LA CHARTREUSE
DE MONTSABOT
7 - UN GRAND PROJET

La maîtresse de son père établie, après toutes les formalités de la succession, Roland prit en main les affaires de son père, les siennes désormais, en tâchant de mener le tout de l'avant du mieux possible. Il ne se sentait pas vraiment l'homme de la situation, bien qu'au courant de toutes les affaires familiales, parce qu'il n'avait ni l'adresse ni le flair de son père. Il tâchait néanmoins de faire de son mieux.

En mai, un jour, Serge revint de l'école et après qu'ils aient dîné ensemble et que les jumeaux soient couchés, il dit à Roland : "À l'école ces derniers jours ils nous ont parlé des enfants restés orphelins à cause de la guerre... Ils sont beaucoup, vraiment beaucoup... Nous avons eu de la chance, après tout, parce que tu es là. Mais pour tant d'autres, par contre..."

"Oui, Serge, tu as raison. Et malheureusement il y a quelque chose qui me chagrine encore plus : combien de ces enfants sont orphelins parce que mon père et d'autres comme lui, tant ici en France que dans d'autres pays, ont construit des armes ? Et mon père... il n'était pas méchant, mais... il s'est aussi enrichi en fabriquant ces armes... ces armes responsables de la mort de tant de monde... ces armes qui ont rendu orphelins tant de pauvres enfants..."

"Si ton père ne l'avait pas fait... d'autres l'auraient fait..." dit Serge.

"Ce n'est pas une bonne excuse, cela. Si personne ne l'avait fait... Hervé serait encore en vie et tant de garçons comme vous auraient encore leurs parents..."

"C'est vrai. Mais c'est comme ça. Et à l'école ils disent que les orphelinats sont pleins... et ces enfants vivent dans des conditions... pauvres... Pas comme nous trois... Alors moi je dis qu'il faudrait faire d'autres orphelinats... et leur donner une maison, une famille..."

"Les orphelinats donnent un toit, pas une famille..."

"Mais on pourrait faire un orphelinat qui... quelque chose de différent, je pense... tu ne crois pas, Roland ?"

Le jeune homme le regarda, curieux : "Tu as une idée derrière la tête, Serge, j'en suis sûr. Pourquoi ne me la dis-tu pas ?"

"Et bien, je pensais... ne te mets pas en colère, ce n'est qu'une idée, mais je pensais..."

"Allez, crache le morceau." l'encouragea Roland avec un sourire.

"La Chartreuse... pourquoi au lieu d'un hôtel pour riches... on n'en ferait pas une maison pour ces enfants, avec l'école et tout ce qui peut servir ? Un endroit où ils pourraient grandir sereins, suivis et soignés véritablement, et pas simplement enfermés dans un endroit où manger peu et mal, dormir par chambrées de trente, et attendre qu'ils soient assez grands pour être mis dehors ?"

Roland le regarda, intéressé : ce garçon lui plaisait de plus en plus. Et somme toute l'idée... certes il faudrait y penser bien, mais...

Serge continua : "Quand j'ai vu les petites maisons où vivaient les moines... chacune pourrait héberger quelques enfants et..."

"Il y a combien de temps que tu y penses ?" lui demanda Roland, intrigué.

"Un moment... quand ils nous ont parlé des orphelins... les professeurs ont dit : apportez-nous de vieux habits et livres, pour les aider... Mais on n'aide pas les gens en leur faisant l'aumône... Et puis j'ai repensé à la fois où tu nous as emmenés à la Chartreuse, et à la carte dans ton bureau... et alors..."

"Faire comme autant de petites familles, dis-tu ?"

"Oui, c'est ça. Et ne pas parler d'orphelinat... nous l'appellerions maison ou quelque chose de ce genre..."

"Mais qui prendrait soin d'eux ? Un papa... ne peut pas être un employé, un salarié... l'affection ne se paie pas par un salaire..."

"Les plus grands prendraient soin des plus petits, et les adultes des grands... Un peu comme dans une famille nombreuse..."

"Continue..."

