Le lendemain, comme toujours je me suis levé tôt, il était sept heures. Je suis allé me doucher, me raser puis prendre le petit déjeuner, en tâchant de faire le moins de bruit possible pour ne pas le réveiller. Il y avait longtemps qu'il n'avait plus dormi dans un lit et je me suis dit qu'il avait besoin de se remettre en forme.
Puis je suis allé dans ce que j'appelle un peu pompeusement "mon atelier".
Je fabriquais une maquette de maison, la maison de poupée classique, juste pour le plaisir de fabriquer tous les meubles en bois à l'échelle 1/12, avec tous les détails, je coupais, sculptait, assemblais, vernissais... En général je faisais ça le soir ou le week-end, mais comme j'avais pris deux jours de congé j'ai décidé d'en profiter jusqu'au réveil d'Ylli.
Je fabriquais les tiroirs d'un secrétaire à abattants de style napoléon. Je m'inspirais en partie des meubles de chez moi et en partie des photos d'une encyclopédie d'ameublement trouvée pas cher à la librairie "Le Juif" de la galerie san Federico.
Je travaillais depuis un moment quand j'ai regardé ma montre, dix heures ! Je n'avais pas vu passer le temps. J'ai craint qu'Ylli soit réveillé mais n'ose pas sortir de sa chambre de peur de me déranger.... Alors j'ai quitté mon atelier et je suis allé à sa chambre. J'ai frappé légèrement deux ou trois fois sans réponse. Alors j'ai ouvert, entrouvert...
Ylli dormait, couché sur le lit, un bras plié et la tête reposant dessus, tournée du côté porte. Il ne portait que le slip que je lui avais donné. Son corps était beau, peut-être un peu maigre, il était glabre, sauf le léger duvet sur ses cuisses, qui s'épaississait sur ses jambes en dessous des genoux. Son autre bras longeait son corps, la main passée sous la cuisse, une jambe un peu relevée, l'autre pliée et les cuisses bien écartées.
Il avait deux tétons sombres, grands et plats, le ventre concave, le nombril parfait. Son bras relevé montrait sous l'aisselle une touffe de poils raides et courts d'un châtain un peu cuivré. Son visage était serein, plutôt doux. J'ai aussi remarqué qu'il avait une oreille au pavillon parfait... Il portait une chaîne au cou, en argent ou peut-être en plaqué.
J'ai contemplé un moment cette agréable vision. Peut-être que s'il prenait quelques kilos il serait vraiment parfait... J'ai aussi remarqué que ses pieds étaient parfaits, fins, bien faits. Sous son menton le voile d'une barbe sombre rendait plus viril son doux visage.
J'ai refermé la porte en silence en me disant que je le réveillerais un peu avant l'heure du déjeuner et je suis revenu à mon atelier pour continuer à travailler sur mon secrétaire à abattants.
Vers onze heures et demie, j'ai entendu frapper doucement à la porte ouverte de mon atelier. Je me suis retourné et Ylli était là, debout, les cheveux un peu ébouriffés, les yeux encore un peu endormis, portant ma chemise blanche, boutonnée, qui cachait en partie son slip, sans pantalon et pieds nus.
"Bonjour, Ylli. Tu as bien dormi ?" lui demandais-je en souriant.
"Très bien, merci. Et vous, Marco ?"
"Moi aussi..."
"S'il vous plait, je peux prendre une douche ?"
"Bien sûr, tu n'as pas à me le demander. Il te faut quelque chose ?"
"Non merci, vous m'avez déjà tout donné."
"Je crois qu'il est un peu tard pour le petit déjeuner. Tu veux que je prépare le déjeuner ?"
"Quelle heure est-il ?" me demanda-t-il en se passant la main dans les cheveux.
"Onze heures et demie."
"Si tard ? Je dormi longtemps."
"Apparemment tu en avais besoin. Alors, tu peux te passer de petit-déjeuner ou tu préfère qu'on déjeune plus tard ?"
"Faites comme vous pensez, Marco."
"Mais tu as faim ?"
"Oui, un peu..."
"Bon, alors pendant que tu te douches, je vais faire à manger."
"Vous travaillez ?" me demanda Ylli en restant sur le pas de la porte.
"Non, ce n'est qu'un hobby. Je ne travaille pas, aujourd'hui, je retourne au bureau demain."
"Ah... alors je vais me laver..." dit-il et il alla à la salle de bain.
