LES HUIT LIVRES
DU COLLIER D'OR
DEUXIÈME LIVRE
OÙ ON RACCONTE COMMENT
AMI AIME L'EMPEREUR, DÉSIRE CIEL,
ET FAIT L'AMOUR AVEC BEAU CHARMANT

Ami se présente à la porte de l'école.

Un gardien le fait entrer et appelle un responsable qui le conduit dans une pièce. "Attends ici." lui dit-il.

Ami regarde avec admiration la grande construction de pierre dans laquelle il est entré, les pierres énormes, parfaitement superposées, travaillées de façon de se placer sans laisser la moindre fissure entre elles. Quelle différence avec les maisons de son village, en bois et en torchis ! Tout donne l'impression de majesté, de puissance, d'éternelle solidité. Tant que durera la cinquième création, pense Ami, cette construction sévère et majestueuse subsistera. Son baluchon à ses pieds, le bâton posé dessus, la lettre de présentation à la main, Ami attend.

Arrive un homme à la jupe rouge ornée du symbole du soleil, un mince collier d'or avec au centre le symbole du jaguar, une petite boîte en bois et quelques feuilles à la main. Il fait s'asseoir Ami, lit sa lettre avec attention, la glisse sous ses feuilles, puis il lui dit,

"Bien ! Pour être admis, depuis cette année, il faut aussi passer un examen. Je vais te poser cinq questions. Tu les recopieras, une sur chaque feuille, puis tu devras y répondre. Si tu réponds parfaitement à au moins trois questions, tu seras admis à l'école, sinon, tu devras t'en retourner dans ton village."

Un peu inquiet Ami, qui ne savait rien de cet examen, hoche la tête, mais ne dit rien. L'homme ouvre la petite boîte de bois qui contient des couleurs et des pinceaux et la tend à Ami, puis, dans la plus élégante "langue fleurie", il lui dicte quelques passages classiques. L'examen consiste en fait à donner la suite de ces extraits, à expliquer de quel livre ils sont tirés, puis à en expliquer le sens.

Ami, pendant qu'il écrit sous la dictée, en employant le seul pinceau noir pour aller rapidement, reconnaît les extraits qu'il a appris au temple. Cet examen n'est pas très difficile, pense-t-il en se détendant, recopiant de que l'autre lui dicte. La dictée finie, pendant qu'Ami passe les couleurs, il réfléchit aux réponses. Puis il les rédige avec attention, une feuille après l'autre. Un seul des passages lui est inconnu, mais il a la forme et la structure d'un discours de préceptes civiques et il le définit comme tel, même s'il ne peut le continuer. Puis il tend les cinq feuilles à l'homme.

Ce dernier l'a observé en silence pendant qu'Ami écrivait. Il prend les feuilles, ferme la boîte de couleurs, se lève et il lui dit d'attendre. Peut-être est-ce parce que l'homme est parti, mais il vient à Ami de meilleures réponses, plus belles. Il se demande si ce qu'il a écrit, la façon dont il l'a écrit, sera jugé suffisant. Mais ce qui est fait est fait.

Entre un autre homme, plus âgé. Il porte la même jupe que l'autre, mais un collier d'or plus large, avec au centre le symbole du poisson.

"Ami de Sonore, j'ai lu tes épreuves. La calligraphie est perfectible, mais elle est assez bonne, il n'y a pas d'erreurs de langue, et même si tu as employé un style très simple, les réponses sont toutes exactes. Tu es donc admis à l'école impériale. La lettre d'introduction te fait honneur. Si tu t'appliques, nous ferons de toi un bon élève. À présent, on va te donner une cellule, la jupe blanche de postulant, le matériel pour écrire. L'école commence dans cinq jours. Si tu le désires, tu peux en profiter pour visiter la capitale, puisque c'est la première fois que tu y viens, je pense. L'important il est que tu rentres avant le coucher de soleil ou tu devras dormir dehors. Pour manger, tu peux manger ici à l'école ou dehors, si tu as de l'argent. Cependant, l'école ne te donnera pas d'argent." lui dit-il et il ajoute d'autres explications, puis le conduit auprès du responsable des dortoirs et le lui confie.

