LES HUIT LIVRES DU COLLIER D'OR |
CINQUIÈME LIVRE OÙ ON EXPLIQUE COMMENT AMI TERMINE L'ÉCOLE IMPÉRIALE AVEC LES MEILLEURES NOTES |
La fin de la deuxième année arrive. Ami gagne de nouveau toutes les compétitions dans toutes les matières. Puis, vient le jour de la remise des prix et de la visite de l'Empereur. Ami se prépare par un long bain et s'étale sur le corps l'huile parfumée à la discrète odeur musquée dont on lui à fait cadeau. Inconsciemment il veut faire belle figure quand il se présentera sur l'estrade en face de l'Empereur pour recevoir la nouvelle jupe et le bandeau. Belle figure, pas pour les autres, mais devant l'Empereur. Quand Ami paraît face à l'Empereur, celui-ci, après lui avoir donné les insignes, lui sourit et lui dit, "Ah, Dernier Ami de la Lune, je vois que tu as tenu tes promesses, tu ne m'as pas déçu. Je te félicite. Tes maîtres disent qu'ils n'ont jamais eu d'élève aussi accompli. Je vois aussi que tu as été adopté par le peuple de l'Aigle. Et que tu progresses bien. Je continuerai à avoir l'œil sur toi, ne me déçois pas." "Jamais." murmure instinctivement Ami, mais sachant que parler est un viol du protocole, il lance à l'Empereur un regard angoissé. L'Empereur lui sourit et chuchote, "Personne ne t'a entendu. Tu peux te retirer, maintenant." Ami retourne à sa place, confondu, ému. Il a senti une chaleur particulière dans les mots de l'Empereur, surtout après son erreur. Personne ne parle à l'Empereur s'il n'est pas expressément invité à le faire. Non seulement il n'était pas furieux contre lui, mais il lui a souri. Et il s'est rappelé que de l'année passée, il n'avait pas le collier de l'aigle. Il se rappelle vraiment de lui, il le tenait vraiment à l'œil. Le dieu sur terre a daigné poser son regard sur lui. Arrivera-t-il à ne pas le décevoir ? Cette fois, après la cérémonie, ses camarades ne se moquent pas de lui, mais Ami s'aperçoit qu'ils le traitent avec plus de réserve et une politesse formelle. Ils ont senti qu'il peut devenir quelqu'un, alors ils ne veulent pas le froisser, mais ils n'ont pas de sympathie pour lui. Ami en souffre un peu. Il aurait au moins voulu être en bons termes avec eux tous, à défaut d'être leur ami. Quand il le déplore devant ses amis, Ciel lui dit, "Quelle importance ? Tu es de notre côté, pas du leur. Ne t'en occupe pas. Tu n'as plus qu'un an à passer avec eux. Ils t'envient, c'est tout." "Oui, bien sûr, mais qu'est-ce que j'ai fait de mal ?" "Rien ! Tu as beaucoup de qualités, de bonnes manières qu'ils n'ont pas ou dont ils ne se servent pas. Ils ont mauvaise conscience. Ils voudraient pouvoir vivre leurs petites vies tranquilles et avoir les prix que tu gagnes mais ils savent que ce n'est pas possible. Ta seule présence le leur rappelle. La médiocrité se nourrit de la médiocrité, l'excellence les gêne, c'est une épine dans leur talon." dit Gazelle. "Mais il n'y a pas de médiocrité dans mes camarades, ils sont tous très bons," proteste Ami. "Mais ils pourraient être meilleurs et ils ne le sont pas. C'est ça, leur médiocrité." répond Gazelle. Un jour, lors des congés de printemps, Ami est dans le bassin des étudiants. Il est seul. Comme d'habitude, peu d'étudiants sont restés. Ce n'est pas l'animation des jours d'école. Ami aime ce calme dans la grande salle et il a le bassin pour lui seul. Il s'est lavé et maintenant il se détend dans l'eau tiède légèrement parfumée. Entre un garçon à l'air timide portant la jupe blanche des nouveaux admis. "Puis-je me baigner ?" demande-t-il en utilisant la langue fleurie avec un fort accent du peuple de l'Arbre. "Bien sûr. Commence par te laver là, et puis tu pourras venir te détendre ici, dans le grand bassin." "Merci." répond le garçon. Il retire les deux carrés de la jupe, dénoue son long pagne blanc, le replie soigneusement et commence à se laver en silence. Puis, rincé, il entre dans le grand bassin. "Je m'appelle Ami, et toi ?" "Petit