LES HUIT LIVRES DU COLLIER D'OR |
SEPTIÈME LIVRE OÙ ON EXPLIQUE COMMENT AMI EST INJUSTEMENT ACCUSÉ, EXILÉ ET DEVIENT L'AMANT DE CIEL. ET OÙ L'EMPEREUR RECONNAIT SON ERREUR |
Alors qu'Ami est à cour depuis un an, il rencontre Beau Charmant dans un couloir. Pendant un instant ils se regardent, un peu gênés, puis Beau Charmant, de rang inférieur, s'incline. "Je suis contant de te voir, Ami." "Moi aussi." répond le jeune homme hésitant. "Je fais à présent partie des gardes du palais. Nous nous rencontrerons souvent, à partir de maintenant." "Es-tu encore en colère contre moi, Beau Charmant ?" "Non. Lièvre il m'a fait réfléchir. Je crois que je t'ai mal jugé et j'en suis désolé. Lièvre m'a dit que mes mots t'avaient blessé. C'est moi qui te doit des excuses, je pense." "Lièvre... Il va bien ? Etes-vous encore ensemble ?" "Oui, bien sûr. Il va finir cette année et j'espère qu'il sera engagé à la Cour." "Je peux faire en sorte qu'ils le prennent, si tu veux." "Je t'en serais vraiment reconnaissant. Merci, Ami." "Merci à toi de m'avoir pardonné. Et de ne pas trop mal me juger." répond joyeusement Ami. Quand Lièvre termine l'école avec d'excellentes notes, Ami réussit à le faire engager comme aide par les chroniqueurs de cour et il est content de revoir son seul ami de l'école. Lièvre devient adulte et c'est un garçon sympathique et doux, si bien que leur amitié se renforce. Mais les ennemis d'Ami complotent dans l'ombre et ils ont soigneusement préparé un piège pour se libérer de lui. Ils ont instruit un jeune fonctionnaire de la Section de Cérémonial. Lors d'une nuit sans lune où Ami n'attend pas l'Empereur, le jeune homme s'introduit furtivement dans la chambre d'Ami qui, comme d'habitude, dort nu. Il se déshabille en silence et attend dans l'ombre de voir par la fenêtre le signal convenu. Un esclave personnel de l'Empereur, suborné par les conjurés, quand celui-ci sort de la chambre de sa troisième concubine, lui dit qu'Ami le trahit. Les conjurés voient l'Empereur en colère se diriger vers la chambre d'Ami et font par la fenêtre le signal au jeune homme qui attend dans la chambre. Celui-ci, dès qu'il entend s'ouvrir la porte extérieure de l'appartement, se glisse dans le lit d'Ami et commence à le caresser et à l'embrasser. Pensant que c'est Puissant, Ami qui s'est réveillé excité, l'embrasse. À cet instant précis, Puissant entre dans la chambre, une lanterne en main. Ami s'aperçoit de l'intrus dans son lit, se lève et le repousse avec une exclamation confuse. Mais Puissant voit l'érection des deux, et interprète la confusion d'Ami comme la stupeur d'avoir été surpris. "Ami ! Tu étais tranquille, en ayant établi le calendrier, hein ?" dit l'Empereur à la fois peiné et furieux. "Mais non ! Je ne sais pas qui c'est ! Ni ce qu'il fait dans mon lit ! Je dormais... Je ne le connais pas !" "Ah, et je devrais te croire ? Toi, si tu veux la vie sauve, dis-moi la vérité !" dit-il, tourné vers le jeune fonctionnaire. Ce dernier se prosterne au sol. "Pardonne-moi, puissant Seigneur, mais il m'avait fait croire que tu savais, que tu n'y attachais pas d'importance. Il m'a trompé." "Il ment !" crie Ami en se jetant au pied du lit et en regardant le jeune homme, perdu et affolé, "Je ne le connais pas." "Depuis quand faites-vous l'amour ?" demande alors l'Empereur. "Non jamais, jamais, je n'ai jamais fait l'amour avec lui !" "Un mois environ, Seigneur !" dit d'une voix claire le jeune fonctionnaire en restant prosterné à terre. "Il ment, il ment, crois-moi !" "Pourquoi devrait-il mentir ? C'est toi qui mens." "Non. Il s'est glissé dans mon lit à l'instant, pendant que je dormais..." "Qui se glisse dans le lit d'un inconnu ? Et de mon amant, en plus ! Comment peux-tu penser que je vais te croire ? Tu m'as déçu, Ami. Tu savais que précisément cette nuit-la j'étais dans la chambre de ma concubine la plus éloignée... Tu étais