J'ai fini ce que je faisais et je suis allé à la cuisine.
Il arriva quand c'était presque prêt. J'avais déjà mis le couvert et je lui ai dit de se mettre à table. Il avait mis son pantalon et ses souliers.
En mangeant il m'a questionné sur mon hobby et mon métier et je lui ai parlé des deux. Il mangeait avec appétit, mais avec calme. Je lui ai aussi servi un demi-verre de vin qu'il apprécia. Mais il n'en voulut pas plus parce qu'il n'avait pas l'habitude de boire de l'alcool.
En sortant de table il voulut faire la vaisselle. Je l'ai laissé faire, conscient qu'il voulait participer. Puis il m'a demandé s'il pouvait venir voir ce que je faisais.
Je l'ai emmené à mon atelier et je lui ai montré ce que je faisais. Il a regardé avec admiration les petits meubles et m'a dit qu'ils étaient très beaux. Il m'a demandé si je les vendais et je lui ai dit que non, que je voulais faire une maison où les mettre.
"Vous y mettrez aussi des lampes ? L'installation électrique ?" me demanda-t-il, les yeux écarquillés.
"Je crois, mais il faut encore que j'organise ça."
"Et vous dites vous voulez faire la salle de bain. Vous faites comment ?"
"Je fais les sanitaires en céramique, je les fais cuire au four, puis je les décore à l'émail et le les repasse au four." Je me suis levé et j'ai pris un livre que j'ai ouvert là où il y avait une marque et je lui ai montré une photo : "Regarde, voilà comment je veux faire, à peu près. Avec peut-être une autre décoration."
"Vous savez aussi travailler céramique, Marco ?" me demanda-t-il, stupéfait.
"Je me débrouille... mais je ne connais rien au cuir...." lui dis-je avec un sourire.
"Je peux aider ? J'aimerais essayer de faire quelque chose, si vous m'expliquez..."
"Pourquoi pas ? volontiers."
Alors j'ai commencé à lui expliquer ce qu'il y avait à faire et comment. Il avait vraiment des doigts en or et l'intelligence rapide, il comprenait tout de suite ce que je lui disais et il le faisait vite et bien, avec exactitude et grande précision. Nous avons travaillé ensemble plusieurs heures et Ylli s'enthousiasmait.
J'aimais le voir travailler, regarder ses mains, le sourire avec lequel il accueillait mon compliment quand il avait achevé quelque chose. Je lui ai d'abord confié des tâches simples, mais vue la rapidité à laquelle il apprenait et les réalisait, j'en suis venu peu à peu à lui faire faire des choses plus complexes.
Ylli s'amusait comme moi, et je me suis aperçu que je travaillais avec plus de plaisir. Je lui demandais un avis de temps en temps, je discutais avec lui d'un détail ou des solutions possibles. Nous sommes arrivés à l'heure du dîner sans avoir vu le temps passer.
En mangeant nous avons continué à discuter de mon projet de maison miniature. C'était un plaisir de parler avec ce garçon. C'était un plaisir d'être avec lui. Après le dîner, et après avoir débarrassé, je lui ai demandé s'il préférait regarder un peu la télé ou retourner avec moi à l'atelier.
"Si ça vous va, je préfère venir aider de nouveau..." me dit-il avec un sourire plein d'expectative.
"Très bien, alors allons-y."
Nous nous sommes remis au travail, jusqu'à penser qu'il soit temps d'aller au lit.
Alors Ylli me dit : "Si demain matin, au réveil, vous venez me réveiller, au moins je peux me préparer et sortir avec vous..."
"Et aller où ? Que feras-tu de la journée ?" je lui ai demandé.
Il rougit et dit : "Je vais... dans la rue... demander des sous... Je peux faire quoi d'autre ?"
"Non, ça m'ennuie... Il fait froid, dehors... Reste plutôt ici, à la maison, et attends-moi..."
"Non, merci. Je veux pas être chez vous quand vous y êtes pas..."
"Mais... je crois pouvoir te faire confiance..."
"Et vous faites mal, vous me connaissez pas encore, il faut pas faire confiance comme ça. Vous êtes trop gentil, Marco. Non, vraiment, je préfère retourner dans la rue..."
"Alors, à une condition, euh, non, deux..."
Il m'a regardé, intrigué.
