Une loi du 19/6/2 Fr LXXII (1607) établit que les couples sans enfants, qu'ils soient mixtes ou égaux (gays) peuvent adopter jusqu'à trois enfants, soit orphelins soit issus de familles trop nombreuses candidates à l'adoption de leur enfant. Ce décret stipule que Frères et Sœurs ne peuvent pas adopter, ce qui indique que le mariage entre personnes du même sexe est désormais commun non seulement dans l'ordre mais aussi chez les amis.
Le 12/7/1 Fe LXXIV (1636) un groupe de quinze soldats du roi se présente à la frontière et demande asile. Ils remettent leurs armes et leurs chevaux et sont conduits au Syndic. Lequel les interroge et apprend qu'ils se sont rebellés contre un commandant despotique et tyrannique ce qui leur a valu une condamnation à mort. Le syndic accède à la demande d'asile. Et pour la première fois la Commune entre en possession de quinze fusils avec quantité de munitions et la nouvelle arme impressionne le commandant des forces armées.
D'autre part, leurs quinze montures étaient des purs sangs, très beaux, forts et très différents des quelques chevaux de somme qui jusque là étaient connus sur le territoire. Il s'agissait en fait quatre chevaux et onze juments. Sur le conseil des réfugiés fut alors lancé sur le territoire de Vallon l'élevage de chevaux de courses qui fit par la suite la renommée de la ville.
Mais le légat du roi, apprenant leur fuite, exigea que ces quinze hommes, avec leurs chevaux et leurs armes, soient remis au grand roi. La Commune refusa : elle se dit disposée à rendre armes, chevaux et uniformes, mais pas les hommes. Le légat refusa ce compromis. Le 20 du 8ème mois le territoire fut complètement encerclé par 40 000 soldats du roi. Ils n'entrèrent pas mais ils interdirent tout passage de la frontière tant que les quinze hommes ne seraient pas livrés. La Commune ne plia pas. La milice fut armée et se prépara à s'opposer à toute tentative d'invasion, fut-ce au prix de sa vie.
Le Seigneur de Sylvana déclara au Légat : "Je vous préviens : pour entrer dans notre territoire vous devrez nous tuer tous, jusqu'au dernier. Nous n'avons pas la force pour nous opposer aux armées du grand roi, mais nous ne plierons jamais."
Le légat savait que tout le peuple était en armes, femmes vieillards et enfants compris et il envoya un message à la capitale pour demander que l'ordre d'invasion ne soit pas donné : il en résulterait certainement un bain de sang et "... il n'y a pas lieu de massacrer 5000 citoyens pour la vie de seulement 15 déserteurs." D'après le légat, le blocus, qui figeait tout commerce, les ferait plier tôt ou tard.
Le blocus dura un peu plus de huit mois et fut impénétrable. Toutes les tentatives pour entrer ou sortir de la Commune échouèrent, heureusement sans effusion de sang, mais pas une seule personne ne passa. Mais la Commune ne plia pas et ne rendit pas les réfugiés. Le 24 du 4ème mois de l'année suivante, les troupes royales levèrent soudain le camp et se retirèrent : le blocus était fini. Le légat du roi expliqua que cela n'était pas un changement d'idée : la question restait ouverte, mais le royaume avait de bien plus graves problèmes, sur sa frontière ouest où s'amassaient des troupes : le royaume était en guerre contre le puissant royaume voisin.
Des nouvelles de la guerre et des progrès de l'envahisseur commencèrent à inquiéter la Régence qui établit un "observatoire permanent des affaires relatives à la guerre." Le signalement de riches prenant la fuite "avec or, argent, armes, serfs et chevaux" devant l'avancée de l'armée conquérante fit craindre à la Commune une "invasion de réfugiés demandant asile" et il fut alors décidé que l'on n'accorderait l'asile "qu'à ceux qui se présenteraient avec juste leur habit sur le dos, comme il était requis dans l'ancien temps." Malgré cette règle, 4673 personnes à demandèrent et obtinrent l'asile, soit presque autant que la population de l'époque.
