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histore originale par Andrej Koymasky


LA SAINTE VIE
D'UN EVEQUE
PECHEUR
CHAPITRE 13
ANNÉE 60
LE PÉLERINAGE ET CONCLUSION

À l'occasion du soixantième anniversaire de l'archevêque, Redafrits organisa en la cathédrale une liturgie solennelle où tout le peuple, les nobles et le clergé remercièrent le Seigneur de leur avoir donné un prince aussi juste et attentionné et un évêque si saint et si bon. Les représentants de chacune des différentes classes sociales apportèrent des présents à Wilibert, chacun selon ses moyens.

L'archevêque fut profondément ému. En homélie il lut, d'une voix forte et claire, l'hymne à la charité de l'apôtre Paul.

Alors qu'il sortait de la cathédrale, entouré des deux haies d'une foule festive qu'il bénissait en souriant, soudain l'archevêque pâlit, vacilla et tomba bien que vite secouru par Waldemar et Redafrits qui se tenaient à côté de lui.

Un silence effrayé s'abattit sur la foule. Quatre chevaliers soulevèrent avec délicatesse le corps inanimé de leur prince et le portèrent à l'évêché.

Les gens se pressaient sur la place, les yeux rivés vers la fenêtre de la chambre de l'archevêque, au premier.

Certains retournèrent à la cathédrale allumer des cierges à la Sainte Vierge et prier pour la santé de leur pasteur. D'autres, à genoux sur la place devant l'évêché, avaient entonné la litanie des saints, à voix basse pour ne pas troubler le repos de l'archevêque.

Wilibert rouvrit les yeux après quelques heures et il vit, penchés sur lui, les visages très inquiets de son Waldemar et de Redafrits. Il leur sourit faiblement.

"Je suis désolé de vous avoir fait une telle peur, j'ignore ce qui m'a pris. Mais je me sens déjà mieux..." murmura-t-il faiblement.

"Tu as trop tiré sur la corde, mon aimé, elle s'est cassée..." lui reprocha gentiment Waldemar en caressant son front et ses cheveux blancs.

"Il reprend des couleurs, Dieu soit loué !" murmura Redafrits.

"Wilibert, pour l'amour de Dieu et pour l'amour que j'ai pour toi, cela suffit maintenant ! Il est temps que tu te reposes. Si tu continues comme ça, tu vas te tuer. As-tu oublié que le suicide est le pire des péchés ?"

"Dieu m'a donné la force d'aller de l'avant... et voici qu'il me la retire... mais peut-être n'est-ce que pour un temps. Tu vas voir, je vais retrouver la santé... et je serai encore plus fort qu'avant."

"Dieu t'a envoyé un signe, mon bon Wilibert. L'ignorer serait péché de ta part. Waldemar dit vrai, cela suffit maintenant." lui dit Redafrits d'un ton de reproche amical.

"Qu'est-ce là, une conspiration de palais ?" plaisanta Wilibert.

"Non, pas encore, mais cela pourrait le devenir. Redafrits et moi t'empêcherons de persister à présumer de tes forces. N'est-ce pas, Redafrits ? Pour l'amour que nous avons pour toi, nous nous refuserons à appuyer tes souhaits."

"N'est-ce pas moi le prince archevêque ? N'est-ce pas moi qui devrais donner les ordres ?" demanda Wilibert en souriant.

"Tu m'as dit, en bien des occasions, que j'étais ton seigneur et maître. Et bien si ce n'était pas là des mots vides de sens, aujourd'hui je revendique mon droit à t'ordonner de prendre un repos mérité. D'autres poursuivront ton travail, avec l'aide de Dieu." lui répondit Waldemar d'un ton décidé.

"Tu vois ça, Redafrits ? Il en profite... sous prétexte que je me suis donné à lui. Mais que dire ? Puis-je ignorer les ordres du maître de mon cœur ?"

"Non, tu ne le peux pas plus que tu ne le dois." répondit Redafrits en souriant, "La place est bondée de gens inquiets pour toi... je vais les rassurer... et je vous laisse seuls."

Redafrits descendit sur la place informer la foule que l'archevêque avait repris conscience et se remettait puis les engagea à rentrer chez eux et à continuer à prier pour lui.

Après quoi le jeune prêtre retourna à la cathédrale, s'agenouilla devant un autel et pria.

"Seigneur, je t'en supplie, prends ma vie mais préserve celle de ton bon serviteur Wilibert ! Donne-lui santé et sérénité et fais entrer dans sa caboche les exhortations de son aimé, Waldemar. Je t'en prie, Seigneur, exauce la prière de ton vain serviteur..."

