DE L'AUTRE CÔTÉ
DU MONDE
CHAPITRE 4
DE GRANDS CHANGEMENTS POUR MANOEL

Manoel monta à l'étage jusqu'à la grande salle des fêtes. Il y avait déjà monsieur Euclides et les deux fils avec quelques invités. L'intendant, le secrétaire et la gouvernante étaient également présents. Quatre musiciens étaient assis dans un coin et jouaient discrètement de la musique de chambre. En bas, les esclaves accueillaient les nouveaux invités en ouvrant les portes des voitures et, à la porte du salon, le vieux Moses annonçait les invités à haute voix à leur arrivée.

En bref, la salle était pleine de monde et les filles des invités se disputaient très discrètement pour attirer l'attention des deux fils du maître de maison. À un certain moment, on annonça monsieur Joaquim Meirelles Chagas de Sâo Paulo, son épouse et son fils. Le nom ne disait rien à Manoel, mais dès qu'il vit l'homme entrer, il le reconnut : lorsqu'il était à Sâo Paulo, il avait parfois été l'un de ses clients. L'homme l'avait emmené à plusieurs reprises dans une maison de rencontres et s'était amusé avec lui, baisant le garçon debout, devant le miroir...

Leurs regards se rencontrèrent, mais l'homme ne donna aucun signe de reconnaissance : soit il savait très bien faire semblant, ou il ne se souvenait vraiment pas de Manoel. D'autre part, pensa le garçon, il était probablement l'un des nombreux garçons que l'homme payait pour s'amuser, certainement à l'insu de sa femme et de son fils. Cependant, Manoel ne pouvait pas cesser de regarder l'homme.

Tout en l'observant, il se souvint d'un détail : cet homme, quand le payait, sortait toujours son portefeuille de la poche arrière de son pantalon, celle de gauche, contrairement à tous les autres clients qui le gardaient généralement dans la poche intérieure de la jaquette. Et il se souvint également que le portefeuille de cet homme était généralement bien approvisionné en billets de banque...

Manoel alors pensa que, dans l'ensemble, il pourrait utiliser son ancienne capacité pour tirer le portefeuille des gens, afin de pouvoir se procurer un joli petit magot. Ainsi, lorsqu'il quitterait la maison de monsieur Quadros Dutra, il pourrait survivre pendant un certain temps sans trop de problèmes.

Il étudia attentivement tous les mouvements de l'homme, essayant de saisir le bon moment pour son entreprise. Et finalement, il le vit entouré d'autres personnes qui étaient presque sur lui pour l'entendre raconter les dernières nouvelles politiques.

"... et c'est ainsi qu'Aureliano Coutinho a limogé José Bonifacio du poste de tuteur de notre empereur et l'a fait remplacer par le marquis d'Itanahém..." disait-il à son auditoire attentif.

Manoel, qui avait réussi à se mettre derrière lui, avec une main légère et sûre, venait tout juste de sortir son portefeuille de sa poche. Il l'avait toujours dans la main quand il vit que Nicolau le regardait avec un léger froncement de sourcils. Alors, rapidement, Manoel frappa légèrement l'épaule de monsieur Joaquim et l'homme se tourna pour le regarder.

"Monsieur, il y avait ce portefeuille sur le plancher... Je pense qu'il pourrait vous appartenir..." dit-il en le lui donnant.

L'homme le regarda et pendant un moment Manoel lut un éclair de reconnaissance dans ses yeux mais, imperturbable, l'homme dit : "Oui, c'est à moi. Merci jeune homme, vous êtes très gentil !" et il empocha son portefeuille à nouveau.

Manoel se détourna. Il vit que Nicolau le suivait des yeux et sentit son cœur dans sa gorge. Puis il remarqua que même Getulio le regardait et son sourire méprisant lui fit comprendre que très probablement le frère cadet avait remarqué sa manœuvre... Il se sentit perdu.

Silencieusement, le garçon se glissa hors du salon, dans l'escalier et monta dans sa chambre. Il se dépêcha de mettre ses vêtements et ses précieux cahiers dans un sac, puis alla à l'escalier de service et descendit vers le rez-de-chaussée : c'était le meilleur moment pour s'échapper !

Mais Nicolau se tenait dans le couloir et le garçon s'arrêta, rougissant jusqu'au bout des oreilles.

"Manoel... où vas-tu ?"

"Je m'en vais..." gémit le garçon.