Le 7/3/1 Fe LXXIV (1636) du sommet du Mont on vit la puissante armée approcher et s'arrêter sur l'autre rive de la rivière Rapide. La Régence envoya alors un messager avec une lettre pour le commandant suprême de l'armée étrangère, demandant des garanties pour leur petit territoire dont ils envoyaient une carte et un bref résumé de l'histoire : "... depuis 1500 ans, nous sommes une petite nation, insignifiante peut-être, mais libre et fière. Nous avons toujours donné asile aux persécutés, sans demander en échange ni or ni argent, nous n'avons jamais attaqué nos voisins, ce que nous avons et ce que nous sommes nous suffit : nous sommes pauvres mais dignes..." dit un passage de cette lettre.
Le commandant suprême envoya alors trois officiers supérieurs en délégation pour visiter la Commune, lui faire un rapport détaillé, et demander la liste des réfugiés "pour vérifier s'il n'y a pas parmi eux des gens que je voudrais entre mes mains." Les trois officiers furent reçus avec tous les honneurs et on leur fit visiter tout le territoire de la Commune en leur racontant son histoire en détail. Et, avec diplomatie, on leur expliqua que la Commune ne pouvait leur remettre aucun réfugié, sauf s'il était prouvé sans l'ombre d'un doute que ses mains étaient salies par un meurtre ou un vol.
Les trois officiers demandèrent à voir les lois sur le droit d'asile. Après cinq jours, les officiers quittèrent la Commune. Il y eut encore trois jours d'attente impatiente. Puis une nouvelle délégation arriva : le commandant suprême et empereur envoyait sa réponse par écrit : ayant écouté le rapport de ses émissaires, il assurait "paix et amitié inviolable à la si fière terre qui à juste titre était dite Justissime et Sérénissime. Si l'une de vos frontières était un jour contestée, ce serait mon devoir, grâce à la carte que vous m'avez envoyée, de vous aider à repousser tout prétendant. Vous êtes exemptés, désormais et à jamais, comme par le passé, de tout tribut. Et les citoyens de la Commune pourront librement circuler de par tous mes territoires, non comme étrangers, mais avec tous les droits et privilèges de mes sujets, pas en tant que sujets, mais d'amis respectés et estimés." Et l'empereur envoyait en cadeau mille quintaux de céréales, cinq mille fusils avec des munitions et douze canons. Et l'armée impériale continua ses conquête des territoires au sud et à l'ouest de la Commune.
Pour remercier l'empereur de son admiration et de son respect, le Forum décida que le drapeau de la Commune porterait une bordure rouge et verte, les couleurs de l'écu impérial. La milice fut armée de fusils et on posta un canon à chaque bourgade.
Le libre commerce avec l'empire fit fleurir la vie de la Commune, laquelle, pour la première fois, frappa sa propre monnaie, le sol d'or, d'argent et de cuivre. En outre, la loi de 5 Fr LXXIV (1650) autorisa la propriété privée aux Amis, mais avec quelques limitations "afin que la trop grande richesse des uns et la pauvreté des autres ne conduisent pas les premiers à dominer les seconds." Ainsi naquit le premier texte des lois somptuaires et le premier système d'impôts internes.
En 3 Fe LXXV (1658) fut fondée la Gendarmerie avec une fonction de police : elle n'était formée que d'étrangers de toute nationalité "parce que n'étant pas de la Commune, ils ne sont pas soumis aux intérêts des partis." Ils s'enrôlaient pour cinq ans, avec possibilité d'un renouvellement. Ils portaient un uniforme noir à bordure bleue, des chevrons et décorations d'argent, une bandoulière blanche, un chapeau et des gants blancs et, plus tard, un pistolet. Les gendarmes qui voulaient demander la citoyenneté terminaient leur période et l'obtenaient tout de suite.
Le 25/2/5 Gr LXXVI (1675) la population de la Commune est de 6173 citoyens et 397 étrangers. Cette même année commence l'histoire d'Honoré. C'était un frère de trente quatre ans qui résidait à Temple et enseignait à l'école de la ville. Son compagnon avait vingt neuf ans et s'appelait Courage, il officiait au temple. Ils avaient une relation tranquille depuis neuf ans, mais ils étaient plus amis qu'amants, dans un certain sens, même s'ils faisaient l'amour souvent et qu'ils étaient restés complètement fidèles l'un à l'autre.