"Il n'y a qu'un problème... ils disent que les orphelins ont peu d'argent... qui paierait pour tout cela ? enfin, pas seulement pour remettre la Chartreuse en état mais après pour acheter à manger, les habits, les livres, payer les enseignants... je crois qu'il faudrait un paquet d'argent... Et je ne sais vraiment pas comment on peut faire pour le trouver..."

"Oui, tu as raison, c'est un gros problème... Et après ?"

"Si j'étais grand... j'y travaillerais même gratis, juste nourri et logé... parce que je sais ce que veut dire ne plus avoir père ni mère... même si j'ai la chance de t'avoir toi. Alors pense à ceux qui n'ont pas non plus quelqu'un comme toi... peut-être pourrait-on trouver des gens qui voudraient y travailler comme volontaires, qui sait ?"

"Oui... et autre chose ?"

"Et peut-être que les enfants, en plus d'étudier... au moins les plus grands... pourraient fabriquer quelque chose, travailler, construire, que sais-je, et le vendre pour gagner un peu. S'ils le faisaient pour eux-mêmes, tu vois, peut-être le feraient-ils volontiers..."

Roland était de plus en plus émerveillé en écoutant les idées que Serge avait élaborées sur ce problème. Et il se dit que si un garçon de quatorze ans y avait pensé si à fond... il devait y penser sérieusement lui aussi. Oui, il le devait à tous ces enfants que la guerre avait privés de tout... la guerre qui avait enrichi son père et qui par conséquence lui valait à lui sa présente fortune...

"Serge... ton idée me plait beaucoup. J'ignore si nous pourrons la réaliser, mais je crois que nous devons y penser sérieusement, très sérieusement. Que dirais-tu si, dès l'école finie, je t'installais un bureau à côté du mien et te donnais des assistants pour mettre sur pied un plan sérieux et voir comment on peut faire ?"

"Vraiment, tu ferais ça ?" demanda Serge avec les yeux brillants.

"Bien sûr, avec toi. Mais moi je dois m'occuper de tant d'autres choses, alors ce sera surtout toi. Je ne serai qu'un de tes consultants. Ça te va ?"

Serge l'embrassa avec joie et lui dit : "Je le savais que tu es quelqu'un de bien ! Si nous y travaillons ensemble, je suis sûr que nous trouverons une solution !"

Roland le serra contre lui : "Oui, mais sans nous faire trop d'illusions : nous devons garder les pieds bien par terre, d'accord ? Si ton père était ici, non seulement il serait très fier de toi, mais il nous aurait certainement aidés..."

"Mais papa est ici avec nous... et certainement il nous aidera !" dit le garçon avec un grand sourire.

En juin Roland fit installer un bureau pour Serge, communiquant avec le sien, et il fit mettre dehors une plaque "Serge Laforest-Brout - Coordination Monsabot".

Le garçon s'engagea à fond et Josiane était très occupée à l'assister, à dénicher les techniciens et les experts que Serge voulait convoquer. Les étagères de son bureau furent vite pleines de papiers. Parfois le soir Roland devait lui imposer d'arrêter de travailler, tant il était enthousiaste.

En août l'usine Laforest fermait deux semaines pour les vacances d'été. Roland décida d'amener les trois garçons à la mer et il réserva trois chambres d'hôtel sur la Côte d'Azur.

Roland et Serge étaient assis sous un parasol et regardaient les jumeaux qui en costume de bain construisaient un château de sable avec d'autres enfants.

"Roland ?"

"Oui, Serge."

"Je ne suis pas comme les autres garçons, tu le sais ?"

"Ah non ? Et comment es-tu ?" lui demanda-t-il, un peu amusé par cette déclaration, en le regardant avec un sourire.

"Moi les filles ne m'intéressent vraiment pas. Moi c'est les garçons qui me plaisent."

"Et bien, jusqu'à un certain âge il est naturel de se sentir mieux entre garçons... mais tu verras que les choses changeront vite et tu commenceras à être plus intéressé par les filles... bien assez vite."

"Non... j'en avais parlé aussi avec maman... avant sa mort... et elle m'a dit que... que pour certains il arrive que même en grandissant ils restent plus intéressés par les garçons, et parfois même seulement par les garçons."

"Et bien... oui, c'est vrai, ça arrive..." répondit Roland maintenant un peu gêné.

