DE L'AUTRE CÔTÉ
DU MONDE
CHAPITRE 2
MANOEL, COMPARAISONS ENTRE GARÇONS

Manoel fit le chemin inverse et retourna à la cuisine.

"Alors, Manoel, qu'est-ce que le maître t'a dit ?" lui demanda Lucas en mâchant goulûment un épi de maïs grillé.

"Lucas ! Depuis quand es-tu devenu le confesseur de la fazenda ?" grommela la cuisinière.

Manoel répondit : "Il a dit qu'il y penserait et que tu dois aller le voir tout de suite."

Le garçon noir sortit immédiatement en laissant la moitié de l'épi sur la table. Manoel le prit et demanda : "Puis-je le finir ?"

"Oui, mon garçon, mange. Vous garçons devez grandir. Si le maître t'a dit qu'il veut y réfléchir, je pense que c'est bon signe."

Après un moment, Lucas revint dans la cuisine. "Hey, mon épi de maïs !"

"Tiens ?" lui demanda la mère en agitant une louche : "Il n'y avait pas ton nom écrit dessus, et même s'il y était écrit, tu ne saurais pas le lire, tête de bois ! Plutôt, que voulait le maître ?"

"Il m'a dit de te dire que tu dois installer Manoel, lui trouver un endroit où dormir et le faire manger avec nous jusqu'à ce qu'il ait pris sa décision."

"Dormir ? Il dormira avec toi, si Manoel te supporte."

"Avec moi, maman ? Et pourquoi avec moi ?" protesta Lucas.

"Et où, sinon ? À l'étage, cela dépend de l'intendant et pas de moi. Et ici, certainement pas avec moi et ton père, et encore moins avec tes sœurs, donc trouve une paillasse à mettre à côté de la tienne et ne me fais pas perdre mon temps avec tes histoires, car je dois terminer de préparer le dîner pour les maîtres."

"Mais, maman..."

"Le maître a dit que je devais décider, oui ou non ? Et j'ai décidé. Et maintenant, va-t-en ou tu auras cette casserole sur la citrouille !"

Lucas sortit de la cuisine en faisant la moue.

Manoel dit à la cuisinière : "Je suis désolé de créer des problèmes..."

"Problèmes ? Je n'en vois pas. Le maître m'a dit de décider et j'ai décidé, que Lucas aime ou non. Ce n'est pas un mauvais garçon, mon fils, je l'ai bien élevé, mais parfois il aime faire le difficile."

Au dîner, Manoel rencontra le reste de la famille de Idalina, le mari qui était le cocher du maître, les trois filles qui travaillaient à la maison pour nettoyer et aider leur mère à la cuisine. Lucas s'occupait de l'entretien des carrosses et supervisait le travail des palefreniers, qui vivaient dans les quartiers des esclaves.

Au moment d'aller se coucher, Lucas emmena Manoel dans sa chambre. Il avait déjà ajouté un matelas en paille à côté du sien. Dans la chambre, il y avait aussi un coffre et une petite armoire. La seule fenêtre donnait sur le jardin intérieur. Les deux garçons s'allongèrent sur leurs paillasses et Lucas souffla sur la bougie, l'éteignant.

"Maman m'a dit que tu t'étais enfui de l'orphelinat, est-ce vrai ?"

"Oui, on nous maltraitait là-dedans."

"Alors tu n'as pas connu tes parents..."

"Non, aucun des deux."

"Certainement ça n'a pas été facile pour toi, hein ? Mais ici, t'as trouvé une place sûre."

"Si le maître décide de me donner un boulot. Je ne sais rien faire, moi."

"Mais ne t'inquiètes pas car ici, ou tu apprends... ou tu apprends. Et puis, je peux t'aider, le cas échéant."

"J'avais l'impression que tu ne m'aimais pas..."

"Mais non, je suis toujours un peu comme ça au début, avec tout le monde."

Après un long silence, Manoel demanda : "Tu dors ?"

"Pas encore. Mais si tu ne te tais pas, je suis sûr que je ne peux pas m'endormir."

