LA COMMUNE LIBRE DE SYLVANA | CHAPITRE 3 |
F - La Justissime et Sérénissime Commune de Sylvana. La première guerre de la Commune : la liberté.
En 4 Fe XLVII (1099) sous la régence de Cheval et la capitainerie de Maigre furent construits les châteaux de Doux-Soleil et Montagne, achevée la muraille qui unissait les quatre châteaux, et entamés les travaux de la Porte-Belle et la volée d'escalier qui de là montait à Champfleury. Il y eu aussi une reprise des Statuts. Le 1/4/3 Fe XLVII (1103) est promulguée la version définitive des "Statuts de la Justissime et Sérénissime Commune de Sylvana". Pour la première fois apparaît en entier le nom du territoire et d'évidence la Commune se considère désormais juridiquement libre et indépendante de toute puissance voisine. Ces statuts se limitent aux lois fondamentales et renvoient aux "Règlements" les lois ordinaires. Pour la première fois est nommé le Défenseur qui avec le Recteur et le Capitaine siège dans le nouveau corps appelé la Régence. Le Recteur est élu par tous les compagnons de plus de vingt et un ans, le capitaine par tous les chefs de famille, donc par le Forum et le Défenseur est élu par tous les soldats, compagnons ou amis, servant dans les différents châteaux. Ils sont tous trois élus pour une période de vingt ans. Si l'un d'eux se retire ou meurt avant, on élit son successeur, également pour une période de vingt ans. L'importance de cette date est attestée par le fait que la même année, quelques mois plus tard, les puissances voisines bloquent toutes les frontières du territoire : nul ne peut plus entrer ou sortir de Sylvana. Ceci entraîne une guerre, la première de la Commune. La guerre tourne à l'avantage de la Commune, qui y gagne quelques territoires en réparation des dommages de guerre : Opulence cède Frontière, Bonnaire cède Minière, Villette cède deux terres : Pierrier et Ensoleillé. Enfin, Montpain donne Assaini. Le territoire de la commune restera ainsi sans aucune extension ni perte ultérieure. Cette politique de défense du territoire dénuée de visées expansionniste sera un des éléments qui garantira pour des générations la liberté de la Commune. Mais en 2 Fr IL (1147) les seigneurs des territoires voisins, pour saper l'indépendance de Sylvana, soumettent au tribunal royal une requête pour que Sylvana acquitte l'impôt royal. Le roi envoie Fortrayon, ministre plénipotentiaire, à la tête de deux mille hommes d'infanterie et de cinquante cavaliers. Les Régents, avertis à temps de l'arrivée du plénipotentiaire, font fermer toutes les portes et descendent à Assaini, seuls et désarmés, vêtus de leur "tenue d'état", jusqu'à la frontière de Montpain. Là, à eux trois ils coupent la route au cortège de l'armée et des fonctionnaires.
Fortrayon descendit de cheval et parla aux régents qui lui dirent : "Nous ne voulons pas la guerre. Si vous nous démontrez que le roi est en droit de toucher notre impôt, nous le paierons. Sinon, vous nous laisserez en paix." Alors Fortrayon se laissa convaincre d'entrer accompagné seulement de dix fonctionnaires et dix cavaliers. Ils passèrent par la Porte-Belle et montèrent au Mont Ardent. Alors les régents rassemblèrent tout le peuple et déclarèrent que ce jour serait à jamais celui de la "fête de la liberté perpétuelle." Et le monument de la liberté perpétuelle fut érigé à côté d'Assaini où l'on voyait les trois régents arrêter le plénipotentiaire du roi. Le drapeau de Sylvana, azur avec un soleil d'or, fut brodé en souvenir, dans l'étoffe du blanc manteau du plénipotentiaire. En l'an 1 Fr LX (1166), le Forum étant devenu trop grand et formé de membres trop âgés, on fit deux modifications : chaque famille devrait désormais choisir un de ses membres âgé de 20 à 60 ans comme chef de famille représentant, et chaque bourgade devait envoyer chaque année un nombre