"Elle m'a dit que je pourrais être comme papa... ou peut-être au contraire... comme toi." Dit Serge en le regardant dans les yeux, puis il ajouta : "Et je crois vraiment être comme toi et pas comme papa."

"En... en quel sens ?" demanda Roland, hésitant.

"Allez... tu m'as très bien compris. Et puis, la semaine dernière... à la maison... j'ai fouillé dans les affaires de maman... elle y avait fait allusion et moi, ne te mets pas en colère, mais... avant de te parler je voulais comprendre un peu mieux et alors... j'ai lu toutes les lettres de papa à toi et de toi à papa... et elles contenaient tout ce que je sens au fond de moi, tu comprends..."

"Hervé était amoureux de ta mère, Serge." dit Roland un peu incertain en craignant que le garçon puisse mal juger son père.

"Oui, je sais, je sais. Mais il était aussi amoureux de toi... et toi de lui, n'est-ce pas ? Allez, Roland, tu peux me le dire, à moi, parce que je vous aime beaucoup, toi autant que papa... et parce que... parce que si nous en parlions clairement, tu pourrais m'aider..."

"T'aider..." fit Roland comme en écho.

"Oui, évidemment. Avec qui pourrais-je en parler, à part toi ? J'ai entendu, tu sais, comment les autres en parlent... mes copains, les professeurs... Seule maman en parlait sans mépris, mais elle n'est plus, maintenant... maintenant je n'ai plus que toi..."

Roland fit un profond soupir. Il n'était en rien préparé à affronter quelque chose de ce genre et il se demandait quelle serait la meilleure façon d'en parler.

"Roland... es-tu offensé que j'ai fouillé et lu tes lettres et celles de papa ?"

"Non... bien sûr que non..."

"Et puis... avec toi je peux parler aussi de certaines choses que j'aurais sans doute eu honte d'aborder avec maman..."

"Par exemple ?"

"Et bien... par exemple... tu vois, moi ma chose devient dure..."

"Utilise le bon terme, Serge. Mon pénis..."

"Oui, mon pénis. Mon pénis devient parfois dur..."

"Ça arrive souvent, surtout à ton âge, parce que ton corps s'éveille à la sexualité... mais nous les hommes, souvent le matin nous avons le pénis dur simplement parce que nous devons aller au cabinet..."

"Oui, mais d'après mes copains le leur devient dur en regardant certaines filles ou en pensant à faire certaines choses. Moi non, vraiment pas. Mais en regardant certains copains... ou en pensant à faire certaines choses, il devient dur, tu comprends ?"

"Penser à faire certaines choses... quoi ? Si tu veux bien en parler clairement..."

"Les toucher, me faire toucher, les embrasser et aussi... aussi faire..." dit Serge et il rougit.

Roland sourit, parce que même si le garçon avait rougi et n'avait pas réussi à dire clairement ce qu'étaient ces "certaines choses", il n'avait pas détourné le regard et il le regardait dans les yeux avec une expression sérieuse et confiante.

Puis Serge reprit : "Et aussi faire les choses que je crois que papa et toi faisiez."

D'un ton gentil, Roland demanda : "Et que peux-tu savoir, toi, de ce qu'Hervé et moi faisions ensemble ? Il ne me semble pas que nous les ayons écrites dans nos lettres..."

"Non, c'est vrai. Mais mes copains, bien qu'avec mépris, parlent de ce que deux hommes peuvent faire ensemble, alors il était facile de lire entre les lignes et de comprendre que papa et toi devez les avoir faites... et j'aimerais les faire, avec un garçon ou avec un homme, tu comprends..."

"Tu n'as encore jamais rien fait de ce genre avec personne, n'est-ce pas ?"

"Non, jamais. Parce que je crois que je devrais le faire avec quelqu'un que j'aime bien et pas juste comme ça, pour le faire."

"Et... tout seul ? T'es-tu jamais masturbé ?"

"Masturbé ? C'est quoi ? Ah, oui, si c'est quelque chose qui se fait seul, tu veux dire se branler ? On dit masturber ?"

"Oui, c'est exact. Tu le fais ?"