Dans la classe d'Honoré, il y avait un garçon de dix-huit ans, Constant, fils d'un tailleur. Constant était un garçon sain et fort et au charme remarquable. Et depuis qu'il avait quinze ans, il était tombé amoureux d'Honoré, mais, le sachant marié, il n'avait pas osé lui manifester ses sentiments.
Après trois ans d'amour silencieux, Constant se sentait complètement captif de son amour pour son enseignant et il avait de plus en plus de mal à cacher ce qu'il éprouvait pour lui. Au lieu de diminuer, son amour augmentait et se renforçait de plus en plus. Constant se sentait impuissant, incapable de maîtriser ses sentiments. Il voulait être à Honoré, il voulait son amour, même s'il savait qu'il ne pourrait jamais l'avoir.
Constant se mit à écrire des billets anonymes à Honoré et les lui faisait trouver aux endroits les plus variés. Ce qu'il écrivait tournait plus ou moins autour de "Je t'aime, je veux être à toi !" Honoré comprit que ce devait être un de ses élèves, mais pour autant qu'il essaya de reconnaître de qui était l'écriture, il n'y parvint jamais. Et de scruter l'expression de ses élèves ne lui révéla rien non plus. Il en parla à Courage, il en parla au responsable de l'école, et leur demanda conseil.
Courage lui dit : "Tu ne trouves pas qui t'envoie ces billets parce que tu cherches une regard particulier : intense, amoureux, rêveur. Mais celui qui t'envoie ces billets ne veut certainement pas être découvert, alors tu devrais plutôt chercher qui évite ton regard. Mais je me demande, une fois que tu l'auras découvert, que comptes-tu faire ?"
"Lui faire comprendre qu'il ne doit plus penser à moi."
"Ça il l'a sans doute trouvé tout seul, c'est juste qu'il n'y arrive pas."
"Mais pourquoi m'écrit-il ces billets ? Qu'espère-t-il obtenir ?"
"De l'aide, peut-être ? Mais peut-être aussi de l'amour. Il espère contre tout espoir..."
"Et alors, que puis-je faire ?"
"Je ne sais pas. Peu, je le crains. Soit tu lui donnes ton amour, soit tu t'arranges pour qu'il ne te voit plus, tu te fais transférer à Vallon, par exemple. Mais toi, que voudrais-tu, au fond ?"
"Si seulement je savais qui c'est !" répondit Honoré.
Le responsable de l'école lui donna le même conseil que Courage : se faire muter ailleurs, au moins pour un cycle scolaire. Aussi Honoré demanda-t-il son transfert à Vallon. Courage, lui, resta à Temple. Quelques jours après le départ d'Honoré, Constant se présenta au temple et demanda à parler à frère Courage.
Quand il fut en sa présence, il lui demanda : "Pourquoi ton compagnon est-il parti ? Il voulait te quitter ?"
"Non, ce n'est pas ça. Il voulait juste changer un peu, quatre ou cinq ans."
"Et vous serez séparés pendant tout ce temps ?"
"J'irai le voir de temps en temps."
"Mais une telle séparation n'est-elle pas pesante ?"
"Mais pourquoi donc me poses-tu toutes ces questions ? Ne serais-tu pas celui qui envoyait ces billets à Honoré ?" demanda-t-il en devinant soudain la vérité.
"Non..." répondit Constant, mais ses yeux se remplirent de larmes.
Courage lui passa un bras sur l'épaule : "Pourquoi tu ne me dis pas la vérité ?" demanda-t-il gentiment.
"Non..." répéta Constant.
"Si tu n'avais pas envoyé ces billets, tu n'aurais pas répondu non, tu m'aurais demandé de quoi je parlais, tu ne pourrais pas savoir de quels billets je parlais, pas vrai ?"
Constant pleurait maintenant ouvertement.
"Alors, tu es amoureux d'Honoré ?"
"Oui..." gémit le garçon.