de représentant proportionnel à sa population, qui formaient un conseil général de 60 membres, tous choisis parmi les amis : 4 pour Eauvive, 5 pour Sereine, Vallon et Ecluse, 9 de Temple, Bois et Jardin et 14 de Bourg. Enfin, à l'instar des territoires voisins, Sylvana eut son Seigneur, lequel fut élu entre les Compagnons et était considéré comme le successeur de Sylvain et siégeait sous la statue du fondateur, élu pour dix ans par les compagnons comme le compagnon de vingt cinq à trente cinq ans le plus beau d'entre eux : mais, à la différence des seigneurs des territoires voisins, il n'avait aucun pouvoir réel, il n'était qu'un symbole. Il était couvert d'honneurs, vêtu de façon splendide et présidait la Régence, le Conseil Général et le Forum, mais sans droit de vote. Aussi était-il très différent des autres seigneurs de ce temps, bien qu'il en partage les symboles et le nom. Par ailleurs, l'armée formée d'un total de 671 hommes d'infanterie, de lanciers et d'archers en service permanent, eut des uniformes de différentes couleurs selon le château auquel chacun appartenait, chaque armée était commandée par un lieutenant, chaque château avait un gardien et tous ensemble élisaient toujours le Défenseur. L'année suivante une misive du grand prêtre de Villeduroi (dont on ignore comment elle a fini dans ces archives puisqu'elle est destinée au "Grand Roi" de Villeduroi) décrit la "Justissime et Sérénissime Commune de Sylvana" dominée par "un pic très haut et très raide" couronnée de quatre châteaux "forts et solides, imprenables et bien gardés" et entourée "d'un territoire vaste et des plus beaux" avec huit "villages protégés par des remparts". Elle décrit minutieusement la Porte-Belle ainsi que la Porte de la Route vers le sud, la Porte-Majeure à l'est et la Porte de Vallée au nord. Puis elle décrit le "très charmant cimetière qui ressemble à un jardin avec de splendides statues de marbre blanc qui semblent d'ivoire ciselées". Qu'elle ne décrive rien de l'intérieur des murs fait comprendre que le grand-prêtre n'est pas entré, ou n'a pas été admis, intra-muros. Mais cette chronique présente un autre intérêt : elle conclue par une considération : "C'est un vrai dommage qu'un joyaux d'une telle beauté n'orne pas votre couronne, mais ce peuple viril et fier, de tout temps libre et indépendant, ce territoire petit mais fort et paisible, n'a jamais reconnu de maître et n'en reconnaîtra jamais, aussi longtemps que les Dieux seront respectés dans vos terres." Cela semble presque, comme nous le verrons par la suite, une prophétie. De la même année date une ballade en vers, comptant 9999 tercets, qui narre l'amour d'un compagnon pour un ami marié. En résumé :
"Dans le bourg de Bois vivait un jeune homme de vingt-cinq ans nommé Décidé Foureau, un vannier, marié à Violette de Villette. Ils avaient trois jeunes enfants. Décidé montait chaque jour à Champfleury pour orner de fleurs la tombe de son ancêtre Foureau. Chaque jour descendait à Champfleury un jeune compagnon de vingt ans, appelé Tiers, pour décorer la tombe du Fondateur. La ballade se termine par deux chants dont le premier narre l'amour de Prudent pour Violette et les trois enfants et raconte les trois autres enfants qui leurs sont nés. Le second raconte la beauté et le bonheur de l'union entre Décidé et Tiers et décrit de façon réaliste et lyrique à la fois comment ils faisaient l'amour. L'intérêt principal de ce long et beau poème est qu'il montre la possibilité de changer de statut même une fois adulte, ce qui n'est pas décrit comme un fait exceptionnel : même si c'est l'apparition du Maître qui résout le problème, nul ne s'y oppose et nul n'y trouve rien à redire : les rites sont clairement pré-existants.
G - La deuxième guerre de Sylvana. Les archives secrètes. Lesystème d'éducation complet.
