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histore originale par Andrej Koymasky


LA SAINTE VIE
D'UN EVEQUE
PECHEUR
CHAPITRE 1
PRÉFACE ET AVANT-PROPOS :
DE L'AN 0 À L'AN 24

Préface

Nous publions par la présente, traduit de l'allemand du haut moyen-âge en français d'aujourd'hui, le texte intégral des parchemins consignés sous la référence AT937-P des archives nationales de la ville de Gênes.

Bien que les études sur ce manuscrit ne soient pas achevées et que leur traduction puisse et doive sans doute être en partie modifiée et améliorée par les études et les recherches encore à venir, il a été décidé de rendre publique cette première édition provisoire.

Cela dans l'espoir que les recherches historiques sur le haut Moyen Âge en Europe, à la lecture de ces pages et leur confrontation avec d'autres documents connus des chercheurs et les données en leur possession, puissent aider à dater avec certitude les faits narrés par l'auteur anonyme.

Mais aussi dans l'espoir que ces chercheurs puissent nous aider à donner un vrai nom aux différents pseudonymes fantaisistes que l'auteur a donné aux protagonistes de cette histoire.

Car d'après nous, comme l'auteur en personne l'affirme dès le texte qu'il intitule "Avant-propos", son récit n'est pas l'œuvre de son imagination mais la chronique de faits réels.

Nous sommes convaincus que ce manuscrit est antérieur à l'an mille. L'examen approfondi du parchemin, de ses tannins, du style graphique, de l'encre utilisée nous mène à le croire écrit au plus tôt en 925 et au plus tard en 975. Les faits narrés sont donc antérieurs à ces dates.

Le lieu des faits narrés est très certainement situé au nord-est des Alpes, dans une région située entre l'actuel Tyrol autrichien et le sud Tyrol ou Haut-Adige italien.

L'auteur, du peu qu'il dise de lui et par le style qu'il utilise, devait être soit archiviste soit clerc de notaire. En supposant, comme nous sommes portés à le croire, que cette narration rapporte des faits réels, certains dialogues sont certainement le fruit de l'imagination de l'auteur, puisqu'à l'évidence il ne pouvait pas se trouver présent lors de certaines rencontres et que, même s'il y avait assisté, il n'aurait certainement pas pu les avoir notés avec fidélité.

Les parchemins sont abîmés, en partie par l'humidité des murs de la salle où ils étaient cachés, en partie par les teignes, mais ils sont encore lisibles à 80 % et 15 % de plus peuvent être facilement devinés.

Des scans de ces parchemins sont disponibles à quiconque en fera la demande à notre université.

Bien que, comme mentionné ci-dessus, le texte soit écrit en haut-allemand médiéval, de nombreux latinismes, des citations en grec et latin classique ou ecclésiastique, laissent deviner que l'auteur n'était pas un homme de culture commune, sans compter qu'à cette époque la plupart du clergé et de la noblesse était encore en grande partie illettrée.

Nous renvoyons qui serait intéressé par les circonstances de la découverte de ce manuscrit à l'article publié dans "Studi Medievali", an XXXVIII, fascicule 6, pages 127 à 164, sous le titre "Découverte d'un manuscrit ancien dans les murs porteurs de l'abside de l'église Sainte Catherine à Gênes."

Le titre que nous avons choisi pour cette publication est celui que l'auteur lui-même a donné à son œuvre : "La sainte vie d'un évêque pécheur." Il nous a semblé intéressant de respecter l'antinomie que notre auteur a conçue dans son esprit si moderne.

L'intérêt du texte que nous publions dans ce numéro spécial de nos "Etudes médiévales" dépasse selon nous les études historiques, politiques et ecclésiastiques médiévales par l'éclairage qu'il apporte à l'étude de la sexualité de l'époque et tout particulièrement de l'homosexualité.

M.F.Z & A.C.L.

Nota : nous avons dans ce texte mis entre crochets [...] les mots illisibles dans le manuscrit et reconstitués par nous.



La sainte vie d'un évêque pécheur

Avant propos

S'il arrive jamais qu'un jour quelqu'un puisse lire les pages que je commence à écrire, qu'il veuille bien me pardonner de ne pas y apposer mon nom. Bien que je vive à présent bien des lieues au sud de là où se sont passés las les évènements que je m'apprête à narrer, la crainte que la "longa manus" de celui qui veut ma tête puisse m'atteindre reste présente en mon cœur.

