Je me demandais où aller, quoi faire... Je pensais que j'aurais peut-être dû chercher un travail comme professeur, « continuer » en quelque sorte ce que Mauro avait fait : il lui avait beaucoup plu d'enseigner...
On était en février 1971. Une lettre du bureau notarial Bottega de Vicenza m'est parvenue à mon domicile, où on me priait d'entrer en contact avec eux pour des communications importantes. Ma première pensée était que peut-être que c'était quelque chose qui concernait Mauro, que peut-être qu'il avait fait un testament, et qu'il m'avait laissé quelque chose... Je me sentais très troublé, mais je suis quand même allé au bureau du notaire Bottega.
Oui, il s'agissait d'un testament en ma faveur, mais pas de mon Mauro. Ils me communiquèrent que l'étude d'avocats Duzane-Cooperman & Mongelli de Nashville, Tennessee, États-Unis, était entrée en contact avec eux pour me communiquer que mon oncle, Marco Villa, était mort d'une crise cardiaque en juin 1970 à l'âge de cinquante-deux ans, et, n'ayant pas de femme ni des enfants vivants, il m'avait choisi comme son héritier.
D'après une liste récapitulative, l'héritage se composait de quatre restaurants, sept appartements et un compte bancaire qui s'élevait, sous réserve de vérification, à environ un million trois cent mille dollars américains. Si j'acceptais l'héritage, je devais remplir des papiers que l'étude Bottega leur aurait envoyés, et donc, dès qu'ils m'appelleraient, je devais aller en personne en Amérique pour faire toutes les formalités administratives nécessaires pour en prendre possession.
Mis à part le fait que l'héritage était très important et que je me retrouvai soudainement et de façon inattendue très riche, ce qui me poussa surtout à accepter immédiatement était que je pouvais ainsi m'éloigner de Vicence, de l'Italie, de tout ce qui me rappelait Mauro et sa tragédie.
Je dis tout de suite que j'acceptais et je signai tous les papiers et les formulaires qui étaient arrivés d'Amérique. Le notaire Bottega me dit qu'il me contacterait à nouveau dès que l'étude d'avocats de Nashville reprendrait contact avec eux.
Je suis rentré chez moi un peu étourdi. Les miens me demandèrent tout de suite de quoi il s'agissait, et je leur l'expliquai.
Mon père commenta : "J'avais entendu dire que la femme de Marco s'était suicidée il y a trois ans, après avoir tué leurs deux enfants... mais je n'aurais jamais pensé que Marco te laisserait tout à toi. Après que j'ai quitté l'Amérique il n'y a plus eu de contact entre nous. Mon père ne m'a jamais pardonné d'avoir voulu retourner en Italie, et Marco a toujours pris le parti de notre père. Je me demande comment il est arrivé à savoir que tu étais né... A l'époque je savais seulement qu'il devait me naître un enfant, je ne savais même pas si ce serait un garçon ou une fille..."
"Mais tu as accepté, non ?" me demanda ma mère.
"Oui, bien sûr."
"Et que vas-tu faire ? Tu vas en Amérique, tu vends tout et tu reviens en Italie pour vivre de tes rentes, n'est-ce pas ?" alors dit ma mère.
"Non, je vais là-bas, je vois la situation et je décide quoi faire. Peut-être que je reste là-bas..." je répondis.
"Et tu nous laisserais seuls ?" m'accusa ma mère, fronçant les sourcils.
"Tu as papa et papa il t'a..." répondis-je un peu agacé.
"Mais nous sommes en train de devenir vieux... qui prendra soin de nous quand nous ne pourrons plus le faire nous mêmes ?" insista ma mère.
"Je vais vous envoyer de l'argent, au cas où..." répondis-je.
Mon père intervint : "Serenella, s'il se mariait, il quitterait la maison de toute façon, n'est-ce pas ? Il est jeune, laisse-lui faire sa vie. Peut-être qu'il se sentira bien là-bas, il se trouvera une bonne femme et nous donnera de beaux petits-enfants..."
