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histore originale par Andrej Koymasky


AU TEMPS DES DIEUX CHAPITRE 7
Un arrangement et un problème

Sur le chemin du retour à Girgenti, Chapeaumoche se détourna vers Racalmuto et arrivé là, il prit la route pour Grotte, et s'arrêta à la maison de Catalanu. Quand il appela son ami à haute voix, une femme d'âge moyen parut à la porte et le dévisagea de la tête aux pieds.

"Vito n'est pas à la maison, il est en bas aux oliveraies. Que voulez-vous ?" demanda-t-elle en l'étudiant avec méfiance.

"J'ai besoin de lui parler..."

"Qui êtes-vous, un débiteur ou un créancier ?"

"Ni l'un ni l'autre, je suis un vieil ami et je passais par ici et..."

"Un vieil ami, que vous dites ? Et comment vous appelez, vous ? D'où venez vous ?" insista la femme l'examinant encore avec méfiance.

"Errigo Miccichè de Girgenti... mais on m'appelle Chapeaumoche. Et qui êtes-vous ?" dit l'homme avec un léger sourire, se demandant d'où sortait cette femme.

"Maria Luisa Arnone, la sœur de Cicciu Arnone."

Chapeaumoche en savait autant qu'avant. "Si vous me dites de quel côté je peux le trouver... ou si je devrais au lieu l'attendre ici..."

"Eh, de quel côté ! Les oliveraies sont très grandes, qu'est-ce que j'en sais où il est allé ? Si vous avez un peu de temps, attendez ici !" dit-elle en fermant la porte sans dire au revoir et le laissant dehors.

Cette femme n'était certainement pas hospitalière. Chapeaumoche alla mettre le sac d'avoine à l'âne, serra les freins du chariot et s'assit sur le siège, en se demandant combien de temps il lui faudra attendre. Une heure plus tard, il vit arriver par le chemin de terre un jeune homme, très beau, qui, ayant donné un coup d'œil à Chapeaumoche, se dirigea vers la porte de la maison et cria: "Marilisa ! Marilisa !"

La femme apparut à la porte et les deux parlèrent à voix basse, regardant de temps en temps vers Chapeaumoche. Alors, l'homme, âgé d'environ trente-cinq ans, grand et fort, avec un gros bouquet de cheveux en larges boucles brun foncé presque noirs, et avec un visage beau et parfait comme une statue grecque, se rendit au chariot. "Ma sœur me dit que vous cherchez Catalanu... pourquoi vous le cherchez ?"

"Je suis un vieil ami, mon nom est Errigo Miccichè." dit-il, puis il ajouta, "mais tout le monde m'appelle Chapeaumoche."

"Ah, oui, Vito m'a beaucoup parlé de vous. Je suis Cicciu Arnone, on m'appelle Cicciu Le Beau. Vito est en bas à l'oliveraie de Santa Marta. Savez-vous où c'est ?"

"Non. Pourriez-vous m'y emmener, ou vaut-il mieux que je l'attende ici ?"

"Si vous attendez un instant, je vais vous accompagner, parce que Vito ne rentre pas avant l'heure du déjeuner." dit le jeune homme, et il entra dans la maison.

Il revint après un certain temps avec un sac de jute plein sur son épaule.

"Laissez le chariot ici, que personne ne le touchera pas. Venez." dit-il en démarrant sur la route rurale.

Chapeaumoche sauta à bas du chariot et marcha à côté de lui. Le jeune homme avait une démarche élastique, rapide, et de tout son corps dégageait force et virilité. Ils marchèrent un moment en silence, puis Cicciu dit, "Vito m'a dit que vous le connaissez depuis que vous étiez enfants..."

"Oui, c'est vrai. Il avait dix-sept ans et moi treize. À cette époque il vivait en bas à Favara, comme moi. On allait jusqu'à la source ensemble, lui et moi, pour nous amuser..."

"Oui, il me l'a dit," Cicciu hocha la tête avec un sourire, "et pour avoir du plaisir à... à le faire. Mais vous, ensuite, vous vous êtes marié, n'est-ce pas ?"

"Oui, mais vous... vous êtes par hasard..."

"Oui, je suis avec Vito depuis treize ans maintenant. J'avais vingt-quatre ans, quand nous nous sommes rencontrés. J'étais à la recherche d'un emploi... et en plus d'un bon travail, j'ai trouvé une maison et un compagnon. Il y a dix ans, quand ma sœur est restée veuve, Vito la prit aussi dans la maison. Vous devez l'excuser, si elle ne vous a pas fait entrer, mais une femme seule, qui ne vous connaît pas..."