"Oui... et je ferme les yeux et j'imagine que c'est un autre qui me le fait et que moi je le lui fais... Même si on dit que... enfin, les copains disent que c'est agréable, les grands disent qu'il ne faut pas... et les prêtres que c'est un péché mortel..."

"Mais toi, qu'en penses-tu ?"

"Je suis confus, c'est pour ça que je voudrais en parler avec toi... si tu en as envie."

"Nous sommes en train d'en parler..."

"Alors, peut-être que quand nous serons seuls nous pourrons en parler sans être entendus ni dérangés... nous pourrons en reparler ?"

"Chaque fois que tu voudras, Serge."

"Merci, Roland." dit le garçon avec un sourire soulagé.

Ils rentrèrent à la maison et reprirent leurs activités. Un jour Serge arriva dans le bureau de Roland avec une pile de papiers.

"Voilà, j'ai fait calculer quelle pourrait être la dépense annuelle pour entretenir cent orphelins. Bien sûr, s'ils sont moins le coût par tête sera un peu plus et s'ils sont plus, un peu moins, mais pour avoir une idée, j'ai demandé le coût pour cent garçons âgés d'un à dix-neuf ans... En conclusion, ce n'est pas rien..."

Roland le regarda, admiratif : "Fais voir..." lui dit-il et il prit les feuilles et commença à les lire.

De temps en temps il faisait oui de la tête. Puis il regarda Serge et lui dit de s'asseoir.

"Écoute, Serge, tu as fait un très bon travail. Et pendant ce temps moi j'y ai beaucoup pensé. Moi aussi j'ai fait quelque chose, tu sais. J'ai parlé avec nos administrateurs, avec le notaire, des consultants financiers... J'ai étudié les lois qui pourraient nous intéresser et être utiles... et je suis arrivé à une conclusion. Une conclusion que tes recherches, en quelque sorte, me confirment."

"Qu'on ne peut pas le faire, c'est ça ?" demanda le garçon d'un air résigné.

"Que dans l'état actuel des choses nous ne pouvons pas nous le permettre. Mais que... si je vendais tout, l'entreprise, la villa et les biens immobiliers que je possède à Paris... et que si j'investissais le capital obtenu dans une Fondation, on en tirerait par an une somme suffisante pour entretenir environ cinq cent garçons."

"Oui, mais tout vendre..." murmura le garçon.

"Signifierait que nous aussi nous devrions aller vivre à la Chartreuse... qu'en dirais-tu ?"

Serge écarquilla les yeux : "Comment ? Tu veux dire que tu serais disposé à..."

"Je t'avais dit que toute cette richesse, due en majeure partie aux profits de guerre m'a toujours pesé, non ? Ce serait peut-être une façon d'y remédier, tu ne crois pas ? N'en déplaise à papa..."

"Alors tu veux vraiment..."

"Nous devons y penser encore un peu, voir mieux, plus à fond tous les aspects de la question, voir aussi comment faire pour trouver le meilleur personnel... Et prendre aussi en compte que l'argent arrivera de moins en moins et que donc, si aujourd'hui nous pouvons prendre soin de cinquante enfants, demain cela pourrait ne plus suffire et qu'il nous faudrait trouver d'autres fonds, tu vois ? La finance est chose plutôt complexe..."

"Mais tu es prêt à le faire ?"

"Certainement, avec toi."

Ainsi, après d'autres analyses, une fois certains points approfondis, Roland appela l'architecte et lui dit de préparer un nouveau projet pour faire de la Chartreuse un centre d'accueil d'orphelins de guerre, puis il appela ses administrateurs et leur dit de mettre en vente tous les biens des industries Laforest, en tâchant d'en tirer le plus possible. Enfin il étudia avec le notaire la meilleure façon d'établir la Fondation Laforest-Brout pour l'assistance aux orphelins, fondation à laquelle reviendrait la propriété de la Chartreuse de Montsabot et ses terrains, et dont Roland serait le président.

Et ainsi commença la grande opération de transformation.


1923 était arrivé. La Fondation Laforest-Brout était née et les capitaux des ventes affluaient dans ses caisses. L'architecte avait préparé son nouveau projet et l'avait discuté avec Serge et Roland, lequel voulait que le garçon, dans la mesure de ses engagements scolaires, soit toujours à ses côtés.

