DE L'AUTRE CÔTÉ DU MONDE |
CHAPITRE 11 UNE INCROYABLE SURPRISE |
À Curitiba, eurent lieu des célébrations pour le dixième anniversaire de l'élévation de la ville comme capitale de l'État de Parana. Les familles les plus influentes de la ville se sont succédées pour organiser de grandes fêtes, se disputant l'opulence et le luxe, ouvrant les salles de leurs résidences au beau monde de l'État. Ainsi, le 2 janvier 1841, Afonso et sa famille furent invités à la résidence de Ferreira França, dont un membre était un membre du parlement national. Le grand salon était rempli d'invités qui arboraient leurs vêtements les plus élégants et les plus riches. Afonso était considéré pour sa beauté et son élégance incroyables, avec une admiration mal dissimulée de la part de tous, avec l'envie de nombreux jeunes hommes et avec l'intérêt flirteur des jeunes filles nubiles. On était juste au début de la grande réception quand l'esclave, vêtu d'une riche livrée, annonçant l'arrivée de nouveaux invités, annonça d'une voix de stentor : "Baron Basìlio De Cunha Vargas et madame la baronne son épouse, avec ses fils le baron Gregòrio, la baronne Isabel, le baron Raimundo et la baronne Esmeralda !" L'annonce fut presque perdue dans le bourdonnement de la grande salle, pour tout le monde sauf Afonso. Son cœur, entendant nommer Raimundo, cessa de battre pour un moment, puis sauta dans sa poitrine comme un jeune chevreuil amoureux. Il se tourna vers la porte et observa avec attention et retenant presque son souffle le groupe qui venait d'entrer en faisant des sourires à gauche et à droite, accueilli par monsieur Ferreira França et son épouse. Mais aucun des deux jeunes hommes qui suivaient le couple âgé n'était son Raimundo. Perplexe, il s'approcha de sa cousine, qui connaissait presque tout le monde dans la ville et ses environs, et lui demanda à voix basse : "Tu connais le baron Raimundo ?" "Bien sûr, mon cher. Il est en train d'entrer en ce moment..." "Ah oui ? Lequel est-ce ?" "Ce jeune homme qui se pavane et qui porte un pantalon couleur miel et une veste couleur tabac. Vois-tu ? Celui qui rend hommage à mademoiselle Amalia... Comment se fait-il que tu te soucies de ce garçon ?" "Oh, rien, j'en avais entendu parler... juste de la curiosité... J'avais su qu'il était parti pour un long voyage... Je pensais qu'il était maintenant en Europe." "Un long voyage ? Pas que je sache, mis à part le voyage à Rio d'il y a quelques mois, un voyage de deux ou trois semaines..." "Et... le connais-tu bien ? Es-tu sûre que ce soit lui ?" "Bien sûr, ce petit être présomptueux et désagréable... On dit qu'il est fiancé avec une marquise de Porto Alegre, mais il me semble qu'il se mêle souvent avec les petites actrices et les jeunes servantes de Curitiba... Il est connu être un Don Juan impénitent !" Afonso était grandement perplexe. Si ce mec-là était Raimundo, qui était le Raimundo qu'il avait rencontré ? De taille ils étaient presque identiques, et même le visage avait quelque chose de familier, mais alors que son Raimundo avait un beau casque de cheveux noirs doucement bouclés, ce Raimundo avait des cheveux châtains et ondulés coupés à la dernière mode. Ce Raimundo avait aussi de longs favoris et un soupçon de moustache presque blonde. En revanche, son Raimundo n'avait ni favoris ni moustaches... Pour plus de sécurité, il a tout de même demandé à sa cousine : "Son père est le propriétaire de la Casa dos Cravos où ils cultivent le tabac, n'est-ce pas ?" "Oui, exactement. Ils font partie des fazendeiros les plus riches des environs." "A-t-il seulement ces deux fils, le baron ?" "Oui, et ces deux filles." "Et avec eux vit un cousin, un jeune parent ?" "Pas que je sache. Je ne pense même pas qu'ils ont des parents ici à Parana. J'ai entendu dire que la femme du baron venait de Minas Gerais. Ils ont peut-être des parents là-bas ... Puis-je te dire quelque chose, cher cousin Afonso ?" "Oui ?" "J'aime bien le fils aîné du