Pour la même raison et la même crainte, je remplacerai les noms de lieux et de personnes par des toponymes et des noms et prénoms imaginaires.

Et une autre peur m'impose ces précautions, puisque, dans le récit qui suit, je ne condamne pas, sans toutefois l'exalter outre mesure, l'amour profane qui lia les deux principaux protagonistes des chroniques que je compte écrire.

Je sais fort bien que cela pourrait attirer sur ma tête déjà menacée, d'autres malheurs et d'autres condamnations.

Mais je proteste, ô possible lecteur, que tout ce que je m'apprête à écrire est la stricte vérité. Mon récit se fonde sur des faits dont je fus le témoin oculaire, des récits recueillis en personne de témoins on ne peut plus dignes de confiance, de documents irréfutables et très secrets que mes agents ont pu mettre entre mes mains et que j'ai donc consultés.

Je jure devant Dieu et la sainte Trinité, la sainte mère de Dieu et tous les Saints que ce que j'écris dans les pages suivantes est la vérité, sans aucun ajout, retrait ou altération des faits que j'y narre.

Ceux qui ont eu connaissance des faits et des lieux dont je parle reconnaîtront les vrais noms que je tais et sauront que ce que j'écris est la vérité. Ceux qui n'en [ont pas connaissance], même si j'avais utilisé les vrais noms, n'en auraient pas [su plus].

J'affirme ici avoir eu l'occasion de connaître en personne et depuis ma plus tendre enfance le saint-pécheur protagoniste de cette chronique et qui à ce jour n'est plus des nôtres : c'était un homme qui dès notre première rencontre eut droit à toute mon admiration, mon estime et ma confiance et qui, bien qu'il ne soit plus parmi nous et que mes nombreuses années approchent de leur terme, reste pour moi un vrai saint, même si bien trop nombreux sont ceux qui voient un pécheur en lui.

Mais que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre, a dit Notre Seigneur.

Je te laisse juge, ô lecteur. Mais souviens-toi : ne cherche pas la paille dans l'œil de ton prochain quand tu as une poutre dans le tien.

Récit commencé le jour de la fête de Saint Pierre et Saint Paul, dans une petite église donnant sur la mer où j'aspire depuis peu à pouvoir me reposer.

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen, amen, amen.


De l'an 0 à l'an 24

Ce que j'appelle "l'an zéro" est l'année de la naissance du Comte Wilibert von Hausthaufen, septième enfant du comte du Saint Empire Romain, troisième seigneur du fief de Hausthaufen. Sa mère, la comtesse, décéda d'un mal mystérieux quand l'enfant n'avait commencé son chemin terrestre que depuis soixante-dix jours.

Son père se remaria quand Wilibert avait deux ans. Le comte eut trois autres enfants de sa deuxième épouse, mais tous furent rappelés par le Seigneur dans leur tendre enfance, et Wilibert resta donc le benjamin des enfants du sire d'Hausthaufen.

Dès sa plus tendre enfance Wilibert se montra doté de dons peu communs. Des témoins affirment que dès l'âge de quatre ans il savait lire et écrire, à cinq ans il jouait déjà de la lyre et à six il chevauchait déjà avec un talent peu ordinaire. Il eut son premier maître d'armes à sept ans et il apprit à manier l'épée, art où il excella vite.

Wilibert grandissait, c'était un garçon beau et fort, tout le monde l'aimait pour son bon caractère, sa détermination et son courage, l'admirait pour sa rectitude et sa sincérité et cherchait ses bonnes grâces parce qu'il était avenant et beau.

Wilibert avait deux fois sept ans quand pour la première fois sa virilité naissante fut mise à l'épreuve. Il m'en parla lui-même, bien des années plus tard quand il vit en moi le fidèle compagnon que j'ai toujours été pour lui, et me raconta ce qui s'était passé.

Il avait donc, je viens de le dire, deux fois sept ans. Il s'était rendu avec son père à la cour du Saint Empereur. Le jeune homme, grand et mince, fort et courtois, à l'air avenant, capta aussitôt les regards des demoiselles et des chevaliers.

Il me raconta que, bien qu'il ne fût point tout à fait ignorant de tout ce qui se passe dans le secret des alcôves, il n'en était pas moins ingénu et en rien préparé aux mystères de la vie.