La première chose que montre ce dernier à Ami est sa cellule. Une petite pièce au deuxième étage, qui donne sur une vaste cour, avec un lit sur une estrade en pierre, une table, un tabouret, une armoire de bois pour ses affaires. Il lui montre les toilettes, les bains et lui en explique l'usage. Puis il le mène au réfectoire, aux salles de classe. Au magasin, il lui fait donner la jupe blanche de novice, une petite boîte des couleurs, une liasse de feuilles, une lampe avec une réserve d'huile. Puis, après que le garçon ait tout porté dans sa cellule et mis la jupe blanche, l'homme le conduit dans les autres cellules déjà occupées pour lui présenter ses camarades, quelques novices comme lui, et d'autres de première, seconde et troisième année.

Les première année ont, brodé sur la jupe blanche, un soleil jaune avec les yeux et la bouche fermés, les deuxième année un soleil orange avec les yeux ouverts et la bouche fermée, ceux de troisième année, un soleil rouge avec les yeux et la bouche ouverts. Un camarade de troisième année lui en explique le sens.

"Ceux qui comme toi, sont encore à naître, ne sont rien. Puis, en première année tu devras seulement écouter, sans parler, en seconde année, tu pourras demander, voir, mais pas encore parler, ni exprimer d'opinions, en troisième année tu pourras commencer à exprimer tes opinions. Après la troisième année, il y aura l'examen final et ton affectation." Puis il lui demande, "As-tu un protecteur ?"

"Un protecteur ? Qu'est-ce que c'est ?"

"Qu'il est, bête ! Un noble qui te donne de l'argent, qui te suit, te protège en somme. Sans protecteur, même si tu es bon, tu ne feras jamais carrière."

"Et comme fait-on pour avoir à un protecteur ?"

"Tous les ans, les élèves sont invités aux quatre fêtes solaires. Si tu plais à quelqu'un, il t'offrira d'être ton protecteur. Vois-tu ce bracelet ? C'est le symbole du faucon, parce que mon protecteur est le grand prêtre du dieu Faucon."

"Et que doit faire un élève pour son protecteur ? "

"Ça dépend du protecteur. Il doit l'accompagner dans les fêtes, le servir, le flatter, composer des poèmes ou des discours pour lui, être prêt à faire ce qu'il lui demande, pendant son temps libre. Et lui faire honneur lors des compétitions de fin d'année."

Ami hoche la tête.

Puis l'autre ajoute, "La première fête est dans quelques jours, la fête du Jour Croissant, c'est-à-dire de l'Équinoxe de Printemps, ou du Nouvel An. Tâche de te faire remarquer par un noble ou un prêtre, de te faire apprécier, si tu peux. Sans protecteur, tu resteras toujours en bas de l'échelle, et je ne le souhaite même pas au plus antipathique des élèves, et tu me sembles sympathique."

Ami commence à sortir de l'école. Tout d'abord il visite le grand temple du Soleil, le temple impérial par excellence. Au sommet, avec les autres visiteurs, il admire autant les bas-reliefs de pierre multicolore que le panorama. De là, on a une vue complète sur l'ensemble du palais impérial avec son jardin, et de toute la ville qui descend jusqu'au port.

Tout à coup un jeune noble, avec une jupe rouge décorée d'un aigle, portant un collier d'or, un couvre-chef de plume, s'approche et il lui effleurant la poitrine, il lui demande avec un sourire,

"Ah, un novice. Quel est ton nom ?"

"Ami de la Lune, seigneur." répond Ami en le regardant, étonné. C'est le jeune noble qui a failli le tuer dans la forêt, et à présent il le caresse presque devant tout le monde.

Ami éprouve du plaisir à ce contact et rougit. L'autre retire sa main mais il continue à regarder avec un curieux mélange de désir, de complaisance et d'humour. Puis il l'examine de la tête aux pieds et il lui dit,

"J'ai la vague impression de t'avoir déjà vu." Ami se demande s'il se moque de lui. Peut-être ne se rappelle-t-il pas leur rencontre dans la forêt cinq jours auparavant.