Même les journaux parlèrent de la "Conversion des Laforest" et une vague de sympathie accueillit le projet : bien des gens en effet étaient prêts à soutenir les bonnes actions des autres, cela apaisait leur conscience sans qu'ils ne doivent rien faire personnellement. Même si le soutien n'était souvent que moral, quelques utiles contributions arrivaient parfois.

Par exemple la vieille comtesse de Saint Albain envoya en don à la Fondation toute la bibliothèque de famille : des caisses et des caisses de livres, dont aussi certains volumes rares, d'art, littérature, sciences et la Grande Encyclopédie Universelle. Ou comme, officieusement, le ministère de la guerre, en la personne du général Duquesne-Mérinville qui décida d'attribuer à la Fondation le stock de tissu pour uniformes, puisque l'armée, après la guerre, avait décidé de changer couleurs et coupe, si bien que le contenu des magasins était devenu inutilisable...

Roland demanda à l'architecte de faire achever le plus tôt possible la restauration de la tour de l'abbé, à gauche de l'église, parce qu'il voulait y emménager avec les trois garçons pour pouvoir libérer et vendre la villa aussi.

Serge avait quinze ans maintenant et il grandissait, beau et fort, et il ressemblait de plus en plus à Hervé. Roland réalisa qu'il éprouvait une attraction croissante pour le garçon, mais il tâchait de ne pas le faire voir : lui faire comprendre ce qu'il éprouvait lui aurait sembler presque profiter de lui.

Le fait est que le garçon aussi tombait amoureux de Roland...

Un après-midi, ils étaient sous le grand aulne, tout en haut du parc derrière la villa, juste là où Hervé et Roland avaient pour la première fois réalisé leur attirance mutuelle avant de réaliser leur amour mutuel, quand Serge, assis sur un des bancs de pierre à côté de Roland, dit :

"Roland ?"

"Oui, Serge."

"N'est-ce pas ici que papa et toi... avez réalisé pour la première fois ce qu'il y avait entre vous ?"

"Si, c'est ici."

"Et toi... tu avais à peu près mon âge, n'est-ce pas ?"

"Oui, exactement..." dit Roland prudent, craignant de comprendre où Serge voulait en venir avec cette question.

Et de fait le garçon dit : "Roland, je voudrais que tu sois mon premier homme... Mon seul homme... Veux-tu m'apprendre à faire l'amour ?"

Le plus étrange fut que le garçon ne rougit même pas en disant cela, ce fut Roland qui rougit en l'écoutant. Il ne répondit pas tout de suite.

Puis, à voix basse, lentement, il dit : "Je te remercie, Serge, mais... tu vois... j'ai trente quatre ans et toi juste quinze... ne vaudrait-il pas mieux que ce soit quelqu'un de plus près de ton âge ?"

"Papa aussi était plus vieux que toi, n'est-ce pas ?"

"Il avait dix-neuf ans, il n'y avait pas une telle différence d'âge."

"C'est si important, la différence d'âge ? Tu ne crois pas qu'on peut tomber amoureux à quinze ans... quel que soit l'âge de l'autre ? Et ne viens pas me dire que c'était différent de ton temps, les grands nous le disent tout le temps, aux enfants... l'époque ne compte pas pour ça, c'est pareil partout et tout le temps."

"Serge... oui on peut être amoureux à quinze ans, mais..."

"Je ne te plais pas ? Pourtant tu dis que je ressemble de plus en plus à papa... tant physiquement que de caractère... et papa te plaisait, pas vrai ?"

Roland était troublé : "Bien sûr que tu me plais... mais..."

"Et tu es attiré par moi, non ? Au moins... moi il me semble que c'est le cas..." dit à voix basse le garçon en prenant une main de Roland et la caressant.

"Serge... tu m'embarrasses... Je suis un homme mûr et toi un garçon... Ton père et moi avions presque le même âge, nous..."

"Mais je t'attire, non ?" insista Serge.

"Oui... mon dieu oui... mais je te tiens lieu de père... comment pourrais-je..."