Avec l'aide attentionnée de Waldemar et Redafrits, Wilibert se remit peu à peu. Quand enfin il fut assez fort pour quitter le lit, il voulut commencer par quitter l'évêché et traverser la place pour aller rendre visite aux garçons de la Schola.

Sur la place les gens le saluèrent avec joie en s'écriant : "Dieu soit loué ! notre archevêque est de retour parmi nous."

Les garçons l'accueillirent en liesse, plus comme on accueille un être cher et respecté qu'un prince, un évêque ou un bienfaiteur.

L'un des garçons demanda la parole et dit : "Pourrions-nous avoir la grâce d'un de tes cours, Maître Wilibert ?"

L'archevêque sourit et hocha la tête. Il s'assit en chaire et demanda à l'un des maîtres de lui prêter sa toque dont il se coiffa et d'une voix manquant encore de force, mais pas de clarté, dans l'attention générale de tous les jeunes visages tournés vers lui, il donna le cours dont nul ne savait encore que ce serait son cours d'adieux.

"Mes chers enfants, mes valeureux élèves, jeunes gens chéris... je vais vous poser une question : quel est le plus grand présent que notre Seigneur nous a fait ?"

"La Santé" - "La vie" - "Son amour" - "L'intelligence", fusèrent de toutes parts. "Notre archevêque." répondit un autre.

Wilibert sourit : "Je suis ravi de pouvoir être considéré comme un don du Seigneur, mais je ne suis certes pas le plus grand. Quel est le plus grand parmi les autres que vous avez nommés ? Celui sans lequel tous les autres seraient sans valeur ?"

"La vie" répondirent presque tous les garçons à l'unisson.

"Et pourquoi ? Veux-tu bien me répondre ?" dit Wilibert en désignant un jeune garçon.

"Parce que sans vie nous ne pourrions ni recevoir ni donner de l'amour, ni avoir santé ou intelligence."

"Mais l'amour vient en deuxième," dit un autre garçon, "parce que sans amour notre vie vaudrait bien peu."

"Bien, ne cherchons pas pour l'instant à classer le troisième et le quatrième. La vie est le premier cadeau et l'amour le deuxième : il n'est pas de vraie vie sans amour et il ne se peut donner ou recevoir de l'amour sans vie. Êtes-vous tous d'accord ou y a-t-il des objections ?"

"Pourrait-on dire, Maître, que l'amour et la vie sont en fait un seul et unique présent ?" demanda un autre garçon.

"Oui, nous pouvons l'affirmer car la vie naît d'un acte d'amour de nos parents et d'un acte d'amour de notre Seigneur conjoints ; oui, donner et recevoir de l'amour font partie de la vie d'un homme et sont ce qu'il y a de plus beau et saint dans la vie. En fait la vie et l'amour ne peuvent pas être séparés."

Wilibert fit une pause et regarda le visage attentif des garçons.

Puis il poursuivit : "Le maître qui vous parle en ce moment a eu en ces derniers jours de silence et de prière l'occasion de réfléchir. Il est arrivé à une conclusion, mais il lui a fallu soixante ans pour y arriver : toute vie mérite le plus grand respect, fût-ce la sienne. Et s'il est juste et saint de faire don de sa vie aux autres sans y penser à deux fois, il ne faut pas pour autant donner plus que ce que l'on a. Aussi devons-nous être attentifs à ce que nous faisons de notre vie de façon à en tirer le meilleur profit, aussi longtemps que le bon Dieu nous le permet."

Wilibert se tut à nouveau, en partie sous l'effet de la fatigue qu'il commençait à ressentir.

Puis il reprit : "Aime ton prochain comme toi-même, dit le commandement. Pas plus que toi-même, mais sûrement pas moins. Autant, exactement. Celui qui ne s'aime pas ne peut pas aimer les autres, et celui qui n'aime pas les autres ne s'aime pas lui-même. Le précepte est simple et clair... même s'il a fallu soixante ans à votre Maître Wilibert pour le comprendre..." dit-il en souriant.

Les garçons répondirent à ce sourire qu'ils savaient destiné à chacun d'eux individuellement.

"Pardonnez-moi que mon cours d'aujourd'hui soit bref, mais je me sens encore un peu faible et fatigué d'avoir un peu trop tiré sur la corde, comme dit mon chancelier ici présent. Je vous bénis, mes enfants... grandissez en force et santé, en bonheur et sagesse. Dieu, le Monde et votre archevêque vous font confiance pour rendre ce monde un peu meilleur que vous ne l'avez trouvé."