"Mais quand on le reverra ? Et quand on les verra les petits-enfants ? L'Amérique n'est pas derrière le coin, non ?" se plaignit ma mère.
"Oh, Serenella ! Aujourd'hui, avec les jets supersoniques on va et on vient dans un instant. Ce n'est plus comme avant..." dit mon père, conciliant.
J'allais dire que vraiment les jets supersoniques ne font pas de service voyageurs, qu'ils ne sont utilisés que par l'armée, mais je pensais qu'il était préférable de ne pas le préciser.
En mai, la convocation m'arriva. Je fis les valises et j'allai en Amérique sur un vol de Vicence à Francfort, puis de Francfort à Denver et, enfin, de Denver à Nashville. Le vol dura, y compris les arrêts dans les deux aéroports, environ vingt-quatre heures.
À l'aéroport de Nashville, un employé du cabinet d'avocats m'attendait. Il m'emmena en voiture au centre-ville. Je fus reçu par l'avocat Mongelli, un italo-américain de trente-huit ans qui parlait un italien passable, plus ou moins au même niveau que mon anglais.
D'abord, il m'a demandé si j'avais réservé un hôtel. Quand je dis non, il s'offrit de me réserver une chambre à l'Union Station Hôtel, dans le Broadway.
"Est-ce que ça coûte cher ?" je lui ai demandé, "Car je n'ai pas beaucoup de dollars avec moi..."
"Ne vous inquiétez pas, monsieur Villa. Bientôt, vous serez un homme très riche. Notre étude avancera les frais et vous nous rembourserez quand vous entrez en pleine possession de vos biens..."
"Ce sera long ?"
"Je ne pense pas, cependant, nous ferons de notre mieux pour nous dépêcher. Voici la liste exacte de tous les biens que vous héritez de votre oncle, avec à côté leur valeur fiscale sur laquelle vous devrez payer les impôts de succession. Nous avons déclaré une valeur un peu inférieure à celle réelle, pour payer moins d'impôts. Mais nous ne pouvions quand même pas en déclarer une trop faible, sinon les services fiscaux ne l'accepteraient pas..."
L'Union Station Hôtel était l'ancienne gare centrale de Nashville, un bel immeuble en pierre blanche de 1900, magnifiquement restauré et avec presque tous les élégants vitraux d'origine. Un hôtel très agréable et pittoresque. Derrière le comptoir de la réception il y avait toujours le tableau avec les horaires des trains.
Dans ma chambre, après avoir rangé mes affaires, je téléphonai à la maison pour dire à mes parents que j'étais bien arrivé. Puis je regardai la copie de la liste que l'avocat Mongelli m'avait communiquée... même après avoir payé les taxes, entre l'argent comptant et les biens immobiliers je me trouvais à avoir en main un chiffre à donner le vertige.
En plus des quatre restaurants et des sept appartements, dont un était celui où avait vécu mon oncle, il avait été également propriétaire de deux magasins et d'un morceau de forêt où il avait fait bâtir une maisonnette où il allait se détendre.
Alors, en attendant de terminer toutes les procédures, je décidai de visiter Nashville et d'aller voir toutes les différentes propriétés de l'oncle Marco. Donc j'achetai une carte détaillée de la ville, je pris en location une voiture et commençai à circuler.
Nashville est une jolie ville située le long de la rivière Cumberland, et ce qui m'a frappé, c'est que le centre ville est très petit et assez compact, mais la majeure partie de la ville couvre une grande surface, car elle se compose de petites maisons et belles villas, chacune avec beaucoup de verdure autour. Par rapport à nos villes italiennes et européennes en général, j'étais surpris par l'absence quasi totale des piétons ! Tout le monde se déplace en voiture. Par ailleurs à part dans le centre, il n'y a même pas de passages piétons !
Les quatre restaurants de l'oncle Marco étaient tous de différents types, un décidément luxueux, deux moyens et un qui semblait assez bon marché. Les appartements, bien sûr, je ne pouvais pas les visiter à l'intérieur, parce que celui de l'oncle Marco était fermé et les six autres étaient loués et de toute façon je n'en étais pas encore légalement le propriétaire.