Courage acquiesça et lui demanda : "Que comptes-tu faire ?"
"Et que puis-je faire ? Je n'arrive pas à ne pas l'aimer. Je voudrais aller le voir, même si je sais que c'est inutile. Et puis, si je comprends bien, il est parti à cause de mes billets. Mais je l'aime, moi, je ne peux pas renoncer à lui."
"Renoncer à quoi ? On renonce à ce qu'on a, mais lui, il ne sait même pas que c'est toi qui lui as envoyé ces billets. Essaie d'oublier tout ça : le temps guérit toutes les blessures."
"Pas celle-là, pas la mienne. Ça fait trois ans maintenant que je me répète que je dois l'oublier, mais je n'y arrive pas, et même, ça empire. Que puis-je faire ? Me tuer ?"
"Ne dis pas de bêtises. Mais qu'est-ce qui t'a fait tomber amoureux d'Honoré ?"
"C'est toi qui me le demandes ? N'es-tu pas son compagnon ?"
"Si mais... Honoré et moi... j'avais vingt ans et on faisait déjà l'amour ensemble, il me plaisait, je lui plaisais, alors on a décidé de se marier. Il n'y a jamais eu entre nous le grand amour, une grande passion. Simplement on a toujours été bien, ensemble, mais on est peut-être bien plus amis qu'amants."
"Comment est-ce possible ? Honoré est un homme si exceptionnel."
"Oui, il est malin, honnête, bon, gentil, bien sûr... mais c'est parce que tu es amoureux que tu le trouves exceptionnel, ne t'en rends-tu pas compte ?"
"Ou serait-ce que moi je le vois tel qu'il est parce que moi je l'aime." répondit-il.
Quand Courage alla voir Honoré et lui parla de Constant, Honoré fut très étonné : jamais il n'avait imaginé que l'auteur des billet puisse être ce garçon, moins encore qu'il soit amoureux de lui depuis trois bonnes années.
"Qu'un garçon de quinze ans ait un faible pour son enseignant, ça n'est pas nouveau. Ça arrive et ça arrivera toujours. Mais d'habitude ça ne dure pas trois ans." dit-il, songeur.
"Il m'a paru amoureux fou de toi et il m'a semblé très étonné quand je lui ai dit qu'entre nous il y avait plus une douce habitude qu'un vrai amour."
"Une plaisante habitude, oui. Tu me manques un peu, ces temps-ci."
"Un peu, seulement."
"Assez en tout cas pour ne pas perdre plus de temps en bavardage. Allez viens, dans ma chambre."
"Qui sait..." commença Honoré en se rhabillant, puis il se tut.
"Qui sait... quoi ?"
"Je pensais à Constant."
"Et... ?"
"C'est un grand et beau garçon. L'as-tu jamais vu nu ?"
"Non. Et toi ?"
"Oui, au bain : un corps parfait, très beau, sensuel."
"Tu parles de lui comme si... avec désir."
"Je ne sais pas. Peut-être."
"Comment ça, peut-être ? As-tu éprouvé du désir pour lui ?"
"Non, pas dans le passé. Je ressentais une admiration esthétique, je crois. À dire vrai je n'en suis pas sûr, mais maintenant que je le sais amoureux de moi..."
"Tu n'es plus si sûr de tes sentiments." Dit Courage avec un sourire compréhensif. "Alors, que comptes-tu faire ?"
"Rien. Je crois que j'ai bien fait de venir ici."
"Pourquoi ?"
"Bah, ce n'est qu'un gamin, et en plus un élève à moi..."
"Un ancien élève..."
"Tu me pousses dans ses bras ? Tu t'es lassé de moi ?" lui demanda Honoré en riant.
"Non. Mais toi, au début, tu étais amoureux de moi et tu espérais que je pourrais te rendre ton amour. Lui par contre, il serait prêt à te donner le sien."
"Je t'ai accepté comme tu es. Et je ne regrette rien, vraiment."
"Tu t'es adapté, c'est sûr. Peut-être que Constant a raison de dire que tu es exceptionnel, peut-être t'a-t-il vraiment mieux compris que moi."
