DE L'AUTRE CÔTÉ
DU MONDE
CHAPITRE 10
UN ENGOUEMENT FOU SANS ESPOIR

En fin d'après-midi du 20 juillet 1840, le marquis Afonso de Fonseca Fernandes, un médecin, revenait tout seul avec le cabriolet d'une visite chez un fazendero atteint de goutte. La journée était belle, même s'il faisait froid, et Afonso, un beau jeune homme d'exactement trente ans, grand, mince et élégant, médecin bien connu et apprécié malgré son jeune âge, était impatient de rentrer à la maison pour rencontrer l'un de ses ex-camarades de l'université qui était allé le voir avec sa jeune femme.

Olavo Lima Moreira, son partenaire, avait eu avec lui une relation brève mais intense, dans les années où ils étaient tous les deux étudiants à Rio de Janeiro. Mais juste avant d'obtenir leur diplôme, Olavo était tombé amoureux d'une fille, son épouse actuelle, alors leur histoire avait cessé. Malgré cela, ils sont restés des amis proches et Afonso était heureux que son ami soit allé lui rendre visite.

Soudainement, cependant, une des roues du cabriolet qui avait dû être mal fixée, peut-être à cause de la vitesse excessive, peut-être parce qu'elle avait mal heurté une pierre du chemin de terre, se détacha et roula loin. Le cabriolet s'inclina, Afonso eut juste le temps de sauter pour ne pas être renversé et le cabriolet chavira. Le cheval, soudainement freiné par le poids de la voiture, se cabra en hennissant et s'arrêta.

Afonso, heureusement pour lui, était tombé debout. Un peu abasourdi par l'accident, il alla chercher le sac qui était tombé à une courte distance et jeta un regard désolé au cabriolet, devenu inutilisable. Il regarda autour de lui en se demandant quoi faire et vit, à quelques pas de l'endroit de l'accident, l'arche d'entrée d'une fazenda.

Alors, ayant repris son souffle, il marcha rapidement pour aller demander de l'aide. Arrivé devant l'arc, il y lut l'inscription qui disait « Fazenda Casa dos Cravos ». Il se rappela qu'il s'agissait de la fazenda du baron Da Cunha Vargas, avec qui il était lié de parentèle, même si éloignée. Il prit l'allée jusqu'à ce qu'il se trouve devant le manoir. Il n'y était jamais allé auparavant.

C'était un bâtiment de deux étages, à la façade très simple, surmonté au centre par un tympan triangulaire et avec trois plumes de pierre à droite et trois à gauche. La façade était peinte en jaune clair, les encadrements de porte et de fenêtre étaient en pierre blanche et les châssis de fenêtres et de portes en bleu clair avec des filets jaunes. L'ensemble avait une certaine élégance discrète. Le portail cintré, précédé de cinq marches de pierre grises, était sculpté de motifs géométriques. Sur la clef de voûte se trouvait l'emblème du baron sculpté dans la pierre décorée de nuances dorées.

Il monta les marches jusqu'à la grande porte qui était grande ouverte. Du vitrail de la boussole, il vit le salon meublé d'une opulence qui contrastait agréablement avec la simplicité de l'extérieur. Dans le hall, sur un important fauteuil recouvert de velours rouge, était assis un jeune homme vêtu avec une élégance sobre qui jouait avec une canne.

Afonso était sur le point de tirer la sonnette pour s'annoncer, mais il s'arrêta pour regarder ce garçon qu'il voyait de profil et fut enchanté par sa fraîche beauté. Il retint presque son souffle, tellement il était impressionné par les traits fins du garçon. Puis, presque sans réfléchir, au lieu de sonner, il poussa la grande porte vitrée qui s'ouvrit sans faire le moindre bruit. Il fit quelques pas sur le grand et précieux tapis et s'arrêta de nouveau.

En ce moment, d'une porte latérale entra un homme avec un plateau dans sa main.

L'homme s'arrêta devant le magnifique garçon, fit une révérence et, d'une voix forte et claire, dit : "Monsieur le Baron Raimundo, votre café est prêt !"

"Merci Prudente, tu peux le poser ici... eh bien, je vois que tu as même pensé aux gâteaux... tu sais à quel point je les aime, n'est-ce pas ?"

"Oui monsieur le baron..." dit l'homme avec un léger sourire.

Alors Afonso eut un léger coup de toux pour annoncer sa présence. Le garçon et l'homme se tournèrent vers lui, l'air surpris.