À Sylvana, la vie se déroulait paisiblement, jusqu'à ce que, avec la décomposition du royaume voisin, les différents seigneurs locaux ne se proclament rois et n'entament des guerres expansionnistes. Petit à petit, les Textes d'Opulence étendent son territoire aux dépens de Puissance, de Vaillance et de Bonnaire, tandis que les De Villa de Montpain conquièrent Villette. Les deux nouveaux royaumes, désormais voisins, entrent en guerre contre les Textes pour la possession de Puissance. La guerre dure plus d'une génération, entre 5 Fr LVI et 3 Gr LVIII (1290 - 1313). Sylvana chercha à rester en dehors du conflit, mais la guerre arriva vite sur son territoire, les soldats des deux partis traversaient sa frontière chaque fois qu'ils étaient en difficulté et ils y étaient toujours poursuivis par l'autre armée. Aussi le Forum demanda-t-il de mettre l'armée à un niveau d'alerte qui permette la protection continue des frontières et le Conseil général déclara l'état de guerre. Les troupes de Sylvana furent amassées le long de la rivière Blanche qui marquait la frontière avec les territoires d'Opulence et de Puissance, on construisit le grand rempart d'Ecluse qui barre la vallée et deux petits châteaux à Bois et Frontière. La mission des armées de Sylvana était d'interdire l'accès du territoire aux soldats en arme. S'ils demandaient asile, ils devaient d'abord être désarmés, dépouillés de leur uniforme, puis accueillis s'ils se considéraient des réfugiés ou conduits à un point de leur choix de la frontière où on les laissait libres. Cette politique mena à de petits affrontements armés, toujours au profit de Sylvana qui sut assurer la sécurité de ses frontières. Quand enfin les deux seigneurs signèrent la paix, Puissance était passé sous la domination des De Villa. Les deux seigneurs demandèrent l'arbitrage de Sylvana et ils montèrent, avec chacun une escorte de dix chevaliers, à la Roche : Génie De Villa roi de Montpain et Juste des Textes roi d'Opulence signèrent la paix et laissèrent une déclaration de la plus haute importance historique puisque tous deux y confirment que la "Justissime et Sérénissime Commune de Sylvana est un Etat libre et souverain, une nation indépendante, un territoire inviolable dans ses frontières actuelles marquées au nord par la rivière Rapide, à l'est et au sud par la rivière Blanche, à l'ouest par la crête des collines qui passent par Ensoleillé, Pierrier et Minière, où la frontière est marquée de bornes de pierre blanche." Ces frontières, solennellement ratifiées par ce document, ne seront plus jamais changées. L'année même de la signature de cette paix la Régence décida la construction des archives secrètes derrière les grandes statues du Réveillé et du Fondateur. Les deux colosses étaient posés sur un parallélépipède de roche vive, haut de cinq mètres, profond de six et large de quatre : c'est en dessous que fut creusée la galerie en L qui mène au centre d'un long couloir parallèle au fond de la Grande Grotte et s'ouvre sur sept salles : une à chaque extrémité et cinq sur le côté du couloir qui fait face à l'entrée. Le tout excavé dans la roche vive. Les parois de ce complexe sont décorées de magnifiques bas-reliefs homoérotiques, œuvre collective des compagnons : le couloir montre sur toute sa longueur des scènes de préliminaires, la salle de l'extrémité gauche montre des scènes de rapports oraux et les six autres salles des rapports anaux. Ces représentations surpassent en beauté les fameux Kama-Sutra de pierre en Inde. Ces murs représentent un total de cent quatre couples et les plafonds vingt et un autres couples. Les archives montrent que ce complexe secret était destiné dès son origine à servir d'archives secrètes et de dépôt pour les trésors de la Communauté. La base des statues du Prince Réveillé et du Maître Fondateur, qui cèle l'entrée, fut couverte de bas-reliefs qui cachent un ingénieux système d'ouverture de la porte qui par chance ne fut jamais soupçonné par les envahisseur de ce petit état et qui put donc conserver intacts jusqu'à nos jours ces précieuses archives et le trésor. En l'an 5 Fe LVII (1319) un recensement rapporte que la population atteint 2767 personnes. On ressentit alors le besoin d'établir un système d'éducation performant. Cette difficile tâche fut confiée au compagnon Habile de Bon, parce qu'il avait beaucoup voyagé