"Alors c'est mieux que nous dormions, pas vrai ?"

"Hé, oui, c'est mieux car demain à six heures je dois être déjà debout."

En bref, les deux garçons s'endormirent profondément.

Il était encore tard dans la nuit lorsque les garçons furent réveillés par le son insistant de la cloche qui appelait généralement les esclaves à se rassembler. Ils entendirent des voix excitées, des cris et par la fenêtre, ils ont vu des gens courir avec des torches dans leurs mains.

Ils venaient juste de se lever de la paillasse lorsque le père de Lucas se montra à la porte : "Vite, Lucas. Le toit de l'entrepôt du café a cédé à cause de la pluie. Il faut sauver les sacs, ou c'est le désastre !"

Lucas se précipita immédiatement dehors : si le maître avait un échec dans son entreprise, même pour les esclaves ce seraient des moments difficiles, et ils risquaient d'être vendus pour payer des dettes, et être ainsi séparés de leurs familles.

Manoel suivit instinctivement Lucas. Les deux garçons sont arrivés à l'entrepôt où les esclaves chargeaient déjà leurs sacs de café vert sur leurs épaules et, dirigés par l'intendant et le maître avec ses fils, ils les apportaient au sec dans la remise des carrosses, qui avaient déjà été sortis pour faire de la place.

D'autres esclaves essayaient de poser des bâches sur le toit brisé, mais le vent violent les emportait. Manoel chargea un sac sur ses épaules et suivit les autres, le portant au sec. Le sac était vraiment très lourd pour le garçon, mais un peu par l'empressement général, en partie parce que personne ne s'épargnait, Manoel joua également son rôle en trouvant une force qu'il ne croyait pas avoir.

Soudain cependant, Manoel glissa dans la boue et tomba mal avec un cri sous le poids du sac qu'il portait sur les épaules. Il essaya de se lever mais une vive douleur à la cheville le fit s'effondrer à nouveau avec un autre cri.

Nicolau, qui était à côté de lui, s'approcha de lui et lui demanda : "Tu t'es fait mal, mon garçon ?"

"La cheville... la cheville..." répondit Manoel avec une grimace de douleur.

"Est-ce que tu peux rentrer seul à l'intérieur ?"

"Oui, monsieur, je pense que je peux le faire. Mais le sac..."

"Je vais m'en occuper, ne t'inquiètes pas."

Manoel se traîna avec difficulté jusqu'à la maison. Idalina le vit clopiner vers la porte, alors elle alla à sa rencontre pour le soutenir et l'aider et l'emmena à la cuisine.

"Mère de Dieu ! Tu ressembles presque à un fantôme, tout sale de boue et mouillé comme tu l'es. Qu'as-tu fait, mon garçon ?"

"J'ai glissé comme un imbécile ! Je pense que je me suis cassé la cheville."

"Assieds-toi sur le banc et montre-moi..."

L'esclave s'agenouilla devant le garçon et vérifia sa cheville qui était déjà en train de s'enfler. Elle essaya de la faire bouger et Manoel hurla.

"Non, Manoel Branco, je ne pense pas que c'est cassé, c'est juste une bien vilaine entorse. Maintenant, je vais te faire une décoction, puis je vais te la panser de quelque façon. Et pendant quelques jours, tu n'as pas à marcher dessus."

"Mais alors, le maître ne voudra plus me donner un travail..."

"Si tu essaies de marcher avec, tu risques de ne jamais pouvoir faire un travail. Une entorse soignée à temps guérît tôt, mais si tu ne t'en occupes pas, elle peut te causer des ennuis tant que tu vis." dit la femme sur un ton expéditif.

Dehors, les hommes et les esclaves continuaient à travailler sous une pluie battante et lorsque le soleil se leva, ils venaient de sauver le dernier sac.

Le maître avec ses deux fils entra dans la cuisine.

"Prépare-nous quelque chose de chaud, Idalina." dit Euclides.

"Un bon café est prêt pour tous les hommes, maître. Et si vous voulez y mettre un peu de cognac, voici la bouteille." répondit la cuisinière.