Afonso s'inclina légèrement et dit : "Je m'excuse de vous déranger. Permettez-moi tout d'abord de me présenter, monsieur le Baron. Je suis le marquis Afonso De Fonseca Fernandes et je suis médecin à Curitiba. Vous êtes le jeune baron Raimundo, si je ne me trompe pas, n'est-ce pas ?"

Afonso ne remarqua pas le très bref regard effrayé que Paulo envoya à Prudente. L'homme, dont le cerveau commençait à tourbillonner, se tourna légèrement vers le nouveau venu : il avait pris sa décision.

"Oui, le baron Raimundo Cabral Vargas, fils de dom Basìlio Da Cunha Vargas, maître de cette fazenda..." dit Prudente et, se tournant vers le garçon, faisant de manière que l'imprévu hôte ne le voyait pas, fit signe à Paulo de rester dans le jeu, se lever et saluer.

Paulo dut se forcer à ne pas laisser trembler la voix mais, confiant en son protecteur, il comprit qu'il souhaitait qu'il continue à jouer son rôle. Il se leva.

"Bienvenue dans notre maison, monsieur le marquis..." dit-il brièvement avant de regarder à nouveau Prudente qui lui fit un bref signe d'approbation de la tête.

"La porte était ouverte et... Voyez vous, je revenais à Curitiba avec mon cabriolet après une visite. Malheureusement, j'ai eu un accident ici même devant l'entrée de votre fazenda. Je me demandais donc si vous ne pouviez pas gentiment ordonner à vos esclaves à faire quelque chose pour remettre mon cabriolet sur les rails afin que je puisse continuer mon chemin... Une roue s'est détachée et sans les bons outils, je ne saurais pas comment..."

Paulo alors dit : "Ne vous inquiétez pas, monsieur le marquis. Prudente, ici, donnera immédiatement les ordres nécessaires à nos esclaves pour faire tout ce qui est utile et nécessaire pour résoudre votre problème... vrai, Prudente ?"

L'homme admira le sang froid de Paulo. "Bien sûr, monsieur le Baron, je vais m'en occuper tout de suite."

Paulo, qui avait retrouvé tout son aplomb, dit au jeune médecin : "Si vous voulez vous asseoir... et me faire une petite compagnie, monsieur le marquis..."

"Avec plaisir, Baron."

"Alors... vous êtes un médecin ?" demanda Paulo commençant maintenant à s'amuser pour ce jeu inattendu.

Le garçon avait souvent observé ses demi-frères et son père, et il savait comment ils se comporteraient dans une telle situation. Cette arrivée inattendue rendait encore plus amusante la mise en scène qu'il avait organisée avec Prudente.

"Oui, j'ai eu mon diplôme à Rio."

"Et, dites-moi, aimez-vous votre travail ?"

"Beaucoup. Pouvoir aider ceux qui souffrent est quelque chose qui donne un sens à la vie. ".

Paulo, observant le jeune médecin, pensa qu'il était vraiment très beau.

En particulier, il aimait son sourire sincère, ses yeux limpides et sa silhouette mince et élégante. Plus il le regardait, plus il se sentait attiré par ce beau jeune homme.

Afonso aussi ne cessait de regarder ce garçon qui le fascinait complètement, de sorte que leurs regards se croisaient souvent.

"Oui, je pense qu'être médecin est beaucoup plus gratifiant que de cultiver du tabac..." déclara Paulo.

"Mais parfois, c'est aussi frustrant, surtout quand on ne peut pas arracher à la mort un patient qu'on a soigné..."

Paulo se sentait comme une fièvre et sentait qu'il se perdait dans les yeux lumineux du beau docteur.

Les deux, continuant à parler de ceci et de cela, se lançaient inconsciemment des regards de plus en plus pleins de désir. Un vrai coup de foudre était jailli entre eux.

Paulo, sans savoir d'où lui venait un tel courage, dit soudain : "Savez-vous, marquis, que vous êtes une personne incroyablement charmante ?"

Afonso senti comme un coup dans son cœur à ces mots. Très ému, il dit : "Jamais autant que vous, Raimundo. Je n'ai jamais vu un garçon aussi beau et attrayant que vous. Vous avoir rencontré est la chose la plus extraordinaire qui se soit passée dans toute ma vie... J'aimerais avoir l'honneur de mieux vous connaître... honneur et plaisir."

"Je ne pourrais pas en demander plus à la vie, mais, vous voyez... je ne suis que de passage par là... je pense que nous ne nous reverrons jamais, malheureusement."

"Devrez-vous partir en voyage ?"