Sans même savoir pourquoi, Ami répond, "C'est mon premier jour ici dans la capitale..."

"Ah, alors je me trompe sûrement. Ça a été un plaisir de te connaître, Ami. Je ne crois pas que tu t'appelle Lune. Tu es un garçon très attirant. Adieu !" et il s'éloigne et descend les gradins à grands pas rapides.

Ami frisonne et se demande avec un peu de regrets pourquoi il ne lui a pas rappelé l'incident de leur première rencontre. Et puis il se dit que peut-être il a bien fait. Peut-être ce noble ne veut-il pas se rappeler de lui. Il regarde autour de lui en craignant que toute l'assemblée ait les yeux fixés sur lui, mais il s'aperçoit avec soulagement que personne ne le regarde. Il termine donc la visite et descend vers la ville.

Cinq jours plus tard a lieu la fête du Jour Croissant. La cour de l'école est remplie de tous les élèves, des maîtres, et de nobles, de prêtres, de guerriers. Tout autour, sur des estrades, il y a profusion de nourriture et de boissons. Après la cérémonie, tout le monde se met à manger et à parler. Ami, à part quelques élèves, ne connaît personne et se sent presque étranger, un intrus. Il éprouve un léger sentiment de gêne, de honte. Mais il décide d'aller prendre quelque chose à manger. Lorsqu'il revient avec la nourriture en main, il se trouve face au beau garçon aux larges épaules, aux hanches étroites, avec un aigle tissé sur la jupe et gravé au centre de son collier.

"Ami !" le salue-t-il avec un large sourire, et le garçon est content que l'autre se souvienne de son nom. "Viens, suis-moi, je veux te présenter à certains de mes amis." Il le prend par un bras et le guide dans la foule.

"Voilà, Gazelle, et là, c'est Ami, le garçon que j'ai rencontré au temple du Soleil." Puis il se tourne vers Ami. "Tu m'as manqué, pendant ces cinq jours, j'ai presque eu envie de venir te chercher à l'école."

Il continue à le tenir par le bras dans une étreinte quasi possessive qu'Ami n'est pas sûr d'apprécier, mais à laquelle il sent qu'il ne peut pas résister.

"Reprends-toi, Ciel !" lui reproche Gazelle qui se tourne ensuite vers Ami. "Tu ne peux pas imaginer l'effet que tu as fait sur Ciel. Il n'a pas cessé de rêver de toi de toutes ces journées."

Ami, avec un sourire timide, répond à la fille, "Je pourrais en dire autant de moi, bien que nous ne nous soyons vus que pendant une minute."

À côté, une autre jeune femme dit gaiement, "D'habitude, un instant suffit, non ?" et puis elle ajoute, "Je suis Fleur, Radieuse Fleur D'Hiver. Je suis heureuse de te connaître, Ami ! Et lui... " dit-elle en montrant un autre jeune homme plutôt trapu, l'air renfrogné, "...on l'appelle Matin. Premier Matin du Mois du Coq. Il est de petite noblesse, comme tu vois, il a la foudre comme emblème."

Matin lui dit un simple "Salut."

"Il est ailleurs, ne t'occupe pas de lui !" dit Fleur.

"Ailleurs ? Dans quel sens ?" demande Ami interloqué.

"Il a été trahi par son amant, et il ne pense à rien d'autre. Nous l'avons traîné de force à cette fête pour qu'il s'amuse mais ça n'a pas l'air de marcher. Si tu veux essayer..." dit Gazelle.

"Non, Ami est novice, et il a lui-même besoin de protection. Ne vois-tu pas qu'il n'a pas encore de bracelet ?" dit Ciel en regardant l'air un peu effaré du garçon.

"C'est vrai. Pourquoi ne lui proposes-tu pas d'être son protecteur ?" demande Gazelle.

"Je ne sais pas s'il en a envie. Il peut peut-être trouver un protecteur plus important que moi, beau comme il est," dit Ciel en le caressant du regard.

Ami se sent excité. Evidement qu'il voudrait de ce jeune noble si beau comme protecteur.