"D'abord tu prends mon manteau, pour avoir moins froid. Et puis tu m'attends à midi et demi devant mon bureau et nous déjeunons ensemble. Et demain soir tu reviens dormir ici."
"Mais alors... alors Marco, quand il faut faire les courses pour manger, je vous donne mon argent..."
"Non, tu le gardes, comme ça tu économiseras plus et tu pourras reprendre tes affaires au propriétaire, et peut-être acheter du cuir et recommencer... Je ne veux pas même une lire de toi, tu en as bien plus besoin que moi..."
Nous étions debout dans le couloir en échangeant ces mots. Ylli me prit spontanément dans les bras et me donna un baiser sur la joue puis, tout aussi précipitamment, il se détacha de moi.
Puis il me dit : "Merci, Marco. Vous êtes vraiment un bon homme !"
J'ai souri : "Excuse-moi de corriger ton italien, Ylli, mais... un bon homme en italien c'est un idiot, un homme bon signifie de bon cœur. Enfin, je suis peut-être aussi un peu idiot, mais je ne crois pas que c'était ce que tu voulais me dire..."
Il a rougi : "Oh non ! Vous êtes pas un bon homme mais un homme bon ! Oui, vous êtes bon !"
"On devrait tous essayer d'être bons, si on veut être vraiment des hommes." je lui accordais avec un sourire.
Nous nous sommes dit bonne nuit et sommes allés nous coucher, chacun dans sa chambre. Pendant que je me mettais au lit et me pelotonnais sous la couverture je repensais à cette brève et rapide étreinte, à ce baiser léger sur la joue et j'ai ressenti un profond plaisir, de la tendresse. Je me suis endormi en pensant que cette étreinte avait été belle, un cadeau inattendu, agréable. Je regrettais de ne pas l'avoir moi aussi serré dans mes bras, pour prolonger un peu ce contact si tendre et si humain.
Le matin, à mon réveil, je suis allé me laver puis frapper à la porte d'Ylli. Il n'a pas répondu. Alors j'ai de nouveau ouvert sa porte et je l'ai regardé : il dormait, comme la veille, et ne portait qu'un slip, mais le sien, cette fois-ci : un petit slip blanc qui mettait d'autant plus en relief ses attributs virils qu'il avait la classique érection matinale...
Je n'ai pu faire moins que constater que la mère nature l'avait bien doté. Son membre pointait vers le haut et tendait le tissu élastique de son slip, si bien que sa forme et ses dimensions se voyaient distinctement. Il dormait sur le dos, les jambes un peu écartées et droites, un bras replié sur la poitrine et l'autre sous la tête, sur l'oreiller. Je laissais mes yeux parcourir son corps de bas en haut, et j'ai ressenti comme une confuse sensation de plaisir et de tendresse.
Puis j'ai refermé la porte tout doucement, sans faire de bruit et j'ai à nouveau frappé, plus fort, jusqu'à entendre sa voix, encore engourdie de sommeil, me répondre. Alors je suis allé préparer le petit déjeuner pour nous deux.
Nous sommes partis et allés ensemble jusqu'à la gare. Je lui ai rappelé notre rendez-vous puis je suis entré à mon bureau alors qu'il partait vers la via Roma... faire la manche. Toute la matinée, au travail, j'ai repensé à Ylli... J'étais désolé de le savoir dehors, dans le froid, à s'humilier à demander de l'argent aux passants... Parfois, en passant devant quelqu'un qui mendiait, j'ai continué tout droit, même si pas toujours. Mais ce jour-là j'en ai eu comme du remord et je me suis promis que je ne le referais plus, que de ce jour je donnerais toujours quelque chose à qui que ce soit qui me tende la main !
Nous nous sommes retrouvés pour déjeuner et je l'ai emmené au self de la place Carlo Felice. Puis nous nous sommes retrouvés à la fermeture de mon office du tourisme et on est rentrés ensemble chez moi. J'avais envie de lui demander combien il avait reçu, mais je me suis dit que ce serait peu délicat de lui rappeler son humiliation, alors je ne lui ai rien demandé.
Après le dîner on est retournés travailler un peu à l'atelier et je suis à nouveau resté admiratif devant son adresse manuelle. En travaillant nous discutions de divers sujets, puis nous avons décidé d'aller dormir. J'ignore pourquoi, mais je m'attendais presque à ce qu'il m'embrasse de nouveau, comme la veille au soir. Evidemment il n'en a rien fait et j'ai été un peu déçu, même si je me traitais d'idiot : la veille il avait eu un mouvement de gratitude, un geste spontané, impulsif. Qu'il n'avait plus aucune raison de faire ce soir... Mais j'aurais aimé... Oui, j'aurais aimé, pensais-je encore en m'endormant.