Lièvre... C'est-à-dire, je m'appelle Lièvre au Manteau Blanc Comme Neige." "Alors mieux vaut que tu dises Lièvre, ici, ou resteras un Petit Lièvre jusqu'à soixante ans." lui dit Ami avec un sourire. "En quelle année es-tu?" "J'entre en troisième année. Mais rappelle-toi, les novices n'ont pas droit de parler les premiers aux anciens." "Excuse-moi, je ne le savais pas." "Tant qu'il n'y a personne d'autre, ce n'est pas grave. Quel âge as-tu ?" "Quinze ans." "Ah, moi dix-huit. Tu es jeune. D'habitude on entre ici à seize ou dix-sept ans. Tu dois être très bon." "Je ne sais pas, je suis ici pour apprendre." "Et si tu t'appliques, tu apprendras beaucoup de choses intéressantes, et tu verras l'Empereur." "L'Empereur ? De près ?" "Comme moi et toi maintenant, si tu gagnes au moins quelques unes des compétitions de fin d'année." Lièvre pose d'autres questions auxquelles Ami répond de bon gré, puis il sort du bassin en le remerciant, se sèche, se rhabille et quitte les bains. J'étais comme ça, il y a deux ans... pense Ami avec bonne humeur. À son tour, il sort de l'eau, se sèche, ne remet que son pagne et, la jupe posée sur l'épaule, il remonte vers sa cellule. En entrant, il voit Beau Charmant assis sur son lit. "Que fais-tu ici ? Je t'ai dit que je ne voulais plus te voir. Sors." lui dit-il décidé. "Je voulais te voir. Tu sais, à cette période, c'est facile d'entrer." "Sors ou j'appelle le gardien." "Je lui ai donné assez des piastres pour le rendre sourd, aveugle et muet. Il sait qu'il y aura peut-être du bruit, je l'ai prévenu. Il m'a juste dit de faire à mon aise. C'est un homme du monde." "Va-t-en !" "Oh non." dit Beau Charmant et d'un bond il saisit Ami qui cherche de sortir, le traîne jusqu'au lit en dénouant son pagne. "Viens ici, Ami... tu sais que tu aimes ça..." lui dit-il en le caressant de la façon qui l'excite. Son corps, même s'il ne le veut pas, le trahit et répond tout de suite aux savantes stimulations. "Tu vois ?" dit triomphant le soldat en se déshabillant rapidement. "Je ne veux pas..." "Vraiment ? Celle-là ne ment pas !" dit Beau Charmant en lui serrant légèrement le membre gonflé. Ami lutte un peu, mais il sent sa détermination l'abandonner au fur et à mesure que l'excitation augmente. Beau Charmant le serre contre lui dans ses bras puissants, l'embrasse sur la bouche et en même temps, il lui glisse un doigt dans le derrière. Ami cède d'un coup. Il déshabille le soldat, l'embrasse, le lèche, le caresse, le suce sur tout le corps, comme en délire. Il se déteste, mais il n'arrive pas à se retenir. Il veut s'unir à ce corps qui dégage un tel érotisme animal. Il y a trop longtemps qu'il n'a pas fait l'amour et il en ressent l'urgence. Beau Charmant le place sous lui, lui prend les jambes et les place sur ses épaules. Ami se prépare à l'acte final en attendant plein de désir l'union de leurs corps. Beau Charmant bande ses muscles et commence à le pénétrer, glisse triomphalement en lui quand, derrière la porte, une voix appelle. "Ami ? Je peux entrer ? C'est Lièvre..." "Non !" dit Ami en cherchant à se dégager de sous l'autre, mais Beau Charmant l'immobilise. "Qui c'est ?" lui demande-t-il dans un souffle. "Un nouveau, un gamin." "Fais-le entrer." "Non." Beau Charmant lui couvre la bouche d'une main et dit à haute voix, "Entre !" et il finit de pénétrer Ami d'un coup vigoureux. Lièvre entre avec un sourire timide et quand il voit les deux sur le lit, il s'arrête interdit en rougissant. "Excusez-moi, j'ai mal compris, je suis désolé." bégaye-t-il, confondu. "Non, ça va bien. Viens plutôt ici." lui dit Beau Charmant avec un sourire accueillant, tout en gardant une main posée sur la bouche d'Ami et en le pompant lentement. "Approche. Sais-tu ce que je lui fais ?" "Oui, bien sûr, donc je crois que..." "Tu l'as déjà fait ?" "Moi ?" demande le garçon effaré. "Oui, toi, Lièvre. Approche." Lièvre, comme en transe, approche. Beau