"J'ai peu de temps. Entre dans ta chambre, nous devons parler." Manoel obéit. Nicolau ferma la porte derrière lui. "Assieds-toi." dit-il au garçon.

Manoel s'assit au bord du lit et Nicolau s'assit à côté de lui. "Pourquoi l'as-tu fait ?" demanda-t-il, sérieux mais pas dur.

"Moi, monsieur Nicolau... je voulais partir et... je pensais que... je n'ai même pas un milreis, et alors..."

"Tout d'abord, si tu avais besoin d'argent, n'aurait-il pas été préférable de me les demander plutôt à moi ?"

"Je n'en avais pas le courage..."

"Mais tu as eu le courage d'essayer de les voler, non ? Et deuxièmement, pourquoi veux-tu partir ? N'es-tu pas bien ici avec nous ? Nous étions en train de nous attacher beaucoup à toi..."

"Vous voyez que je ne mérite pas votre affection..."

"Ne dis pas de bêtises, mon garçon ! Explique-moi plutôt pourquoi tu pensais partir ? Ici, tu étudiais, tu te créais une culture, tu as de la bonne nourriture, un logement décent, des vêtements... qu'est-ce qui ne va pas ?"

"Monsieur Getulio me déteste... et vous allez bientôt partir, pour quatre mois... Et monsieur Getulio se vengerait de moi pour toutes les fois où vous avez pris ma défense... Et surtout maintenant, s'il m'a vu aussi comme vous m'avez vu..."

"Écoute, je n'ai plus assez de temps, maintenant, mais je veux en reparler avec toi. Attends-moi ici dans ta chambre. Quand la fête sera finie, je reviendrai pour en parler, d'accord ?"

"Comme vous le commandez, monsieur Nicolau..." répondit le garçon, complètement abattu.

Manoel attendit partagé entre le désir de fuir et la parole donnée à Nicolau.

Pendant ce temps, la fête était finie et les invités étaient partis. Getulio demanda tout de suite à son père de lui parler et il appela également Nicolau.

"Regarde, mon père, j'exige que ce petit serpent de Manoel soit immédiatement puni."

"Et pour quoi ? Qu'aurait-il fait cette fois-ci ?" demanda Euclides avec un peu d'impatience.

"Je l'ai surpris lors de la fête alors qu'il prenait le portefeuille à monsieur Meirelles Chagas !"

"Mais non," dit Nicolau immédiatement, "je l'ai bien vu, moi aussi, il a ramassé son portefeuille au sol et l'a donné à monsieur Joaquim !" dit-il en mentant pour protéger le garçon.

"Ce n'est pas du tout comme ça, tu le sais bien. Arrête de protéger ce voleur." cria Getulio.

"Bien sûr que c'est comme je dis, c'est toi qui as mal vu et mal interprété. D'autre part, nous savons que, pour une raison étrange, tu en veux à ce garçon depuis le premier jour de son arrivée ici. Il y a quelques jours, tu étais même furieux avec lui parce qu'il portait ton vieux costume que tu n'utilisais plus, sans compter que notre père en avait décidé ainsi !" insista Nicolau avec force.

"Non, tu le défends même contre toute évidence ! C'est quoi, tu aimes ce gars et tu veux te l'emmener au lit ?" dit-il à son frère avec le poison dans sa voix.

"Getulio ! Je ne te permets même pas de penser une chose pareille ! Demande pardon à ton frère tout de suite !" cria monsieur Euclides.

"Vois-tu, mon père, comment Getulio invente les choses les plus absurdes pour nuire à ce garçon ? Mais pourquoi, je me demande, qu'est-ce qu'il t'a fait ?"

"Non, non, moi je sais que tu mens, Nicolau. Et c'est moi qui en demande le pourquoi !" dit Getulio et il sortit en claquant la porte.

"Getulio ! Reviens ici tout de suite !" tonna son père mais le garçon ne revint pas.

"Laisse-le partir, mon père... Je crains que cela ne soit pas très utile de discuter à nouveau avec lui."

"En tout cas, je veux voir clairement dans cette affaire. Où est le garçon ?"

"Dans sa chambre..." dit Nicolau.

"Allons le voir, je veux entendre sa version des faits..."

Les deux montèrent au deuxième étage croisèrent Getulio qui descendait l'escalier.

"Où est Manoel ?" demanda Nicolau, suspicieux.

"Il s'est échappé et il a donc confirmé ma version des faits." répondit triomphalement Getulio.

"Tu l'as forcé à partir, je parie !" l'accusa Nicolau.