Gazelle lui demande alors, "Ami, voudrais-tu Calme Ciel D'Automne comme protecteur ? Porterais-tu volontiers l'aigle sur ton bracelet ?"

"Avec une question trop directe, tu le gêne !" dit Fleur.

Ami dit alors, "J'en serais très honoré. Que dois-je faire pour mériter une telle attention ?"

"Vois comme il parle bien ! Alors, Ciel, que doit-il faire pour te satisfaire ?" demande Gazelle.

Ciel regarde Ami dans les yeux. "Rien. ætre mon ami, comme dit son nom."

"Acceptes-tu, Ami ?" lui demande Fleur.

"Avec immense plaisir et gratitude." répond le garçon, la gorge nouée.

"Alors, je passerai vite te porter le bracelet avec l'aigle, Ami." dit Ciel d'une voix basse et chaude qui fait passer des frissons dans le garçon.

Les cours commencent. Ecriture, lecture, diction, protocole, puis l'étude approfondie des Cinq Livres. En fait chaque livre compte de plusieurs volumes. Le Livre des Dieux, avec la cosmogonie, la mythologie, le calendrier divinatoire, l'Histoires des Cinq Créations ; le Livre des Chroniques, avec l'histoire des divers peuples de l'empire, puis les annales du peuple du Soleil, avec l'histoire depuis le premier empereur jusqu'à l'actuel, Hymne Puissant Chanté à l'Eternel Dieu Soleil, Soixante Troisième Descendant Du Soleil, Lumière Du Monde Et Des Peuples, Fleur Enivrante Qui Jamais Se Fane ; le Livre des Hymnes, avec les textes des cérémonies religieuses, les textes des chants et la musique avec les tambours sacrés, les textes pour les fêtes civiles et religieuses ; le Livre de la Poésie, avec les chants de guerre, les chants des fleurs, les chants nuptiaux, les chants d'amour, les chants de deuil ; et enfin, le Livre des Discours, avec les discours civils, les discours moraux, le livre des proverbes, le livre des conseils, les discours des anciens, le livre des compétitions d'éloquence.

Ami suit avec passion les diverses leçons et passe presque tout son temps libre à s'exercer, aussi bien en écriture que pour apprendre par cœur tous les textes et savoir en donner de façon exhaustive, claire et agréable les explications. Il s'entraîne aussi beaucoup en composition et diction. Parfois, cependant, il trouve aussi le temps pour se promener en ville. Il a rencontré un broyeur de couleurs, qui trouve Ami sympathique, et qui lui a offert une belle boîte d'écriture riche de couleurs très pures et de pinceaux raffinés.

Un soir Ciel vient le prendre à l'école, et l'invite à venir avec lui. Ami objecte que le Soleil se couchera vite et qu'il n'aura pas beaucoup de temps.

"Tu dormiras à l'extérieur, préviens le gardien. Et demain matin, je te réaccompagnerai à école à l'heure pour la première leçon. Dehors il y a les amis que nous attendent." dit Ciel avec décision.

Ami opine avec joie à cette idée et, après avoir obtenu la permission, il le suit. Dehors il y a Gazelle, Fleur et Matin. Les deux filles prennent Ami entre elles et ils montent tous ensemble vers la ville haute.

"Voilà ma maison." dit Gazelle en indiquant une petite mais belle construction de pierre, "Elle est confortable. Comme tu vois, en face il y a un vendeur de dinde cuite, alors je n'ai même pas besoin d'esclave pour faire la cuisine."

"À propos," dit Ciel joyeusement, "Entrez chez elle, j'achète à manger et je vous rejoins. Viens avec moi, Ami !"

Les trois autres sont d'accord et entrent dans la maison, Ciel conduit Ami dans la boutique dont proviennent des odeurs délicieuses. Celui-ci regarde les femmes occupées à cuisiner sur de grands foyers, pendant que Ciel commande au patron la nourriture qu'il dispose avec soin sur de grandes feuilles qu'il plie soigneusement. Ciel paye, tend à Ami une partie des paquets, prend les autres et entre dans la maison de Gazelle. Un esclave leur ouvre la porte. Ciel guide Ami à travers des pièces, éclairées chacune d'une lanterne, jusqu'à la pièce dans laquelle les trois autres sont assis sur de larges et confortables coussins bleus autour d'une table basse. Dans cette pièce il y a cinq lanternes qui donnent une vive lumière.

