LA CHARTREUSE
DE MONTSABOT
15 - LES ÉVÉNEMENTS
DEPUIS LES ANNÉES QUATRE VINGT

En 1980 un aïeul décida d'offrir une cinquantaine de téléviseurs à la Chartreuse, un par maison famille et un pour chaque salle de classe, et le technicien installa aussi les équipements pour qu'ils puissent aussi être utilisés pour les transmissions internes.

Cela représenta une vraie révolution à la Chartreuse, en effet jusque là il n'y avait en tout que trois télés, une chez le recteur, une dans le séjour des professeurs et une à la salle des fêtes. Pouvoir librement choisir son programme donna au garçon une meilleure (bien que partielle et déformée) vision du monde "de dehors". Mais le conseil décida qu'il fallait aussi commenter aux garçons les programmes qu'ils voyaient, justement pour corriger la part d'information erronée ou orientée.

En préparation du soixantième anniversaire de la Chartreuse, qui serait en 1984, les garçons pensèrent préparer une série de programme pour le canal interne. Alors Marc acheta trois caméras vidéo et les équipements pour mixer et monter les films des garçons. Quand les aïeux affluèrent à la Chartreuse pour les célébrations, ils en furent enthousiastes et décidèrent de lancer une souscription pour doter la Chartreuse, en plus de la radio, d'un petit studio de télévision convenablement équipé. Mais alors que la radio émettait aussi à l'extérieur, la chaîne de télé n'était qu'interne, aussi les garçons jouissaient-ils d'une plus grande liberté pour réaliser leurs programmes.

Puis la Chartreuse se prépara à célébrer le centenaire de la naissance du fondateur, Roland Laforest, qui tombait en 1989. Un livre fut fait pour l'occasion, ainsi qu'un programme télé, et ils demandèrent à un aïeul de sculpter une statue grandeur nature de Roland, qui fut placée sur un piédestal symétrique à la fontaine, sur la place de la Chartreuse. Serge, qui inaugura la statue, pleura en voyant les traits si bien reproduits de son ancien amant.

Le centenaire de Roland vit l'arrivée à la Chartreuse d'une autre innovation : une dotation d'ordinateurs, pour que les garçons apprennent à s'en servir.

Parmi les garçons de la Chartreuse, dans la maison famille de la Cerise, il y en avait un qui avait été accueilli à deux ans, il s'appelait Khaled. Ses parents étaient un couple non marié, franco-algérien et ses frères à elle, avaient trouvé le père français et un soir ils l'avaient attaché et tué à coups de couteaux. Alors la mère de Khaled s'était suicidée.

Aussi Khaled avait-il grandi à la Chartreuse. C'était un garçon vif et sympathique, plaisant, fort, aimant le sport et passionné par la nature, et il passait tout son temps libre dans la serre à aider Félix, un instructeur de vingt-cinq ans qui justement s'occupait de la serre.

Khaled, peu à peu mais inexorablement, se sentit de plus en plus attiré par Félix, mais étant un garçon plutôt timide, il n'avait jamais manifesté son attraction au jeune homme. La seule chose que ses copains avaient remarquée était que, quand à quinze ans il était passé chez les grands, il avait cessé de faire l'amour avec eux. Cela n'avait rien d'inhabituel, et quand le chef de famille en fit la remarque à leur conseiller adulte, ce dernier dit que peut-être Khaled se sentait attiré par les filles et qu'il n'était donc plus intéressé par ses copains.

Dans le climat de respect de la Chartreuse, nul ne pensa jamais à le forcer. Et ses copains, après ses premiers refus, cessèrent d'essayer avec lui. Par ailleurs le garçon semblait serein, il était joyeux comme toujours, et s'impliquait dans toutes ses activités.

De son côté, Félix se sentait attiré par le garçon, parce que bien qu'il n'ait que dix-sept ans, Khaled était très mûr, tant physiquement que de caractère. De plus, son ascendance mixte faisait de lui, comme c'est souvent le cas, un garçon particulièrement sensuel et attirant.

Mais d'après la règle de la Chartreuse qu'un grand ne devait jamais solliciter les faveurs sexuelles d'un petit, et encore moins un adulte d'un mineur, Félix ne s'était jamais hasardé à faire comprendre au garçon son propre désir. Peut-être avait-il même été trop prudent, parce que, même sans demande explicite, donc sans violer la règle, il est facile de donner une idée à l'autre...