Les jours suivants Wilibert retrouva peu à peu toutes ses forces et Waldemar et Redafrits redoutaient le moment où il voudrait reprendre ses mille activités.

Mais quand Wilibert se sentit pleinement remis, il dit à son amant et à son bien-aimé Redafrits : "À présent que me revoici en pleine possession de mes forces, je souhaite aller rendre hommage à notre Empereur. J'aimerais, pour la sécurité de mon voyage, que vous m'accompagniez tous les deux."

Ils acceptèrent sans ciller. Le voyage fut organisé et ils partirent tous trois à cheval, sous bonne escorte, quittèrent les terres de Wilibert pour rejoindre le siège de l'Empereur. Ils furent accueillis avec honneurs. Quand Wilibert fut reçu en audience privée par l'Empereur, ce dernier lui dit :

"Je sais l'estime en laquelle te tenait mon père et le bruit de ta sagesse et de ta sainteté est de longue date arrivé à mes oreilles. Je suis très heureux que tu sois venu à la cour. Mais dis-moi, quel est l'objet de ta visite ?"

"Noble seigneur, de ma vie j'ai fait de mon possible pour servir de mon mieux d'abord notre Seigneur qui est aux cieux, en tant qu'évêque, puis le maître de l'empire terrestre, d'abord en tant que vassal de ton père puis de toi."

"Et je crois que rares sont les vassaux qui ont été aussi précieux que toi, Wilibert. Rares aussi ont été ceux aussi dignes d'être à la fois prince et archevêque."

"Tu es bien bon de me dire cela. Mais vois-tu, je viens aujourd'hui te demander d'enlever ce poids de mes épaules pour le confier à d'autres, plus fortes que les miennes qui lentement mais sûrement se courbent."

"Mais allons donc ! Que j'aimerais disposer à ton âge de ta force et de ta santé. Quel âge as-tu ?"

"Soixante-et-un ans, par la grâce de Dieu."

"La vie peut encore te sourire bien des années."

"Plaise à Dieu, oui. Mais vois-tu, je crois venu le temps de m'accorder un luxe que je n'ai pas eu jusqu'à ce jour la possibilité de rendre réel..."

"Tu n'as qu'à demander, quoi que ce soit, si ton Empereur peut le faire pour toi, je le ferai volontiers."

"Accorde-moi la grâce de confier la couronne de mon fief et la charge d'archevêque à un autre et laisse-moi partir en pèlerinage à Rome. Avant de mourir je voudrais appuyer ma tête sur la tombe du prince des apôtres de notre Seigneur."

"Es-tu vraiment décidé à abandonner ta charge ?"

"Si tu me le permettais, je t'en saurais très gré. Mais j'obéirai à tes ordres."

"Tu pourrais aller et reprendre ta place à ton retour."

"Non, je voudrais aller sans hâte, sans pression... je t'en prie, Seigneur... je ne t'ai jamais rien demandé, accorde-moi ceci, aujourd'hui."

"Bien, même si je perds ainsi un précieux vassal, qu'il en soit ainsi. Mais je veux d'abord que tu choisisses toi-même qui devra prendre ta place. Je sais que ton avis sera valable et juste."

"J'ai un nom..."

"Celui de ton chancelier ?"

"Non, j'aimerais que, tout comme il a suivi chacun de mes pas de si longues années durant, il vienne à Rome avec moi. Je parlais du prêtre Redafrits von Scahardof, le fils de ton vassal le compte Rainhold von Scahardof. J'ai instruit Redafrits avec soin dans les voies du Seigneur. Je sais qu'il sera un excellent Prince et un saint Archevêque. Il m'a lui aussi accompagné ici, à ta cour."

"Je me fie pleinement à ton jugement, je l'investirai de ton fief et toi-même, avec mon confesseur l'évêque et l'archevêque de Mayence, vous le sacrerez évêque."

"Je te remercie, mon Seigneur, tu me fais un grand cadeau."

Wilibert prit congé de l'Empereur, retourna à ses appartements et y informa Waldemar et Redafrits des décisions prises avec l'Empereur.

Waldemar fut agréablement surpris que son homme, son aimé, ait fini par décider de s'accorder un repos bien mérité. Ce voyage serait sans doute long et fatigant, mais en l'affrontant sans hâte il serait bien moins redoutable que les mille engagements de la principauté et de l'archevêché.

Redafrits par contre fut troublé.

"Mais, Wilibert, je suis trop jeune pour tant de responsabilité... pour prendre ta place. Et puis tu sais bien que j'ai toujours fui la gloire et les honneurs. Laisse-moi rester simple prêtre, dis à l'Empereur de confier cette charge à un autre..."