Charmant le prend par un bras. "Déshabille-toi, monte sur le lit avec nous, il y en a aussi pour toi. Tu es un beau garçon." dit le soldat. Ami a fermé les yeux. Il voudrait rentrer sous terre. Beau Charmant caresse Lièvre d'une main et le garçon, un peu pour les caresses, un peu pour la scène qu'il a sous les yeux, s'excite rapidement. "Déshabille-toi, Lièvre." insiste le soldat tout en continuant à pistonner Ami. Lièvre obéit. Beau Charmant le fait monter sur le lit pendant qu'il continue à prendre Ami, il guide et instruit le garçon à sucer le membre d'Ami et Lièvre le fait, maladroitement, mais avec un plaisir évident. Peu après le soldat laisse Ami et pénètre Lièvre. Le gamin a une grimace de douleur, mais il continue à sucer voracement son camarade et ne cherche pas à échapper au soldat. Ami se met à son tour à sucer le membre dur et tendu du gamin, qui gémit à présent sans s'arrêter, en proie au plaisir. Il se rend compte qui le soldat cherche à se contrôler pour ne pas faire trop mal au gamin dont il vient de prendre la virginité. Lièvre s'agite entre leurs corps, en proie à un plaisir croissant. Quand Beau Charmant a joui, il se rhabille et part sans rien dire, laissant les deux garçons nus sur le lit. Ami descend du lit et dit d'un ton sec à Lièvre : "Rhabille-toi !" Le garçon s'exécute. "Tu es fâché contre moi ?" "Non." "J'aurais dû partir, ne pas m'immiscer entre toi et ton amant, c'est ça ?" "C'est pas mon amant." dit Ami et, sur un coup de tête, il raconte à Lièvre toute l'histoire de sa relation avec Beau Charmant. À la fin, le gamin lui demande, "Mais si physiquement il te plaît tant, pourquoi veux-tu arrêter ? Je ne comprends pas. Moi, à ta place, un gars comme ça..." "Parce que je suis tombé amoureux d'un autre homme, voilà pourquoi." "Tombé amoureux ? Deux hommes peuvent tomber amoureux ?" "Bien sûr." "Mais comment ?" "Comme n'importe quel couple ! L'autre devient si important pour toi que tu ne veux vivre que pour lui, qu'il est plus important que toi-même." "Mais c'est de l'amitié !" "L'amitié à un degré absolu, oui, et puis en plus le désir de s'unir aussi physiquement. Un amour complet." "J'ai eu des amis comme ça, mais nous n'avons jamais faits l'amour." "Amour sans sexe et sexe sans amour, hein ?" demande Ami en souriant. "Comment ?" "Rien. Le jour où tu trouveras qu'amour et sexe peuvent se trouver dans la même personne, tu seras un adulte, Lièvre. Je crois que je le deviens, alors je ne veux plus faire l'amour avec Beau Charmant." "Mais moi, ça me plairait, par contre, de le faire de nouveau avec lui." dit timidement le gamin et il rougit. "Je crois que tu lui plais. Si tu veux le revoir, je peux te dire où et comment. Et peut-être qu'il renoncera enfin à moi." "C'est vrai ? Tu ferais ce qu'il faut pour que je le revoie ?" "Volontiers." "Et n'es-tu pas furieux contre moi ?" "Pas du tout." "Et puis... j'ai bien aimé avec toi aussi." dit timidement Lièvre. "Oublie-moi. Restons-nous seulement amis, veux-tu ?" "Bien sûr, Ami, merci. Tu es mon premier ami ici à la capitale. Je me sens moins seul, maintenant." Lièvre devient ainsi l'amant de Beau Charmant. Un jour ce dernier, rencontre Ami dans la rue. "Hé." l'apostrophe-t-il. "Salut, Beau Charmant. Je suis pressé." "Je veux seulement te parler." "Seulement ?" "Seulement, parole d'honneur. Nous pouvons nous promener ensemble. Tu ne risques rien, ainsi, d'accord ?" lui dit-il d'un ton sarcastique. "D'accord." répond Ami. "Tu m'as vraiment laissé tomber, cette fois-là, hein ?" "J'avais essayé de te le faire comprendre avant." "Lièvre me plaît. Il n'est pas toi, mais il est plein de chaleur. Mais tu... tu es étrange, laisses-moi te le dire." "Étrange ? Moi ?" "Oui. Tu me désires, encore maintenant, je le sens. Mais tu te crois supérieur à moi, Rien que parce que je ne sais ni lire ni écrire, que je ne sais pas comme toi dire de belles choses. Tu aurais voulu