tranquille, hein ?" "Mais non... non..." gémit Ami. "Toi, disparaît ! Je ne veux plus te voir." dit l'Empereur au jeune homme, qui ramasse ses vêtements et s'esquive en silence. "Quant à toi... tu mérites le mort." "Si tu ne me crois pas, ma mort sera douce, Puissant." "Non, je ne suis plus Puissant, pour toi. Je suis ton Empereur, ne l'oublie pas." "Pourquoi tu ne me tues pas ?" "Tu ne le mérites pas. Et je ne suis pas sanguinaire. Reste dans ta chambre. Tu sauras bientôt ce que j'ai décidé pour toi." Ami se prosterne à terre. "Seigneur, si tu ne me crois pas..." "Comment le pourrais-je ? Je vous ai surpris à faire l'amour." "Non, je venais de me réveiller... Dans l'obscurité, j'avais cru que c'était toi..." "Tu savais que j'étais avec ma concubine, tu as choisi les jours. Et tu sais que je n'aime pas faire l'amour dans le noir, pas avec toi." "Je venais de me réveiller, je n'ai pas eu le temps de me rendre compte... Il est entré ici..." "Tais-toi, Assez de mensonges, tu ne fais qu'aggraver ton cas." dit l'Empereur. "Questionne mes esclaves..." "Ce sont tes serviteurs, bien sûr qu'ils vont te protéger. Aie le bon goût de te taire, à présent." dit-il en sortant de la chambre. Dès qu'il est sorti Don et Midi entrent dans la chambre et courent auprès de leurs maître encore prosterné à terre, et le relèvent. "Que se passe-t-il, maître ? Que s'est-il passé ?" demande anxieusement Don. Ami le leur explique d'une voix cassée, et s'assied sur le lit. "Je ne comprends pas. Non, je ne comprends pas..." dit-il, décomposé. "Mais maître, n'est-ce pas étrange que ce jeune homme se soit glissé dans ton lit à l'instant précis où l'Empereur entrait ? Ou que l'Empereur soit entré exactement juste après que ce jeune homme se glisse dans ton lit ?" "Tu ne me crois pas non plus, Don ?" "Si, maître, je te crois. Je dis simplement que tout avait été préparé pour te faire surprendre par l'Empereur, pour te faire tomber en disgrâce." dit Don. "Oui, ça doit être ça." ajoute Midi. Ami comprend qu'ils ont raison. "Mais comme pourrais-je le prouver à l'Empereur ? Ils m'ont coincé. Ils m'ont détruit. Ciel avait raison. Je ne sais pas ce que décidera l'Empereur pour moi, mais je ne veux pas que ça vous entraîne aussi. Je vous donnerai une lettre pour Ciel où je lui demanderai de prendre soin de vous." "Nous ne t'abandonnerons pas. Tu es un bon maître. Ne t'inquiète pas pour nous." "Merci pour ces mots, mais vous ferez comme je vous l'ordonne." dit Ami, en mettant son pagne puis il va à son bureau préparer la lettre pour Ciel. "Voilà, demain matin, quand ils ouvriront les portes du palais, vous irez vite chez lui et vous l'avertirez de ce qui est arrivé." Il attend le matin sans dormir. À l'aube il fait partir Don et Midi et il attend encore. Quatre soldats arrivent: "Dernier Ami de la Lune, suis-nous." "Où me conduisez-vous ?" "L'Empereur a décidé que tu seras enfermé dans les cellules souterraines." "Très bien." dit Ami. Ils lui attachent les poignets et le conduisent dans les souterrains. Il est enfermé dans une cellule, et le bruit des lourdes barres de bois qui se ferment derrière de lui résonne tristement dans son cœur. Plusieurs jours se passent. On lui apporte régulièrement à manger, mais il n'arrive pas à savoir quoi que ce soit. Puis, un jour, arrive Beau Charmant. "Ami, j'ai appris par Ciel. Il a présenté une requête à l'Empereur, en expliquant comme ils t'ont coincé, mais malheureusement elle a été repoussée. Il n'a pas obtenu de pouvoir descendre te voir. Je suis vraiment désolé pour toi." "Sais-tu ce qui m'attend ?" "La chef des gardes de la prison dit qu'il a seulement ordre de ne pas te faire sortir d'ici, mais que tu ne manques de rien. Je crains que l'Empereur ne veuille... t'oublier ici. Pourquoi ne demandes-tu pas qu'on te donne au moins de quoi écrire ? Je viendrai te voir, mais ici ... le temps ne passera pas, si