dans les royaumes voisins où il avait visité divers types d'écoles. Habile met en place le système éducatif qui restera pratiquement inchangé pour des générations : les petits de l'âge de la Graine, de la naissance à quatre ans, sont élevés en famille, puis, à l'âge de Feuille, de cinq à neuf ans, ils entrent à l'école pour apprendre à lire, écrire et faire les quatre opérations : ils passent les douze heures du jour à l'école et les autres douze avec leur famille. De dix à quatorze ans, à l'âge des fleurs, ils vivent à l'école où on leur enseigne l'Histoire, les saintes écritures et à faire l'amour. De quinze à dix-neuf ans, à l'âge du fruit, ils passent les douze heures du jour en famille ou avec les compagnons et ils étudient toute la nuit à l'école. L'âge des fleurs est une charnière, c'est l'âge où un garçon ou une fille comprend s'il est appelé à devenir ami ou compagnon. Le choix est fait dans la quinzième année. Avant la puberté ils apprennent à se toucher, puis, à la puberté, ils peuvent avoir des rapports complets entre eux, entre personnes du même sexe ou de sexe opposé, ce qui leur permet de comprendre quelle sera leur vie. On construisit de nouvelles école, une par centre d'habitation et à chaque école sont affectés des enseignants, dans la proportion d'une moitié de compagnons, d'un quart d'amis et d'un quart d'amies. Pour la première fois on parle dans ce projet de possibles rapports sexuels entre femmes - non que cela ne soit pas arrivé avant, mais c'est la première mention explicite dans les textes. Ceci conduit rapidement à la requête de fonder le corps des Compagnes. Les documents sur ce débat chez les compagnons sont très intéressants. En l'an 3 Fl LVII (1323) est prise une première décision : dorénavant, la communauté sera divisée en frères et en sœurs et le nom de compagnon ne sera plus utilisé que pour ceux qui ont fondé un couple. En outre, des Fraternités seront ouvertes en dehors du bourg de Sylvana, dans les différents châteaux. Elles auront la charge de prendre soin des écoles et des rites. Chaque fraternité élira pour cinq ans un père ou une mère. Lesquels formeront le Petit Conseil qui assistera la Régence pour les problèmes de l'ordre. Ce système scolaire obligatoire conduit vite à l'alphabétisation de toute la population, à une époque où les royaumes voisins avaient une population à 90% analphabète. Ces nouvelles écoles accueillent près de 135 élèves à temps plein et 270 à mi-temps et il leur faut donc à peu près 270 lits, dont la moitié "mixtes" et communs et l'autre moitié "séparés" par sexe et individuels. Pour notre culture il peut paraître étrange que des enfants de moins de quinze ans dorment ensemble et aient des rapports sexuels avec leurs semblable du même ou de l'autre sexe, et sous les yeux des compagnons. Mais c'est justement cela qui leur donnait une vision simple, sereine, libre et plaisante des rapports sexuels. Au delà de quinze ans par contre, la possibilité de dormir et de faire l'amour dans des chambres individuelles permettait au jeune de développer aussi son affectivité de façon personnelle, un composant fondamental du rapport physique. Si l'être humain n'a pas de vraie difficulté à montrer son propre désir physique et à le vivre devant des autres, il a par contre une pudeur naturelle pour montrer son affectivité, qui ne touche pas seulement son être physique mais provient d'un niveau plus profond et spirituel. Les enfants apprenaient aussi à l'école comment éviter des grossesses non voulues lors de rapports physiques complets avec l'autre sexe et les normes d'hygiène sexuelle. Les adultes, enseignants ou autres, ne pouvaient pas coucher ni avoir des rapport avec les élèves avant qu'ils n'atteignent quinze ans. L'ensemble de ce système d'éducation sexuel semble extrêmement efficace et équilibré. La preuve en est qu'après cette réforme les cas de "crimes sexuels" diminuent drastiquement, de même que les divorces et les changements de statut. À l'âge des Fleurs, lorsque l'enfant devenait pubère, on célébrait une petite cérémonie au cours de laquelle ses cheveux étaient dénoués et coupés courts. Au passage à l'âge des Fruits, lors d'une autre cérémonie simple, ils abandonnaient la tunique des petits et, pour la première fois, ils revêtaient leur habit d'adulte.
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