baron, Gregòrio, qui à certaines occasions a été très gentil avec moi... Et autant que je sache, même s'il est le fils aîné, il n'est pas encore engagé." "As-tu des projets sur lui ?" lui demanda Afonso avec un sourire amusé. "Ben... et bien... ça ne me dérangerait pas du tout si Gregòrio..." dit la cousine, coquette. Mais à ce moment là, Afonso n'était pas trop intéressé par les espoirs ou les souhaits de sa cousine. Il voulait absolument comprendre qui était le Raimundo qu'il avait rencontré dans la maison de cette famille. Alors, pendant la fête, il s'est assuré d'être présenté au baron Gregòrio et, après quelques phrases de plaisanterie, lui a dit : "Il y a quelque temps, parmi mes patients, j'avais un jeune homme nommé Raimundo Vargas... le baron Raimundo Vargas... Est-il votre parent, par hasard ?" "Mon frère ?" demanda légèrement surpris Gregòrio. "Votre frère ? Celui qui maintenant parle avec ces deux jeunes filles ? Non, non, ce n'est pas lui. La personne dont je parle a les cheveux noirs, plutôt doux et bouclés..." "Non, dans notre famille il n'y a pas de baron Vargas nommé Raimundo et correspondant à votre description. Où avez-vous rencontré votre patient ?" "Il passait par ici à Curitiba... il y a environ six mois... il voyageait en Uruguay, si je me souviens bien..." mentit Afonso. Il ne pouvait certainement pas dire qu'il était allé chez eux, qu'il y avait rencontré son Raimundo, qui avait dit qu'il était un fils du baron... Mais le mystère devenait de plus en plus dense. "Une chance curieuse, alors." dit Gregòrio avec légèreté. Afonso pensait qu'il devait trouver un moyen pour revenir la Casa dos Cravos, pour comprendre, pour découvrir qui était ce Raimundo qu'il avait rencontré et qui ne pouvait sortir de son esprit ou de son cœur. Il ne pouvait certainement pas s'inviter lui-même et il ne savait pas comment obtenir une invitation... Quelques jours plus tard, alors qu'Afonso se trouvait à Curitiba, et se promenait en Largo Da Ordem, il vit passer un homme en face de l'église du troisième ordre de Saint-François et il le reconnut immédiatement : c'était le serviteur qui lui avait apporté du café à la Casa dos Cravos ! Il s'en souvenait bien, cet homme s'appelait Prudente. D'un pas rapide pour ne pas le perdre de vue, il le suivit et le rejoignit. "Monsieur Prudente !" il l'appela à haute voix. L'homme s'arrêta et se retourna et Afonso eut la nette impression que l'homme avait légèrement pâli. "Monsieur ?" l'homme demanda. "Vous êtes Prudente, le serviteur du jeune baron Raimundo Cabral Vargas." "Non... vous vous trompez, monsieur..." balbutia le pauvre secrétaire. "Non, je ne me trompe pas ! C'est vous qui m'avez servi un café à la Casa dos Cravos, et qui m'a dit que le jeune homme que j'ai rencontré était le baron Raimundo Cabral Vargas. C'est vous qui avez fait réparer mon cabriolet... Vous ne pouvez pas le nier." Prudente était visiblement mal à l'aise et ne savait pas quoi dire, à quel saint se vouer. Afonso continua, décidé d'aller au fond des choses : "Il y a quelques jours, j'ai rencontré le vrai baron Raimundo lors d'une soirée... ce n'était pas le Raimundo que j'ai rencontré ce jour-là à la Casa dos Cravos, en votre présence. Maintenant, vous devez clarifier ce mystère !" Prudente, presque balbutiant, se risqua : "Vos souvenirs ne sont peut-être pas aussi précis, marquis... Le baron Raimundo était à Rio à l'époque..." "Ça, je le sais déjà ! Alors, qui était le Raimundo que j'ai rencontré ?" "Il n'y avait que moi dans la maison, monsieur le marquis..." essaya l'homme, désespéré. "Non, oh non, vous ne me ferez pas passer pour fou, vous ! Si vous ne me dites pas immédiatement qui j'ai rencontré à la fazenda, je viendrai en personne demander des explications au baron et à sa famille !" "Non, je vous en conjure, vous me ruineriez. S'il vous plaît, monsieur le marquis, ne faites pas une telle chose !" "Et alors parlez, sacrebleu ! Dites-moi qui était ce jeune monsieur. Je