Un jour Félix, en rentrant dans sa chambre au second étage de l'hôtellerie, s'arrêta interdit sur le pas de la porte : Khaled était sur le lit, complètement nu, couché et appuyé sur les coudes, qui le regardait avec un sourire indéfinissable, à mi-chemin de l'effronté et du timide.

"Khaled ! Que fais-tu là ?"

"Je t'attendais, Félix..."

"Mais, comment es-tu entré ?" lui demanda-t-il en fermant la porte derrière lui.

"J'ai grimpé par dehors, quand j'ai vu que ta fenêtre était ouverte..."

"Mais tu es fou ? Tu aurais pu tomber et te faire mal... Et puis, quelle idée de venir ici sans rien me dire. Et si je ne voulais pas de toi ?" dit-il en approchant du lit.

"Tu ne veux pas de moi ?" demanda le garçon redevenant sérieux. "J'espérais... je pensais... qu'en me trouvant ici... il faut que je me rhabille ?"

"Non... si... non. Ce n'est pas ça. Mon dieu, Khaled, tu me plais sacrément... tu es beau... sensuel, désirable. C'est juste que tu m'as pris par surprise... tu ne m'as jamais laissé entendre que..."

"Je n'ai pas eu le courage... et tu ne semblais pas t'intéresser à moi..."

"Tu n'as pas eu le courage ? Mais bordel, pour me faire te trouver nu dans mon lit, tu l'as bien trouvé, le courage !"

"Tu es en colère contre moi ?"

"Oui... un peu..."

"Mais... mais tu bandes... ça se voit, tu sais !" dit le garçon en tendant la main et en la posant doucement sur la braguette gonflée du jeune homme.

"Je ne suis pas de bois ! Tu es beau... tu es nu... tu es dans mon lit..."

"Alors tu me désires ? Tu veux faire l'amour avec moi ? Tu veux ? J'ai dix-sept ans, les règles ne l'interdisent pas..."

"Khaled... bien sûr que j'aimerais... Dieu, tu es vraiment beau..." dit le jeune homme en posant par terre son sac et d'une main il caressa légèrement la poitrine du garçon et, du bout de deux doigts, il effleura un téton et les deux devinrent instantanément durs, tandis que le sexe du garçon commençait à se redresser et palpiter.

"Alors... pourquoi tu n'enlèves pas tout ça pour venir ici avec moi ?" lui demanda le garçon à mi voix, d'un ton séducteur.

"Khaled... c'est que j'aime juste prendre, pas être pris, je t'avertis..." lui dit le jeune homme en lui caressant le ventre doux et tendu.

"Et moi j'aime surtout être pris, surtout par quelqu'un comme toi..." répondit le garçon en lui palpant le sexe dressé à travers le tissu du pantalon.

"Tu es un petit diable tentateur, tu sais ?" lui dit le jeune homme en commençant à ouvrir sa chemise et avec un sourire.

"J'espérais l'être... Il y a deux ans que je rêve de... toi et de ce moment... Mais tu m'as dit un jour que... tu n'aimes que les plus grands... et peut-être à présent suis-je assez grand pour te plaire..."

"Oh oui, que tu l'es !" lui dit Félix en déboutonnant son pantalon et en le faisant glisser sur ses hanches avec son slip.

Khaled se pencha et embrassa le beau sexe déjà complètement dressé du jeune homme. Puis il le lécha de bas en haut, avec soin. Félix tremblait et lui caressait les cheveux.

"Tu me la mets en bouche ?" lui demanda le garçon en le regardant d'en bas.

Félix fit oui de la tête. Khaled le prit en bouche et le jeune homme la poussa dedans. Le garçon se mit à le sucer en bougeant la langue contre. Félix frémit et ferma les yeux. Khaled, sans cesser de le sucer et de bouger la tête d'avant en arrière, leva le regard et quand il vit l'expression béate sur le visage de son prof, il se sentit heureux.

Puis Félix se détacha de lui et enleva ses habits. Il monta à genoux sur le lit, Khaled s'assit et prit en main le beau sexe turgide et brillant de salive.

"Tu aimes comme je te suce ?" lui demanda-t-il.

"Oui, tu es bon... et toi, tu aimes ça ?"

"Oui, c'est une belle sensation d'avoir une bite belle comme la tienne entre les lèvres...et j'ai hâte de la sentir aussi par derrière..." répondit Khaled et il se remit à le sucer, tandis qu'il levait une main pour lui titiller les tétons et que de l'autre, il pressait gentiment, avec juste ce qu'il faut de pression, le sac de ses testicules.