"Et pourquoi le ferait-il s'il était vraiment innocent ?"

"Parce qu'il a peur de toi, voilà pourquoi..."

Les deux garçons n'ont pas remarqué que leur père était rapidement descendu par l'escalier de service. Monsieur Euclides entra dans l'écurie et prit son cheval. Puis, contournant la résidence, il prit décidemment l'avenue. En peu de minutes de galop, il atteignit le garçon.

"Manoel ! Manoel, arrête !" lui cria-t-il.

Le garçon s'arrêta et regarda l'homme avec une expression effrayée. Monsieur Euclides descendit de cheval et prit le garçon par le bras.

"Toi et moi on doit parler, mon garçon." dit l'homme déterminé.

Manoel le regarda puis baissa les yeux.

"Pourquoi t'es en train de quitter ma maison ?"

"Parce que monsieur Getulio m'a dit que vous vouliez me signaler à la police..."

"Et pourquoi devrais-je te signaler ? Nicolau m'a dit qu'il t'avait vu ramasser ce portefeuille au sol et le rendre à monsieur Joaquim. Où est le problème ?"

"Monsieur Nicolau est bon... il m'a toujours aidé, défendu... mais cette fois... cette fois... monsieur Getulio a raison."

"Alors, aurais-tu volé ce portefeuille ?"

"Oui, c'est ça..." murmura le garçon à voix basse.

"Alors pourquoi l'as-tu rendu ?"

"Parce que... parce que monsieur Nicolau m'avait vu et j'ai eu honte de ce que j'avais fait."

"Et pourquoi l'avais-tu volé ?"

"Moi, monsieur... je ne mérite vraiment pas toute votre bonté. Après m'être échappé de l'orphelinat, pendant trois ans, j'ai vécu de manière malhonnête, volant ici et là, volant le portefeuille aux passants... Je ne suis pas digne de vivre dans votre maison..."

"Mais au cours de tous ces mois, tu t'es toujours bien comporté, tu as toujours travaillé et personne ne s'est jamais plaint de ce qu'il manquait quelque chose à la maison..."

"Oh non, je ne vous aurais jamais volé à vous, monsieur ! Et j'avais bien l'intention de commencer à mener une vie honnête, grâce à votre aide. Mais... mais j'avais peur de monsieur Getulio... surtout que monsieur Nicolau est sur le point de partir... Et alors... je me suis laissé tenter et... et j'ai encore tout fait foirer."

"Peut-être que je me trompe, mais... j'ai l'impression que, malgré tout, tu es un gars honnête. S'il n'y a rien d'autre, tu as immédiatement avoué ton erreur, sans chercher d'excuses, même après que je t'ai dit que Nicolau t'avait défendu. Oui, je te comprends, malheureusement Getulio te rend la vie difficile... moi aussi je n'arrive pas à comprendre pourquoi... Mais d'ailleurs, en quittant ma maison, que comptes-tu faire ? Recommencer avec ton ancienne vie ?"

"Je ne sais pas, monsieur Euclides, je ne voudrais pas, mais je ne sais pas ..."

"Si tu insistes à partir, Manoel... je ne peux pas te retenir ici, mais..."

À ce moment Nicolau arriva avec son cheval.

"Manoel... tu m'avais promis de m'attendre..." commença le jeune homme, en descendant de son cheval.

"Je vous demande pardon, monsieur. Mais j'ai déjà créé trop de problèmes entre vous et votre frère... Et je vous remercie d'avoir essayé de me protéger à nouveau, monsieur Nicolau, mais vous savez que j'avais vraiment volé ce portefeuille... alors... quand monsieur Getulio a dit qu'il appellerait la police si je ne partais pas tout de suite... j'ai préféré manquer à la promesse que je vous avais donnée, plutôt que de risquer de finir en prison."

La soirée tombait rapidement et une pluie fine commençait à tomber.

"Eh bien, il vaut mieux que nous rentrions tous à la maison. Une fois à l'intérieur et au chaud, nous reprendrons cette discussion. Nicolau, emmènes-tu le garçon sur ta selle ?"

"Oui, mon père."

"Ensuite, vous venez tous les deux à mon bureau."

"Bien, mon père."

Ils entrèrent dans l'étude de monsieur Euclides. Manoel, voyant qu'il n'y avait pas Getulio, se sentit un peu moins tendu, même s'il avait encore honte à en mourir.

