comment peut-il même seulement rêver d'être aimé d'un dieu ? Qu'un dieu puisse même seulement imaginer vivre pour le commun des mortels ? Le doyen de l'école l'appelle. Ami sort du rang des étudiants de première année, rejoint le centre de la cour et se prosterne à terre. La voix de l'empereur déclame, claire, haute, sonore, "Dernier Ami de la Lune ! Avance !" Ami se lève, les yeux fixés sur la splendide silhouette assise sur le trône d'or, arrive aux pieds de l'estrade et se prosterne de nouveau à terre. L'Empereur se lève. "Dernier Ami de la Lune ! Lève-toi !" Ami se lève, l'Empereur le regarde avec un léger sourire. Il hésite, monte les marches de l'estrade et Ami se prosterne encore. "Lève-toi !" commande l'Empereur. Ami obéit et se retrouve face au dieu sur terre. Il tremble. L'Empereur fait un geste et un noble enlève à Ami la jupe blanche sans dessins, un autre noble lui ceint la jupe avec le soleil jaune et les yeux et la bouche fermés. L'Empereur le regarde droit dans les yeux. Puis il prend le bandeau avec les plumes colorées des diverses épreuves dans lesquelles il s'est qualifié premier et fait un pas vers lui. Il la lui pose sur la tête. Ami incline profondément la tête et regarde à présent les pieds de l'Empereur enfermés dans des sandales d'or il et pense qu'ils sont très beaux, qu'il voudrait les baiser. L'Empereur lui dit, à voix basse, "J'ai su que tu as passé toutes les épreuves à la première place. Personne n'y était arrivé, depuis des années. Ne me déçois pas, l'an prochain, Dernier Ami de la Lune. Je me rappellerai de toi." Ami se sent presque défaillir. Il répète les trois prosternations rituelles, et, en marchant à reculons, il retourne à sa place. Il espère que la cérémonie finira vite, parce qu'il n'est pas sûr que ses jambes le soutiennent très longtemps. Quand tout est terminé, ses camarades se pressent autour de lui, "Que t'a dit l'Empereur ? D'ici on n'a pas entendu." "Il lui a dit que s'il continue ainsi il le nommera grand laveur de chiottes !" dit avec hargne un camarade. "Moi, j'en serais fier !" s'insurge un autre. "Non, il doit lui avoir dit de baiser plus et d'étudier moins, s'il est un homme !" dit un autre en riant. "Que t'a-t-il dit, alors ?" "Des phrases de circonstance..." dit Ami en sentant sa tête tourner. "C'est-à-dire ?" insiste un autre garçon. "De ne pas le décevoir, qu'il se rappellera de moi." murmure Ami. "Pauvre de toi, alors ! Je ne voudrais pas être à ta place !" s'exclame un troisième. Ami s'éloigne presque en courant, va dans sa chambre et se jette en tremblant sur son lit. Il a senti les mains de l'Empereur sur sa tête, quand il déposait le bandeau, il a été touché par son dieu, le descendant du Soleil Eternel ! Il se sent comme consacré, différent, transformé. Il s'endort épuisé. Il a à présent vingt-huit jours de congé. Presque tous les étudiants rentrent chez eux mais, comme quelques autres, il vient de trop loin pour rentrer. Ami se fait un programme. Pendant cette période, il continuera à étudier de façon à être prêt pour reprendre l'année suivante. Mais il dormira un peu plus que d'habitude, parce qu'il a besoin de repos. Cinq jours de congé ont passé, quand, au milieu de la matinée, alors qu'il travaille dans sa chambre, il entend la porte s'ouvrir. Etonné, il se retourne et se trouve face à Beau Charmant. "Toi ? Mais comment as-tu fait pour entrer ? Comment es-tu ici ?" lui demande en se levant, troublé. "Hier après-midi je t'ai attendu et tu n'es pas venu. Je voulais te voir." dit Beau Charmant décidé et il commence à se déshabiller. "Hé, attends !" dit Ami, mais Beau Charmant est déjà nu et son corps musclé est déjà sur lui. Ami est affolé, il n'a pas peur qu'il lui fasse mal, mais parce qu'il se sent désiré et qu'il sent que l'autre attend qu'il participe à ce qu'il veut de lui. "Non, arrête !" dit Ami en reculant, mais Beau Charmant commence à dénouer son pagne. "Laisse-moi te baiser." dit Beau Charmant en le dans entre ses bras musclés, il lui mordille une oreille et le porte jusqu'au lit. Ami ferme les yeux, étonné de tant d'énergie érotique, conquis par l'intensité du désir du soldat de le posséder. Beau Charmant est lent, méthodique, il a assez de contrôle sur son désir pour moduler et rallonger son plaisir, jusqu'à, presque avec frénésie, plier Ami sous lui, le pénétrer d'une seule longue poussée et le posséder avec tant de vigueur qu'il l'excite si intensément qu'Ami en pleure presque. Et finalement ils atteignent l'orgasme et tout semble devenir