des choses que je ne savais pas, que je ne pouvais pas te donner, même si je l'avais voulu. Ne me crois pas si bête." "Je n'ai jamais pensé ça." dit Ami, un peu étonné de la sensibilité qu'il montre. "Non ? Tu n'as jamais vu en moi qu'un animal de monte, je le sais. Et ça m'a fait mal. Tu es égoïste, impitoyable. Je te plaisais juste pour baiser, quand que tu en avais envie. Et tu m'as reproché de ne pas penser à ce que tu pouvais désirer. Ah, tu sais bien jouer sur les mots. Tu sais manipuler les autres. Tu feras ton chemin." "Je ne t'ai jamais manipulé, je n'ai jamais voulu t'utiliser." "Non ? En es-tu sûr ? Alors tu me fais encore plus pitié. Lièvre est un garçon sain. Il annonce clairement ce qu'il pense, ce qu'il éprouve, ce qu'il ressent. Et j'aime ça. Je n'ai jamais pu voir ça en toi. Qui peut dire pourquoi tu m'attirais autant ? Et pourquoi c'est encore le cas ?" Ami est troublé par les mots de Beau Charmant, il ne sait que dire. Le soldat continue. "Tu dis que tu es amoureux d'un autre homme, que tu n'as jamais fait l'amour avec lui mais que tu le préfères à moi ? Qu'est-ce qu'il a ? De l'argent ? Il est noble ? Il a du charme ?... C'est ton protecteur, c'est ça ? Il t'emmène dans le grand monde, il te fait te sentir important. Mais il ne te donne pas ce que je te donnais, pas vrai ? Tu es mesquin, Ami, tu n'es qu'un arriviste. Tu feras ta route, bien sûr, comme tous les arrivistes. Mais le jour viendra où nous ferons nos comptes, toi et moi. Et alors..." "Tu me détestes ?" "Non, tu ne le mérites même pas. Bonne chance, Ami. J'espère que tu n'auras jamais à te repentir de ce que tu fais, de ce que tu es. Et merci pour Lièvre : je te suis reconnaissant pour lui.. Avec lui je m'entends bien, il me fait me sentir un être humain, pas comme avec toi. Ah, et puis, j'oubliais. Ça, c'est quand même à toi. Si ça ne t'intéresse pas, tu peux bien le jeter. Moi, il ne m'intéresse plus." lui dit-il et il lui jeta en main un paquet et il partit. Ami reste planté là, en pleine rue, le paquet à la main. Il sait déjà ce qu'il contient. C'est la plaque en or qu'avait fait faire Beau Charmant juste pour lui. Il rentre à l'école, dans sa cellule. Il pose le petit paquet sans l'ouvrir et se jette sur son lit. Il a envie de pleurer, mais il n'y arrive pas. Les mots de Beau Charmant résonnent dans sa tête, l'un après l'autre, et le troublent profondément. Il se rend compte qu'il mérite sans doute la colère du jeune homme, mais... ce qu'il lui a dit est-il vrai ? Il essaie de ne plus y penser, de se plonger dans les études, mais ces accusations continuent à tourner dans sa tête, implacables, jour après jour. Il n'arrive pas à les oublier. N'est-il vraiment qu'un égoïste, un arriviste ? Ciel ne l'intéresse-il vraiment que parce qu'il est d'une classe supérieure et que grâce à Ciel il a maintenant des amis nobles ? Serait-ce pour ça qu'il n'est pas sympathique à ses camarades ? En effets, en deux ans, à part Lièvre, il n'a lié d'amitié avec aucun de ceux provenant des plus humbles classes sociales dont il vient lui-même. Il se met à tourner dans les quartiers de la ville basse. Mais ce n'est pas ainsi qu'on peut lier des amitiés avec les gens. Lorsqu'ils voient qu'il est un "noble étudiant" ils le traitent avec déférence et réserve. Déférence qui ne lui avait jamais pesée jusqu'alors, mais qui l'embarrasse à présent. Il est dans le quartier des artisans lorsqu'il voit la boutique d'un sculpteur de calendriers. Il est attiré par la beauté de quelques œuvres et s'arrête pour les regarder. Des calendriers muraux énormes, en pierre colorée, des calendriers en pierres dures marquetés ou de mosaïque, des calendriers portables en métal précieux repoussé ou gravé. Le faiseur de calendriers est un jeune homme dans les trente ans. "Noble étudiant, désires-tu un calendrier ?" "Je ne peux pas encore me le permettre, malheureusement. Mais tes calendriers sont