"Asseyez-vous." l'homme dit à son fils et son garçon. "Alors, que pouvons-nous faire, maintenant ?" demanda-t-il, croisant les doigts sur le bureau et se penchant légèrement vers les deux.

"Père, puis-je parler ?" demanda Nicolau.

"Bien sûr." l'homme lui répondit.

"Manoel a fait une faute, c'est vrai. Mais c'est encore un garçon, après tout, il n'est pas méchant et il vient d'une situation très difficile... Je pense que nous devons lui donner une seconde chance..."

"Je pourrais être d'accord avec toi. Mais vois-tu, malheureusement, il semble qu'entre Getulio et lui ne coule pas du bon sang... et après ce qui s'est passé, je crains que la situation ne devienne encore plus difficile, voire insoutenable..."

"Oui, je le comprends, mais... J'y ai pensé. En fait, j'y avais pensé avant même que ce problème ne se pose... Manoel adore étudier et m'a dit une fois qu'il aurait aimé devenir un jour un enseignant..."

"Vraiment ?" Euclides demanda, "Et pourquoi aimerais-tu pouvoir devenir un enseignant ?"

"À vrai dire, monsieur, ce n'était qu'un de mes rêves... mais je ne sais même pas si j'aurais assez de tête pour étudier, pour vraiment le devenir..."

"Mais pourquoi justement un enseignant ?" insista l'homme, sincèrement intéressé.

"Moi... à l'orphelinat... le seul beau moment était quand le professeur nous enseignait des choses, nous faisait découvrir des choses toujours nouvelles et intéressantes... Je l'admirais beaucoup et pensai qu'un jour j'aurais voulu devenir comme lui, pour aider les enfants à grandir, à apprendre, à devenir quelqu'un..." répondit le garçon, oubliant un instant la honte qui le tenaillait.

"Mais les professeurs, à part peut-être des tuteurs particuliers, ne gagnent pas beaucoup d'argent..." dit l'homme.

"Ce serait déjà un profit de savoir qu'on a aidé une personne à grandir et peut-être même à trouver un emploi utile et qu'elle l'aime... au moins quand on gagne assez pour vivre décemment." répondit Manoel.

"Père," intervint Nicolau, "tu connais le directeur de l'Institut d'Enseignement Supérieur de Sâo Paulo, et je sais que là ils ont également des cours pour devenir enseignant. Si tu mettais un bon mot, peut-être le prendraient-ils... N'aimerais-tu pas y aller, Manoel ?"

"Monsieur Nicolau... je ne sais vraiment pas si je serais capable de..."

"Quand je t'enseignais l'italien, tu apprenais vite et bien. Je suis sûr que si tu t'y engages sérieusement, tu obtiendras un diplôme et même avec de bonnes notes."

"Mais ensuite, aller à l'école, ça coûte cher, seuls les riches peuvent espérer obtenir un diplôme..." objecta à nouveau le garçon.

"Écoute, Manoel, je pense que l'idée de Nicolau peut être bonne... De plus, je sais qu'à des étudiants dignes ils accordent même une bourse d'étude. Je te propose donc d'abord de te faire accepter par l'Institut et de payer tes frais pour la première année. Si tu as de bons résultats, tu pourrais bénéficier d'une bourse dès la deuxième année et, si tu continues à t'engager, tu peux la conserver jusqu'à l'obtention de ton diplôme. Qu'en penses-tu, mon garçon ?"

"Monsieur... après ce que j'ai fait... je ne le mérite vraiment pas, monsieur..." protesta Manoel faiblement.

"Garçon, je n'oublie certainement pas la mésaventure de cet après-midi, mais je n'oublie même pas que tu t'es blessé pour nous aider à sauver notre récolte, alors que tu n'avais encore aucun devoir envers moi. Cependant, au maximum, je risque le coût de la redevance pour une année, car après tu devras subvenir à tes besoins. As-tu envie d'essayer ? As-tu envie de t'engager ?"

"Je... je... vraiment... je ne sais pas comment vous remercier, monsieur Euclides, monsieur Nicolau ! Je... bien sûr que je vais m'y mettre de toutes mes forces et j'espère vraiment que vous ne vous devrez repentirez jamais de ce que vous faites pour moi !"

"Nous l'espérons bien aussi, Manoel. En fait, j'en suis sûr." lui dit Nicolau avec un chaud sourire.

"Bien. Alors maintenant, va dans ta chambre, Manoel. Dans les prochains jours, tu n'iras plus aider à la bibliothèque, mais tu étudieras avec Nicolau. Dès que possible, j'irai à São Paulo pour voir si, comme je l'espère, on t'acceptera à l'Institut. Et toi, Nicolau, avant de partir, veille à préparer le garçon à sa nouvelle vie."