"Mon père aussi, dans un certain sens, te servait de père, puisque ton père était presque absent de ta vie... C'est écrit dans vos lettres. Et puis tu n'es pas mon père. Et de toute façon, tu as envie de moi et moi... j'ai envie de toi à en mourir... Je t'en prie, Roland... je t'en prie..."

Le jeune homme était terriblement partagé. Bien sûr qu'il avait envie de lui... et le garçon s'offrait de façon on ne peut plus explicite et consciente... Mais quelque chose le retenait...

"Serge, tu me plais beaucoup, et pas que parce que tu me rappelles Hervé... mais, si j'acceptais maintenant ta proposition... il me semblerait profiter de toi, tu comprends ça ?"

"Non je ne comprends pas. Tu préfèrerais que je le fasse avec n'importe qui ? Un inconnu, peut-être, un de ces hommes qui quand je sors de l'école passent près de moi et me font d'étranges petits sourires et me déshabillent des yeux ? Pourquoi pas avec toi dont je sais que tu m'aimes bien ? Je... je crois être vraiment tombé amoureux de toi, Roland. Et peut-être, si tu m'acceptais... tu pourrais aussi tomber amoureux de moi, non ? Entre papa et toi aussi, l'amour a été le résultat du désir, me semble-t-il avoir compris dans vos lettres...

"Ou peut-être le désir a-t-il été le résultat d'un amour qui ne s'était pas encore manifesté mais qui était là..."

"Et ne pourrait-il pas en être de même entre toi et moi ?"

"Serge, mon garçon, ce ne sont pas des choses qu'on peut décider comme ça... en discuter comme on parle de ce qu'on va manger à midi ou d'où partir en vacances, tu le comprends ?"

"Oh, Roland... mais il doit bien y avoir une façon d'en discuter, il doit y avoir une manière de... de se le dire, d'abord... Et alors, pourquoi tourner autour du pot, ne vaut-il pas mieux en parler clairement, honnêtement ? Ne m'as-tu pas toujours dit que l'honnêteté est à la base de tout ?"

"Si, mais..."

"Et je suis amoureux de toi, Roland. Je ne peux rien y faire, je n'y peux rien. Et je suis las de... de me masturber en rêvant que tu sois là avec moi et que nous fassions l'amour... je voudrais le faire pour de vrai, l'amour, et avec toi."

"Mais Serge, mon garçon... Sais-tu ce que signifie aimer quelqu'un ?"

"Je crois que oui... et même si je ne l'avais pas su, les lettres que papa et toi vous êtes écrites m'ont aidé à le comprendre. C'est pour ça que j'ai réalisé que j'étais amoureux de toi."

"Que veut dire aimer, selon toi ?" demanda Roland en cherchant à gagner du temps.

"Cela signifie que tu es pour moi la personne la plus importante au monde."

"Ta mère l'était aussi pour toi... Et ton père aussi..."

"D'une autre façon. Cela veut dire que pour toi je serais prêt à faire n'importe quoi, pour te rendre heureux. Cela veut dire que toute ma vie a pris un nouveau goût, qu'elle prendrait un goût fantastique si tu me permettais de te donner mon amour. Cela veut dire que je veux te donner mon amour de tout mon corps..."

"Et de moi... que veux-tu ?"

"De toi ? Ce que tu me donnes déjà et... et que tu me le démontres aussi de tout ton corps. Roland... oh, mon Roland, je t'en prie... qu'est-ce qui te rend si peu sûr de toi, si rétif? Que j'ai quinze ans ? Tu avais le même âge, alors. Et puis je grandirai, non ? Pourquoi ne pas me permettre de grandir avec toi de cette façon aussi, aussi en faisant l'amour ?"

"En grandissant tu pourrais t'apercevoir que... que tu te trompes, que je ne suis pas la bonne personne pour toi, tu ne crois pas ?"

"Possible, mais j'en doute. Et tu m'as dit un jour qu'en ne faisant rien par peur de se tromper... on se trompait déjà. Bien sûr, si tu n'éprouves rien pour moi, je ne peux pas te demander d'essayer, mais je sais... ou je crois savoir que toi aussi tu éprouves pour moi... quelque chose. Maman elle-même me l'avait dit."