"Oui... un long voyage qui m'éloignera d'ici très longtemps, j'en ai bien peur."

Prudente rentra à ce moment-là et, s'inclinant, il dit : "Monsieur le marquis, les esclaves ont réparé votre cabriolet qui se trouve maintenant ici devant l'entrée. À tout moment, si vous voulez..."

"Vous ne pouvez pas rester encore quelques minutes, marquis ?" demanda Paulo, qui n'aurait pas voulu laisser partir ce magnifique jeune homme dont il se sentait déjà complètement conquis.

"Je resterai volontiers encore quelques minutes, baron..." répondit Afonso, qui, avec le même plaisir, ne souhaitait pas interrompre la visite inattendue.

"Prudente, pourrais-tu préparer un bon café pour notre invité ?" demanda le garçon, souhaitant inconsciemment rester seul avec Afonso encore quelques minutes.

"Tout de suite, monsieur le Baron." dit Prudente avec une petite révérence, et il retourna dans la cuisine, après avoir lancé un regard d'avertissement au garçon, pour lui dire de ne pas prendre trop de risques.

Mais Paulo, désormais, ne comprenait plus rien, il avait perdu tout le peu de prudence qu'il lui restait : "Afonso... puis-je vous appeler comme ça, marquis ? Afonso, je n'oublierai jamais cette journée qui m'a permis de rencontrer une personne comme vous."

"Certainement, Raimundo et je serais heureux si nous pouvions même nous tutoyer... Je suis désolé que tu doives partir, je suis vraiment désolé..." murmura Afonso et, prenant la main du garçon, il l'embrassa.

Paulo rougit délicieusement puis attira la main du jeune médecin vers lui et il l'embrassa à son tour.

"Raimundo... oh, Raimundo... tu ne sais pas ce que tu suscites en moi..."

"Je pense que je le sais... j'ai peur de le savoir."

"Pourquoi dis-tu que tu en as peur ?" demanda Afonso en le regardant avec des yeux brillants d'émotion.

"Parce que je sais que nous ne nous reverrons jamais. Parce que je sais que nous devrons tous les deux oublier ce moment précieux..."

"Mais moi, Raimundo, je sens que..." commença Afonso.

A ce moment, Prudente entra avec un plateau : "Monsieur le marquis, votre café..." dit-il d'une voix formelle.

Afonso le sirota sans détourner le regard du visage de Paulo et posa la tasse.

Prudente alors s'inclina et dit : "Votre cabriolet est prêt, monsieur le Marquis. Si vous voulez me suivre..."

Afonso se leva : "Je voudrais pouvoir remercier comme il se doit pour la courtoisie qui m'a été accordée et pour l'aide qui m'a été apportée pour mon problème..."

"Ça a été un réel plaisir d'être utile de quelque façon..." répondit Paulo en se levant lui aussi.

Afonso tendit la main à Paulo et la secoua, peut-être un moment plus long que nécessaire, avec une chaleur vive. Puis Afonso s'inclina et suivit Prudente hors de la maison. Il monta sur son cabriolet, se tourna vers la porte d'entrée et fut surpris de ne pas y voir Paulo. Il espérait pouvoir échanger un dernier au revoir avec le beau garçon. Il démarra le cabriolet et se dirigea vers Curitiba.

Prudente rentra dans la salle. Paulo était de nouveau assis dans le fauteuil, presque abandonné, une expression langoureuse sur le visage.

"Mon cher Paulo, t'as très bien joué le rôle du baron Raimundo... J'ai eu un moment de panique lorsque j'ai trouvé ici ce médecin, tout d'un coup. Mais maintenant, c'est bon que nous revenions en haut et que tu te changes encore avant qu'un membre du personnel de maison ne revienne et te voie..."

"Prudente ... qui était cet homme si charmant ?" demanda Paulo avec un filet de voix sans se lever du fauteuil.

"Il s'est présenté, c'était le marquis Afonso de Fonseca Fernandes..."

"N'était-il pas un ange descendu du ciel ?" demanda le garçon d'une voix rêveuse.

"Il te plaisait ?"

"Il m'a ensorcelé... Je pense que je suis tombé amoureux de lui !"

"Allez, n'exagère pas maintenant. Vous venez de vous rencontrer, vous n'avez échangé que quelques mots... Il en faut beaucoup plus pour tomber amoureux de quelqu'un."

"Ah oui ? Et que faut-il alors ?"