"Tu penses toujours à tout, Idalina." lui dit l'homme avec un sourire.

Getulio se tourna vers Manoel, qui était assis près du feu, et lui dit : "Le jeune monsieur était ici pour se réchauffer, pendant que nous crachions l'âme, là dehors, hein ?"

Nicolau intervint immédiatement : "Ce n'est pas du tout comme ça. Le garçon a eu une mauvaise entorse à la cheville, en espérant qu'elle ne soit pas fracture, alors qu'il portait des sacs plus gros que lui ! Je l'ai envoyé ici quand il s'est fait mal."

Getulio se tourna dédaigneusement de l'autre côté et but son café.

Nicolau ajouta : "Et tout bien considéré, il ne travaille pas encore pour nous, il aurait très bien pu rester ici tranquillement, s'il l'avait voulu."

"Oui, évidemment il l'a fait juste pour être embauché !" répliqua Getulio, irrité.

Leur père intervint : "S'il l'avait fait juste pour être embauché, je pense qu'il a fait la bonne chose. Il y a deux cas : soit Manoel est un garçon au bon cœur, soit un garçon intelligent, et dans les deux cas, cela me semble être de bonnes qualités." Puis il se tourna vers la cuisinière : "Vois de faire nettoyer le garçon. Trouve-lui quelque chose de propre à se mettre, parce que je ne pense pas que le garçon ait quelques changes."

Le maître et ses deux fils sortirent et peu de temps après, Lucas entra, trempé et sale lui aussi.

La mère l'apostropha immédiatement : "Lucas, apporte une bassine d'eau tiède dans ta chambre, lavez-vous tous les deux et vois à donner quelques vêtements propres à Manoel. Aide-le à marcher, il s'est fait mal. Enfermez-vous dans ta chambre, je ne veux pas que tes sœurs vous voient sans rien dessus. Et faites attention à ne pas verser l'eau sur le sol, sinon tu devras tout nettoyer, c'est bien clair ?"

"Oui, mère. Puis-je boire du café d'abord ?"

"Bien sûr, donnes-en aussi à Manoel. Et mettez-y un doigt de cognac dedans pour que vous puissiez vous réchauffer également dedans. Mais juste un doigt, tu comprends ? Je vais apporter le gros pot aux autres hommes. Juste un doigt !"

"Mais oui, maman, ne t'inquiète pas !" répondit le garçon.

Après que les deux garçons eurent bu le bon café chaud, Lucas prit Manoel à la taille : "Mets ton bras sur mon épaule et ne marche pas sur ton pied cassé."

"Ce n'est pas cassé, ta mère a dit, c'est juste disloqué ..." dit Manoel.

"Bon pour toi. Allez... voilà, maintenant assieds-toi sur le coffre et attends que j'apporte le bassin et l'eau chaude." dit le garçon noir et il alla chercher le nécessaire dans la cuisine.

À son retour, il posa le grand bassin de cuivre sur le sol et à côté un grand pot d'eau bouillante. Il ferma soigneusement la porte, puis retourna à côté du garçon blanc.

"Tout d'abord, on s'enlève tout, car ensuite mes sœurs laveront nos vêtements."

"Tout ?" demanda Manoel, anticipant le plaisir de voir l'autre garçon nu.

"Bien sur. C'est quoi, as-tu honte ?"

"Non, non je n'ai pas honte, moi... sais-tu que je n'ai jamais vu la queue d'un nègre avant ?"

"Ni moi celle d'un blanc. Les vêtements sales om les met ici dans ce panier." dit Lucas en commençant à se déshabiller à son tour.

Alors qu'ils se déshabillaient, les deux garçons se regardaient avec une évidente curiosité.

Quand ils furent nus, Lucas dit à voix basse, mais avec une certaine fierté : "La mienne est plus grande que la tienne !"

"Mais la mienne, quand elle est dure, devient presque le double. J'ai vu que la queue, plus elle est grosse au repos, moins elle grandit." rétorqua Manoel.

"As-tu vu beaucoup de queues ?" lui demanda Lucas.