Après un moment il se détacha et demanda : : "Félix... tu peux jouir deux fois de suite ?"

"Oui, et même trois, parfois. Pourquoi ?"

"Parce que maintenant j'aimerais sentir quel goût tu as, mais après je te voudrais aussi dans mon cul..."

"Tout ce que tu veux, Khaled... tout ce que tu veux..." répondit le jeune homme tandis que le garçon se remettait à le sucer avec avidité.

Félix lui caressait les cheveux et le dos. Le garçon savait vraiment faire et le jeune homme sentait le plaisir monter en lui, s'accumuler rapidement dans son corps. Khaled sentit que l'instant magique allait arriver et avec grande habilité il fit en sorte de le précipiter. Et peu après Félix se tendit et commença à lancer des jets tièdes dans la bouche du garçon. Khaled buvait à grandes goulées le nectar viril que Félix lui donnait en telle abondance.

Quand il eut bu jusqu'à la dernière goutte, Khaled continua un moment à le sucer de sorte que l'érection de Félix, qui allait diminuer, retrouva toute sa vigueur sous l'intensité du plaisir que le membre hypersensible recevait de la bouche experte du garçon.

Puis Khaled se retira, le regarda et se lécha les lèvres : "Tu as un goût différent de ce à quoi je m'attendais..."

"Si tu n'aimais pas, tu pouvais ne pas le boire..." murmura Félix, la voix chaude et rauque, tremblant encore de ce plaisir intense.

"Je n'ai pas dit ne pas avoir aimé. C'était moins doux que je m'y attendais... mais c'était bon. J'aime ton goût... Et maintenant... maintenant tu me prends par derrière ? Prends-moi, je te prie !"

"Comment tu veux le faire, Khaled ?" lui demanda le jeune homme en le caressant.

"Comme tu aimes... Si tu aimes, ça m'ira..."

"Alors..." dit Félix en s'asseyant sur le lit.

Il prit le garçon et le fit s'asseoir à califourchon sur lui, face à face. Il l'embrassa sur la bouche et sentit le goût de son propre sperme, bien que dilué. Puis il fit se soulever un peu Khaled, en le prenant par la taille. Le garçon saisit le sexe puissant de Félix, encore dur, qui glissa dans sa main et il le guida. Puis il se laissa retomber sur ce beau pieu pointé en l'air, avec l'aide de Félix, jusqu'à ce que le gland pointe sur son trou palpitant et avide.

Avant de descendre complètement, le garçon replia les jambes sous lui, serrant les genoux contre les flancs de l'instructeur et enfin il se laissa aller avec lenteur. Quand le sexe dressé commença à pénétrer le chaud canal, Khaled ferma les yeux pour mieux savourer les sensations qu'il éprouvait et avec un petit glapissement de joie, il descendit, descendit et le fit entrer tout en lui. Quand il l'eut accueilli complètement, il passa les bras autour du cou de Félix, ouvrit les yeux et lui sourit, heureux.

"Oui... c'est beau de t'avoir enfin en moi... Toi aussi tu aimes ?" lui demanda-t-il, presque dans un murmure.

"Oui, Khaled, j'aime tout de toi..."

"Vraiment ?" demanda le garçon, le regard lumineux.

"Oui... et j'aime surtout la joie avec laquelle tu fais l'amour..."

Khaled commença à remonter lentement, pour pouvoir après se laisser glisser d'un coup, et à chaque fois qu'il montait et se relaissait tomber, il lâchait un petit gémissement de plaisir. Puis, peu à peu, ses montées et descentes se firent plus courtes et rapides, jusqu'à atteindre le rythme d'un grand galop. Pendant ce temps Félix lui titillait les tétons et de temps en temps l'embrassait en lui plongeant toute la langue dans la bouche, comme s'il le prenait en même temps par les deux côtés...

Khaled était déchaîné maintenant, son visage un peu rouge d'excitation et il respirait presque au rythme de ses rebonds sur le giron du jeune homme. Le sexe dur du garçon frottait contre le ventre ferme du jeune homme et accroissait ainsi les sensations de plaisir de Khaled.

Le garçon parut perdre son self-contrôle, il s'agitait de façon désordonnée sur les genoux de Félix dont il inonda le ventre ferme, en même temps que le sien, de forts jets de sperme, gémissant à voix haute. Les contractions de son sphincter à chaque jet et ses mouvements désordonnés provoquèrent un second et puissant orgasme du jeune homme.