'Paulo, maintenant montons, vite. Notre jeu a duré trop longtemps. Tu sais également que si, dans tous les cas, le médecin doit revenir ici, tu ne dois absolument pas le laisser te voir. Tu le comprends, n'est-ce pas ?"

"Bien sûr que je le comprends. Je le lui ai aussi dit..."

"Que lui as-tu dit ?" lui demanda Prudente légèrement alarmé.

"Je lui ai dit que je m'apprêtais à partir pour un long voyage... et que nous ne nous reverrons jamais." répondit le garçon alors qu'ils montaient les escaliers.

"Et pourquoi lui as-tu dit quelque chose comme ça ?"

"Parce qu'il m'a dit qu'il voulait me revoir, mieux me connaître... Parce que je crois que lui aussi est amoureux de moi."

'Oh, Paulo, ce ne sont que des fantasmes. Allez, maintenant, enlève ces vêtements et remettons tout en ordre."

"Oui, la fête est finie... Raimundo est à Rio et ici il n'y a qu'un pauvre esclave blanc, Paulo... Paulo qui ne peut intéresser personne..."

"Ne dis pas ça, mon garçon. Tu sais que pour toi, je nourris plus qu'un simple intérêt, n'est-ce pas ?"

"Oui, bien sûr... tu as été et tu es le seul parmi les Blancs à m'avoir toujours bien traité et, je crois, aussi à me vouloir bien."

"Bien sûr que je t'aime bien, mon garçon, et pas seulement parce que tu as voulu accepter de soulager ma solitude... La vie a été injuste avec toi, et je serais le premier à souhaiter qu'elle soit plus douce, et que tes rêves se réalisent..."

"Mes rêves, monsieur Prudente ? Je n'ai jamais nourri de rêves, tu le sais bien... Jamais, du moins, jusqu'à cet après-midi... Cet homme, ce médecin, le marquis Afonso, m'a ouvert tout un monde de rêves... que je ne peux que regarder de loin... et la porte s'est déjà refermée."

"Ne sois pas triste Paulo. Et surtout, essaye d'oublier cet étrange après-midi."

"Mais le marquis Afonso était si beau... si beau..."

"Bien sûr, je comprends que son apparence, son regard t'ont conquis. Lui, noble, riche et si beau... en quoi puis-je me comparer à lui ? En rien..." dit le secrétaire amèrement.

"Non, ne dis pas cela, monsieur Prudente. Je ne serais vraiment rien sans toi, sans ton affection... Et la beauté n'est pas tout..." répondit Paulo, mais son cœur était plein de la vision du bel Afonso et ses mains sentaient toujours la douceur et la vigueur de la dernière poignée de main échangée avant que le jeune marquis ne parte et ne quitte la maison.

Entre-temps, Afonso aussi ne faisait que penser à la rencontre fortuite et heureuse qu'il avait eue avec celui qu'il croyait être le jeune baron Raimundo. Rentrant chez lui à Curitiba avec son cabriolet réparé de manière experte, il se sentit terriblement agité et il se répétait qu'il n'avait jamais rencontré un être d'une telle beauté et d'une telle douceur qui l'avait attiré et troublé si profondément au cours du peu de minutes passées ensemble.

De retour chez lui, dès qu'il put être seul avec son ami Olavo, il sentit le besoin de lui confier immédiatement cette rencontre incroyable, trop belle et trop courte. En fait, Olavo était l'un des rares amis avec lequel il pouvait parler ouvertement de sa vie secrète, de ses désirs, de ses espoirs, de ses troubles et de ses amours inconfessables.

L'ami l'écouta avec la sympathie et la disponibilité habituelles, puis lui dit : "Fais gaffe, mon bon Afonso, de ne pas confondre ton engouement soudain et tes rêves sur ce garçon avec la réalité. Ce n'était probablement que de la courtoisie formelle envers toi..."

"Non, non, Olavo ! J'ai vu comment il me regardait, comment il me souriait... Si t'avais écouté la douceur de sa voix... Non, je le sens, j'en suis sûr, même ce beau garçon a senti pour moi ce que je ressens pour lui ! J'aurais voulu ne jamais quitter cette maison, je le jure !"

"Bon Dieu, Afonso, je ne t'ai jamais vu ainsi agité, aussi... fou ! Essaye de te calmer, mon bon ami. Surtout car le jeune baron t'a annoncé qu'il allait partir pour un long voyage et que de toute façon vous ne pourrez plus jamais vous revoir..."

"Oui, tu as raison... Mais si tu avais senti l'accent de douleur qui était dans ses mots pendant qu'il me disait ça ! Non, mon bon Olavo, j'en suis sûr, Raimundo a également ressenti un soudain amour et une forte attirance pour moi."