"Oui, oui, je comprends. Vito m'a aussi parlé de vous, quand on s'est vu la dernière fois, il y a cinq ans. Il a dit qu'il est très à l'aise avec vous, et depuis qu'il est avec vous, il a mis sa tête en place..."

Cicciu sourit : "Les conditions étaient claires : soit juste moi, soit les autres."

"Mais... votre sœur... sait pour vous ?"

"Bien sûr qu'elle sait pour nous. Mais elle accepte de garder le silence et de ne pas faire d'histoires, parce que nous lui donnons un abri, des vêtements et de la nourriture, et qu'elle ne manque de rien avec nous. Quand ils ont tué son mari, et dieu merci qu'ils n'avaient pas d'enfants, elle s'est retrouvée au milieu d'une route, parce que ce freluquet l'a laissée lourdement endettée car il avait fait des dettes de jeu, et nous avons tout payé Vito et moi, pour qu'ils laissent Marilisa en paix. Vito m'avait dit que vous travaillez à Girgenti dans la maison du baron, n'est-ce pas ?"

"C'est vrai, je viens de revenir de Calatafimi où le baron détient certains intérêts et j'y vais de temps en temps faire des commissions pour lui."

"Mais vous, après la mort de votre femme, vous n'avez pas trouvé une autre compagnie ?"

"Non, je ne tiens pas à avoir ni une compagnie, ni des aventures, je suis très bien seul."

"Ni Vito ni moi on ne pourrait jamais être seul... Pas dans ce sens là, de toute façon." dit le jeune homme en riant.

"Mais vous... avant de connaitre Vito..."

"J'ai dû m'en aller en toute hâte de Porto Empédocle, parce que j'étais un peu trop vif... si vous voyez ce que je veux dire." ricana le jeune homme. "Ce fut un grand scandale, quand on a découvert que je le faisais avec les deux fils du médecin, les deux ensemble... Eux, on les a envoyés à l'école militaire... j'ai fui jusqu'à l'intérieur de l'île à la recherche d'un emploi, en essayant d'aller suffisamment loin de là. Pendant quelques mois, je n'ai rien trouvé, mais j'ai eu la chance de demander à Vito. Lui, au premier abord, m'a donné du travail au pressoir."

"Et comment vous vous êtes mis ensemble ?"

"Il me regardait d'une certaine manière et il était toujours autour de moi, et était un bel homme. Je l'aimais bien, donc j'ai décidé un jour et lui ai dit que je l'aimais beaucoup et alors... nous l'avons fait. Et puis, parce qu'on était bien ensemble et que nous étions très affectionnés, Vito m'a demandé d'emménager avec lui. Pourtant, je savais qu'il allait aussi avec un certain nombre de garçons et jeunes hommes qui travaillaient pour lui, alors je lui ai dit que ou juste moi ou rien, s'il souhaitait se mettre avec moi. Il a immédiatement accepté, et il a vraiment arrêté de courir après les pantalons des autres."

"Oui, il m'a dit qu'il est très bien avec vous. Il a dit qu'il avait enfin trouvé ce qu'il avait cherché de toute sa vie et qu'il est heureux avec vous."

"Et je suis heureux avec lui."

Ils arrivèrent dans l'oliveraie où Vito dirigeait la remise en état d'une parcelle de terre qu'il venait d'acheter, pour y planter de nouveaux oliviers. Quand il vit Chapeaumoche, d'abord il le regarda les sourcils froncés et en protégeant ses yeux du soleil avec sa main. Puis il le reconnut et alla à sa rencontre avec un large sourire.

"Les montagnes ne se rencontrent jamais avec les montagnes, mais les hommes tôt ou tard se rencontrent !" s'écria-t-il joyeusement, en l'embrassant. "Maintenant, que c'est une belle surprise. Je vois que toi et mon Cicciu vous vous êtes déjà présentés ! Qu'est-ce qui t'amène ici, mon ami ?"

"Je suis venu parce que je dois te parler. Mais comment vas-tu, hein? Je te vois bien !"

"Eh bien, évidemment Dieu t'a gardé la vue !" plaisanta l'homme. "Mais oui, je suis en bonne santé, les affaires sont bonnes, et avec mon Cicciu qui me surveille jour et nuit, je ne peux pas vraiment me plaindre. Et toi, qu'est que tu fais ? Toujours à Girgenti, chez le baron ?"