"Pas peu... même si jamais d'un noir." répéta Manoel. Puis il demanda : "Et toi, t'en as vu beaucoup ?"

"Trois ou quatre. Puis-je la toucher, la tienne ?"

"Si tu me laisses toucher la tienne..." répondit Manoel avec un sourire malicieux.

Après un moment, les deux garçons se la manipulaient l'un l'autre, et ils l'avaient levée et dure.

"Tu vois que la mienne est maintenant presque comme la tienne ?" dit Manoel.

"Oui, c'est vrai. En tout cas, la mienne est un peu plus grosse que la tienne."

"L'important n'est pas sa taille ou sa longueur, mais comment on l'utilise." contra Manoel.

"Ça te plaît ? L'as-tu déjà fait ?"

"Quoi ?"

"L'utiliser, non ?"

"Pourquoi, pas toi ?"

"Mais tu l'as déjà fait avec une fille ?"

"Non, pas moi... et toi ?"

"Moi non plus. On ne peut pas se rapprocher des filles ici. Les parents les regardent à vue et te cassent en deux si tu essaies de les toucher."

"Mais voudrais-tu ?" demanda Manoel.

"Et qu'en sais-je si je n'ai jamais essayé ?"

Ils ont cessé de se toucher et se sont lavés. Ensuite, Lucas chercha des vêtements propres dans le coffre et tous les deux se rhabillèrent.

"Allonge-toi, maintenant. Je vais jeter l'eau sale et donner nos vêtements à laver à mes sœurs." lui dit Lucas.

Lucas venait juste de sortir, quand maître Euclides entra dans la chambre du garçon. Manoel commença à se lever de la paillasse, mais l'homme lui fit signe de ne pas bouger.

"Reste allongé, je veux que tu récupères vite, mon garçon."

"Merci monsieur. Je suis désolé pour..."

"Mais non. En effet, c'est moi qui dois te remercier. Écoute, Manoel Branco, j'ai parlé de toi avec mon intendant et mon secrétaire. J'ai décidé d'essayer de te donner quelque chose à faire dès que tu seras guéri. Pour commencer, tu pourras aider mon secrétaire, monsieur Gregorio Alves Romero, puisque tu sais lire et écrire. Il doit réorganiser toute la bibliothèque au premier étage. Il t'expliquera ce que tu dois faire et comment, quand tu pourras te déplacer sans problèmes."

"Merci, monsieur, merci beaucoup. Je ferai de mon mieux pour vous rendre heureux avec moi. " le garçon lui dit avec des yeux brillants.

"Et je vais dire à la gouvernante, madame Ermeninda, de te trouver des vêtements décents, adaptant peut-être ceux que mes fils n'utilisent plus."

"Merci encore, vous êtes vraiment bon et généreux, monsieur."

Euclides fit un geste d'une main pour dire au garçon qu'il n'était pas nécessaire de le remercier autant et, sans rien ajouter d'autre, il quitta la petite pièce.

Manoel était heureux, peut-être qu'il pourrait vraiment commencer une nouvelle vie dans cette fazenda.

Plus tard, arriva dans la chambre Idalina avec le déjeuner. Manoel mangeait avec appétit lorsqu'un homme entra, bien habillé comme les maîtres.

"Tu es Manoel Branco, n'est-ce pas ?"

"Oui monsieur..."

"Je suis Gregòrio Alves Romero. Monsieur Quadros Dutra m'a dit que tu peux lire et écrire."

"Assez bien, je pense, monsieur."

"Très bien. Dès que tu pourras te lever, tu viendras me voir, et je t'expliquerai ce que tu auras à faire. Le maître a décidé de rassembler tous les livres de la maison au premier étage. Il a juste fait fabriquer les nouvelles étagères pour transformer deux salles en une bibliothèque. Pendant que je les catalogue, tu devras les mettre en ordre sur les étagères."

"Il y a beaucoup de livres, monsieur ?"