Alors je suis allé à la recherche de la maisonnette dans le bois. Je peinai un peu pour la trouver, parce qu'elle était vraiment immergée dans le bois. C'était une petite maison d'un étage, elle avait probablement six chambres et elle se dressait pas loin d'une petite rivière appelée Oxford Creek. La maison, vue de l'extérieur, n'avait rien de spécial, elle avait un aspect plutôt banal. Elle était entourée par une série de poteaux de fer et par un treillis métallique, également assez commun.
Mais l'endroit était vraiment très charmant ! Pour y accéder il fallait prendre Oackwell Crescent puis tourner en Glenn Drive. Les maisons les plus proches avant et après la maison de mon oncle Marco, étaient loin de celle-ci d'environ un mile, certaines se trouvaient à l'intersection entre Oackwell et Glenn, et d'autres à l'intersection entre Glenn et Murefreesboro Road.
Enfin toutes les procédures ont été effectuées, et j'entrai ainsi en possession de tous mes biens, les droits de succession payés toujours avec l'assistance juridique fournie par l'avocat Mongelli, donc je fis une demande pour obtenir un visa permanent.
"Vous le recevrez certainement dans quelques semaines, ne vous inquiétez pas. Dès que vous l'obtiendrez, vous devrez prendre la résidence et faire les papiers pour l'assistance médicale. Ne vous inquiétez pas, nous vous assisterons pour toute la paperasse..."
Donc finalement j'ai pu prendre possession de l'appartement où avait vécu mon oncle. Quand je suis entré, il m'a donné une sensation étrange : tout avait été laissé comme quand l'oncle Marco avait été hospitalisé ; il semblait qu'il devait revenir à tout moment et bien probablement, quand il en était sorti, il avait pensé que ce serait vraiment ainsi.
L'appartement était dans la partie ancienne de la ville, sur Broadway, avait une surface d'environ six cent mètres carrés et était sur trois étages. Il était meublé d'une façon assez sombre, le tout dans un style Art Nouveau, mais pas très coloré. Dans l'ensemble, il me donna une impression de tristesse et de vieillesse. Dans les placards, il y avait encore tous les vêtements de mon oncle et dans le studio toutes ses cartes.
Tout d'abord, je suis entré en contact avec l'association catholique d'assistance gérée par des religieuses dominicaines, pour qu'elles viennent enlever toute la garde-robe riche et vaste de mon oncle. Ensuite, j'ai appelé une entreprise de nettoyage pour faire nettoyer à fond. J'ai enlevé les lourds rideaux qui retiraient la lumière dans les pièces et les fis remplacer par des rideaux légers de voile blanc... mais malgré tout l'appartement gardait un aspect triste. En outre, il était aussi trop grand.
J'ai commencé à examiner les papiers de l'oncle en les divisant en trois parties : celles à garder (contrats, titres de propriété, etc.), ceux sur lesquels j'étais incertain, et ceux à jeter. Dans le bureau, sur les murs, il y avait de grandes bibliothèques du sol au plafond, remplies de livres de toutes sortes et types : du do-it-yourself aux guides touristiques, des encyclopédies, des romans, aux livres d'art... tous assez vieux.
Après mon installation, j'ai ouvert trois comptes à mon nom dans trois banques différentes, où je transférai tout le capital liquide et où je me fis faire soit les carnets de chèques soit les cartes de crédit. Ensuite, je m'apprêtai à administrer les restaurants et les appartements.
J'allai aussi visiter la maisonnette : elle était bien plus agréable que l'appartement en ville, bien que ce n'est pas que j'aimais beaucoup l'ameublement country du type pseudo rustique... Mais au moins il était plus clair, plus lumineux et surtout moins grand. Il y avait trois chambres à coucher, deux salles de bains, une cuisine, un grand salon, un garage et une sorte de laboratoire où mon oncle Marco s'était délecté à faire de la poterie... à mon avis avec de très mauvais résultats...