"Attraction, je n'en doute pas, tu es un homme d'une rare beauté et d'une grande élégance. Ce n'est pas pour rien, à notre époque, que tu as réussi à me fasciner, à me séduire et à me faire oublier mon penchant naturel pour le beau sexe... Mais en ce qui concerne l'amour... Comment peux-tu parler d'amour, et encore moins d'amour mutuel, si tu n'as passé que quelques minutes avec lui ?"

"Je peux, parce que je le sens brûler dans mon cœur... et je l'ai vu brûler dans ses beaux yeux noirs, je l'ai senti vibrer dans sa douce voix..."

"Mais allons, mon cher ami, l'amour n'est pas comme un feu d'artifice chinois qui s'enflamme et explose en un instant magique, mais plutôt comme le feu d'un foyer, qui doit être soigneusement préparé, allumé, suscité petit à petit et puis doit être continuellement nourri pour qu'il ne s'éteigne pas..."

"Tu sais, Olavo, j'aimerais reprendre mon cabriolet et retourner à la fazenda de la Casa dos Cravos pour me jeter aux pieds de ce garçon et lui demander s'il peut me donner son amour, s'il veut être le mien..."

"Calme-toi, calme-toi s'il te plaît. Je ne t'ai jamais vu aussi exalté. Allez... Ce qu'il te faut maintenant, c'est te distraire... et peut-être trouver un bon garçon pour l'emmener dans ton lit, crois-moi. Tu ne m'as pas dit que tu as une demi-relation avec le fils de l'apothicaire ? Et que tu aimes comment il sait faire l'amour ? Essaie de le revoir bientôt, et il te fera oublier le beau Raimundo !"

"Oh, le fils de l'apothicaire... avec lui, il n'y avait qu'un plaisir mutuel, un agréable amusement... mais son attrait et sa bravoure au lit disparaissent en comparaison de ce que je ressens pour Raimundo !"

"Allez ! Je ne t'ai jamais vu dans ces conditions. C'est juste un engouement fou. Essaye de ne plus y penser, Afonso, sois sage."

"C'est facile pour toi de me parler ainsi, avec ta femme à côté : tu as tout ce que tu pourrais souhaiter..."

"Oui, je ne le nie pas. Pourtant je dois t'avouer... Elle est douce, bonne, une épouse parfaite et une amante chaude... Elle me donne la douceur et ne m'épargne pas le plaisir... Et pourtant..."

"Ne me dis pas que tu regrettes de t'être marié avec elle ! Je ne te croirais pas. Vous semblez le couple le plus heureux de ce monde."

"Et nous le sommes vraiment. Je suis tout sauf repentant. Et pourtant, vois-tu, avec elle, je n'ai jamais ressenti le feu de la passion que tu m'avais fait essayer, je dois l'avouer. C'est une femme soumise, douce, chaleureuse dans notre intimité..."

"Voudrais-tu peut-être me dire qu'il te manque... que tu sens que te manque un homme ?"

"Non, pas ça. Je ne me sens attiré par aucun homme, je le jure. Et si un jour je l'étais, j'aimerais que cet homme... ce soit toi. Je n'ai pas oublié, sais-tu, les heures folles et passionnées que nous avons passées ensemble ! Tu es toujours dans mon cœur, Afonso."

"Qu'est-ce que c'est ça ? Une proposition ?" demanda le jeune médecin sur un ton à mi-chemin entre le surpris et l'amusé.

"Non, pas du tout. Je suis très à l'aise avec ma femme, je n'ai besoin de rien d'autre, je le jure. Je voulais simplement te dire que je ne renie rien de tout ce qu'il y a eu de beau entre nous quand nous étions deux jeunes étudiants, là-bas à Rio. Pour toi maintenant, je ne ressens qu'une amitié profonde et forte, rien de plus... et rien de moins. Et juste au nom de cette amitié, je te prie d'oublier ce garçon que cependant, même si tu avais raison en ce qui concerne ses sentiments, comme il te l'a clairement dit, tu ne pourras plus jamais revoir."

"Tu sais, Olavo, que le cœur a ses raisons, n'est-ce pas ?"

"Mais je sais aussi qu'il faut faire de nécessité vertu, mon cher ami. Pourquoi te consumer dans ce rêve insensé sans espoir ? Essaie de rencontrer au plus vite ce garçon, le fils de l'apothicaire, ou peut-être un autre... et oublie dans ses bras ce rêve impossible ! Essaie de prendre de la vie ce que de bon elle peut t'offrir, sans désirer un paradis qui n'existe pas, ou qui du moins n'est pas de cette terre !"