Manoel retourna dans sa chambre, se déshabilla et se jeta sur le lit. Il éclata en sanglots, soulageant ainsi toute la tension de ces dernières heures. Il se demandait comment il avait pu faire une telle chose chez ses bienfaiteurs. Il se sentait coupable surtout à l'égard de Nicolau. Finalement, il s'endormit, trouvant un peu de soulagement.

Le lendemain, Nicolau appela le garçon.

"Tu verras que mon père pourra te faire admettre à l'Institut... mais tu dois me promettre de t'engager sérieusement, pour ne pas me faire regretter d'avoir toujours été ton ami..."

"Pourquoi vous faites tout ça pour moi, surtout après avoir vu qui je suis, que je vous ai dit comment j'ai vécu pendant trois ans..."

"Parce que je pense qu'à chaque personne on doit donner une chance. Parce que je te comprends, je sais ce que cela signifie d'avoir perdu sa mère... mais au moins j'ai mon père, une maison, de la richesse... tu n'as jamais rien eu de la vie. Les erreurs que tu as pu commettre dans le passé ne comptent pas si tu veux t'engager sérieusement pour te faire une nouvelle vie. Et je pense que si tu veux, tu peux le faire."

"J'aimerais avoir confiance en moi comme vous l'avez en moi, monsieur Nicolau... Mais j'ai bien peur que monsieur Getulio ait raison, au contraire."

"Non, Manoel, tu ne dois jamais te rendre aux préjugés que d'autres peuvent avoir sur toi. Tu dois toujours te battre et essayer de t'améliorer, ne serait-ce que pour démentir ceux qui te jugent mal... tu me promets de faire de ton mieux ?"

"Je... je ferai tout ce que je peux pour ne pas vous décevoir à nouveau, monsieur Nicolau... Je le jure !"

'Très bien. Et quand je reviens d'Europe, je viendrai te voir, promis. Et tu me montreras que je ne me suis pas trompé avec toi. Mais maintenant, commençons à prendre soin de ta préparation, nous avons quelques jours. Plus tu seras préparé à ton admission à l'Institut, plus il te sera facile d'aller de l'avant. Commençons donc avec quelques calculs. Tu veux ?"

"Tout ce que vous décidez va bien, monsieur Nicolau..."

Au cours des quelques jours qui restèrent avant le départ de Nicolau, le jeune homme soumit le garçon à un rythme d'étude intense. Manoel s'y mit de toutes ses forces et, grâce à son intelligence vive et à sa bonne volonté, il progressait rapidement.

Monsieur Euclides revint de Sâo Paulo, affirmant que l'institut avait accepté l'inscription de Manoel et que le garçon serait logé dans un dortoir du collège d'étudiants. Nicolau effectua ses derniers préparatifs pour le voyage en Italie et il a également fait préparer les bagages pour Manoel pour sa nouvelle aventure.

Enfin, monsieur Euclides fit préparer le grand carrosse pour accompagner à Sâo Paulo Manoel qui entrerait à l'Institut, puis Nicolau au port d'embarquement pour l'Europe.

Arrivé à Sâo Paulo, Manoel fut présenté au directeur de l'institut, puis également au directeur du collège qui lui assigna un lit dans un dortoir de six étudiants, tous issus de familles riches de l'État ou des États voisins. Et ici Manoel eut une surprise : il avait été enregistré comme Manoel Branco Dutra... Monsieur Euclides lui avait fait ajouter son nom de famille, pour que le garçon ne doive pas avoir honte devant ses compagnons ; en fait seuls les enfants naturels avaient un seul nom de famille.

"Je... je ne sais pas comment vous remercier, monsieur Euclides... je... je vraiment..." balbutia presque le garçon, les yeux brillants d'émotion.

"Tu as un moyen de nous remercier, Nicolau et moi, Manoel : assure-toi que nous n'aurons jamais à avoir honte de toi et à regretter de t'avoir donné notre nom !"

"Je le jure, monsieur... je le jure. Je ferai de mon mieux pour que vous puissiez être toujours fiers de moi."

Ainsi Manoel commença ses études pour devenir enseignant. Il s'appliquait avec un sérieux extrême, de sorte qu'il a rapidement commencé à avoir de bons résultats dans tous les domaines d'étude et les rapports que le directeur de l'Institut envoyait tous les mois à monsieur Euclides Quadros Dutra étaient toujours positifs.