Je fis nettoyer bien au fond aussi cette maisonnette et je décidai de m'y installer. J'y fis installer l'électricité et le téléphone, et quand elle fut prête, je me suis déplacé là-bas et j'ai loué l'appartement à Broadway, après avoir vendu à un antiquaire tous les meubles, sauf quelques pièces que j'aimais et que j'ai apportées dans la petite maison de Glenn Drive.
Puis que je l'avais entendu dire que la rivière, qui coulait le long d'un côté de mon morceau de forêt dans ma propriété, était appelée comme je l'ai dit Oxford Creek, j'ai décidé d'appeler aussi la maison Oxford Creek.
Être le gérant des restaurants et l'administrateur des sept appartements et des deux magasins n'était cependant pas mon idéal, en particulier les restaurants, car je n'y connaissais absolument rien en cuisine. Je tâchai de faire de mon mieux et ne crois pas avoir fait mal, mais la quantité de travail que cela exigeait était énorme et, pour moi au moins, tout autre que gratifiant.
Alors je me suis demandé quel était l'intérêt d'être millionnaire et de ne pas profiter de la vie. Alors je décidai de vendre à la fois les logements, les magasins et les restaurants, sans hâte, en essayant d'y gagner autant que possible.
En même temps, une fois que j'aurais réalisé tout le capital, qu'est-ce que j'en ferais ? Vivre de rentes, oui, si le capital rend... Mais je ne suis pas le genre à me tourner les pouces toute la journée. J'y ai réfléchi un peu... À Nashville je n'avais pas encore d'amis, connaissances, personne à qui je pouvais demander conseil.
Un jour, j'étais en train de dîner dans mon meilleur restaurant, quand je vis que dans la salle ils étaient en train de servir l'avocat Mongelli avec sa femme et ses enfants. Je me levai et j'allai les saluer. Ils me demandèrent si je voulais m'asseoir à la table avec eux et j'acceptai. Pendant qu'on dînait, l'avocat me demanda comment m'allaient les choses. Quand je lui exprimai mon mécontentement, et aussi mon intention de vendre tout, mais aussi mon problème de quoi faire avec le capital, l'avocat acquiesça hochant la tête.
Il me dit : "Vous voyez, monsieur Villa, maintenant Nashville est en pleine expansion et il y a besoin de logements. Mais ce qui manque, dans notre communauté, ce sont surtout de petits appartements à louer à un bon prix, pour ceux qui ne peuvent pas acheter une maison ou qui ne s'arrêtent pas longtemps ici en ville, et pour les jeunes couples et ainsi de suite... Pourquoi ne pas construire un complexe d'appartements ? Vous pourriez y gagner bien et, une fois commencé, vous pouvez en prendre soin en personne en embauchant le personnel approprié... peu d'employés et quelques ouvriers peuvent être assez pour le faire fonctionner très bien... il vous rendrait bien sans vous prendre trop de votre temps et de votre énergie..."
L'idée me semblait bonne. Ainsi, alors que d'une part je mettais en vente mes appartements en ville et les restaurants, je pensais que je pouvais construire le complexe dans la grande parcelle de forêt où il y avait la petite maison où je vivais maintenant.
Donc, tout de suite je pris contact avec plusieurs architectes et entreprises de construction pour leur demander de me faire des estimations et des projets de coûts bruts. En Mars 1972, j'avais choisi un des projets, donc j'ai demandé au studio de me présenter des projets plus détaillés avec un devis précis. Le nom de l'architecte était Steven Mallory. Il me présenta un projet de sept bâtiments : un bâtiment, identifié avec la lettre A, sur trois étages, avec vue sur la Glenn Drive 700, contenant les bureaux, la buanderie commune, mon appartement, et dans les deux étages supérieurs huit doubles appartements auxquels on accédait avec deux escaliers.