tu ne trouves pas une occupation." "Je voudrais mourir." "Non, ne dis pas ça. Tu es fort, ne te laisse pas abattre comme ça." "Il ne m'a pas cru ! Je croyais qu'il me connaissait. Toi, au moins, tu crois à mon innocence ?" "Oui, et Ciel aussi y croit, mais malheureusement... Nous ne t'oublions pas et si nous pouvons nous ferons ce que nous pourrons pour toi. Tu as beaucoup d'amis, ne l'oublie pas." Des mois passent. Il obtient d'avoir dans sa cellule des livres, son petit calendrier, des boîtes de couleurs, des feuilles. Ils ne le traitent pas mal. Mais il ne voit le soleil que par l'étroite fenêtre au plafond, juste quelques heures par jour. Beau Charmant vient une fois par semaine et lui raconte ce qui se passe dehors, il lui porte des messages de Ciel, Gazelle, Matin, Fleur et Lièvre, ainsi que de Don et de Midi. Tout cela aide Ami à se sentir un peu moins seul, mais la tristesse le consume à peu à peu. Il s'est mis à écrire un long poème dans lequel il raconte, sous forme d'allégorie, comme dans une fable, sa vie, ses pensées, ses souvenirs. Un jour Beau Charmant lui apporte une nouvelle. L'Empereur part vers le nord avec l'armée pour faire face à une invasion des peuples des terres chaudes. "Alors Ciel, Matin et moi devons partir à la guerre. Nous ne pourrons plus nous voir, je suis désolé. Le chef de la garde m'a promis qu'il veillera à ce que tu ne manques de rien et qu'il viendra te donner des nouvelles de temps en temps." "Bonne chance, Beau Charmant. Merci pour tout. Et que le dieu de la guerre vous protège, l'Empereur, toi, Ciel, Matin." "Tu pries encore pour l'Empereur ?" "Bien sûr. Je l'aime encore." "Pauvre Ami. Alors nous prierons pour toi. Adieu." "Au revoir." L'armée s'en va. Par le chef des gardes, Ami a de temps en temps des nouvelles. Un jour arrive un nouveau garde. Celui-ci parle avec Ami, en lui montrant de la sympathie et cela fait plaisir à Ami. Un jour, Lynx, le garde, il lui dit, "Ami, je ressens du désir pour toi." "Ce n'est pas possible." lui répond Ami, un peu étonné par cette déclaration inattendue. "Même si je ne peux pas ouvrir la grille, nous pouvons le faire à travers les barreaux... S'il venait quelqu'un, nous entendrions à temps la grille du haut s'ouvrir. Tu me plais, regarde ici comme je bande." dit-il en soulevant le devant de sa jupe et en lui montrant le pagne gonflé et tendu et en se caressant. "Ce n'est pas possible Lynx, j'appartiens à l'Empereur." "Mais il t'a rejeté comme une poterie cassée. Je... je te désire, Ami, beaucoup. Tu me plais. Je voudrais vraiment faire l'amour avec toi." "Je te remercie, tu me plais aussi beaucoup, mais j'appartiens à l'Empereur, je ne peux pas." "Mais il ne t'a pas cru." "Ça ne fait rien. C'est l'Empereur. Je lui appartiens." "Je suis désolé, Ami. Je te désire et ça m'aurait fait plaisir de pouvoir soulager un peu ta captivité. Je te désire beaucoup. Si par hasard, tu devais changer d'idée, dis-le-moi, nous pourrions nous caresser, nous embrasser, nous unir malgré les barreaux. Tu es très beau, Ami." "Merci." répond Ami avec un sourire. La guerre ne dure que trois mois et le peuple du Soleil est vainqueur. Ciel s'est distingué par plusieurs actes d'héroïsme, et une fois il a même sauvé la vie de l'Empereur. Beau Charmant a été blessé, mais il rentre vivant. Matin par contre est mort lors d'une bataille. C'est Beau Charmant qui apporte ces nouvelles à Ami. "Dans cinq jours il y aura un défilé de victoire et un rite spécial en remerciement au temple du dieu Soleil qui nous a guidés à la victoire. Et l'Empereur nous donnera les prix promis. Je pensais profiter de cette occasion pour demander à l'Empereur la clémence pour toi. Peut-être que, dans l'euphorie de la victoire..." "Je ne veux pas que tu risques de le contrarier à cause de moi." "Je le ferai volontiers." Le jour de la cérémonie au temple du Soleil l'Empereur commence