Quand Courage fut rentré à Temple, il alla chez Constant et lui dit : "Je crois que tu ferais bien d'aller voir Honoré."
Le garçon le regarda étonné : "Pourquoi me dis-tu cela ? Tu sais ce que ça signifie pour moi d'aller le voir, maintenant qu'il sait ..."
"Justement : je crois juste qu'il faut que vous vous parliez, que vous vous expliquiez en personne ce que vous ressentez l'un pour l'autre."
"Mais c'est ton compagnon."
"Il est possible de se séparer, tu le sais."
"Et tu serais disposé... Je ne te comprends pas."
"Je l'aime bien et s'il pouvait être plus heureux avec toi qu'avec moi... pourquoi pas ?"
"Mais lui... que t'a-t-il dit ?"
"Lui ? Tu lui plais, ça c'est sûr. Je ne sais pas s'il t'aime, pas encore, je crois qu'il n'a jamais pensé à toi dans cette perspective, et même, étant un de ses élèves, il ne voulait pas y penser."
"Et il ne voudras toujours pas, tu ne crois pas ?"
"Mais tu n'es plus un de ses élèves, et tu es en âge de choisir librement avec qui tu fais l'amour. Peut-être que maintenant il te regardera avec d'autres yeux, ne crois-tu pas ?"
"Pourquoi tu fais ça pour moi ?"
"Parce que je t'aime bien et parce que je l'aime bien. C'est plus pour lui que pour toi que je le fais. Je n'ai jamais su lui donner ce dont il avait besoin : de l'amour. Toi tu le pourras peut-être. Va le voir."
Constant pris la route et en quatre heures, en marchant vite, il arriva à Vallon et se présenta à l'école. Tremblant d'émotion, il demanda Honoré. Quand ils furent face à face, ils restèrent silencieux un instant, l'homme de surprise, le garçon d'émotion.
Puis Honoré dit : "Tu es venu jusqu'ici ?"
"Oui..."
"Entre chez moi. Tu veux me parler ?"
"Oui..."
"Je t'écoute."
"Je ... je suis amoureux de toi."
"Je sais."
"...mais si tu ne veux pas de moi il te suffit de me le dire et je ne me ferai plus voir, si tu me le demandes."
"Constant, que puis-je dire ? Jusqu'à il y a quelques jours tu étais un de mes élèves, et j'ai un compagnon, à qui j'ai toujours été fidèle. Je n'ai jamais pensé à toi comme à un possible amant. Et une telle décision ne se prend pas ainsi, au pied levé."
"Alors tu ne veux plus me trouver sur ton chemin ?" demanda-t-il d'une voix hésitante.
"Je n'ai pas dit ça. Tu me plais. Mais... Tu es un garçon très malin, aucun doute, et beau aussi, très beau. Physiquement, tu m'attires. Mais je voudrais te connaître mieux : je ne crois pas que tu me demandes juste de passer une nuit dans mon lit, n'est-ce pas ?"
"Je m'en contenterais, mais à vrai dire, ce n'est pas ce que j'espère. Je voudrais être à toi..."
"Et que je sois à toi, non ?"
"Ce serait... je serais... ce serait un rêve." murmura Constant.
"Alors peut-être qu'on devrait simplement se connaître mieux, comprendre si nous sommes vraiment faits l'un pour l'autre. Toi non plus, au fond, tu ne me connais pas encore vraiment..."
"Moi si : il y a trois ans que je t'observe, que je rêve à ce qu'il serait bon de pouvoir vivre avec toi..."
"Moi pas, en tout cas."
"Oui, je comprends. Alors, que veux-tu que je fasse ?"
"Que... que tu me donnes le temps de réfléchir et de te connaître."
"Mais comment est-ce possible en étant si loin ?" demanda Constant d'une voix un peu triste.
"Tu dois terminer l'école, et pas comme mon élève. Alors il ne te reste qu'à attendre cette année et demie qui te manquent."
"Mais je pourrai venir te voir, quand j'ai du temps libre ?"
"Bien sûr, et je t'accueillerai avec plaisir..." répondit Honoré en souriant, "...Je veux mieux te connaître, parce que tu me plais, je te l'ai dit."