Le lendemain cette espèce de rituel se répéta : je frappais doucement à sa porte, il ne répondit pas, j'entrouvrais et je regardais dedans...
Cette fois-ci Ylli dormait sur le ventre. J'ai remarqué qu'il avait aussi les épaules larges, la taille et le basin étroits, son petit slip en coton élastique lui faisait un petit derrière parfait et laissait même deviner la petite vallée entre ses fesses. Ses jambes étaient élancées mais fortes, comme les autres fois un peu écartées. Il avait les bras joints sur l'oreiller et la tête dessus, tournée côté porte, et je voyais son beau visage serein.
Les courbes de son cou et de sa nuque aussi étaient parfaites. L'ensemble était vraiment une agréable vision... un corps fin et bien proportionné, une peau douce et sans défauts. Même le dos et l'arrière des cuisses étaient parfaitement glabres. Je l'ai admiré un moment puis j'ai refermé la porte et j'ai frappé plus fort jusqu'à ce qu'il se réveille.
Comme la veille, on s'est vus pour déjeuner, puis à la fermeture de mon bureau et on est rentrés, on a un peu "joué" dans mon atelier à faire les meubles miniature puis on a dîné en bavardant. J'étais bien avec lui. Il était assez réservé et alternait des élans de confiance où il était souriant et joyeux, et des moments où il semblait timide, fuyant, presque renfermé...
Je sentais qu'il était un peu de nature solitaire, peut-être pas que de son choix, et qu'il semblait se battre, peut-être contre lui-même, pour sortir de sa solitude. Pendant que nous travaillions à l'atelier, j'ai remarqué que parfois, quand il croyait que je ne le voyais pas, que je ne le regardais pas, il m'observait, m'étudiait... Au fond, un peu comme je faisais moi aussi avec lui.
Le matin, avant de le réveiller, j'ouvrais sa porte et je le regardais depuis le seuil. Ce jour-là il portait de nouveau mon slip. Et il dormait de nouveau sur le dos, les jambes écartées, le drap avait glissé de son beau corps et était par terre, à côté du lit. Il avait encore une érection matinale mais cette fois-ci, par l'ouverture devant le slip, on voyait un peu son membre dressé.
Les bordures en coton étaient un peu écartées et laissaient deviner le membre semi dur pointant vers le haut, comme un oiseau qui couve dans son nid. C'était, pour autant que je me souvienne, la première fois que je voyais, que je regardais, le sexe d'un autre homme que moi...
Je ne saurais dire pourquoi, mais avoir cette vision, je dirais presque "la voler", provoqua en moi une forte sensation de plaisir, le genre de légère excitation du plaisir de l'interdit... Il n'y avait rien de malsain, c'était un peu comme la curiosité qu'on peut éprouver en "épiant" une souris qui s'occupe de ses petits et continue à le faire, sans se douter qu'elle est observée...
Je ne vois pas comment mieux l'expliquer... c'était ce subtil plaisir qu'on a en pouvant admirer quelque chose qu'on n'a pas "le droit" de voir... comme entrer dans un musée fermé au public, comme se promener dans un jardin privé dont l'entrée est interdite et où on est venu en fraude... avec en plus la peur d'être surpris par le gardien et mis à la porte.
C'était un peu comme regarder par le trou de la serrure d'une pièce qu'on ne peut pas visiter, comme quand, internes, on allait épier le bureau du président où nul élève n'était admis... On pouvait alors se vanter auprès des copains, ou se réjouir tout seul, "il l'ignore, mais j'ai même vu le bureau du président... je sais comment il est..."
Ce que je veux dire c'est qu'admirer la presque complète nudité d'Ylli n'avait pour moi, du moins consciemment, aucune connotation sexuelle, c'était plus le goût de l'interdit, celui d'entrer dans une sphère d'intimité normalement interdite.
Je me souviens avoir aussi remarqué ce matin que le sexe d'Ylli bougeait un peu, comme pour mieux s'installer dans la chaude couchette du slip entrouvert et du pubis que je ne pouvais pas voir en dessous. Ce n'était pas du tout érotique, c'était plutôt... quelque chose de tendre, de vaguement agréable, d'une beauté intime. Oui, me dis-je, là aussi ce garçon était bien fait, plus, il était beau.