à donner les récompenses à ses plus valeureux guerriers. Lorsqu'apparait Ciel, il lui donne le collier d'or des héros, une épée ciselée, une boîte de piastres d'or, puis il lui dit : "J'ai envers toi une dette personnelle de gratitude, mon valeureux Calme Ciel d'Automne. Alors tu mérites aussi un prix personnel, pas du trésor de l'état mais de mon trésor personnel. Dis moi, désires-tu quelque chose ?" "Oui, Hymne Puissant Chanté À l'Eternel Dieu Soleil, je désire une chose." "Bien, dis-le-moi." "Il y a quelque chose dans ton palais qui me plaît particulièrement." "Dis-moi ce que c'est et je t'en ferai don." répond l'Empereur avec un sourire. "C'est un jeune homme, il s'appelle Ami, et..." "Oui. D'accord, j'ai promis, je ne peux pas le nier. Le jeune homme est à toi. Mais tu devras le conduire hors de la capitale, il ne devra plus jamais y mettre le pied, je ne veux pas le voir. Ou je le ferai exécuter. Je te donnerai une lettre pour qu'il soit libéré." dit l'Empereur avec dureté et il le congédia d'un geste brusque. Ciel se retire avec une profonde révérence. Le lendemain, un messager lui apporte la lettre de l'empereur. Alors, avec Beau Charmant, Don et Midi, il se rend immédiatement à la prison et ils emmènent Ami. Celui-ci est ému. Ciel le conduit rapidement hors de la capitale, dans une auberge et il lui laisse Don et Midi. "Je dois arranger quelques affaires, et puis je reviendrai. Ne bouge pas d'ici, s'il te plait. Je suis responsable de toi, maintenant." "Je t'appartiens, c'est ça ?" dit Ami avec un doux sourire, "l'Empereur m'a offert à toi." "Vois-le comme tu veux, Ami. Pour moi, tu n'es pas un don. Tu es l'Est, je suis l'Ouest, tu ne te souviens plus ?" "Oui, excuse-moi." "Bon, alors à bientôt." Ciel revient après quelques jours. "J'ai obtenu de mon père ma part des biens. Nous irons là-haut, en montagne, là où je possède une petite vallée. Il y a là une petite maison. Provisoirement nous vivrons là. Mais je ferai construire une nouvelle maison, où tu pourras étudier et écrire." "De la prison à l'exil." dit Ami avec une douce tristesse. "Nous y vivrons ensemble. Je suis fatigué de la vie dans la capitale, j'en ai toujours rêvé. Nous deux et Gazelle et Fleur qui ont promis de venir nous retrouver, ainsi que Beau Charmant et Lièvre. Tous tes amis, tous nos amis." "Pourquoi fais-tu tout ça pour moi ?" "Oui, pourquoi ?" répond Ciel avec un sourire. Ils marchent toute la journée pour rejoindre la petite vallée. La maisonnette de pierre est rustique, composée d'une cuisine et de deux chambres. Ciel s'installe dans une chambre, Ami dans une autre et dans la cuisine ils mettent une paillasse pour Don et Midi. Pendant qu'Ami range ses quelques affaires, Ciel descend au village pour contacter les bâtisseurs. À leur retour, ils choisissent avec Ami l'endroit où ils vont faire construire la nouvelle maison et ils en dessinent les plans. Un petit jardin central où donnent les chambres d'Ami et de Ciel, deux chambres pour les hôtes et la salle. La chambre de Don et Midi, la cuisine, l'entrée et la réserve sont sur le quatrième côté. Hors de l'enceinte, il y aura le puits et, de l'autre côté, les bains et les toilettes, reliés à la maison par un passage couvert. Les hommes promettent de finir la construction avant le début de l'automne. Puis Ciel, de retour au village, fait aussi fabriquer le mobilier pour la maison, coffres, étagères, lits, sièges, tables, et il fait tisser couvertures, rideaux et tapis. "Tu dépenses une fortune." "Mon tribut de guerre, à part le collier et l'épée, plus une partie de ce que m'a donné mon père. Il en reste assez pour vivre cent ans. Pour manger, Midi et Don cultiveront le jardin, et nous irons chasser et pêcher. Tu verras que nous ne manquerons de rien et que tout ira bien. Au début de l'hiver, nous pourrons aller habiter dans la maison neuve." dit Ciel. Ami se sent attiré