"Merci." murmura le garçon avec un sourire où pointait un filet d'espoir. Honoré lui caressa la main d'un geste affectueux.
Ils passèrent quelques heures ensemble puis Constant dut rentrer pour arriver à l'heure à l'école. Mais le lendemain matin, en rentrant chez lui, il parla à son père et lui dit qu'il était amoureux d'un frère qui était à Vallon et qu'il voulait aller le voir le plus souvent possible, mais que, Vallon étant à quatre heures de marche, et lui n'ayant que douze heures libres dans la journée, quand il irait voir Honoré il ne pourrait pas l'aider à la boutique.
Son père voulut d'abord savoir à quel point la chose était sérieuse pour Constant. Il discuta avec lui et se convainquit vite que non seulement il était vraiment amoureux mais aussi qu'il avait quelque espoir d'être aimé en retour. Il lui dit qu'il ne pourrait pas se passer de lui souvent et que ça ne valait pas la peine de perdre douze heures de travail juste pour voir cet homme pendant quatre heures. Aussi lui dit-il que le jour sans école, où il disposait de trente six heures, il pourrait y aller, mais que les autres jours il devrait rester travailler à la maison.
Constant comprit le raisonnement de son père et il le remercia. Et il s'attacha, pendant les trois jours où il devait aider le tailleur, à en faire le maximum. Quand vint son jour de vacances, il partit vite à Vallon. Il y arriva en fin de matinée et il chercha Honoré qui l'accueillit avec plaisir.
Constant lui expliqua sur quoi il s'était mis d'accord avec son père et demanda : "Alors, je peux rester dormir, cette nuit ?"
"Oui, mais pas avec moi. Pas encore, au moins..."
"Pourquoi ?" demanda-t-il un peu déçu.
"Parce que je suis encore marié à Courage et je ne veux pas lui causer de tort. Et si on dormait ensemble je ne sais pas s'il serait facile." dit Honoré.
Constant comprit et, même si il le déplorait encore, il fut très content de comprendre que le frère éprouvait une forte attirance pour lui. Honoré lui dit qu'il dormirait à l'école, dans la section des fruits, qui était libre cette nuit. Pour le déjeuner, il demanda au Père si Constant pouvait manger avec eux et il en eut l'autorisation.
Le soir, après le dîner, Honoré le conduisit à la petite chambre où il passerait la nuit. "Bonne nuit." lui dit-il et il fit mine de partir.
"Tu ne peux pas rester, rien qu'un peu ?" demanda le garçon.
"Rien qu'un peu..." concéda Honoré.
Constant s'étendit sur le lit et lui fit signe de s'asseoir à côté de lui : "Tu sais, je suis si content de pouvoir être un peu avec toi..."
"Oui..."
"Et de pouvoir te dire que je t'aime." ajouta Constant et il lui prit une main, la porta à ses lèvres et l'embrassa.
Honoré lui caressa la joue, en lui souriant.
Le garçon lui rendit son sourire et, avec un filet de voix émue, il demanda : "Tu pourrais me donner un baiser, avant de partir ?"
Honoré sourit encore et lui effleura les lèvres, d'un doigt léger. Constant frémit et entrouvrit les lèvres. Honoré lui prit le visage entre les mains et se pencha vers lui et ses lèvres se posèrent sur celles du garçon. Lequel prit la lèvre inférieure de l'homme entre les siennes et la suça, y passant la pointe de la langue.
Honoré se détacha doucement de lui et dit : "Maintenant il vaut mieux que je m'en aille."
"Oui."
"Bonne nuit."
"Je rêverai de toi : la nuit sera bonne."
"Je viendrai te réveiller, demain." dit-t-il en se levant et il partit. Honoré se sentait excité, plein de désir et il savait que s'il n'était pas parti il n'aurait pas pu résister à l'attirance qu'il éprouvait pour Constant.
Au matin, quand il alla le réveiller, le garçon dormait profondément. Il l'appela mais le garçon ne répondit pas. Il le secoua légèrement, il l'appela encore : rien à faire. Il se pencha sur lui et l'embrassa sur la bouche jusqu'à le sentir réagir, alors il se détacha du garçon et l'appela encore.