À quatre-vingt dix degrés par rapport à ce bâtiment, mais sur une ligne un peu oblique, six bâtiments de deux étages, dénommés de B à G, chacun avec escalier central et quatre appartements par étage, qui formeraient avec la construction A un long L légèrement incliné. Les bâtiments seraient réalisés en béton avec les façades en briques et en pierre locale. Devant ces six bâtiments la route d'accès, large avec un parking pour les locataires. À l'intérieur du L il y aurait une piscine et un jardin, et l'ensemble serait entouré par la forêt de ma propriété. Le bâtiment A prendrait la place de la maisonnette de mon oncle Marco.
Nous avons décidé d'appeler l'ensemble du complexes « Oxford Creek - Appartements and Duplexes » et les travaux commencèrent en Avril 1972. Devant démolir la maisonnette de mon oncle, je suis retourné vivre dans l'Union Station Hôtel où je louai une suite pour la période nécessaire pour terminer le premier bâtiment.
Les travaux avançaient bien et assez rapidement. De temps en temps, j'allais voir à quel point ils en étaient et je rencontrais souvent l'architecte ou le jeune assistant, Alexander Melling, que tout le monde appelait Alex ou mister Melling, selon le cas.
Alex était né en Juillet 1950, alors quand les travaux commencèrent il avait seulement vingt-deux ans. Depuis quatre ans il travaillait comme assistant de l'architecte Mallory, il était une sorte de chef chantier, ou de superviseur des travaux. C'était un grand garçon, avec un corps solide, des cheveux coupés en brosse d'un blond brun, extrêmement efficace, et qui semblait connaître son boulot. Il était respecté par tous les travailleurs de la construction et surtout c'était un homme fier de son travail.
"Vous verrez, monsieur Villa, que nous vous ferons un beau complexe ! Vous savez, j'ai entendu qu'ils sont en train de lotir ici au sud de la ville, donc qu'il y aura une nouvelle route qui, selon les plans, devrait se terminer ici, juste en face de votre complexe."
"Très bien. Une nouvelle route qui va où ?"
"En bas, d'ici vers le sud, en tournant vers la droite pour rejoindre ensuite Murefreesboro Road. Toute cette zone est une zone de développement qui a déjà été ou sera bientôt lotie. Nashville est en train de grandir de plus en plus là vers le sud et aussi à l'est vers Belleville."
J'aimais bien ce grand garçon un peu dégingandé, haut et mince mais au corps fort. Et aussi comment il savait se faire respecter par les travailleurs, même les plus âgés.
"Mais tu fais des études d'architecte ?" je lui demandai un jour.
"Non." il me répondit avec un grand sourire. "Je n'ai fait que trois ans de collège dans la branche des bâtiments et ça me suffit. Je ne suis pas du genre à me casser le dos et la tête sur les livres, non, pas moi. Je préfère jouer au basket-ball avec mes amis."
"Ah, tu joues au basket-ball ?"
"À temps perdu, mais j'aime ça."
"Tu as un peu un physique d'athlète, en fait..." je lui dis, en faisant glisser mon regard sur son corps.
"J'aime le sport. Et j'aime la vie en plein air. Pour cela, j'aime aussi la vie de chantier."
"Et pendant ton temps libre, à part le basket-ball, que fais tu ?"
"Je prends du temps avec les amis. On va écouter un peu de musique country en centre ville, on va danser, on s'amuse comme on peut. Ce n'est pas que Nashville ait beaucoup à offrir, au-delà de la musique."
"T'as une petite amie ?"
"Eh bien, disons que oui..."
"Comment, disons que oui ?" je lui demandai, curieux.
"Tous mes amis en ont, alors moi aussi j'ai dû le faire... rien de sérieux, cependant. Un peu de caresses juste pour la garder... rien de plus. Je ne veux pas encore me lier, après tout je n'ai que vingt-deux ans."
"Je comprends."
"Et vous ? Êtes-vous marié ? Vous avez une femme ?"
"Non, ni l'un ni l'autre... Après tout je n'ai que vingt-six ans..." je lui dis d'un air espiègle.