dois le savoir, je veux le savoir et je le saurai, quel qu'en soit le coût !" "S'il vous plaît... s'il vous plaît... je vais parler, je vais tout vous dire... Mais pas ici... où pourrions-nous parler sans être entendus ?" "Venez dans mon cabinet, alors." dit Afonso fermement, se demandant ce que pourrait lui dire cet homme qui semblait maintenant littéralement terrifié. Tandis que Prudente suivait le médecin, il se demandait comment se sortir du mauvais pétrin. Si le baron en avait connaissance, il aurait pu dire adieu à son travail et Paulo en paierait amèrement les conséquences. Afonso ferma la porte de son cabinet et s'assit devant Prudente. "Alors ?" il demanda d'un ton dur et déterminé. "Monsieur le marquis, je me confie à votre bon cœur... Je vais vous dire toute la vérité, mais vous... mais vous devez me promettre de ne rien dire à âme vivante de ce que je vais vous dire. Ne me ruinez pas, monsieur le marquis, je vous en prie ..." "Je ne peux m'engager en rien avant que vous me disiez toute la vérité. Cependant, vous ne pouvez certainement pas me demander d'être complice d'un crime, d'une chose illégale..." "Oh non, il n'y a pas de crime, personne n'a violé la loi... c'était juste un... un jeu... qui a malheureusement pris une tournure inattendue, croyez-moi..." "Un jeu ? Essayez de parler clairement, un bon moment !" Enfin, Prudente expliqua à Afonso qui était Paulo et comment et pourquoi ce jour-là le jeune esclave blanc s'était fait passer pour le baron Raimundo. "Il s'appelle Paulo, alors, pas Raimundo ?" demanda Afonso à la fin, complètement surpris par cette révélation. "Oui, monsieur le marquis... c'était juste un jeu innocent, le nôtre, croyez-moi. Un jeu auquel je ne m'étais prêté que pour réjouir un peu ce pauvre garçon malheureux..." "Je veux vous croire, monsieur Prudente. D'autre part, Paulo a quelque chose de familier avec ses demi-frères... Mais comment, ce garçon est le fils naturel du baron Basìlio... et il le garde chez lui comme n'importe quel esclave ? Et il le maltraite, à ce que vous me dites ? C'est vraiment une honte !" "Le Baron Basìlio... ce n'est pas qu'il le maltraite, il le tolère seulement. S'il pouvait il éviterait même de le garder à la maison. Qui le maltraite est la baronne et parfois même les fils. La baronne n'a jamais pardonné à son mari de s'être amusé avec cette jeune esclave mulâtresse... Ne pouvant pas se venger sur son mari, ni sur l'esclave qui est maintenant morte, elle se venge sur le pauvre Paulo." "Vous aimez le garçon, d'après ce que j'ai compris..." "J'ai toujours essayé de le protéger, dans la mesure de mes moyens... Alors... vous ne direz rien au baron, puis-je y compter dessus ?" "Bien sûr, je vous donne ma parole. Mais vous devez maintenant répondre en toute sincérité à une autre question que je dois vous poser." "Dites, monsieur le marquis." "Entre vous et ce Paulo, y a-t-il peut être une relation... intime ?" "Comme je l'ai dit, j'ai toujours essayé de le protéger..." répondit l'homme, mais le faible rougissement qui teinta ses joues le trahit. "Monsieur Prudente, comme vous l'avez compris, j'ai un très fort intérêt pour ce garçon... Pour lui, je ferais des folies, croyez-moi... Mais je dois d'abord savoir... Paulo est votre amant ?" "Moi... monsieur le marquis, vous voyez..." dit le secrétaire de plus en plus gêné. "Pardonnez-moi si ma question peut vous sembler trop directe, mais je dois savoir. Moi, après cette rencontre fortuite, je ne dors presque pas la nuit en pensant à Paulo... Je me sens fortement attiré par lui... Franchement, sincérité pour sincérité, je me suis toujours senti attiré par les personnes de mon sexe, mais jamais aussi fortement comme par Paulo... Je pense que je suis amoureux de lui. C'est pourquoi je vous ai demandé si le garçon était votre amant. Si c'était le cas, je comprendrais que tous mes rêves, tous mes espoirs sont vains. Mais s'il ne l'était pas, vous comprenez, n'est-ce pas ? Je