Afonso, rationnellement, donnait raison à son ami, mais il ne pouvait pas enlever de son cœur la vision fugace et magnifique de cette rencontre fortuite.

Les jours passaient et aucun des deux ne semblait capable de se résigner à l'idée qu'il ne reverrait jamais plus l'autre.

Paulo reprit sa vie habituelle, subissant également le harcèlement de ses parents qui étaient entre-temps rentrés chez eux et se consolant dans l'affection du bon Prudente avec qui il continuait à faire l'amour chaque fois que l'occasion se présentait.

Afonso avait repris ses entretiens secrets avec le fils de l'apothicaire et avait tenté, dans ses bras, d'oublier ce garçon, qu'il croyait être le jeune baron Raimundo, même si en vain.

Paulo, perdu dans son rêve d'un amour qu'il avait juste entrevu, était devenu taciturne et presque absent, de sorte que de temps en temps, il combinait quelque bêtise et était donc sévèrement puni encore plus fréquemment qu'auparavant.

Afonso s'était plongé dans son travail de médecin, espérant en vain que prendre soin de ses patients ou profiter d'un moment de plaisir avec le fils de l'apothicaire pourrait le distraire de continuer à rêver du beau Raimundo qu'il pensait être maintenant loin et inaccessible peut-être, qui sait, même de l'autre côté de l'océan.

Paulo se disait que le séduisant Afonso l'avait certainement déjà oublié et des pensées similaires étaient logées dans le cœur du jeune marquis, mais aucun des deux n'arrivait à oublier l'autre.

Prudente comprenait que Paulo était toujours troublé, même si plusieurs jours s'étaient écoulés depuis cette rencontre inattendue, et il regrettait de n'être pas capable d'enlever de l'esprit et du cœur du garçon cette vision fugace, cet amour absurde qu'il jugeait non seulement impossible, mais unilatéral. Il était convaincu que le marquis Afonso, en supposant que lui aussi était attiré par les grâces masculines, avait désormais oublié Paulo. Il était également convaincu que le beau Paulo s'accroche à cet amour supposé pour échapper à la laideur que la vie, malgré sa protection, réservait au pauvre garçon.

Dom Basìlio, depuis son retour de Rio, était particulièrement de mauvaise humeur, car il avait entendu dire que leur jeune empereur, qui avait été déclaré majeur et donc n'était plus sous la protection du régent et avait assumé tous les pouvoirs, s'opposait à l'esclavage. Et qu'il avait même dans son cœur l'abolition de la traite négrière dans tout le Brésil.

"Si nous ne pouvons plus importer d'esclaves d'Afrique, nous devrons faire en sorte que nos esclaves fassent davantage d'enfants, à mesure que le besoin de main-d'œuvre grandira à mesure que nous exportons plus de tabac, de café, de coton, de bois et de sucre !" un jour dit dom Basìlio à son intendant. "Nous pourrions offrir un traitement de faveur aux esclaves qui ont plus d'enfants, ne pas les envoyer travailler dans la plantation si elles sont enceintes..."

"De cette manière, nous aurons moins de travailleurs..." objecta l'intendant.

"Nous ferons travailler plus dur les hommes, et en particulier les femmes non enceintes. Ils vont comprendre par eux-mêmes ce qu'ils doivent faire, non ? Et nous pourrions aussi donner un peu plus de nourriture aux familles avec une femme enceinte, que sais-je... Mais je veux que nos esclaves produisent un fils par an ! Même les plus jeunes, dès qu'elles deviendront des femmes, devront se marier et avoir des enfants. Oui, c'est ça la solution ! Et si nous planifions bien, nous aurons bientôt aussi une ferme d'esclaves que nous pourrons vendre à d'autres fazendeiros... mais seulement les hommes, bien sûr, car les femmes doivent enfanter pour nous !" conclut le baron, fier de la brillante idée qu'il venait d'avoir.

Le fils Gregòrio, qui avait assisté à cette conversation, rit amusé par l'enthousiasme de son père et observa avec une certaine ironie : "Et alors, nous devrons changer le nom de notre fazenda, mon cher père, en ajoutant un «ES»... Nous devrons l'appeler « Casa dos Escravos », (Maison des Esclaves), au lieu de « Casa dos Cravos » (Maison des Œillets) !"


PRÉCÉDENT - SUIVANT