Gazelle récite une poésie d'amour. Ciel, sans l'interrompre, dépose sur la table les paquets de nourriture. Matin se lève et revient peu après avec quelques amphores. Ami remarque qu'une de celles-ci a pour anse un arbre, en forme d'arc, sous lequel il est appuyé un homme nu, dont l'énorme membre érigé fait fonction de bec.

Gazelle s'interrompt et rit. "Matin, je devrais t'offrir cette amphore, je vois que tu l'aimes beaucoup. Tu sais, Ami, il ne boit pas comme tout le monde, mais il le suce avec les lèvres... C'est un obsédé, notre Matin !"

"Il se console comme il peut." dit Fleur en riant à son tour, "Fais voir à Ami comment tu bois."

Matin sourit, colle ses lèvres au gros pénis de céramique et suce une rasade de liqueur. Tout le monde rit.

"Veux-tu en boire aussi, Ami ?" lui propose Matin.

"C'est quoi ?"

"De la bière de maïs, évidement."

"Nous ne pouvons pas en boire, c'est interdit aux élèves."

"Mais ici, personne ne te verra." rétorque Matin.

"Non, merci." insiste Ami.

Les deux filles ouvrent les paquets dont s'échappent une vapeur parfumée et engageante et commencent à distribuer la nourriture. Ils se mettent à manger gaiement en bavardant, en riant et en buvant, Ciel, Matin et Fleur de la bière de maïs, Gazelle et Ami de l'eau ou du maté.

"Ta maison est grande, Gazelle, pleine de chambres. Où as-tu intention de nous faire dormir ?" demande Ciel.

"Chacun de vous est libre de choisir la chambre qu'il préfère. Moi et Fleur, de toute façon, nous dormirons comme d'habitude dans la chambre de derrière. Et toutes les deux seules."

Ami se doute alors que les deux femmes doivent être amantes. Dans un premier temps il avait pensé qu'une des deux, peut-être Fleur, pouvait être la compagne de Ciel.

Matin dit alors, "Je dors dans la chambre à côté de la réserve. Et vous deux ? Dans la chambre à côté des bains ?" demande-t-il ensuite à Ciel avec un sourire malicieux.

"Matin est toujours taquin, Ami, ne t'occupe pas de ses insinuations, fais semblant de ne pas comprendre."

"Je n'ai pas besoin de faire semblant, je n'ai pas compris." dit Ami interloqué, en se demandant quel sens caché couvre la question de Matin.

"Tant mieux, l'innocence est ta meilleure défense, Ami." dit Gazelle avec un accent approbateur.

"Mais de quoi parlez-vous ?" demande Fleur avec air de fausse innocence.

Tout s'éclaircit soudain pour Ami. Il se rappelle d'un poème d'amour où il est écrit, 'Après l'amour qu'y a-t-il de plus doux que nous plonger dans un bain aux eaux parfumées...' Alors il cite les premiers vers de la poésie,

"Lorsque la nuit elle est si profonde que même le blanc semble noir, lorsque le silence enveloppe tout de mystère..."

Ciel le regarde avec un sourire heureux, pose la nourriture qu'il mange, hoche la tête et continue, "...dans ma poitrine résonne la douce chanson et elle suscite un écho profond en mon aimé... Vous voyez qu'Ami n'est pas un débutant. Oui, donne-moi ton bras, Ami, voilà le bracelet que je t'avais promis..." dit-il et il passe le bracelet avec l'emblème de l'aigle au poignet du garçon.

"Merci, Ciel."

"Merci à toi de l'avoir accepté." dit Ciel avec un sourire timide qui surprend le garçon. D'habitude Ciel semble si sûr de lui qu'il ne s'attendait pas de sa part à cette légère expression d'embarras.