"Vous êtes italien, non ?"
"Oui. "
"Comment c'est l'Italie ? Beau ?"
"Oui, pleine d'histoire et d'art. Mais mon père était né ici..."
"Vraiment ? Alors, vous êtes de retour sur les traces de votre père."
"Plus ou moins."
Plus je connaissais Alex, plus le garçon me plaisait. Je le trouvais aussi très sensuel avec son air de garçon grandi trop vite...
Vint la période de Noël. Pour la première fois je passais Noël tout seul. Me rappelant à quel point mon Mauro aimait la crèche, j'ai décidé d'en acheter une. J'en trouvai une dans « One Dollar Shop » pour seulement deux dollars, fabriquée en Chine en imitation biscuit avec dix statuettes. Je l'achetai et la portai dans ma suite d'hôtel.
Deux jours avant Noël, Alex me téléphona à l'hôtel : "Monsieur Villa, que ferez-vous pour Noël ?"
Un peu surpris, je répondis : "Rien... C'est le premier Noël que je passe loin de mon... de ma famille... Je ne connais personne ici..."
"Les miens retournent en Oregon chez des parents. Moi aussi je n'ai rien de spécial en vue... pourquoi ne le passons-nous pas ensemble ? Deux solitudes, parfois, peuvent se compenser..."
Encore plus surpris pour cette offre, mais aussi très heureux, j'ai accepté immédiatement. Je l'ai invité à venir manger avec moi la veille de Noël dans mon hôtel. Il vint.
Pour la première fois je l'ai vu vêtu avec un complet, chemise blanche et cravate. Il était très élégant et il semblait encore plus jeune que ce qu'il était. Il était très mignon... et désirable.
Nous avons passé une bonne soirée ensemble, gaie et agréable. Il me parla de lui, de sa famille, de tout et de rien, comme moi aussi je fis avec lui.
Nous nous saluâmes un peu après minuit, nous donnant rendez-vous pour le lendemain. Il arriva à mon hôtel à dix heures du matin du 25. Je le fis monter chez moi. Il admira ma petite crèche. Je lui parlai de la tradition italienne de la crèche. Ensuite, nous sommes sortis pour le déjeuner et Alex voulut à tout prix me l'offrir. Nous avons donc passé ensemble toute la journée dans une atmosphère très agréable. Nous avons aussi dîné ensemble et nous avons parlé à nouveau de nous... et plus je le connaissais, plus je me sentais fortement attiré par lui.
Avant de nous quitter à nouveau, Alex me dit qu'il aimerait passer avec moi aussi le dernier jour de l'année, pour attendre ensemble 1973... Encore une fois j'ai accepté immédiatement et avec grand plaisir.
En plus d'être de compagnie agréable, Alex m'attirait de plus en plus. Son sourire, les plis qui formaient les côtés de ses yeux quand il souriait, sa voix chaude et sensuelle, son accent... tout me plaisait en lui.
Je pensais que j'aurais dû lui faire un cadeau pour la nouvelle année. Je ne savais pas exactement quoi, même si je commençais à le connaître un peu... À la fin je me suis décidé de lui donner une montre-bracelet, une Wenger noire faite en Suisse, avec des numéros fluorescents et la date, la batterie et avec une sangle de cuir souple noir. Je fis faire un joli paquet dans le magasin et avant qu'ils le confectionnent j'y mis dedans une note que j'avais préparée.
« En souvenir des heures magnifiques passées ensemble, avec le vœu que toutes les heures de l'avenir te soient favorables. Bonne année 1973. Luca »
Il vint me prendre à 9 heures du soir. Il avait réservé pour nous deux un réveillon sur le bateau à vapeur « General Jackson » qui naviguerait le long de la rivière Cumberland.
Le dîner à bord était égayé par un ensemble country, le salon et les ponts étaient décorés gaiement, un beau Père Noël nous accueillit à l'embarcadère où nous nous fîmes prendre aussi en une photo souvenir.