vraiment beaux !" "Nous travaillons pour les temples et pour la noblesse. Mon père a aussi fait un calendrier pour le précédent Empereur." dit fièrement l'artisan. "Puis-je regarder, même si je n'achète pas ?" "Bien sûr. Sans problème." répond l'homme avec un sourire. Dans un coin de la boutique, sur un plateau, Ami voit quelques petits calendriers de métal différents de tous les autres. Ils sont faits de cercles concentriques articulés en leur centre, qu'on peut faire tourner et positionner de différentes façons. Il en prend un en main, l'étudie et il voit qu'il peut aligner l'ère, l'année, le mois et le jour de façon à composer n'importe quel date, et aussi celle d'aujourd'hui. "Fantastique, ce calendrier ! Je n'ai jamais vu rien de tel ! Il est très pratique, autant pour qui étudie l'histoire que pour celui qui doit trouver les jours fastes et néfastes. Il épargne bien des calculs et bien du temps !" s'exclame Ami avec admiration. L'homme sourit. "Ça me fait plaisir que tu apprécies mon travail." "L'as-tu inventé ?" "Oui, il y a environ trois ans." "C'est vraiment remarquable. Et avec ces signes abrégés, il est petit, maniable comme un pendentif ! Tu dois en vendre beaucoup !" "Non, malheureusement. Les prêtres ne l'apprécient pas, car il n'est pas conforme à la tradition, et ils ne l'ont pas approuvé. Ils disent que ce n'est pas un vrai calendrier. En trois ans je n'en ai vendu que cinq." "Mais bien sûr que c'est un vrai calendrier ! Et bien plus pratique et utile que les habituels." "Mais tu sais, les gens qui connaissent et savent employer les calendriers achètent les calendriers identiques à ceux qu'on voit dans les temples. Ainsi, ce qui me semblait une idée pratique, intelligente, n'est pas passé. Les gens veulent les calendriers illustrés. Celui-là, dans lequel je n'ai employé que les abréviations phonétiques, n'attire personne. Le peu que j'ai vendu, a été pris plus en jouet ou en pendentif que comme calendrier. Tu es le premier qui les comprend vraiment, qui les apprécie. En veux-tu un ?" "J'aimerais bien, mais combien coûtent-ils ?" demande Ami. "Je les vendais pour trois piastres, mais pour toi le coût du métal, une demi-piastre, suffira. Et tu peux choisir celui qui te plaît le plus. Les autres, je ne les vendrai pas." "Une demi-piastre ? C'est vraiment peu. Voilà pour toi." "Lequel veux-tu ? Choisis." "Celui-là, le plus petit. Comme ça, je le porterai toujours sur moi. Il me sera très utile pour mes études. Je te suis vraiment reconnaissant." "C'est moi qui te suis reconnaissant, tu m'as fais plaisir en appréciant mon travail." Ami accroche le petit calendrier mobile à sa jupe. Il remercie l'artisan et continue à déambuler devant les boutiques. À un moment, il remarque un prêtre qui l'observe. Il lui fait un signe de salut. Le prêtre s'approche alors et, montrant le calendrier, il lui dit avec un air de sévère reproche : "Je suis surpris qu'un noble étudiant emploie un calendrier non approuvé ! Ils devraient en prohiber la vente !" Ami comprend qu'il est inutile de discuter et alors, en prenant un air étonné, il dit, "Un calendrier ? Ce n'est qu'un amusant pendentif bon marché, grand prêtre." "Ah, je pensais... Le calendrier est un don de dieu et il ne doit pas être changé. Les nouveautés sont dangereuses." "C'est vrai." "Les choses justes sont immuables, rappelle-le toi toujours, garçon." "C'est vrai." répète Ami un peu ennuyé par le sermon du prêtre. "Chaque changement, chaque nouveauté, est source de désordre." "Ils construisent un nouveau temple en limite nord de la ville, j'ai entendu dire." dit Ami avec une trace de malice. "Ah oui, le temple du dieu de la Pluie." "Est-il vrai qu'il n'aura que quatre terrasses et n'aura pas de cellule au sommet ?" demande Ami en s'amusant. "Oui, c'est vrai. Il n'aura pas la cellule pour que tout endroit soit mouillé par la pluie et quatre niveaux pour rappeler des quatre créations