Constant ouvrit les yeux et lui sourit. "Lève-toi, tu as juste le temps de prendre un bain avant le petit déjeuner."
"Tu viens le prendre avec moi ?"
"J'en ai déjà pris un."
"Quel dommage : ça m'aurait plu de te laver." dit-il en commençant à se déshabiller.
Honoré sentit le désir de l'accompagner au bain pour le regarder se laver, mais il jugea plus sage de l'attendre dans la chambre. Rien que le regarder se déshabiller l'avait déjà excité. L'homme réalisait que ce qu'il éprouvait dépassait l'attirance physique : il aimait son sourire, les choses qu'il disait, ce qu'il pensait, le caractère et la personnalité du garçon qui petit à petit se révélait : elle était en partie différente de ce que, en tant qu'enseignant, il avait connu du garçon. À présent Constant lui dévoilait peu à peu jusqu'à ses plus intimes pensées.
Constant revint et s'habilla. Il passèrent le reste de la journée ensemble, jusqu'à ce que Constant doive rentrer à Temple. Quand Courage vint voir Honoré, celui-ci lui raconta ce qu'il en était du garçon, ce qu'il avait éprouvé et pensé.
"Je crois qu'alors nous ferions mieux de demander notre séparation." dit Courage.
"Non, pas encore. Je ne suis pas encore sûr."
"À t'entendre en parler, il me semble que le garçon te plait beaucoup."
"Oui, mais je ne peux pas dire que je suis amoureux. Et je ne veux pas recommencer comme avec toi."
"Mais avec moi c'était moi qui n'étais pas amoureux, pas toi. Constant est amoureux de toi, c'est différent, non ?"
"Attendons encore." Dit Honoré.
Constant venait le voir régulièrement. Parfois ils se donnaient quelques baisers, parfois ils se prenaient dans les bras, mais Honoré faisait toujours en sorte qu'ils ne dépassent pas certaines limites et Constant, malgré son désir, ne chercha jamais à dépasser les limites tacitement fixées. Mais Honoré était de plus en plus attiré par Constant dont il attendait l'arrivée avec une joie et un plaisir croissants.
Quand Courage renouvela sa proposition de séparation, après quelques hésitations Honoré accepta. Cela provoqua un changement en lui et il se sentit libre d'exprimer ce qu'il ressentait. Et quand Constant revint, il perçut tout de suite un changement, bien que léger, dans le comportement d'Honoré. Il n'aurait pas su dire ce qui avait changé, mais il le sentait. Ils déjeunèrent et ils allèrent se promener à la rivière, ils rentrèrent dîner puis Honoré l'emmena à la chambrette, pour dormir.
"Je vais prendre un bain, maintenant, tu m'attends là ?" dit Constant en commençant à se déshabiller.
"Moi aussi je dois prendre un bain, je viens avec toi. Comme ça on pourra se laver l'un l'autre." dit Honoré en commençant à son tour à enlever ses habits. Constant le regarda, agréablement surpris, et se dit que pour la première fois il pourrait voir nu le corps d'Honoré. Et ça l'excita alors, un peu gêné, il se tourna de manière à ne pas le regarder, mais surtout pour lui cacher son érection.
Il le précéda vers la salle de bain et commença tout de suite à se savonner le corps. Honoré arriva peu après : Constant lui tournait le dos et Honoré lui prit le savon des mains et commença à lui savonner le dos. Les mains glissantes de mousse, il lui massait l'arrière du corps et éprouvait un plaisir et un désir croissants. Le garçon aussi, à être touché de la sorte, était encore plus excité qu'avant mais aucun des deux un fit un geste pour rendre les contacts plus intimes.
Puis Honoré se retourna, se savonna le ventre et passa le savon à Constant qui lui savonna le dos. Ils avaient tous les deux une splendide érection et c'est peut-être pour cela qu'ils ne s'étaient pas encore regardés dans les yeux. Ils se rincèrent puis ils entrèrent dans la grande vasque d'eau chaude et s'assirent dedans. Immergés jusqu'au cou ils se regardèrent enfin dans les yeux. Honoré tendit une main vers Constant qui tendit la sienne et leurs doigts s'enlacèrent étroitement.