Ainsi advint-il un jour qu'une demoiselle, qui avait posé sur lui un regard rien moins que chaste, arriva à l'attirer sous quelque prétexte en un lieu éloigné et, avec un art consommé et sans la moindre vergogne, fit en sorte d'éveiller sa jeune virilité et d'en tirer le plaisir auquel elle aspirait.

Wilibert m'a parlé de ce jour et ce qui s'était passé et dit qu'à cette occasion il avait ressenti dans le même temps le plaisir et la honte, la jouissance et la gêne.

"Elle était," me dit le jeune comte le jour où il m'en parla, "intéressée par cette partie cachée de moi qu'elle trouvait belle et excitante et dont elle usa à la seule fin de son propre plaisir. Elle ne s'intéressait pas à moi, Wilibert. Je me suis senti utilisé, malgré le plaisir que j'y ai pris dans l'instant, puis oublié si ce n'est méprisé, à peine eut-elle fini.

"Les mots cruels qu'elle m'a adressés sitôt fini l'acte qu'elle avait voulu et que j'avais subi, pour me dire qu'en amour j'étais pitoyable, me blessèrent. Pas tant parce qu'elle mettait en cause ma valeur en la matière mais parce que je me sentais rien moins qu'amoureux. Pour moi, malgré mes vertes années, l'amour était autre chose que cette rencontre furtive et frénétique, plus proche de l'union de deux chiens en chaleur que de deux êtres humains. Et j'en ai conçu une grande honte.

"Dans les nombreuses rencontres que j'ai eu par la suite avec d'autres, même si elles n'aboutissaient qu'au seul plaisir mutuel, il y a toujours eu au moins un respect mutuel, ne serait-ce qu'une petite étincelle de cet amour que je n'ai connu que bien des années après. J'ai eu un tel dégoût, après l'acte, pour cette demoiselle et pour ma faiblesse à la laisser faire, que je l'ai évitée par la suite comme on fuit la peste."

Mais cela n'impliquait pas que Wilibert fuie pareillement les attentions des autres demoiselles. Il ne tarda pas à avoir l'occasion de s'isoler avec d'autres, mais aucune, sans pour autant lui valoir répulsion ou honte, ne lui apporta jamais ce que, en son for intérieur, il désirait. Tout disparaissait à peine apparu, ou peu après. On aurait cru que toutes ces biches pudiques n'étaient intéressées que par les dons secrets de sa virilité, et non pour lui-même comme compagnon, ne serait-ce que pour de brèves périodes.

Wilibert me dit qu'il se sentait de plus en plus déconcerté et mécontent de ces rencontres secrètes. Pas une des demoiselles, me raconta-t-il, ne lui disait jamais : je suis bien avec toi ; non, c'était toujours : toi tu sais t'en servir. Aucune ne lui murmurait : j'aime ton sourire, c'était toujours : entre les jambes aussi, tu es très bien fait. Ton engin est fort et vaillant, disaient-elles sans jamais rien tel que : ton cœur est noble et aimable...

C'est l'année qui suivit sa première initiation qu'il eut l'occasion d'une autre expérience, d'un genre différent.

Il y avait, à la cour du Saint Empereur, un jeune chevalier souabe avec qui il s'était peu à peu lié d'amitié. Wilibert me raconta qu'il ignorait si c'était par manœuvre ou naturellement, mais le chevalier semblait apprécier, lors de leurs rencontres, son parler élégant, ses idées, ses manières courtoises, sa culture, sa force de caractère et sa force physique.

Bref, il semblait apprécier Wilibert pleinement, pour son aspect et son caractère et non pas pour une singulière partie de lui.

Leur amitié se renforça et se fit plus forte, plus intime, plus chaleureuse et agréable, jusqu'à ce qu'un jour le jeune chevalier lui dise, en lui citant un poème, qu'il ressentait de plus en plus fort l'envie d'étendre leur sentiment mutuel à une expression plus corporelle. Il lui dit que quand deux âmes et deux esprits se retrouvent avec tant de plaisir, leurs corps aussi peuvent trouver grand plaisir à se rencontrer. "Peuvent" et non "doivent", lui dit le chevalier d'un ton prévenant et séduisant.

Ainsi, un jour où ils étaient allés se baigner au lac, comme ils l'avaient déjà fait, se sachant seuls et à l'abri de regards indiscrets, quand le chevalier le prit doucement dans ses bras, Wilibert sentit venu le moment de se dire l'un à l'autre par leurs corps aussi combien leur était agréable la présence de l'autre et plaisante leur amitié.