dois pouvoir offrir mon amour au garçon... dans l'espoir qu'il puisse et veuille l'accepter. Par conséquent, vous devez me dire, avec ma même franchise, ce qui se passe entre vous deux." "Entre Paulo et moi, il y a une amitié affectueuse qui s'exprime aussi par le contact physique, monsieur le marquis... Mais dire que c'est mon amant... Je ne pense pas que cela puisse être affirmé. Et en effet, puisqu'à ce stade-là, vous et moi avons parlé avec une telle franchise... Je peux vous dire que vous n'êtes pas le seul à nourrir certains rêves. Même Paulo, depuis qu'il vous a rencontré, même maintenant, après six mois, il se consume en pensant à vous, il ne peut pas vous oublier !" Afonso sentait comme une vague de chaleur l'envelopper, le réchauffer, lui remontant jusqu'aux tempes et, d'une voix presque imperceptible, extrêmement ému, il demanda : "Êtes-vous en train de me dire... que Paulo aussi est... est amoureux de moi ? Je n'avais pas tort, alors ?" "Pour autant que j'ai essayé de lui faire comprendre qu'il devait vous oublier... oui, c'est comme ça monsieur le marquis ! Paulo est en train de se consumer d'amour pour vous !" "Vous ne vous moquez pas de moi ?" "Non, monsieur le marquis, pourquoi devrais-je ?" "Je dois le revoir, alors ! Je dois absolument le revoir, le plus tôt possible !" "Pensez-vous... venir à la Casa dos Cravos, monsieur le marquis ?" "Je ne pourrais pas me présenter comme ça, sans raison, pas invité... Aidez-moi, monsieur Prudente, donnez-moi une idée pour revoir Paulo et je vous en serai éternellement reconnaissant..." "Je pourrais essayer d'emmener Paulo avec moi, la prochaine fois que je devrai venir à Curitiba pour faire des courses..." "Oui, quand ?" "Je peux dire au Baron que nous avons terminé le papier à lettres et que je dois me rendre chez l'imprimeur pour en commander encore..." "Très bien. Quand ?" "Peut-être... jeudi après-midi... autour quatre heures." "Je vais être ici dans mon cabinet à vous attendre... vous m'amènerez Paulo ?" "J'espère vraiment pouvoir le faire, monsieur le marquis. Je dois... dois-je dire quelque chose au garçon ?" "Non, j'aimerais lui faire une surprise. Ne pensez-vous pas que ce soit une bonne idée ?" Prudente sourit, imaginant l'émotion, puis la joie que Paulo ressentirait : '"Je suis d'accord avec vous, monsieur. Mais, si vous me permettez, comment ferez-vous pour pouvoir le revoir, le rencontrer assez souvent, comme j'imagine que vous, ainsi que Paulo, vous le souhaiterez ? Je ne pourrai pas le faire venir ici assez souvent, je crains." "Vous avez raison... mais nous y penserons plus tard, quand Paulo me dira si lui aussi ressent le désir de... s'il veut accepter mon amour. Dans ce cas, je pourrais peut-être demander au baron Basìlio de me vendre le garçon..." "Je crains que ce ne soit pas possible : le baron a juré à sa mère, sur son lit de mort, qu'il ne le vendrait jamais et bien qu'il serait plus qu'heureux de se débarrasser de sa présence embarrassante, en le connaissant assez bien, je sais que le baron est un homme qui ne manquerait jamais à une parole donnée, à un serment fait..." "Mais si Paulo voulait être à moi, s'il voulait vivre avec moi, je devrais trouver un moyen de le faire..." "Monsieur le marquis, je serais vraiment heureux si Paulo pouvait quitter cette maison, s'il pouvait venir vivre avec vous... j'y penserai... Qui sait qu'on puisse trouver une solution." "Je pourrais l'enlever, fuir avec lui... Peut-être me déplacer à Rio, ou même plus loin si nécessaire..." "Laissons cela en dernier recours, monsieur le marquis. Vous savez que nos lois punissent sévèrement un... un voleur d'esclaves." "Je serais prêt à prendre des risques si Paulo me veut." "Laissons cela en dernier recours, acceptez mon avis." 