"Ta mère ? Que t'a dit ta mère ?"

"D'attendre d'être sûr de mes sentiments et d'essayer de comprendre quels étaient les tiens... Et j'ai attendu, mais maintenant ça suffit. Je suis sûr de moi."

"Tu veux dire que tu en avais parlé avec ta mère ? De toi et moi ?" demanda Roland, très surpris.

"Oui, bien sûr. Peut-être pas aussi clairement que je t'en parle, mais elle avait compris. Et elle m'a dit que si j'étais comme papa, ou bien comme toi... même si les gens peuvent ne pas le comprendre, et même le condamner, je devais chercher à vivre ma vie. Elle m'a juste dit d'attendre d'être un peu plus grand et de me donner le temps de mieux me comprendre... Et à présent deux ans ont passé, et toi à mon âge tu avais compris... et décidé... et alors... et me voilà ici."

"Serge... Tu m'as pris complètement au dépourvu... Bien sûr que j'éprouve du désir à ton égard, et une profonde affection aussi, et de l'amitié... et je suis très bien avec toi... et puis tu me rappelles tant Hervé... Oui, c'est vrai. Mais... si vraiment tu penses m'aimer... fais-le pour moi... donne-moi le temps de réfléchir."

"Le temps de réfléchir... bien sûr, si tu dis que tu en as besoin, j'attendrai encore, mais... mais s'il te plait, essaie de te libérer de tous les préjugés même si notre société nous les impose... sois honnête avec toi-même et avec moi... Si tu penses pouvoir aussi me donner de l'amour... donne-m'en ! D'accord ?"

"Oui, d'accord."

"Bien. Alors maintenant... parlons d'autre chose..." dit Serge avec un sourire.

Roland y pensa beaucoup, il ne pensa presque à rien d'autre des jours durant. Plus il y pensait plus il se sentait attiré par Serge, plus il sentait l'aimer, et pourtant il n'arrivait pas encore à se résoudre à accepter, à l'aimer, à se décider.

Et puis une nuit il se réveilla avec d'étranges sensations... et il se rendit compte que dans le noir, là dans son lit, nu contre lui, se trouvait Serge, qui se frottait contre lui et le caressait. Et il s'aperçut que lui comme le garçon étaient fortement excités...

"Serge... que fais-tu là ?" demanda-t-il, ému et inquiet.

"Ne me chasses pas, Roland, je t'en prie. J'ai besoin de toi..." murmura le garçon en se serrant contre lui.

"Je t'avais demandé d'attendre, de me donner du temps..." répondit le jeune homme en restant immobile, en se raidissant pour essayer de garder le contrôle.

"J'ai attendu, je t'ai donné du temps... Maintenant... maintenant je veux être à toi... prends-moi, Roland, s'il te plait... fais-moi tien... Ne me refuse pas, ne me chasse pas... fais l'amour avec moi, apprends-moi à te montrer tout mon amour et de tout mon corps... j'en ai vraiment, vraiment besoin, crois-moi. Ne résiste plus, je veux être à toi, tout à toi..."

"Mais..." essaya encore d'objecter Roland.

"Je t'en prie... je t'en prie... je t'en prie..." l'implora le garçon et Roland réalisa qu'il pleurait.

"Non, non, ne pleure pas..." lui dit-il alors et dans un élan de tendresse il l'étreignit et le lova contre lui.

Ce que son esprit hésitait à faire, son corps, sentant la forte excitation du garçon et la sienne, le poussa à l'accepter. Il embrassa le garçon sur les yeux, puis sur les joues et enfin sur les lèvres. Serge les ouvrit et accueillit la langue de Roland dans sa bouche et la suça et il se frotta contre lui et ses deux mains le caressaient en s'enfilant sous son maillot, puis sous le caleçon en coton et enfin se posèrent sur le membre puissant, dur et raide de l'homme qu'il aimait.