précédentes. Le cinquième niveau est la terre de cette création." "Ah, intéressant. Dans mon pays nous avions un temple de la pluie, mais il avait cinq niveaux et une cellule." "Ah, mon jeune ami, la théologie évolue." "Ah, elle évolue." dit Ami avec un sourire un peu ironique, "Toutes les nouveautés ne sont pas mauvaises, alors ?" "Oh, mais ce ne sont pas des nouveautés. Ne saisis-tu pas la différence ? Non, bien sûr, tu es si jeune !" répond le prêtre un peu hésitant, puis il se hâte de le saluer et de s'en aller. Stupide et obtus ! pense Ami, amusé. Il reprend sa promenade quand il rencontre Fleur. "Hé, Est !" la salue-t-il. "Salut Nord, que fais-tu dans ce quartier ?" "J'allais chez mon fournisseur de pommades. Veux-tu m'accompagner ?" "Volontiers." "Je te trouve pensif, Ami." "Oui, j'ai quelques soucis." "Lesquels ?" "J'étais venu ici pour m'amuser." "Ah, tu dois avoir des idées vraiment importunes, si tu as même renoncé à étudier et si tu veux te distraire. Tu ne veux pas en parler à ton amie Fleur ?" "Si, peut-être. Mais allons d'abord acheter tes pommades." C'est la première fois qu'Ami entre dans la boutique d'un fabricant de pommades. Un plaisant mélange d'indéfinissables odeurs imprègne l'air. Des employés broient différents ingrédients, passent des poudres au crible, les mélangent aux huiles et aux crèmes, filtrent le mélange dans un joyeux bavardage assourdi. Dans un coin, une femme âgée sent, teste, essaye les produits et les renvoie parfois en arrière pour qu'on y ajoute un ingrédient ou les donne à d'autres employées pour remplir de minuscules vases, de petites boîtes ou de petites amphores, qu'elles rangent ensuite en bon ordre sur les étagères de la boutique. Sans hésiter, Fleur passe sa commande. Quand elle a fait son choix, le propriétaire de la boutique prend une boîte en bois à huit compartiments et y range les minuscules fioles choisies par Fleur. "Le noble étudiant n'achète pas quelques pommades ? Nous en avons aussi d'excellentes pour les hommes." lui dit-il. "Oui, choisis-en quatre à ton goût, je te les offre !" dit Fleur gaiement. Deux ou trois fois, Ami refuse par gentillesse, mais il finit par accepter. "Noble étudiant, si je peux te conseiller..." dit l'homme. À la fin Ami a choisi un baume pour le matin, frais, au parfum un peu acide, un pour l'après-midi, suave, au parfum doux-amer, un pour le soir, musqué et mystérieux et un pour les instants de fatigue, légèrement astringent mais délicat. Pour lui, le commerçant prépare une boîte de bois à quatre compartiments. Avec leurs achats, ils sortent de la boutique. "Alors ?" demande Fleur. "Merci pour les pommades." "Oui. Et ensuite ?" insiste la femme. "C'est une histoire longue et compliquée, je ne sais pas par où commencer." "Par le début, non ?" dit tranquillement Fleur. Alors Ami lui raconte son histoire avec Beau Charmant, de la rencontre à la fin jusqu'à leur dernière rencontre quelques jours auparavant. Fleur écoute en hochant la tête. Puis elle dit : "Mon garçon, en cela, les hommes et les femmes ne sont parfois pas différents. Celui qui se sent rejeté reporte la faute sur l'autre pour ne pas se sentir en faute. Toi, un profiteur ? Je ne l'ai jamais pensé, je ne le pense pas. Si c'était le cas, ne penses-tu pas que nous serions les premiers à nous en apercevoir ? Toi, égoïste ? Peut-être, mais certainement moins que la moyenne des gens que je connais. Tu ne nous as jamais rien demandé pour toi, tu ne nous as jamais montrés que tu ne pensais qu'à toi, ni pour toi. Si Beau Machin Chose n'était pas la personne qu'il te faut, il est normal que tu aies voulu rompre, je crois." "Oui, mais tant que ça me plaisait, j'allais le chercher. Et quand je n'ai plus aimé, je l'ai renvoyé." "D'après moi, tant que tu n'avais pas les idées claires, tu as subi son charme, mais tu as mûri, et en t'apercevant que tu désirais autre chose, bien qu'il te plaise