À la fin du repas, un esclave apporte de l'eau chaude pour le lavage des mains, et enlève de la table les restes de la nourriture. Puis Gazelle lui dit d'étendre les lits. Elles décident que Ciel et Ami dormiront dans la chambre qui donne sur le petit jardin intérieur. Ciel ne refuse pas. Plus tard, Matin les salue le premier et va dormir, légèrement ivre, en emportant avec lui l'amphore que Gazelle lui a offert. Alors Ciel se lève aussi et guide Ami vers la chambre dans laquelle ils vont dormir.

Là sont étendus deux matelas, l'un à côté de l'autre, face à la porte ouverte vers le jardin baigné par la lune. Ciel éteint la lanterne, enlève son collier, son couvre-chef, sa jupe. Ami aussi enlève sa jupe pendant qu'il admire le beau corps de son protecteur. Celui-ci s'étend sur un des deux matelas et Ami sur l'autre.

"Je suis heureux." déclare Ciel peu après.

Ami attend qu'il continue, mais Ciel se tait. Il est trop tard pour dire, Moi aussi, alors Ami préfère se taire. Il se sent terriblement attiré par le corps de l'autre, là, à côté, à portée de main. Mais il n'arrive pas à bouger, c'est tout juste s'il arrive à respirer. Excité, il attend, en espérant que Ciel prenne l'initiative. Longtemps il ne se passe rien, il entend le souffle léger de l'autre. Il a envie de se tourner sur le côté pour l'admirer, mais il n'en a pas l'audace.

Puis il sent la main de Ciel se poser légère, sur sa poitrine, sans bouger. Il attend.

"Dors à présent, Ami. Et que tes rêves puissent être beaux." chuchote Ciel.

Ami, un peu déçu, murmure, "Ils le seront certainement..."

"Oui, évidement." répond Ciel.

Ami a envie de caresser la main qu'il a gardé sur la poitrine, de la porter à ses lèvres, de l'embrasser, mais comme l'autre ne bouge pas, ne le caresse pas, il pense que ce léger contact suffit à Ciel et donc ne fait rien.

Le matin suivant, de bonne heure, alors que les autres dorment encore, Ciel le raccompagne jusqu'à l'école. À la porte il le salue.

"On se reverra bientôt. Merci, Ami."

"Merci à toi, Ciel."

Ils n'on pas besoin d'en dire plus, Ami le sent parfaitement. Il le salue de la main et file dans sa cellule prendre le nécessaire pour les leçons du jour, pendant que les autres étudiants se préparent aussi.

Arrive le jour de la visite annoncée de l'Empereur dans l'école. Tôt le matin, les élèves se rangent dans la cour, dans l'ordre des classes, chaque rang parfaitement ordonné, encadrés par les maîtres et les instructeurs en tenue d'apparat. Même les élèves ont reçu un bandeau à mettre sur leur tête, avec la courte plume colorée qui indique les prix obtenus à chacune des compétitions annuelles. Ami et ses copains, n'en n'ont pas, n'ayant encore participé à aucune compétition, ils n'ont qu'un bandeau blanc sans plume.

On a préparée face à eux la loge impériale, complètement couverte de fleurs qui composent le dessin du Soleil, surmonté d'un rideau de plumes qui couvre le petit trône de bois plaqué de feuilles d'or. Un roulement de tambour annonce l'entrée du jeune empereur. Tous se prosternent à terre sans regarder la loge. Ami est ému, il va enfin voir l'Empereur, l'entendre. On dit qu'il est un des poètes les plus accomplis qui ait jamais existé malgré ses vingt-quatre ans.

Sur ordre du doyen, tous se mettent à genoux, puis se prosternent de nouveau par trois fois. Ami a une vision fugace de l'Empereur, un jeune homme svelte et fort, fièrement dressé, avec une haute couronne de plume et le manteau de plumes printanier, un large collier d'or, la jupe blanc et or, les bracelets, les chevillières d'or et les sandales de plume. Et il en reste fasciné.

L'Empereur fait de la main un signe léger et élégant, qui signifie de se mettre à l'aise, et tous se lèvent dans une position d'écoute respectueuse. Alors l'Empereur se lève aussi du trône, un dignitaire délie son manteau, l'Empereur avance d'un pas en signe de prévenante attention, et commence à parler.