Manoel a également très bien noué des liens avec ses camarades de classe ainsi qu'avec les cinq autres garçons de son dortoir. Bien sûr, il n'était pas toujours facile de s'entendre avec tout le monde, en particulier avec certains garçons de famille noble qui semblaient être des snobs prétentieux, mais le garçon faisait de son mieux pour éviter les frictions et vivre sans trop de problèmes avec les autres.

Le seul problème qui commençait à se poser à Manoel était qu'il était difficile de se faire un ami intime avec lequel il pouvait également avoir une relation sexuelle, ce qui manquait toujours plus au garçon. Voir ses camarades du dortoir, dont deux aussi très beaux et physiquement attrayants, à moitié nus quand ils s'habillaient et se déshabillaient, ne faisait qu'aiguiser ses désirs. Cependant, aller se masturber dans les toilettes était un palliatif pâle, qui, si à l'époque, il semblait atténuer ses désirs, le laissait encore plus plein de désirs de pouvoir faire plus.

Manoel essayait de tenir bon, car il savait qu'il ne devait pas risquer de tout gâcher en créant un scandale, et il tenait à tenir sa promesse de ne pas donner à ses bienfaiteurs une raison d'être honteux de lui.

Après quatre mois et demi, Nicolau revint de l'Europe et, avant même de se rendre à Santo André, il alla saluer Manoel et s'enquérir de lui.

Le garçon fut extrêmement heureux de voir le jeune homme, qui lui avait également rapporté d'Italie trois beaux livres : « La Divina Commedia » de Dante, « Les dernières lettres de Jacopo Ortis » de Foscolo et « Les voyages » d'Alfieri.

Nicolau demanda au directeur de l'école de pouvoir l'emmener avec lui en ville pendant une demi-journée et l'emmena chez ses amis qui avaient organisé une petite fête pour donner à Nicolau la bienvenue chez lui. Manoel y rencontra un de ses anciens clients, un jeune homme de vingt-cinq ans, appelé Deodoro, qui avait payé Manoel à plusieurs reprises pour le conduire au lit. Les deux se sont immédiatement reconnus, mais tous deux ont prétendu s'être rencontrés pour la première fois à cette occasion.

Plus tard, Deodoro ne se retrouva qu'un instant seul avec Manoel. "Je te remercie de ne pas avoir dit que tu me connaissais déjà..."

"Et je vous remercie aussi. Pour moi, ce serait la ruine si monsieur Nicolau avait découvert comment je gagnais ma vie..."

"Oui, je suppose... Mais par hasard, toi et mon ami Nicolau..."

"Oh non, il n'y a jamais rien eu entre nous, vraiment !"

"Je te crois et cela m'aurais surpris si... Toi, maintenant que tu es au dortoir, tu ne peux pas facilement faire... certaines choses, je suppose."

"Non, monsieur Deodoro, je ne peux pas vraiment... Et je ne veux même pas risquer, en essayant, de faire éclater un scandale et d'être chassé, ainsi que de déshonorer le nom des Dutra."

"Mais tu ne voudrais pas pouvoir le refaire ?"

"Bien sûr que j'aimerais bien, mais peut-être que vous savez que nous ne pouvons pas quitter le collège sans un permis spécial..."

"Et... si je pouvais demander cette permission spéciale de temps en temps... tu ne viendrais pas avec moi ?"

"Très volontiers, monsieur Deodoro, très volontiers."

"Au lit, je veux dire..." ajouta le jeune homme dans un souffle.

"Oui, bien sûr, j'ai compris... En fait, avec vous, je viendrais très volontiers."

"Très bien. Alors, je proposerai à mon ami Nicolau de... prendre soin de toi afin que les dimanches, comme tu n'as pas de cours, je puisse venir te chercher pour que tu viennes avec moi, et nous pourrons les passer ensemble. Es-tu d'accord ?"

"Je vous en serais très reconnaissant, monsieur Deodoro... Avez-vous encore cette ravissante petite maison entre les arbres, au bord de la mer ?"

"Oui, en effet, maintenant j'ai réussi à l'acheter, donc elle est finalement toute et seulement à moi."

"Ah, j'espère que vous réussirez vraiment, monsieur Deodoro !"

"Moi aussi, Manoel... et j'ai hâte d'avoir à nouveau ta belle queue en moi, tu sais ?" murmura le jeune homme en rejoignant les autres.


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