physiquement, tu as renoncé à lui. Tu vois, chaque chose peut être vue des deux côtés, pas vrai ?" "Fleur, tu ne me dis ça que parce que je suis ton ami, pour que je me calme." "Tu devrais assez me connaître, à présent. Je dis ce que je pense même si parfois ça tombe mal. Et tu sais que je n'ai jamais été douée pour la diplomatie. Et je n'offrirais jamais quatre excellents baumes à un profiteur opportuniste. Et puis, le fait même que tu te poses ces questions, prouve que tu ne l'es pas. Et enfin, je ne crois pas que tu serais si important pour Ciel si tu n'étais pas un garçon exceptionnel. Ciel est un type difficile, pointilleux, exigeant, tu le sais bien. Non, vraiment, à ta place je hausserais les épaules et j'oublierais ces ridicules accusations." Ami est rassuré et reprend ses études de bonne humeur. Même Lièvre, avec qui il est resté ami, contribue à dissiper ce problème : "Beau Charmant est un type simple, il voit tout en deux dimensions. Vrai ou faux, bon ou mauvais, beau ou laid, avec moi ou contre de moi. Il n'est pas méchant, mais tu ne dois pas donner trop de poids aux mots qu'il t'a lancé." "Tu es bien avec lui ?" "Oui, très. Nous nous attachons. Non, pas en tombant amoureux, du moins pas pour l'instant. Mais peut-être que, grâce au fait qu'il t'a perdu, il est maintenant plus attentif à ce que je sois heureux avec lui. Cette fois-là où... euh, nous l'avons fait à trois, j'ai eu de la chance, mais à présent, lui aussi il comprend qu'il a eu tort." "Les erreurs aussi, alors, peuvent apporter de bonnes choses." "Bien sûr. Parce que rien n'est jamais ou tout bon ou tout mauvais, non ?" "Tu es plus jeune que moi, mais plus sage." lui dit Ami avec un sourire. "Oh... sage. J'essaie de comprendre les choses, simplement." répond le garçon, modeste. L'examen de troisième année est le plus difficile de tous, puisque les questions portent sur le programme des trois ans. Ami s'y prépare donc avec un soin particulier. Tout l'hiver, serré auprès de la chaufferette, il révise, relit, répète, vérifie, et utilise aussi son minuscule calendrier mobile. Lorsqu'il ressent de la fatigue il utilise le baume que lui a offert Fleur, qui lui apporte vraiment force et résistance. Sa cellule est pleine de dessins accrochés aux murs, où Ami a écrit d'une belle calligraphie pour s'entraîner à l'écriture. Et enfin il prépare son discours de diplôme, en cherchant à employer au mieux les possibilités de la langue fleurie, en choisissant des expressions classiques dans les poésies, les discours, les chroniques, les mythes et les hymnes. Le discours aussi est écrit et réécrit jusqu'à ce qu'il en soit satisfait y compris dans son aspect graphique. Quand arrivent les jours d'examen, Ami est sûr de lui et prêt pour les derniers efforts. Le premier jour les prêtres du temple du Soleil le questionnent sur les mythes, et après une méticuleuse série de questions, ils le déclarent victorieux. Le deuxième jour, les analystes de la cour le questionnent sur les chroniques, en lui faisant même préciser chaque détail, et Ami répond par des exposés exhaustifs dans un beau style, si bien qu'il est encore le premier. Le troisième jour, les chantres des cinq temples secondaires de la capitale lui demandent quels chants, et avec quels accompagnements, on doit chanter lors des fêtes secondaires et Ami ne fait pas une erreur et est jugé le meilleur de tous. Le quatrième jour les poètes de la cour le questionnent sur les chants de guerre, sur les poèmes de mariages, de naissances, sur les chants des fleurs, sur les chants des objets, sur les chants de la boisson et sur les poèmes d'amour et Ami les étonne par sa parfaite maîtrise, sa grâce et la belle voix de laquelle il les déclame, si bien qu'ils lui accordent la victoire. Le cinquième jour les narrateurs des sept quartiers de la capitale le questionnent sur les récits comiques, sur les discours célèbres, sur les fables et ils le