J'ai reculé presque à contre cœur, j'ai refermé la porte et je l'ai réveillé en frappant, puis comme d'habitude je suis allé préparer le petit déjeuner. Mais cette vision "volée" d'Ylli me faisait ressentir une agréable intimité, et un zeste de chaleureuse culpabilité qui me faisait sourire et penser : "Il l'ignore, mais j'ai même vu le sexe d'Ylli... je sais comment il est..."
Vint le week-end et nous avons passé les deux jours ensemble. Ce garçon me plaisait de plus en plus et je me demandais comment lui proposer de rester avec moi et de partager sa solitude avec la mienne. Je me souviens qu'on était au séjour et qu'il a de nouveau joué de la mandoline de ma mère, puis que nous sommes allés travailler à l'atelier.
J'ai pensé que je pourrais lui proposer d'aller payer le propriétaire de la pension pour qu'il puisse récupérer ses affaires et ses outils. Je lui aurais volontiers donné l'argent qu'il fallait... peut-être lui aurais-je aussi avancé de quoi acheter du bon cuir pour qu'il puisse se remettre au travail... Accepterait-il ? Et s'il refusait ?
Au fond, me disais-je, s'il fait la manche dans la rue, il peut bien accepter un coup de main de ma part... Mais mendier est une chose humiliante, alors ma proposition pourrait l'humilier... J'étais là, indécis, partagé entre mon désir de l'aider et ma volonté de ne pas le gêner...
Peut-être aurais-je dû attendre encore quelques jours, attendre qu'il s'instaure entre nous un rapport plus intime, moins formel... Au fond s'il me vouvoyait encore, c'était le signe évident qu'il y avait encore une distance à franchir entre nous.
Mais oui, c'était ça le pas à faire en premier... Et c'était à moi de le faire, puisque j'étais le plus âgé et le maître de maison.
"Ylli ?"
"Oui ?" dit-il en arrêtant de polir le tiroir du secrétaire sur lequel il travaillait.
"Ecoute, je t'ai toujours tutoyé, mais toi par contre tu continues à me vouvoyer. Pourquoi tu ne me dis pas plutôt tu ?"
"Je suis qu'un garçon, vous êtes homme mûr..." s'excusa-t-il.
"Et alors ? Ça me ferait plaisir, surtout maintenant qu'on se connaît. Je ne veux pas te forcer si tu n'as pas envie, Ylli, bien sûr, mais ça me ferait très plaisir." lui ai-je dit en lui souriant et, sans y penser, spontanément, je posais la main sur la sienne qui tenait le tiroir sur lequel il travaillait.
Ylli m'a fait un gentil sourire et il a fait oui de la tête : "Si ça vous fait plaisir... si ça te fait plaisir, j'en serai content, Marco."
"Alors très bien. Je voudrais que tu te sentes... chez toi ici, avec moi." ai-je dit alors. "Je suis très content que tu sois là, de t'avoir rencontré et... de pouvoir te donner mon amitié, et pas seulement un coup de main."
"Vous... tu es très gentil, Marco. mais je veux pas être une charge pour toi..."
"Mais tu ne l'es pas du tout ! Au contraire, tu me plais beaucoup, je suis vraiment bien avec toi."
"Toi aussi tu me plais, Marco, moi aussi je suis bien avec toi. Mais... je peux te donner quoi en échange de ta gentillesse ? Bien peu..."
"Oh non, Ylli, au contraire tu peux me donner beaucoup : ta jeunesse, ta gentillesse, ta compagnie..." lui dis-je avec une grande tendresse pour lui.
Ylli me regarda, incertain, puis il acquiesça. Il semblait songeur, je sentis comme une ombre l'assombrir. Je ne comprenais pas de quoi il s'agissait, mais j'étais sûr de devoir la dissiper pour obtenir son amitié, pour qu'il soit vraiment à l'aise avec moi.
Alors j'ai ajouté, en essayant de trouver les mots justes : "Je ne te propose pas de te servir de père, je voudrais être ton ami... un vrai ami avec qui partager de plus en plus, et pas rien que le couvert et un lit où dormir..."
"Oui, je comprends..." me répondit-il en acquiesçant encore.