Wilibert le coupa : "Quand j'ai été nommé comte-évêque j'avais deux ans de moins que toi, et j'étais un jeune homme bien plus écervelé, démuni de tout sens des responsabilités et en tout étranger aux affaires de la Sainte Eglise. Tu es nommé avec bien des avantages sur moi, tu connais déjà la charge qui te revient à la perfection, tu y es apte, tu es fort, bon et généreux. Tu as travaillé avec moi, depuis à présent neuf ans. Les gens de la principauté et du diocèse te connaissent et t'aiment. Qui mieux que toi pourrait poursuivre mon travail et même l'améliorer ?"

"Mais, Wilibert," dit le jeune prêtre effondré, je ne [me sens pas] à la hauteur."

"Rappelle-toi, Redafrits, que trop d'humilité n'est qu'orgueil masqué avec soin. Crois-en ceux qui te connaissent et qui t'aiment. Accepte avec une vraie humilité de cœur, autant les louanges que les reproches faits avec amour. Tu seras un excellent prince et un saint archevêque, bien plus que moi."

"Cela me semble impossible... mais en sainte obéissance, je ferai ce que tu me demandes. Mais en échange tu dois me donner quelque-chose..."

"Tout ce qui est à moi sera désormais à toi, y compris ma précieuse horloge à eau que tu aimes tant régler et recharger." dit Wilibert avec un petit sourire.

"En échange de mon obéissance, tu dois me promettre de prier pour moi chaque jour."

"Ce fardeau est bien léger, mon cher Redafrits. Depuis que je te connais je prie chaque jour pour toi et je continuerai à le faire quand je serai là-haut, si le Seigneur veut de moi à ses côtés."

Redafrits se mit à genoux devant Wilibert, posa le front sur ses genoux et dit : "Benedicite, pater."

"Benedictio Dei Omnipotenti, et Sanctorum omnium, et meae, sit super te et tecum maneat semper !" dit affectueusement Wilibert.

Il y eut une cérémonie solennelle pour consacrer Redafrits et lui donner la couronne et l'épée de prince des mains de l'Empereur puis la mitre et la crosse des mains de Wilibert.

Puis, tandis que le cortège accompagnait le nouveau Prince Archevêque pour sa prise de possession de son diocèse et de son fief, Wilibert et Waldemar se préparèrent à leur pèlerinage.

"Que ferons-nous après, lorsque nous aurons accompli ce désir ?" demanda Waldemar.

"Je n'en ai aucune idée... nous verrons bien alors. Le Seigneur nous enverra peut-être un signe. À chaque jour suffit sa peine, ne nous en faisons pas pour demain."

"Tu as raison, mon aimé, mon tendre homme."

"Regrettes-tu que j'aie pris ma décision sans te consulter d'abord ?"

"Pourquoi ie devrais-je ? Ne sommes-nous pas un seul être ? Tu sais que ma place est avec toi... tant que Dieu le permet."

L'Empereur voulut fournir aux deux pèlerins une escorte jusqu'à Rome. Mais Wilibert le remercia et déclina son offre. Ils voulaient marcher jusqu'à Rome comme deux humbles et simples pèlerins.

Aussi remplacèrent-ils leurs riches habits par une humble tunique en toile. Ils partirent avec un simple bâton de frêne comme crosse et comme seule couronne le ciel, sans la moindre pièce en poche et chaussés d'humbles sandales en cuir, le seul luxe qu'ils s'étaient accordé, riches seulement de leur amour, ils quittèrent la cour dans une haie d'honneur de nobles, de chevaliers, dignitaires et serviteurs, salués par l'Empereur et l'archevêque de Mayence.

Leur voyage commença, ils vivaient de l'aumône et dormaient où ils pouvaient, en marchant côte à côte, heureux chacun de la compagnie de l'autre.


Conclusion

L'auteur de ces pages, malgré ses nombreuses recherches, n'est jamais arrivé à savoir si ces deux fidèles et tendres amants sont jamais arrivés à Rome. Pas plus que ce qu'il advint d'eux, s'ils sont arrivés à destination, où ils reposent. Aucune trace ne demeure de leur passage ni de ce qu'ils ont pu y faire. Leur [vrai] nom a disparu de toute chronique que l'auteur ait pu consulter.

Mais il est certain qu'aujourd'hui ils vivent dans la gloire de Dieu, unis au-delà de toute union qu'eux-mêmes ont pu envisager.

Ainsi s'achève l'histoire de ce saint évêque à qui il fut tant pardonné pour avoir tant aimé.

Amen

Alléluia


F I N


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