'Très bien, cher monsieur Prudente. Je vous remercie, pour le moment." Le mercredi suivant, Prudente avait pratiquement fait disparaître presque tout le papier avec en-tête le blason du baron. Il avertit donc Dom Basìlio qu'il était nécessaire d'en commander le plus tôt possible. Comme il s'y attendait, le baron lui dit de s'en occuper. "Excusez-moi, baron, puisque je dois faire plusieurs courses en ville, pourrais-je prendre un esclave avec moi pour m'aider ?" "Bien sur, choisissez qui vous voulez. Dites-le simplement à l'intendant pour qu'il n'arrive pas que je puisse le chercher pour un travail et que je ne le trouve pas." le baron répondit d'un ton indifférent. Prudente jubilait. Ainsi, jeudi après-midi, il fit laver et changer Paulo, puis le fit monter sur le cabriolet à côté de lui et se rendit à Curitiba. Le garçon était excité et heureux pour ce voyage inattendu, aussi bref soit-il. "Je suis déjà allé à Curitiba, sais-tu, monsieur Prudente ? Mais ça a été il y a une dizaine d'années, je m'en souviens à peine..." dit Paulo le long du chemin. "Je suis convaincu que cette fois ci, tu n'oublieras pas Curitiba si facilement." répondit l'homme sournoisement. "Oh non, c'est sûr, maintenant j'ai vingt ans, je ne suis plus un enfant." "C'est vrai, tu t'es fait un grand et beau jeune homme, tu es presque un homme maintenant." "Hé, mais dis-moi, monsieur Prudente, tu m'aimes toujours maintenant que j'ai vingt ans, ou est-ce que tu me préférais quand j'étais un garçonnet ?" "Tu deviens de plus en plus beau, mon garçon." Une fois à Curitiba, Prudente arrêta le cabriolet devant la porte du cabinet d'Afonso. Il sortit la montre à gousset de son gilet, l'ouvrit et regarda l'heure : vingt minutes à quatre heures. Il se demanda si le marquis les attendait déjà dans son cabinet. Ils descendirent du cabriolet. Prudente élabora un plan. "Paulo, prends ces pièces. Dans cette rue, après avoir tourné le premier carrefour à gauche, tu trouveras un petit magasin où on vend des encriers, des stylos, des crayons et des encres. Tu dois demander un crayon rouge et ils devraient également te donner le reste, si les prix n'ont pas changé. Quand tu auras fini, reviens ici et si ne suis pas là, attends-moi à côté du cabriolet. D'accord ?" "Bien sûr, monsieur Prudente, je vole." "Non, ne cours pas, mon garçon, il n'y a aucune hâte." Prudente regarda le garçon s'éloigner. Il entra ensuite dans la porte de la maison devant laquelle il avait arrêté le cabriolet et se retrouva dans le petit atrium qu'il connaissait déjà. De là commençait un escalier en colimaçon qui menait aux étages supérieurs et sur le mur à côté se trouvaient trois portes. Il frappa à la porte plus au fond, où il savait que c'était le cabinet du médecin. Un instant plus tard, Afonso alla ouvrir. Il regarda Prudente, puis derrière lui. "Vous n'avez pas pu l'amener ici ?" il demanda déçu. "Oui, monsieur le marquis, je ne l'ai envoyé que pour faire une petite commission. Parce que nous sommes en avance, je voulais m'assurer que vous étiez déjà là." "Je suis ici depuis au moins deux heures, et j'attends de le revoir et je ne suis plus dans ma peau, croyez-moi..." "Je vais retourner au cabriolet et dès que Paulo reviendra, je le renverrai ici chez vous, sans l'accompagner... Je vais faire quelques courses. Gardez-le ici avec vous. Je reviendrai le chercher quand il sera temps de retourner à la fazenda. Est-ce que ça va, marquis ?" "Plus que bien ! Merci, merci de tout cœur." Prudente retourna au cabriolet et attendit. Après quelques minutes, le garçon arriva en courant. "Voilà, ici est le reste. Est-ce que le lapis va bien ?" demanda gaiement le garçon. "Très bien. Maintenant, Paulo, tu dois me faire une autre commission..." "Oui, bien sûr." "Je dois aller chez l'imprimeur et ça va me prendre du temps... en attendant, tu dois entrer par cette porte. Tu trouveras un escalier. Sans monter, à droite de l'escalier, tu verras trois portes. Frappe dans celle plus au fond. La personne qui t'ouvrira sait déjà ce que tu dois faire." Tandis que Prudente s'éloignait avec le cabriolet, le garçon, traversant l'atrium, frappa à la porte que Prudente lui avait