"Oui, la marquise Ortensia aimait beaucoup la culture et durant sa vie ici, en plus des textes qu'elle avait apportés d'Italie, le maître lui avait acheté plusieurs livres : romans, poèmes, livres de voyages et essais sur divers sujets. Je viens de commencer l'inventaire, mais en un coup d'œil, je pense qu'il y a plus de cinq mille volumes au total, dont certains assez rares et précieux."

"Cinq mille ? À l'orphelinat, nous en avions une centaine au plus. Ils étaient vieux et en mauvais état, il leur manquait parfois quelques pages... Et pourtant, ils me semblaient si nombreux et si beaux !"

"Aimes-tu lire ? Ou tu regardais surtout les illustrations ?"

"J'aimais regarder les illustrations quand il y en avait, mais j'aimais assez les lire aussi. Dans les livres, tout est possible, même qu'un enfant trouvé comme moi découvre qu'il est en réalité un prince..." dit Manoel avec un air rêveur.

L'homme sourit. Manoel le regarda et pensa qu'il semblait une personne comme il faut et agréable.

"La marquise Ortensia était la femme du maître ?" il demanda.

"Oui, Ortensia Ugolini marquise de la Castellina était née dans une noble famille de Florence, qui est une ville magnifique du centre de l'Italie, capitale du Grand-Duché de Toscane. Sais-tu où se trouve l'Italie ?"

"Oui, un peu plus à l'est du Portugal, n'est-ce pas ? C'est le pays avec la forme d'une botte où le pape habite aussi. Mais comment se sont-ils rencontrés, le maître et la marquise ?"

"Quand elle avait dix-sept ans, elle avait accompagné à Rio de Janeiro son père, qui était venu s'occuper de l'importation du café et du sucre. Ils se sont rencontrés lors d'une fête chez le marquis d'Itanahaèm et il semble que ce fût le coup de foudre. Le père de dom Euclides et le marquis Ugolini de la Castellina ont immédiatement vu cette union favorablement. Monsieur Euclides s'est donc rendu en Italie, à Florence, où il a épousé la jeune marquise qu'il a ensuite amené ici à Santo André."

"Le portrait qui se trouve dans le studio du maître..."

"Oui, c'est la marquise Ortensia. Il s'agit d'une œuvre du célèbre peintre français Le Breton, arrivé à Rio en 1816, si je ne me trompe pas, peu de temps après la naissance de monsieur Getulio, le deuxième fils de la Marquise et de don Euclides."

"Elle était très belle, la marquise. Belle et élégante."

"Mais surtout elle était très bonne. Ce fut une grande perte pour tout le monde, sa mort prématurée. Tout le monde l'aimait, des esclaves aux personnes importantes d'ici. Toute Santo André, la plupart des noms qui comptent en Sâo Paulo et même de Rio de Janeiro sont venus pour ses funérailles. Eh bien, Manoel, j'espère que tu iras bientôt mieux, pour que tu puisses te mettre au travail et m'aider." conclut le secrétaire et saluant le garçon d'un geste, il sortit.

Plus tard, la gouvernante, madame Ermeninda, arriva pour rencontrer le garçon et voir de quelle taille il était, pour adapter des vêtements que les fils du maître n'utilisaient plus. Ils ont parlé brièvement et aussi à elle Manoel parla de la marquise Ortensia.

"Oh oui, c'était une femme très belle et bonne et elle aimait l'art, pas seulement les livres. Vois-tu, le jardin derrière la résidence est un jardin à la mode italienne, comme ceux qu'il y a à Florence, qui a été dessiné personnellement par la marquise... Monsieur Euclides va souvent s'asseoir dans le jardin quand il sent le manque de sa femme..."

"Même monsieur Euclides me semble un homme généreux et bon." lui dit Manoel.

"Oui, c'est un maître juste, strict avec ceux qui ne font pas leur devoir, mais humain avec tout le monde. Ils formaient vraiment un couple assez beau..."

"Même monsieur Nicolau me semble très gentil..."

"Il ressemble beaucoup à sa mère, à la fois comme caractère et physiquement."

"Et monsieur Getulio ? J'ai l'impression que je ne lui suis pas du tout sympathique..."