Un moment ils restèrent tous deux immobiles, presque enlacés, en respirant bruyamment. Puis Félix poussa Khaled le dos contre le lit, lui fit replier les jambes à côté de son corps et s'étendit sur lui, s'arqua et se remit à marteler en lui avec une mâle vigueur. Khaled sourit et l'encouragea de quelques mots, la voix rauque de plaisir.

"Oui... comme ça... que c'est bon ! Plus fort... comble-moi... tout... oh, Félix... allez... allez..."

Le jeune homme était loin d'avoir besoin d'encouragements, il était complètement parti : jamais il n'avait éprouvé un tel plaisir à faire l'amour. Le lit bougeait en rythme, la tête de lit cognait contre le mur à chaque coup du jeune homme dans l'étroit et chaud canal du garçon. Cette fois l'orgasme tardait à arriver, aussi tous deux jouirent-ils de cette longue chevauchée pendant plusieurs minutes. Mais enfin un troisième orgasme, chargé d'énergie, secoua le corps de Félix qui se planta vigoureusement dans le garçon et pour la seconde fois inonda son doux et chaud canal. Puis il s'effondra sur lui, épuisé.

Khaled lui caressait le dos pendant que tous deux retrouvaient leur calme avec peine.

Puis il lui demanda dans un murmure : "Ça t'a plu, Félix ?"

"Terriblement ! Tu as été fantastique !"

"Tu as un copain, Félix ?"

"Oui et non..."

"Ici, à la Chartreuse ?"

"Non, en ville. C'est le serveur du bar de la gare..."

"Il te plait ? Pourquoi as-tu dit oui et non ?"

"Il me plait... mais ce n'est rien à côté de toi. Et j'ai dit oui et non parce qu'il n'est pas mon copain, simplement parfois on s'amuse ensemble. Mais il va aussi avec d'autres, lui..."

"Et toi ?"

"Quelques fois, mais rarement."

"Tu voudras encore de moi ici avec toi ?"

"Chaque fois que tu voudras, Khaled..."

"Et... tu veux que je sois ton copain ?"

"Ça me plairait... mais d'ici deux ans tu devras partir..."

"Mais je resterai peut-être en ville..."

"Et toi, tu voudrais que je sois ton copain ?"

"J'aimerais... mais si j'étais ton copain... tu promettrais de ne plus aller avec d'autres ? Moi je n'irais avec personne, si j'étais le tien..."

"Khaled, ça te semble pas un peu précipité pour s'engager ?"

"Parce que je n'ai que dix-sept ans ?"

"Aussi... et parce que ce n'est que la première fois qu'on fait l'amour..."

"Mais tu me plais beaucoup, il y a deux ans que je te connais... et j'aime comment tu fais l'amour... Non, je n'ai pas l'impression qu'il soit trop tôt pour m'engager... Mais peut-être est-ce que tu ne veux pas t'engager..."

"Non... Toi aussi tu me plais beaucoup, Khaled. Et pas que ta façon de faire l'amour... Mais, si tu dois être mon copain, tu dois me promettre quelque chose..."

"Je t'ai dit, je ne le ferais avec personne d'autre..."

"Non, pas ça... tu dois me promettre que tu me diras toujours la vérité sur tout ce que tu penses, sens, éprouves et désires... Comme je ferai moi avec toi."


En 1990, Serge mourut, pendant la nuit. Le médecin dit que son cœur avait lâché. Serge avait passé les quatre vingt trois ans. Après la mort de son Roland, il n'avait pris aucun autre amant : si on lui demandait pourquoi, il répondait avec un sourire : "J'aime trop Roland pour trouver la place dans mon cœur pour un autre..."

Le conseil décida de faire aussi sculpter une statue de Serge à placer à côté de celle de Roland, en refaisant pour cela le piédestal, de façon à ce que Serge regarde son amant en souriant. De fait Serge était, avec Roland, cofondateur de la Chartreuse.

En 1992 l'amant de Marc, Valéry, un aïeul de trente sept ans qui s'occupait à la Chartreuse du studio de radio avec les enfants, fut renversé en moto par un camion. Malheureusement il eut une lésion de la colonne vertébrale qui le laissa tétraplégique. Alors Marc, bien qu'il n'ait encore que cinquante deux ans, donna sa démission du poste de recteur pour se dédier à temps plein à son amant.