blanc, vide, silencieux, pendant qu'il sent Beau Charmant trembler en lui dans les derniers spasmes du plaisir. "Uuuuh !" murmure Beau Charmant en secouant la tête avec un large sourire comblé. "Habillons-nous..." dit Ami terrorisé à l'idée que quelqu'un puisse arriver et les surprendre. "Non ! J'ai envie de recommencer bientôt." lui dit le soldat en lui enlevant des mains son pagne qu'il jette dans un coin, "Reste là, j'aime te toucher." "Comment as-tu fait pour entrer ?" "Une piastre au gardien. Pendant les vacances, ils sont moins sévères." "Tu n'aurais pas dû." "Allez, Ami ! Tu aimes que je te baise, non ? Et me sucer. Regarde, je bande encore, prêt pour le second tour." "Ça suffit, rhabillons-nous." "Allez, Tu l'aimes, pas vrai ? Embrasse-la." "Beau Charmant, ou tu t'en vas maintenant ou..." Beau Charmant le regarde, étonné. "Tu es sérieux." "Absolument." "Mais qu'est-ce qui te prend ? Je t'ai fait jouir, non ?" "Oui, mais maintenant c'est fini." "Et tu ne parles pas que d'aujourd'hui." Ami le regarde un peu étonné, il n'aurait pas cru que l'autre soit si sensible. "Hé, tu me vires ? Qu'est-ce que j'ai fait de mal ? Tu me plais beaucoup, je ne veux pas te perdre. Je n'ai jamais trouvé personne qui sache la prendre comme toi ! Je ne veux pas te perdre, Ami, vraiment ! Je ne sais pas bien parler, je ne suis qu'un soldat, mais... Ami, je te veux !" "Je veux, je veux, je veux ! Je ne suis pas un objet ! Je veux ! Et moi, qu'est-ce que je veux, te l'es-tu jamais demandé ?" dit Ami, en colère. "Ben... ça, non ?" répond Beau Charmant convaincu, en agitant son membre dressé. "Non, tu n'imagines même pas que je puisse vouloir autre chose ?" Le visage de Beau Charmant s'illumine, "Des piastres ? Des cadeaux ? Comment n'y ai-je pas pensé ? Tu dois me pardonner. Je te ferai des cadeaux, je te le promets. Je sais être généreux, avec qui me plaît et tu me plais trop. Allez, Ami, faisons la paix, à présent. J'ai encore envie de toi," lui dit-il en le caressant entre les jambes. Ami se sent sur le point de céder et réagit avec rage, "Ne me touche pas ou je crie et je fais venir les gardiens !" siffle-t-il avec décision. Beau Charmant s'arrête, étonné. "Je ne te comprends pas." "Justement." "D'accord, je m'en vais. J'attendrai que ça te passe. Je serai à l'auberge, chaque après-midi du rat." dit-il en descendant du lit. Il se rhabille rapidement et sort sans ajouter un mot. Ami se rhabille aussi mais il se jette de nouveau sur le lit, arrivera-t-il jamais à se libérer de Beau Charmant ? Si obtus mais si sensuel ? Il veut arrêter, à tout prix. Ami se dit que la vie est étrange, il aime l'Empereur, il désire Ciel et il baise avec Beau Charmant... Que va-t-il devenir ? Oui, pour commencer, il doit se débarrasser du soldat, mais restent l'Empereur et Ciel... le Soleil et le Ciel... Oublions le Soleil, il n'y a rien d'autre à faire, mais si au moins le Ciel se décidait... pense-t-il déconcerté. On le prévient que quelqu'un l'attend au portail. Il espère que ce n'est pas de nouveau Beau Charmant. C'est Matin. "Ami, je suis venu te prendre pour une excursion aux Collines de Sable." "Les Collines de Sable ? C'est où ?" "Au bord de la mer, au nord de la Belle. Là où se rassemble tout le beau monde quand il fait soleil comme aujourd'hui. Les autres nous y attendent." "Ah... je voulais étudier..." "Ça ne te suffit pas d'être le premier ? Ciel est très fier de toi, il t'a préparé un cadeau, tu ne viens pas le chercher ?" "Tu sais me tenter, Ciel et un cadeau en même temps." "Eh, je connais tes points faibles, mon garçon ! Et je les aime, tu le sais bien." "Ne me fais pas de l'œil, ça ne marchera pas." "Je sais, je sais. Tu viens, alors ?" "D'accord, tentateur !" Ils traversent la Ville de Pierre, c'est-à-dire les quartiers élégants, puis la Ville de Boue, c'est-à-dire les quartiers populeux des gens ordinaires, prennent la route pavée qui en montant au nord se transforme en sentier, traverse une petite forêt et débouche sur une large plage de sable couverte de dunes parsemées de buissons, et enfin ils arrivent au bord de la mer. Matin le guide à pas sûrs jusqu'à l'endroit où Ciel, Gazelle et Fleur sont étendus, complètement nus, sur quelques nattes. "Hourra, enfin, tu es là !" crie Fleur dès qu'elle les voit, en se levant pour les saluer joyeusement. Ciel se redresse, met sa main au-dessus de ses yeux et il sourit. "Déshabillez vous, le temps est splendide pour une fin d'hiver." dit Gazelle.
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