"Il est encore jeune. Je pense qu'il deviendra un grand homme d'affaires, car il est très intelligent et capable, déterminé. Parfois, il est un peu rude, c'est vrai. Peut-être que sa mère lui a manqué trop tôt..." dit la gouvernante puis elle quitta la chambre de Lucas.

Après le dîner, Lucas revint dans sa chambre pour dormir.

Alors que le garçon noir se préparait à aller se coucher, il demanda à Manoel : "Tu as dû t'ennuyer, aujourd'hui, ici tout seul."

"Pas trop, le maître, son secrétaire et la gouvernante sont venus et nous avons parlé un peu."

"Bon, nous devons juste dormir à ce point."

"Qu'est-ce que tu as fait toute la journée ?"

"Ça a été une journée plutôt dure comme les autres, rien de spécial. Vois-tu, le toit des entrepôts à réparer, mille choses à ranger..."

"Moi, aujourd'hui, j'ai souvent pensé à toi. J'aurais aimé te voir plus tôt."

Lucas le regarda un peu surpris : "Ah oui ? Pourquoi ?"

"Parce que je t'aime bien, voilà pourquoi."

"C'est à dire ? En quel sens ?"

"En quel sens !? Tu as l'air sympa, et tu as un corps super beau..."

"Et dis donc ! C'est étrange, car j'ai pensé à toi aujourd'hui alors que je travaillais."

"Et tu pensais quoi ?"

"Je me demandais si tu ne t'ennuyais pas ici tout seul, et j'aurais aimé pouvoir te faire un peu de compagnie, rester proche de toi, que sais-je." dit Lucas.

"Alors viens ici et reste près de moi maintenant, non ?"

"Oui mais... j'ai un peu honte... tu es un garçon blanc, tu n'es pas un esclave comme moi."

"Et alors ? Nous avons presque le même âge et on se tutoie, n'est-ce pas ? Imagine que je suis un garçon noir comme toi."

"Je n'aime pas penser que tu es un noir comme moi."

"Pourquoi ?" lui demanda Manoel.

"Parce que tu es différent des autres gars que j'ai rencontrés."

"Différent, comment ?"

Lucas s'assit sur le matelas de paille de Manoel et dit : "Je te connais depuis si peu de temps, mais... je sens que tu es spécial."

"Spécial, comment ? Tu m'as aussi vu nu et même touché... qu'as-tu trouvé de spécial, mis à part la couleur ?"

"Parce que tu es sensible, tu es doux, contrairement aux autres garçons, esclaves, que j'ai connus auparavant."

Manoel l'attira contre lui, lui enveloppant les épaules avec un bras et l'embrassant sur la bouche. Lucas ne s'échappa pas mais ne l'embrassa même pas.

"Ça ne te dérange pas que je t'aie embrassé ?" demanda Manoel.

"Non, pas du tout, mais je n'ai jamais embrassé personne."

"J'aime bien embrasser un gars qui m'attire."

Lucas se pencha sur Manoel et tenta de l'embrasser. Le garçon répondit aussitôt et ils jouèrent pendant un moment avec leur langue.

"Lucas, as-tu déjà fait l'amour avec d'autres garçons ?"

"Oui, parfois dans l'entrepôt, mais c'était une baise rapide, parce que nous avions peur tous les deux que quelqu'un vienne ou..."

"Mais ça te plaisait ?" demanda Manoel.

"Oui, assez."

"Si tu verrouille bien la porte, nous pouvons faire l'amour, toi et moi, tranquilles, ne penses-tu pas ?"

"Bah, on pourrait aussi le faire... Mais sais-tu que faire l'amour entre deux mâles est un péché ?"

"Oh oui, les prêtres de l'orphelinat nous l'ont dit, mais il y en avait un qui nous emmenait dans son lit pour nous baiser, et alors, si les prêtres le font, pourquoi ne le ferais-je pas ?"

"Mais allez ! Est-ce vraiment arrivé ? Tu ne te fous pas de moi avec cette histoire ?"

"Non, non, c'est comme ça que j'ai appris alors que je n'avais même pas encore treize ans et que j'ai découvert que j'aime beaucoup le faire."


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