Roland lâcha un soupir étouffé, frémit de la tête aux pieds et enfin il se laissa aller. Avec désir et de tendresse, il guida le garçon dans ses premiers pas sur la route de l'amour physique et Serge le suivit avec joie et enthousiasme. Le garçon retira les sous-vêtements de "son" homme et quand celui-ci, après l'avoir embrassé et caressé sur tout le corps, se pencha pour accueillir en bouche le sexe jeune et fort, Serge se tourna aussitôt pour donner à Roland le même plaisir. Ils se détachèrent et s'embrassèrent de nouveau à pleine bouche dans un plaisir croissant.

Puis Serge murmura, plein de désir : "Prends-moi... fais-moi tien!"

"Non, attends... je ne veux pas te faire mal... la première fois pourrait..."

"J'ai déjà mis un gel là, pour toi... tu verras, tu entreras en moi sans problème... je te veux !"

"Un gel ? Quel gel ?" demanda le jeune homme en souriant en lui à l'idée que le garçon ait même pensé à ça.

"Celui que maman utilisait quand elle avait un lavement... si ça va pour faire entrer le clystère, je me suis dit..."

"Mais le clystère est étroit, alors que mon pénis..."

"Est de la bonne taille, j'en suis sûr. Je te veux tout en moi, Roland... ne me refuse pas ça... S'il te plait..." murmura-t-il en se mettant sur le côté et en poussant son petit derrière, ferme et doux, contre le membre dur et chaud, glorieux, de son homme.

Roland l'étreignit et des deux mains il lui agaça les tétons et lui caressa le ventre, tandis qu'il poussait le bassin en avant. Serge tendit une main derrière lui pour guider le sexe vers sa cible. Il le sentit frotter contre son trou inviolé et frémit. Il poussa le bassin en arrière avec détermination...

Et enfin il sentit commencer à se dilater son petit trou de chair, à s'ouvrir et il lâcha un gémissement de satisfaction : enfin arrivait ce qu'il désirait, voulait et rêvait depuis si longtemps...

Roland se figea : "Je te fais mal ?" demanda-t-il, inquiet.

"Non... ça me plait... pousse, n'ais pas peur... fais-moi tien, enfin... fais-moi sentir tout ton désir... tout ton amour..." murmura-t-il et il se remit à pousser contre le bassin de Roland.

Après une première légère résistance, comme d'un coup le gland de Roland surmonta l'inévitable résistance de l'anneau de chair du garçon. Roland s'arrêta encore, essayant de dominer l'impulsion qui l'incitait à pousser encore.

"Comment ça va, Serge ?" demanda-t-il, ému.

"Bien... très bien... c'est très bon... allez... n'arrête pas... je te veux tout en moi...."

"Oui..." soupira Roland et finalement, d'une poussée vigoureuse mais contrôlée, il glissa lentement en lui.

Serge le sentit, majestueux, chaud, vigoureux, dur et pourtant tendre et doux, le remplir progressivement et il lui sembla être au ciel : jamais il n'avait éprouvé de sensation si forte, si belle, si pleine... Cette puissante présence virile en lui ne lui faisait pas mal, ne le gênait pas, au contraire... elle lui procurait une intense chaleur pleine de plaisir.

Tous les deux, à cet instant, pensèrent à Hervé... "Papa... enfin le garçon que tu as aimé est à moi, maintenant !" pensa le garçon... "Hervé... je t'ai à nouveau avec moi, grâce à ton fils..." pensa Roland, et tous les deux en furent heureux.

Quand il fut entièrement en lui et que les petites fesses du garçon frottèrent contre ses poils pubiens, Roland s'arrêta encore un moment, pour que Serge s'habitue à cette inhabituelle présence, sans cesser de lui caresser la poitrine et le ventre et à masser son membre dur et palpitant qui trahissait l'intensité du plaisir que Serge aussi éprouvait.

Le garçon ondula un peu du bassin, comme pour faire mieux s'installer le sexe puissant dans son étui... Puis enfin Roland commença à bouger le bassin d'avant en arrière, glissant presque entièrement hors du canal d'amour et y plongeant encore.

"Cela te plait, Roland ? Tu es heureux ?" lui demanda le garçon dans un murmure ému et plein de plaisir.

"Oui, terriblement. Et à toi ?"

"Je ne croyais pas que ce serait si bon ! Je t'aime ! Je t'aime tant !"


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