indiquée et qui s'ouvrit immédiatement. "Oh bon dieu du ciel !" s'exclama le garçon d'une voix étranglée, écarquillant les yeux et restant pétrifié devant Afonso. "Oh, le baron Raimundo ! Vous êtes venu me rendre visite, je vois. Mais comment se fait-il que vous portiez ces vêtements si humbles, aujourd'hui ?" dit Afonso en essayant de ne pas se mettre à rire. "Oh, mon dieu... je... je..." balbutia le garçon et il commença à trembler. "Mais entrez, ne restez pas là, monsieur le baron. Je suis très heureux de vous revoir..."dit Afonso et, prenant doucement le garçon par le bras, le fit entrer, puis refermant la porte derrière lui. "Je... je..." répéta le garçon, baissant la tête, effrayé et confus. Puis Afonso le prit dans ses bras, lui caressa la joue et lui dit d'une voix douce : "Tu n'es pas content de me revoir, Paulo ?" "Je... vous... savez-vous qui je suis vraiment ?" "Oui, je sais." "Et..." "Et je suis si heureux de t'avoir enfin ici... Paulo, je suis amoureux de toi, je ne pense qu'à toi depuis ce jour heureux où nous nous sommes rencontrés..." "Même si je ne suis qu'un esclave ?" demanda le garçon, presque dans un sanglot. "Paulo, le bon dieu que tu as invoqué auparavant, ne nous a-t-il pas fait tous égaux ?" "Mais il a créé les maîtres et créé les esclaves... Non, nous ne sommes pas tous égaux." "Même s'il en était ainsi, l'amour nous rend égaux, ne penses-tu pas ? Moi, comme je te l'ai dit, je ressens t'aimer, et donc... Mais toi, Paulo ? Ressens-tu aussi quelque chose pour moi ?" "Monsieur le marquis, monsieur, vous êtes entré dans mon cœur depuis ce jour, vous êtes la seule lumière de ma vie... mais... qui suis-je pour mériter votre amour ?" "Tu es Paulo, tu es le garçon qui a enchaîné mon cœur, qui m'a volé mon âme, qui m'a séduit avec son sourire, avec ses yeux doux et profonds, avec son incroyable beauté..." "Mais je ne suis qu'un esclave..." "Et cela t'empêche de me donner ton amour ?" "Oh non ! Si seulement je le pouvais, je me donnerais tout entier à vous, âme, corps, et esprit. Je vous donnerais chaque souffle de ma vie, chaque battement de mon cœur." Afonso alors embrassa le garçon avec une tendre passion. Paulo répondit au baiser, oubliant tout pour un instant. Puis il se détacha doucement de l'homme et le regarda avec des yeux brillants. "Dites-moi que je ne rêve pas, monsieur, dites-moi que tout cela est vrai..." "Mon doux Paulo, ça me semble, à moi aussi, être un rêve de pouvoir enfin te tenir dans mes bras, de pouvoir te dire combien je t'aime et de savoir que toi aussi tu m'aimes !" "C'est trop bon... trop beau... moi, monsieur le marquis..." "Non, Paulo, appelle-moi Afonso et tutoie-moi, s'il te plaît." "Mais vous, un marquis..." "Non, pour toi, je suis juste Afonso, éperdument amoureux de toi, ne l'oublie jamais, mon cher Paulo." "Oui... je peux te tutoyer, si tu veux... mais alors... comment allons-nous nous rencontrer, comment pouvons-nous nous aimer ? Il reste que je ne suis qu'un esclave et que tu es un marquis..." "Je trouverai un moyen de t'éloigner de la fazenda, de t'emmener avec moi, de te faire vivre avec moi, si tu le veux aussi." "Oh, si c'était possible, je serais le garçon le plus heureux de tout l'univers... Afonso. Dieu ! Comme ton nom est beau !" "Seulement mon nom ?" demanda le jeune homme en plaisantant. "Non, tout chez toi est beau... vraiment... Tout..." "Et tu n'as pas encore vu le reste, comme moi aussi je n'ai pas encore eu le plaisir de te voir nu..." "Si tu veux me déshabiller..." "J'ai bien peur que nous n'ayons pas le temps aujourd'hui. Mais je veux te tenir dans mes bras, caresser, embrasser... jusqu'à ce que monsieur Prudente ne vienne te reprendre..." "Quand ferons-nous l'amour, Afonso ?" "Tu le veux ?" "Oh oui que je le veux... si tu le veux aussi." "Je brûle pour le désir de le faire avec toi... "Oui, moi aussi j'ai envie à en mourir de désir... je t'aime, Afonso !"
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