Il use de la langue fleurie avec élégance, en modulant la voix, en employant des termes appropriés, des phrases simples mais pleines de poésie. Il parle du futur de l'empire. L'empire, dit-il, se défend par les armes mais se construit par la culture. Il se consolide avec la solidarité et la fidélité réciproque. Vous, qui serez les dépositaires de la culture, êtes appelés à m'appuyer pour édifier un empire resplendissant comme le Soleil que nous vénérons. Je compte sur vous, dit-il d'une voix claire avec un sourire vainqueur, puis, à la surprise de tous, il récite les noms complets de tous les élèves, sans les lire. Lorsqu'arrive le nom, "... sur toi, Dernier Ami de la Lune," Ami éprouve une émotion très forte et se sent totalement amoureux de l'Empereur. Sa beauté, sa voix, son regard, l'aura qui émane de lui, le conquièrent complètement.

Dans son cœur Ami jure, tu pourras toujours compter sur moi, Hymne Puissant Chanté à l'Eternel Dieu Soleil, Dieu Soleil Sur Terre. Avec peine il retient des larmes d'émotion pendant que l'Empereur termine de réciter les presque deux cents noms des élèves. Un long cri de joie jaillit spontanément de toutes les gorges lorsque l'Empereur fait un pas en arrière et que le fonctionnaire lui remet sur les épaules le manteau de plume. Tous se prosternent profondément lorsque l'Empereur sort.

Ils sont tous profondément impressionnés que l'Empereur ait récité tous leurs noms de mémoire, mais Ami, plus d'encore, couve dans son cœur cette phrase : je compte sur toi. Les jours suivants, Ami s'applique sur ses études avec une intensité redoublée, si bien qu'à un certain point le gardien doit l'obliger à sortir et prendre un peu de repos.

Ami descend vers le port, se promène dans la chaleur cet après-midi d'été, repassant dans sa tête les leçons de la journée, lorsqu'il se sent appelé par son nom. Il se retourne et il se trouve en face de Beau Charmant. Il l'avait presque oublié. Il est vêtu avec la jupe bleue des soldats, il a l'épée au côté et le brillant pectoral de cuivre.

"Ami ! Je n'espérais plus te voir, tu n'es jamais venu me chercher." lui dit-il d'un ton de reproche.

"Toi non plus." rétorque immédiatement Ami, "...et mes études m'occupent beaucoup."

"Moi aussi, je suis très pris par les exercices. Mais je suis déjà devenu dizenier. Toi aussi, tu es libre l'après-midi du jour du rat ? "

"Oui."

"Très bien, ainsi nous pouvons nous voir. Mais viens, à présent, je t'emmène dans une taverne. C'est moi qui paye, ils viennent de distribuer la solde."

"Mais nous les étudiants, ne pouvons pas boire de boissons alcoolisées." prévient Ami. Il se sent terriblement attiré par le soldat, sa seule proximité l'excite, pourtant il sait qu'il n'est pas l'homme qu'il lui faut.

"Je boirai seul. Viens. Là, ils ont une chambre que je peux louer. Ou mieux, je la réserverai, retiens la route, comme ça, chaque après-midi du jour du rat, je t'attendrai là."

"Je ne sais pas si je pourrai toujours venir." dit Ami en le suivant.

"Bien sûr que tu pourras." dit l'autre sûr de lui.

Beau Charmant parle brièvement avec l'aubergiste, puis, une carafe de bière à la main, il conduit Ami à l'étage, le fait entrer dans une petite chambre dans laquelle il n'y qu'un lit qui l'occupe presque entièrement. Il pose l'amphore, se débarrasse de son l'épée, du pectoral, et de sa jupe et embrasse Ami, en serrant à pleines mains ses fesses. Ami est très excité. Beau Charmant le sent et il lui dénoue sa jupe et son pagne qui glissent à terre.

"Retire-moi mon pagne." ordonne-t-il.