Sans hésiter, Wilibert se donna au chevalier. Après quoi, me dit-il quand il se remémora pour moi ce qui se passa ce jour-là, il se sentit mieux qu'il ne s'était jamais senti en pareille occasion.

"Ce fut une fête pour mon âme et mon cœur," m'expliqua-t-il, "et pas seulement pour mon corps. Et la fête ne prit pas fin comme par enchantement sitôt l'acte fini. De plus il m'a dit qu'il me savait gré non seulement du plaisir que j'avais bien voulu lui donner, mais surtout de la joie qui grâce à moi avait éclaté en son cœur."

La rencontre fut si agréable qu'il y en eut d'autres, aussi longtemps que Wilibert resta à la cour du Saint Empereur. Le bonheur d'être ensemble ne se limitait pas qu'à leurs rencontres secrètes. Certes, ils les appréciaient, mais ce n'était qu'un aspect de leur plaisir d'être l'un avec l'autre.

Quand, un an après le début de leur amitié, Wilibert dut quitter la cour pour rentrer au château de son père, le chevalier lui dit au revoir et lui dit que lui manqueraient les bons moments où ils pouvaient converser aimablement, aller chasser côte à côte, s'entraîner ensemble à l'usage des armes, rire, boire et chanter avec leurs amis et, pour finir, il ajouta, le tenir dans ses bras et être dans les siens.

Wilibert croissait en taille et en force, il devint un amateur raffiné de beaux habits, de bonne chaire, de joyeuse compagnie, de discussions agréables et des études. Bref, il devenait un jeune seigneur avenant et raffiné. Et comme toujours, tous les yeux aimaient se poser sur lui et bien des cœurs battaient pour lui.

Wilibert me dit qu'au château de son père il eut l'occasion d'avoir la compagnie de nombreux jeunes hommes ou garçons tant serviteurs ou pages qu'écuyers et même parmi ses pairs, ainsi que de quelques demoiselles. Mais il réalisa vite, et de plus en plus nettement, que ces premiers lui donnaient toujours bien plus de satisfaction, de plaisir et d'apaisement que ces dernières.

Ainsi, dès ses dix-huit ans, il recherchait assidûment la compagnie de ceux de son sexe et évitait avec soin celle de l'autre sexe.

"Avec les demoiselles," me dit-il, "il était plutôt agréable de discuter, de plaisanter, de jouer ou de prendre plaisir à jouer de la musique ou réciter des poèmes, mais c'était tout. Alors qu'avec ceux de mon sexe, sans compter toutes les activités viriles de la chasse, des joutes et des tournois, il était des plus agréable de s'isoler secrètement pour d'autres jeux."

Je suis convaincu que quand Wilibert arrivait à mettre dans son lit un serviteur ou un page, jamais il ne profitait de lui en usant de son rang, s'il arrivait que l'autre ne fût pas pleinement consentant et ne le désirât pas au moins autant que lui.

Il m'a dit un jour : "Si Dieu nous a concédé, à nous les nobles, un peu de sa puissance, ce n'est pas pour que nous l'utilisions à notre avantage. Plus un homme est de basse extraction et d'humble milieu, plus celui qui lui est supérieur, par noblesse de sang ou par pouvoir, se doit de le respecter et le protéger."

Mais plus que les mots que je rapporte ici, ses actes ont toujours confirmé et concrétisé cette affirmation.

Pour aborder un autre aspect de ce que je voulais décrire dans cet avant propos, il me faut dire que, pendant sa jeunesse, Wilibert n'a pas toujours été un homme de religion. Il était croyant, comme nous le sommes tous, il assistait aux rites sacrés prescrits par l'église, mais il était loin de s'intéresser aux Saintes Ecritures ni à ce qui touche la Sainte Eglise.

Bien que naturellement modéré, sans jamais faire preuve d'exagération, c'était un jeune homme voluptueux qui appréciait et savourait avec plaisir, chaque belle chose que la vie pouvait lui offrir. Son mot d'ordre aurait pu être "carpe diem" ou bien " gaudeamus igitur" [NdT: alors réjouissons-nous] ou encore "à chaque jour suffit sa peine". [NdT: Mathieu 6:34]

Il ne regardait pas le passé, sauf par la naturelle curiosité de comprendre ce qui avait mené à son présent, pas plus qu'il ne regardait l'avenir, sinon pour savoir vers où aller sans courir de risques inutiles. Il n'avait pas d'ambitions dévorantes, hors celle modeste et équilibrée d'être chaque jour un peu meilleur que la veille.