par Ciel mais à présent il a, encore plus honte qu'avant de le lui montrer. Ciel, de son côté, traite Ami avec attention, affection, mais il ne lui donne pas de signe d'éprouver quoi que ce soit de plus. Ami se dit plusieurs fois qu'il n'aurait pas dû accepter l'offre de l'Empereur. Peut-être serait-il à présent l'heureux amant de Ciel mais par contre... Il s'est laissé éblouir, brûler par le soleil... et il brûle encore, exactement comme le lui avait dit Ciel. Il est encore amoureux de l'Empereur pourtant il est aussi amoureux de Ciel. Et il n'a ni l'un ni l'autre. Gazelle et Fleur viennent les voir. La nouvelle maison de dresse à mi-hauteur et on en voit déjà le plan. Ils passent la journée à se promener dans les forêts qui entourent la vallée, puis ils mangent, plaisantent, comme à l'ancien temps. Puis, un soir, Ciel demande, "Bon, comment voulez-vous passer la nuit ? Qui de vous deux dort avec moi ?" "Avec toi ? Il ne manquerait plus que ça. Nous dormirons ensemble, et tu iras dormir avec Ami, non ?" "Si Ami est d'accord." répond Ciel en le regardant. "Oui, bien sûr... " dit le jeune homme, toutefois un peu troublé à la perspective. "Ami, je dois avoir oublié mon bracelet dans la maison en construction ! Ça t'ennuierait d'aller me le chercher ? dit Fleur tout à coup. "On le cherchera demain matin, non ?" dit Gazelle étonnée. "Non, je t'en prie, Ami, je le veux tout de suite. Tu sais combien j'y tiens, Gazelle, je ne pourrai pas à dormir en craignant de d'avoir perdu !" "Oui, j'y vais. C'est l'affaire d'un instant." dit Ami en prenant une lanterne et en sortant. Il est à peine sorti que Fleur sort le bracelet. "Il va chercher un moment. Je voulais rester seule avec toi Ciel. Tu aimes Ami, non ?" "Tu me le demandes ? Je l'aime depuis des années." "Justement. Cette nuit, vous dormirez ensemble. Dis-le-lui. Tu ne penses pas que c'est le moment ?" "Mais il... il aime l'Empereur, malgré tout. Il ne m'aime pas." "Ciel, oh Ciel !" dit Gazelle, "Il t'aime. Il s'est laissé fasciner par l'Empereur, peut-être en est-il aussi amoureux, en un sens, mais il t'aime depuis toujours. Et si, dès le début, tu lui avais déclaré ton amour, rien de tout cela ne serait arrivé, tu ne crois pas ?" "Je... je l'aime, bien sûr." "Dis-le-lui cette nuit, alors. Lui, il t'aime." "Pourquoi ne me l'a-t-il jamais dit ?" "Et pourquoi ne le lui as-tu jamais dit ? Si aucun de vous deux ne se décide... Et puis maintenant, après que tu l'as libéré, il lui est encore plus difficile de te le dire, tu ne le vois pas ? Alors tu dois te décider, une fois pour toutes !" Ami revient. "Je ne l'ai pas trouvé, je suis désolé. Peut-être que demain matin, quand il fera jour ..." dit-il avec regret. "Oui, bien sûr. Merci, quand même, Ami, tu es gentil. Bon, je me sens un peu fatiguée. On va dormir, Gazelle ?" "Oui. Bonne nuit, les amis." Les deux femmes se retirent dans la chambre de Ciel. Ce dernier demande, "Qu'est-ce qu'on fait, on y va aussi ?" "Oui. Mais nous serons un peu serrés, je pense. Veux-tu que je dorme par terre ?" lui demande Ami. "Non, pourquoi ? La nuit est fraîche, on se tiendra chaud." dit Ciel en cherchant à masquer son émotion. Ils enlèvent leur habit en laine et, vêtus de leur seul pagne, ils se glissent sous les couvertures. Ami, au contact du corps de Ciel, frisonne cherche à se pousser de côté. "Non, reste, ne t'écarte pas." dit Ciel en lui passant un bras autour du corps. "Ciel... comme ça... je vais..." "T'exciter? Moi aussi... Pourquoi ne m'enlèves-tu pas mon pagne..." "Tu le veux ?" demande Ami qui sent sa tête tourner. "Evidement, pas toi ?" "Je... Ce que tu veux, Ciel..." "Ami... je ne te demande pas... de me faire jouir. Je... ce que je voulais te dire... ce que je voulais te faire comprendre..." chuchote Ciel avec émotion en le caressant légèrement, "c'est que... je t'aime. Veux-tu devenir mon amant ?" "Oh... Ciel ! J'aimerais tant, mais..." "Mais ?" demande Ciel tendu, en craignant de l'entendre dire qu'il ne peut pas, qu'il en aime un autre... Mais Ami dit, "Je ne mérite pas ton amour. Je ne l'ai pas mérité, je n'ai pas su t'attendre, tu le sais bien." "Mais toi, tu m'aimes ?" "Je t'ai toujours aimé. D'abord je croyais vous aimer aussi bien toi que l'Empereur et j'étais perdu. Je l'aime encore, d'une certaine façon, mais lui, contrairement à toi, ne m'a pas cru, et maintenant je comprends que je t'aime... mais n'est-il pas trop tard ?" "Trop tard ? Jamais, si tu m'aimes. Je t'ai cru parce que je te connais. Je t'aime parce que je te connais." "Oui, maintenant je le comprends. Et tu m'as attendu pour toutes ces années. J'avais seize ans, j'en ai maintenant vingt-deux, presque vingt-trois." "C'est ma faute, j'ai trop attendu. Veux-tu enfin devenir mon amant ?" "Oui, oui, oui... oh oui !" dit Ami en éprouvant une grande envie de pleurer de bonheur. "Alors, pourquoi ne m'enlèves-tu pas mon pagne ?" dit Ciel avec douceur en commençant à lui dénouer le sien. "Je te serai fidèle, au prix de ma vie, Ciel." "Je sais. IL n'est pas nécessaire de nous dire ces choses-là, n'est-ce pas ?" dit Ciel en le caressant intimement et en commençant à l'embrasser avec passion. Ami s'agrippe à lui, et se rend compte que le bonheur qu'il éprouve est meilleur, infiniment plus fort que tout ce qu'il a déjà éprouvé lorsque Puissant le prenait ses bras. Oui, il appartient à Ciel, il lui a toujours appartenu, en réalité. Ils s'embrassent, s'étreignent, se caressent longuement, se disant avec tout leur corps ce qu'ils éprouvent l'un pour l'autre depuis le premier jour de leur rencontre, et qu'ils n'avaient jamais réussi à se dire. Ami comprend qu'il y a en Ciel la douceur de Roche, la sensualité et la force de Beau Charmant, la gaîté et la tendresse du pauvre Matin, le charme et la beauté de Puissant, le dévouement de Don et beaucoup, beaucoup plus. Oui, Ciel est vraiment son homme, son aimé, il est tout. Et quand enfin leurs corps s'unissent, Ami comprend que cette union est réelle, profonde, intime, complète, vraie, totale. Pendant que Ciel bouge joyeusement en lui, Ami comprend que oui, il a accueilli beaucoup d'hommes en lui mais que Ciel, et lui seul est le vrai maître de sa maison, son vrai roi, son vrai amant. Après de longues heures d'une union passionnée, ils atteignent le sommet du plaisir et se couchent enfin, langoureusement enlacés et comblés. "Es-tu heureux, Ami ?" "Oui, mon amour et toi, es-tu heureux ?" "Enormément. Je t'aime !" "Aussi moi, je t'adore." "Veux-tu te reposer, à présent, amour ?" "Et toi, Ciel ?" "Pas encore. Il est si beau de te serrer, de te caresser... de savoir qu'enfin tu es mien. Je n'arriverai jamais dormir, je suis trop heureux." "Embrasse-moi encore. Je te désire trop." "Moi aussi, mon amour. Qu'il est beau de s'unir avec toi. Quel fou j'ai été d'attendre si longtemps. Me le pardonneras-tu ?" "Te pardonner ? De quoi ? De m'avoir attendu six ans ? De m'avoir été fidèle alors que je ne l'étais pas avec toi ?" Ils se remettent à faire l'amour avec une tendre passion. Le matin suivant, en entendant leurs amies et les esclaves se lever, sans avoir dormi, mais se sentant pleins de vigueur, ils se lèvent aussi. Avant de rejoindre les autres dans la cuisine, Ciel lui dit, "Le leur annonçons-nous ?" "Evidemment." répond Ami rayonnant. Mais dès qu'ils mettent pied dans la cuisine, Don donne un coup de coude à Midi en lui montrant leurs deux visages radieux et Fleur s'exclame, "Et voilà, regardez, le soleil levant et le soleil couchant se sont rencontrés, les quatre points cardinaux n'existent plus, il n'y a plus que le resplendissant soleil de midi. L'amour et le sexe se sont enfin retrouvés !" "Oui, chers amis, exactement." dit Ciel exultant en prenant Ami par la taille. Ils le fêtent puis les deux amies les