Ami obéit rapidement. Il se sent comme affamé, assoiffé de ce corps sensuel et fort. Ça fait plus d'un mois qu'il n'a pas fait l'amour et il en a besoin. Beau Charmant le soulève du sol et le porte sur le lit puis il s'allonge sur lui.

"Tu me plais trop. Tu es le garçon le plus chaud que j'ai jamais eu, et j'en ai eu beaucoup. Tu adores faire l'amour, non ?"

Ami le trouve particulièrement bavard, évidemment heureux de l'avoir retrouvé, de pouvoir encore jouir de lui. La passion avec laquelle il s'agite sur lui enflamme Ami, qui, sans plus penser à rien, lui répond avec la même passion. Beau Charmant lui prend les jambes et les repousse contre ses épaules, puis, avec d'habiles et puissants mouvements, il l'enfile et il commence à bouger en lui. Ami gémit en proie à un fort plaisir et répond aux poussées de l'autre en faisant basculer son bassin et pulser le sphincter. Content, le soldat sourit et augmente le rythme de ses fortes poussées. C'est une longue et forte étreinte qui les laisse tous deux épuisés, mais comblés. Beau Charmant semble se souvenir de la bière, il prend l'amphore s'en fait couler une bonne rasade dans la gorge.

D'un coup, Ami est saisi du besoin de s'en aller. Maintenant que tout est fini, il perçoit de nouveau Beau Charmant comme un étranger. Avec lequel il a été très agréable faire l'amour, mais avec lequel il ne peut rien y avoir d'autre.

"Je... Je dois partir..."

"Je veux t'offrir à manger. Descendons, on mange bien, ici. Je te l'ai dit, c'est moi qui paye. Je sais bien que les étudiants sont fauchés. J'ai déjà eu occasion de conduire quelques uns de tes camarades ici." dit-il avec fierté en laissant entendre qu'il a fait l'amour avec d'autres étudiants.

Ils se rhabillent, descendent et Beau Charmant commande à manger. Pendant qu'ils mangent, Beau Charmant passe une main sous la table, le touche intimement ce qui l'excite de nouveau.

"Hé, pourquoi on remonte pas ? J'y retournerais bien !" dit-il d'une voix excitée.

"Non, vraiment, il faut que j'y aille." répète Ami.

"Tant pis. Alors on se revoit le prochain après-midi du rat, je t'attendrais." répond Beau Charmant, en le saluant comme si de rien était.

Ami lui est reconnaissant de ne pas insister, parce qu'il sait qu'il n'aurait pas su dire non. Il rentre rapidement à l'école, à temps pour le dîner et, bien qu'il ait déjà mangé avec Beau Charmant, il dévore avec appétit, presque comme si, en mangeant, il pouvait oublier Beau Charmant. Non, se dit-il, je n'y retournerai pas... À la place, si Ciel se décidait... Je suis sûr que je lui plais, que je l'attire. Pourquoi ne me fait-il jamais la moindre avance ?

Quand il est dans sa cellule, après avoir encore un peu travaillé, il se couche pour dormir. La lanterne éteinte, il regarde le rectangle de lumière argentée que la lune projette sur le mur et réfléchit. Comme dans un rêve, l'image de l'Empereur, ses mots, lui tournent en tête pendant qu'il s'assoupit. Sauf que dans le rêve, il est prosterné devant l'Empereur et il n'y a personne d'autre dans la cour. Et l'Empereur, lorsqu'il fait glisser de ses épaules le riche manteau de plume multicolore, reste complètement nu et sa beauté est si éblouissante, comme la lumière du Soleil, qu'Ami doit fermer les yeux, et il sent alors sur lui la main de l'Empereur qui lui caresse les cheveux et lui dit, "Ami, je compte sur toi."

Il se réveille d'un coup, excité et tremblant, avec le cœur qui bat la chamade. Presque déçu, il se rend compte que ça n'était qu'un rêve. La vision a disparu, seule la lumière de la lune, qui s'est déplacée, baigne maintenant son corps en rendant sa peau dorée. Il se rendort en pensant que de toute façon, pour son Empereur, il deviendra le meilleur élève de l'école. Oui, il peut vraiment compter sur lui, l'Empereur, à cent pour cent.


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