Honoré tira Constant vers lui et quand il fut à côté de lui, il passa un bras autour de sa taille : "Tu me plais." murmura-t-il doucement.
Le garçon posa la tête sur son épaule et, sous l'eau, il lui caressa la poitrine. Honoré lui releva le visage et l'embrassa sur les lèvres. Constant les ouvrit et Honoré y engagea la langue. Le garçon la suça légèrement. Honoré se mit lentement debout en attirant le garçon avec lui, sans cesser de l'embrasser et leurs corps se collèrent l'un à l'autre. Honoré le serra contre lui en lui posant la main sur le derrière, jusqu'à ce que leurs érections frottent, solides et frémissantes, l'une contre l'autre.
"Tu resteras avec moi, cette nuit ?" lui demanda Constant, ému, à peine leurs bouches furent-elles séparées.
"Oui. On y va ?"
"Oui..." soupira le garçon.
Ils sortirent de la vasque et se séchèrent l'un l'autre. Ils allèrent à la chambre du garçon, qui s'étendit sur le lit, Honoré, couché sur lui, le caressait.
"Tu es très beau." murmura le garçon.
"Tu trouves ?"
"Non, je ne trouve pas, je vois." répondit Constant avec un sourire lumineux en lui passant la main sur le corps.
Petit à petit les caresses devenaient plus intimes, dans un crescendo de passion, jusqu'à arriver à la complète union, en donnant enfin pleine liberté à leur désir réciproque, qui se manifestait dans sa douce vigueur. Il aurait été difficile de dire lequel des deux était le plus heureux d'être arrivé à se donner à l'autre, si c'était Constant qui voyait enfin l'aboutissement de ses rêves ou si c'était Honoré qui redécouvrait la beauté du sexe fait avec amour. Honoré ressentait fortement tout l'amour du garçon et, presque timidement, il lâchait la bride à son besoin de donner et de recevoir de l'amour.
Enfin, ils s'endormirent enlacés, heureux d'avoir pu partager ce moment d'amour. Le matin, quand Honoré se réveilla, il fut heureux de pouvoir réveiller le garçon avec des baisers et des caresses et Constant de pouvoir donner libre cours au désir qu'il éprouvait depuis des années pour cet homme qu'il aimait. Ils firent de nouveau l'amour, avant de se lever et tous les deux se sentaient en pleine forme.
Ils passèrent le temps qu'il leur restait en tendre intimité, se disant mille choses, anxieux et heureux. Honoré se sentait tomber de plus en plus amoureux de Constant. Quand en fin d'après midi ils durent se séparer, ce fut dur pour les deux. Ils se donnèrent rendez vous pour la fois suivante. Les jours où ils ne pouvaient pas se voir passaient lentement et chacun avait le cœur et la tête pleins de l'autre.
Les mois passèrent et Constant termina enfin l'école, alors il demanda à son père à pouvoir aller s'installer définitivement à Vallon, chez Honoré. Honoré proposa à Constant d'ouvrir une échoppe de tailleur à Vallon, où il n'y en avait pas. Et quand enfin Constant eut vingt ans, ils célébrèrent leur union et Honoré demanda à quitter les Frères, tout en continuant à enseigner, pour pouvoir vivre avec Constant.
Leur amour était fort et profond et Honoré avait l'impression de rajeunir, tant il était heureux et bien avec Constant qu'il aimait. Ils étaient mariés depuis trois ans quand ils décidèrent d'adopter deux petits, de deux et quatre ans, d'une famille très nombreuse. C'étaient deux frères qui s'appelaient Vital et Nuage. Avoir à élever ces deux enfant donna une nouvelle fraîcheur et tendresse à leur mariage.
Vital, plus tard, deviendra un des plus fameux et vaillants Capitaines et Régent de Sylvana et c'est lui-même qui signera le pacte avec le nouveau souverain des terres alentour. Mais cela est une autre histoire.