laissent. Ciel les accompagne jusqu'au village, car il a une commission urgente à faire. Un des lits qu'il avait commandé doit être plus grand, maintenant. Il rentre avec quelques amphores de bière et il en offre aussi à Don et Midi pour qu'ils fêtent le bonheur de leurs maîtres. La maison est prête pour la date prévue, du village on apporte mobilier et tissages et Don et Midi la meublent. Lorsqu'elle est prête, ils s'y installent en faisant une autre fête avec Beau Charmant, Lièvre, Fleur et Gazelle qui sont montés les voir pour l'occasion. Lièvre raconte que l'Empereur s'est trouvé un autre amant, un jeune fonctionnaire des magasins impériaux, mais il l'appelle chez lui à chaque fois qu'il le désire, qu'il ne le fait pas vivre dans la clôture de la résidence privée comme il avait fait avec Ami. L'hiver arrive. Les chambres en service, réchauffées de grands braséros, sont confortables. L'eau des bains aussi, est réchauffée dans des chaudrons appropriés qu'ils versent dans le grand bassin doublé de bois, puis ils se baignent tous les quatre ensemble pour économiser le bois. La neige arrive aussi, mais elle ne reste que quelques jours et ils jouent tous les quatre comme des enfants, surtout Midi qui vient d'une partie de l'empire où la neige abondante reste longtemps. Pour Don, par contre, ce n'est que la deuxième fois de sa vie qu'il la voit, parce que dans sa forêt il ne neige jamais, il ne fait jamais aussi froid, mais il est rouge et heureux, fasciné par le spectacle. Le printemps arrive et ils plantent le jardin à l'intérieur et devant la maison, jusqu'à la route qui conduit dans la vallée. Midi plante aussi le potager et Don se met à élever des dindons, si bien qu'ils ont toujours des œufs frais. La vie s'écoule, sereine et tranquille. Parfois Ciel et Ami descendent au village ou aussi à la petite ville au fond de la vallée, mais Ami ne dépasse jamais la limite qu'il s'est imposée. Chaque fois que Ciel va jusqu'à la capitale, il part une semaine, puisqu'il faut environ une journée et demie pour y aller et autant pour en revenir. Les amis continuent à venir leur rendre visite de temps à autre dans leur retraite montagneuse, qui devient un petit Éden. Les gens du village montent parfois à la "Maison des nobles" comme l'ont appelée les villageois, pour arranger quelque controverse ou demander un conseil, surtout à Ami, bien qu'il soit jeune, parce que la renommée de son savoir s'est répandue dans la vallée. Ami les reçoit dans la salle, où font belle figure l'armure de Ciel et le collier et le bandeau d'Ami. Les gens n'arrivent jamais à des mains vides, ils apportent des cadeaux. Ça fait deux ans qu'ils vivent sereinement dans leur nouvelle maison et leurs amour est fort et beau. C'est le milieu de l'été, Ciel vient de partir pour la capitale pour chercher des feuilles et des couleurs à Ami. En milieu d'après-midi éclate soudain un violent orage. Ami lit dans la salle, quand Don arrive hors d'haleine. "Maître, maître !" "Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qui se passe ?" demande Ami en voyant l'expression de l'esclave. "À la porte... il y a..." commence-t-il, mais dans cet instant Ami voit la silhouette qui traverse le jardin sous les trombes d'eau et il a un coup au cœur, il se lève et se prosterne à terre, quand l'Empereur entre dans la salle. "Heureusement que j'ai trouvé cette maison. J'attendrai ici qu'il cesse de pleuvoir." dit-il en regardant autour de lui. Ami n'a pas le courage de se relever. "Lève-toi et fais moi porter à boire par tes serviteurs." ordonne l'Empereur d'un ton autoritaire, mais à cet instant, il reconnaît l'armure de Ciel et, juste après, le bandeau et le collier d'Ami. "Ami ? Lève-toi..." dit-il d'une voix hésitante. Ami, en restant à genoux, fait signe à Don d'aller prendre les boissons et dit, "Ma maison est la tienne, Seigneur." "Ami ! C'est donc ici que tu