À l'âge de vingt ans il dut passer son année de préparation pour être adoubé chevalier, le plus haut rang auquel il pouvait aspirer en tant que benjamin du comte. Il devrait passer cette année à sillonner l'empire sur son cheval, assisté de son seul écuyer, qu'il choisit parce qu'il était également susceptible d'être, durant cette année, un compagnon disponible pour ses plaisirs secrets au lit.

D'après Wilibert, ce fut une année sans rien de mémorable ni rien à oublier. À chaque carrefour, ils prenaient la route pour laquelle son cheval se décidait, ils allaient de fief en fief, de château en château, d'abbaye en abbaye et d'auberge en auberge, sans jamais s'arrêter trop longtemps au même endroit.

Tout ce qu'il retira de cette errance fut qu'elle lui permit de mieux se connaître, de voir des terres et des coutumes nouvelles, d'étendre ses horizons et de mieux comprendre, grâce aux rencontres les plus variées, l'âme humaine.

Avec son écuyer, comme c'était alors d'usage et l'usage commande toujours, il partageait tout : vivres et boissons, les difficultés comme les facilités qui se présentaient, le temps, qu'il soit bon ou mauvais, la fatigue, le repos, le lit et surtout leurs corps et leur ardeur juvénile.

Son écuyer était un garçon chaleureux et passionné, et autant il aimait, le jour, partager les aventures du voyage, autant il aimait rester avec lui la nuit où, outre un repos mérité, ils s'accordaient l'un à l'autre du plaisir en partageant leurs corps et leurs désirs.

"À toi je peux l'avouer," me dit-il un jour, "c'est mon écuyer à qui le premier, après mon premier chevalier, j'ai accordé, enfin plutôt demandé, de me prendre après l'avoir pris. J'ai beaucoup aimé, parce que non seulement il était chaleureux et passionné, mais il était aussi à la fois délicat et fort. J'avais autant de plaisir à lui faire apprécier ma virilité qu'à apprécier la sienne.

"Il est d'usage de dire que celui qui prend est viril et que celui qui est pris est, par essence et par goût, féminin. C'est on ne peut plus faux. Prendre ou être pris ne rendent un homme ni plus ni moins viril qu'il n'est. Certains de mes compagnons, je le sais, se sentiraient diminués en étant pris et méprisent ceux qui se font prendre. Mais je ne me sens pas plus avili pour avoir été pris par mon écuyer que je n'ai eu le sentiment de l'avilir en le prenant. Tout cela est des plus absurdes."

Voilà ce que pensait Wilibert et il en eut pleine confirmation quand il trouva enfin le vrai amour auquel il aspirait depuis toujours.

Mais il y avait une trace d'amour, si ténue fut-elle, entre Wilibert et son écuyer, comme avec chacun de ses amants avant qu'il ne rencontre celui qui lui était destiné. Mais, comme il le disait, ce n'étaient que de petites amours, seulement un avant-goût de l'amour vrai. Chaque petit amour nous enseigne quelque chose, comme une préparation qui nous mène pas à pas vers le vrai but, car en amour il faut apprendre autant à donner qu'à recevoir, sur le plan spirituel comme [sur le plan] physique.

Les amours sont comme une école pour le Grand Amour. Mais, disait Wilibert, il serait faux de croire que le Grand Amour est un but en soi. Ce n'est qu'un point de départ. L'amour doit être semé, soigné, et cultivé jour après jour, il doit s'inscrire dans un respect mutuel, être fertilisé par un don de soi mutuel, renforcé par l'abandon des égoïsmes de chacun, sans quoi il se flétrit et meurt.

C'est pourquoi, quand enfin Wilibert connut le vrai amour, il voulut planter avec lui un arbre dans son jardin : "Nous viendrons de temps en temps le soigner toi et moi, prendre soin de lui et nous nous rappellerons que nous devons aussi prendre soin de notre amour. Si nous le voyions dépérir parce que nous l'avons oublié, ce sera le signe que notre amour aussi se flétrit."

Et c'est de cela que je m'apprête à vous parler en entamant la première partie de cette histoire pour vous raconter ce qui se passa dans les 24ème et 25ème années de la vie de Wilibert.


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