Le conseil se réunit et élu nouveau recteur Denis, un aïeul de trente cinq ans qui avait été accueilli en 1957 âgé d'à peine quelques mois et qui enseignait les maths aux garçons. Bien qu'assez jeune, Denis était très équilibré et très aimé des garçons et apprécié par ses collègues.

En 1992 la Chartreuse se connecta aussi à Internet et fit son site, ouvert à tous, mais avec une section privée où seuls les aïeux dispersés dans le pays, ainsi que quelques-uns à l'étranger, pouvaient accéder par mot de passe. Ceci fut la troisième révolution à la Chartreuse, parce que les garçons apprirent à naviguer et Internet s'avéra précieux pour leurs recherches et leur formation.

En 1994 fut célébré le soixante dixième anniversaire de la fondation de la Chartreuse. Pour les célébrations ils durent louer le palais des sports de la ville, parce qu'entre les aïeux et leurs familles ils étaient désormais trop nombreux pour être tous réunis à la Chartreuse.

En 1997, le chef de la police de Tours, lui aussi un aïeul, avertit le recteur Denis qu'une dénonciation avait été faite contre la Chartreuse par un jeune qui en sortait tout juste, en disant que l'institution était un centre "pour la perversion des jeunes, qui y étaient contraints à des pratiques homosexuelles". Il lui dit que viendrait vite un contingent de policiers pour mener une enquête, et que le jeune homme avait aussi révélé l'existence de la partie secrète de la bibliothèque et des archives secrètes.

Immédiatement, Denis réunit tous les adultes et tous les garçons responsables, dont les chefs de familles, et les informa de la dénonciation et du besoin de faire disparaître tout ce qui pourrait être compromettant. Ils réunirent tous les documents, vidèrent les pièces secrètes de la bibliothèque et mirent sur les étagères des livres anciens et rares, pour justifier les pièces cachées. Tout ce qui avait été réuni fut chargé dans un fourgon et, de nuit, porté au garage d'un aïeul dans une ville voisine.

Juste à temps. Le lendemain la police arrivait et, avec un mandat, procéda à une perquisition soignée, tandis qu'une équipe des autorités d'inspection lançait interrogatoire sur interrogatoire.

Mais les garçons étaient préparés de longue date à une telle situation, donc, malgré plus d'un mois d'interrogatoires, rien n'en sortit. À la fin la police et les enquêteurs durent quitter les lieux et l'accusation tomba d'elle-même.

Mais Denis voulait savoir qui avait lancé cette dénonciation et pourquoi. Par l'aïeul qui l'avait averti, il sut qui était le garçon. Alors un des professeurs, sachant l'origine de la dénonciation, éclaircit ce qui s'était passé.

Ce garçon avait eu une relation avec lui. Quand il avait dû quitter la Chartreuse, il avait demandé au professeur de rester en contact, parce qu'il était amoureux et voulait conserver cette relation. Mais le professeur lui avait dit que non seulement lui n'était pas amoureux, mais qu'il avait un autre copain. Après une scène de jalousie, il avait dit qu'il le lui ferait payer... et voici pourquoi il avait fait cette dénonciation.

Denis dit au professeur qu'il avait sans doute agi avec légèreté, et que les adultes tout particulièrement devaient être très attentifs à leurs rapports avec les garçons.

En 1998, les garçons présentèrent une pétition au recteur : en voyant sur les vieilles photos les anciens uniformes de la Chartreuse, ils les trouvaient plus beaux que les actuels, plus élégants et originaux, et ils demandaient qu'ils soient rétablis.

Denis se dit que si les garçons étaient d'accord à une telle majorité, l'approbation des adultes n'était pas nécessaire, alors il réunit le conseil et demanda une délégation pour s'en occuper. Le conseil accepta la demande de Denis à l'unanimité. Alors le jeune recteur fit rechercher dans le registre des aïeux et, comme il espérait, il en trouva un parmi eux qui travaillait en Italie, comme dessinateur de mode pour Versace.

Il lui téléphona et lui demanda s'il avait envie d'étudier les anciens uniformes, dont il ne restait qu'un seul exemplaire au musée, pour en créer un nouveau qui reprenne la ligne de l'ancien avec les avantages de la confection moderne. Le dessinateur, Jean-Luc Blanchet, accepta avec enthousiasme la proposition. Pendant les vacances il revint à la Chartreuse voir le seul exemplaire d'uniforme, le mesura, prit des photos, en analysa chaque pièce avec soin, puis se mit à faire des esquisses et des dessins. Rentré en Italie, il rechercha les textiles modernes les mieux adaptés, où faire fabriquer les accessoires, surtout le képi et les guêtres, et enfin il présenta une série de figurines pour approbation.