vis, à présent ? Et avec Ciel de l'Aigle, je vois. Où donc est Ciel ?" "Il est parti ce matin pour la capitale, Seigneur." Don apporte une amphore de bière et la pose à côté de l'Empereur puis il se retire. Puissant boit. "Lève-toi, ne reste pas comme ça, tu es chez toi. Je vois que tu vas bien." "Merci, Seigneur." "Chaque fois que je te vois tu es plus beau. Quel est ton secret ?" demande-t-il en souriant. Ami ne répond pas, approche le plus beau siège de l'Empereur qui s'assied. "Assieds-toi aussi, Ami." dit-il. Ami obtempère. "Je chassais dans les environs avec la cour et j'ai été surpris par l'orage. On est bien ici, je resterais bien pour dormir. J'espère que ça ne te dérange pas." "Non, Seigneur. Veux-tu que te fasse préparer un repas ? Ici nous mangeons des choses simples, mais si tu aimes..." "Oui, merci. Ils viendront me chercher, je pense. Donne-moi des vêtements secs et fais sécher ceux-là." "À ton service, Seigneur." dit Ami. Ami tape dans ses mains et Don apparaît immédiatement. Il lui donne les ordres pour le dîner, pour les vêtements et de préparer la chambre des hôtes. Don revient avec un pagne et une jupe. L'Empereur se lève et là, devant Ami, il se déshabille complètement, enlève collier et bracelets, puis met le pagne et la jupe secs et se rassoit, en buvant un peu de bière. Ami n'a pas pu s'empêcher de le regarder et d'éprouver un frisson d'excitation à la vue du beau corps mâle qu'il a connu si intimement. L'Empereur s'en aperçoit. "Tu es vraiment beau, Ami. Et gentil. Je te remercie de l'hospitalité que tu m'offres, malgré tout." "Tu es mon Seigneur." "C'est la seule raison ? Te voir... a le pouvoir de rallumer mon ancienne flamme. Pourquoi ne me conduis-tu pas dans ta chambre, avant de dîner ?" demande-t-il avec un sourire tentateur. Ami se lève, tire de l'épée de l'équipement de Ciel et s'approche de l'Empereur. Ceux-ci se lève à son tour, alarmé, mais Ami s'agenouille devant lui et lui tend son épée. "Seigneur, personne n'a le droit de te dire non, tu es le maître du monde. Alors tue-moi, je te prie, pour que je ne sois pas obligé de te dire non." L'Empereur le regarde et lui demande, "Tu refuses donc ? Es-tu en colère contre moi ?" "Non, Seigneur." "Tu ne me désires pas ?" "Si, Seigneur, je te désire." "Alors je ne comprends pas." "Je suis l'amant de Ciel, je ne peux pas le trahir. Tue-moi, Seigneur." "Mais il n'est pas là. Il n'en saura rien." "Moi, je le saurai et je ne peux pas, Seigneur. Je suis à lui, à présent. Tu m'as donné à lui, en me libérant de la fidélité que je te devais." "Mais, Ami, comme tu m'avais trahi, alors, tu peux aussi au moins, à titre de compensation, le trahir avec moi, cette fois, non ?" "Seigneur, tu ne m'as pas cru, mais je ne t'ai pas trahi. Ce jeune homme avait été payé par quelqu'un pour que tu me surprennes avec lui. Par quelqu'un qui ne voulait pas de moi à tes côtés. Et il y a réussi. Je ne t'aurais jamais trahi, jamais. Et j'espérais que tu le savais, que tu me croirais, mais ce n'a pas été le cas." "Tu es vraiment disposé à mourir pour ne pas trahir l'homme que tu aimes ?" "Tue-moi, Seigneur. Je suis ici, prêt, à tes pieds." L'Empereur est visiblement ébranlé. "Oui... À présent que j'y repense... ils m'ont attendu à la sortie de la chambre de ma concubine pour m'avertir de ta trahison... Alors, tout était arrangé ? Tu n'en savais vraiment rien ?" "Je me suis réveillé en sentant un corps nu qui me touchait et tu es entré tout de suite après, Seigneur. Comme je t'ai dit... Le jeune homme mentait." "Et je ne t'ai pas cru... Je ne t'ai pas cru ! Quel fou j'ai été. Et je t'ai mis en prison et tu y serais encore si Ciel... Oh, Ami ! Ton Empereur te demande pardon, C'est Puissant, l'homme, qui te demande pardon. Quel aveugle j'ai été, si injuste." dit l'Empereur, troublé, en le faisant se relever.
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