défient de créer des jeux de mots et ils s'amusent tant qu'ils le proclament victorieux. Le sixième jour, face aux chefs de famille des anciennes familles du peuple du Soleil, parmi lesquelles le père de Ciel, il déclame le discours qu'il a intitulé, "Trois ans d'étude et le désir de recommencer." Seul le père de son ami Ciel, comme Ami fait partie du Peuple de l'Aigle, ne vote pas, par correction. Une fois encore, Ami reçoit la note maximum pour son discours. Le septième jour il doit écrire sous la dictée, calculer sur le calendrier divinatoire les jours fastes et néfastes pour diverses activités, composer par écrit une balade sur un thème tiré au hasard, reconnaître douze types de fleurs, douze types de parfums, douze plumes d'oiseaux. Et dans ces épreuves aussi, il recueille le maximum de points, même en ayant fait quelques erreurs. Arrive alors le jour de la visite impériale et de l'ultime remise des prix. L'Empereur, cette fois, l'appelle en premier. Il lui enlève personnellement le tablier rouge avec le soleil aux yeux et la bouche ouverts et le ceint du tablier bleu avec le soleil d'or sur le carré antérieur et l'aigle d'argent sur le carré postérieur, puis il lui pose sur la tête le bandeau avec les plumes de toutes épreuves gagnées. "Dernier Ami de la Lune, te je déclare le champion de l'école impériale, et le champion de ces treize dernières années. Je suis fier de toi. Si cette école n'avait été ouverte que pour toi, ce serait déjà un motif suffisant. Je te désigne du doigt à tous les élèves à titre d'exemple et de modèle. Et je te donne ce bracelet qui te donnera le droit d'entrer à la cour pour n'importe quelle cérémonie officielle. Enfin, au vu de ton exceptionnelle valeur, je t'envoie visiter toutes les provinces et les peuples de l'empire, hôte des Gouverneurs et des Nomes. Ton voyage commencera après la prochaine fête du Jour Croissant et tu devras être de retour pour la fête du Soleil Naissant de l'an prochain. Ainsi en ai-je décidé, ainsi je te commande, ainsi soit ta voie !" Ami est profondément ému, pas tant par l'exceptionnelle récompense, mais par la proximité de l'Empereur et par le fait qui ce dernier, pendant qu'il lui parle, lui tient les mains entre les siennes. Il se sent prêt à tout pour son Empereur et pense que jamais il n'a connu un homme d'un tel charme, d'une telle beauté et d'une telle sensualité. Oui, il l'aime, l'aime de tout son être. Ciel, après la cérémonie, passe le prendre et le conduit chez lui, après avoir envoyé quelques esclaves prendre toutes ses affaires dans la cellule qu'il doit quitter. Ami offre quelques affaires à Lièvre, et, avec une certaine nostalgie, il quitte l'école dans laquelle a vécu pendant trois ans et s'établit provisoirement, en attendant de commencer son voyage, dans la maison de Ciel. Celui-ci, avec les amis, donne une grande fête où Ami peut enfin boire de la bière à volonté, si bien qu'à la fin il est complètement ivre et que les amis doivent l'emmener à maison presque comme un paquet. Ciel, après l'avoir déshabillé, le met au lit et le couvre avec soin en lui remontant le drap sur les épaules. "Je suis vraiment irv... vriv... ivre, hein ?" dit Ami en se sentant un peu honteux. "N'étais-ce pas ce qu'il fallait faire ? Dors à présent, demain, tu verras, ça ira mieux." "Tu t'en vas ? Tu me laisses seul ? Je prue... mue... pue trop la bière ?" demande Ami. "Non, c'est juste que j'ai besoin de dormir. Même si tiens mieux l'alcool que toi, j'en ai bu beaucoup moi aussi." dit Ciel en lui donnant un léger baiser sur les lèvres. "Embrasse-moi encore..." demande Ami d'une voix incertaine, mais avant que son ami puisse le faire, il tombe profondément endormi. Ciel sourit en faisant non de la tête, il lui donne un autre léger baiser sur les lèvres, caresse tendrement sa joue et le quitte en se retirant dans sa chambre.
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