Les garçons furent appelés pour examiner les dessins et exprimer leur avis, qui pouvait prendre trois formes : oui, non, ou oui mais avec des modifications. À la fin des votes, quatre vingt onze pourcent avaient voté oui. Le dernier problème était comment assurer le changement d'uniformes : en faire de nouveaux pour tous les garçons, un d'été et un d'hiver, aurait demandé une trop forte dépense, ils ne pouvaient pas se le permettre. Mais ne les changer qu'à mesure que les garçons grandissaient et devaient changer d'uniforme, cela aurait signifié une longue période pendant laquelle deux uniformes différents auraient coexistés, ce qui ne plaisait à personne. Alors le conseil décida de lancer encore une souscription parmi les Aïeux...

Les versements commençaient à arriver, mais ils ne témoignaient pas du même enthousiasme qu'à d'autres occasions, la somme réunie augmentait très lentement. Et puis la Chartreuse, tant par sa subvention d'Etat qu'avec les intérêts de son capital et le revenu des autres activités des garçons, arrivait à faire face à ses dépenses, mais pas à satisfaire un aussi important investissement.

Certains garçons proposèrent d'utiliser leurs économies en banque, mais Denis s'y opposa : cet argent devait rester pour quand chacun d'eux, à dix-neuf ans, quitterait la Chartreuse, pour commencer une activité ou se payer les études s'ils voulaient aller à l'université.

Cela semblait une impasse, un problème sans solution. On était déjà en 1999 et rien n'avait encore été possible. Les garçons étaient un peu déçus, mais ils se résignaient à l'idée de continuer à porter l'uniforme qu'ils avaient utilisé jusque là.

Mais en 2000 arriva une lettre de l'étude d'un notaire parisien.

"Monsieur le recteur de la Chartreuse de Montsabot,
Sur requête de l'étude notariale Purdy, Ferrel et Barrus de Los Angeles, nous vous informons que monsieur Jean-Claude Mossalin, ancien élève de votre institution, décédé le 27 Juillet 1999, a laissé en legs à votre institution la somme de 500 000 US.$ (cinq cent dollars américains) sous la clause qu'ils soient utilisés pour fournir aux garçons, en parts égales, des biens qu'eux-mêmes choisiront par un vote spécifique.

Ce pourquoi nous vous prions de faire faire ce choix aux garçons et de nous faire parvenir le procès-verbal du vote contresigné par tous les garçons actuellement majeurs de vos pupilles, ainsi que par une commission des enseignant et votre propre signature.

Par ailleurs, nous vous prions de nous faire parvenir les documents dont nous vous joignons la liste et de nous faire savoir dans quelle banque et à quel compte réaliser le versement.

Nous restons à votre disposition pour d'éventuels éclaircissements,

Étude Jospin, Leroy et Souret, Paris."

La somme était plus que suffisante pour faire faire tous les uniformes et, ajoutée aux fonds récoltés dans ce but, le budget était largement dépassé. Alors Denis convoqua les chefs de famille et leur apprit la bonne nouvelle. Puis il leur demanda de faire un vote formel dans chaque maison, en présence de trois témoins adultes et de préparer les procès-verbaux à envoyer au notaire. Il demanda aussi de décider comment ils voulaient dépenser la somme d'argent qui resterait. Les votes faits et les procès-verbaux rassemblés, les chefs de famille informèrent Denis de ce que les garçons avaient décidé avec le reste de l'argent. Il demandait qu'un ordinateur relié à Internet soit placé dans chaque maison famille. Le conseil approuva la demande.

Aussi furent envoyés au notaire parisien tous les documents et lettres demandés. En Septembre 2001 le versement du legs était arrivé à la banque de la Chartreuse et les commandes purent être lancées pour la confection des nouveaux uniformes.

Quand enfin arrivèrent les premiers exemplaires, les garçons étaient heureux et les plus grands se pavanaient dans les rues de la ville, chaque dimanche, admirés par tous.

"Les petits chartreux," comme les appelaient les gens en ville, "se sont faits élégants !" disaient les gens ravis et fiers et bien des filles, sans oublier quelques garçons, faisaient les yeux doux aux garçons de la Chartreuse...


F I N


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