Ils ont commencé à parler, et quand Vito s'aperçut que son petit ami et son ami se vouvoyaient, il leur dit qu'ils devaient se tutoyer. Puis il envoya Cicciu pour avertir sa sœur qu'ils auraient un invité pour le déjeuner.

Quand le jeune homme s'est éloigné, Chapeaumoche dit : "Tu m'avais dit qu'il était beau, et tu avais raison. Il me semble un jeune homme très bien."

"Bien sûr, c'est pas pour rien que nous sommes ensemble depuis treize ans. Il est fantastique à la fois comme partenaire commercial et comme amant, crois-moi. C'est vraiment un coup de chance de l'avoir rencontré. Et dire que, au début, il était juste un autre jeune homme que j'essayais de mettre dans mon lit..."

"Est-il jaloux ?"

"Non, parce qu'il sait que depuis que j'ai commencé avec lui, je ne regarde plus personne... pas de cette façon. Et lui aussi, n'est pas intéressé par quelqu'un d'autre, depuis qu'il est avec moi."

"Vous n'avez pas de problèmes en ville, pour être ensemble ? Les gens ne comprennent pas... ne murmurent pas?"

"Et qui sait ? Apparemment pas, cependant, ça me surprendrait. Mais nous nous occupons de nos propres affaires et les gens des leurs. Officiellement, il n'est que mon partenaire d'affaires, il vit avec moi, avec sa sœur... qui nous fait un peu comme un écran."

"Et la sœur ?"

"Elle l'a digéré. Somme toute, ça lui convient : on ne crache pas dans la casserole qui vous donne quelque chose à manger, non ? Même si elle est veuve, elle a un peu l'âme d'une vieille fille, mais elle ne dit rien ni à moi ni à mon Cicciu. Mais toi, Chapeaumoche, tu m'avais dit que t'avais à me parler. De quoi s'agit-il ?"

"Il y a quelque temps j'ai trouvé un garçon et l'ai pris avec moi comme un fils... non, ne fais pas ce sourire, Catalanu, Coquelet est vraiment comme un fils pour moi. Tu sais bien que, après que nous l'ayons fait, toi et moi quand on était garçons, que je n'étais plus intéressé à le faire avec d'autres, non ? Eh bien, le problème est que Coquelet est devenu amoureux d'un garçon appelé Chaton, mais ce Chaton vit avec sa famille, et Coquelet est avec moi chez le Baron... et donc malheureusement ils ont des problèmes pour se rencontrer, et ils ont aussi envie de vivre ensemble, mais à Girgenti n'est pas possible."

"Eh, les pauvres garçonnets, hélas c'est comme ça. Si l'on veut juste avoir du plaisir, il y a pas trop de problèmes, mais si on veut se mettre ensemble sérieusement..."

"Ouais, c'est ça. Alors j'ai pensé... si tu pouvais leur donner un emploi et peut-être trouver un endroit où ils peuvent être ensemble, sans problèmes..."

"Sont ils des garçons comme il faut ? Travailleurs ? Sérieux ? Quel âge ont-ils ?"

"Oui, Catalanu, je te l'assure. Mon Coquelet a dix-neuf ans et son Chaton dix-huit. Que dirais-tu, penses-tu que c'est possible ?"

"Je dois parler à Cicciu, mais je pense que oui. Ça nous arrangerait d'avoir un couple de garçons de plus pour le traitement de l'huile. Et je pourrais les mettre dans le moulin, où vivait le vieux gardien. Là, je pourrais libérer une petite chambre pour eux, car on n'a pas besoin de toutes."

Cicciu fut tout de suite d'accord, donc après le déjeuner, tous trois montèrent au moulin pour voir l'endroit. Cicciu suggéra de donner aux garçons la pièce qui avait été la cuisine : "Ici, nous mettons une paillasse et une table, quelques tabourets, et il y a aussi le fourneau à charbon, s'ils veulent faire quelque chose à manger d'eux mêmes, et il y a aussi l'évier... et en hiver, nous pouvons leur donner un brasier en cuivre, car en bas à Girgenti il ne fait pas froid, mais ici oui... Qu'est-ce que t'en penses, Chapeaumoche ?"

"Ça me semble bien, et je vous remercie beaucoup. Bien sûr, vous avez à leur apprendre tout, car les deux garçons n'ont jamais fait ce travail. Mais je suis sûr que vous n'aurez pas à vous plaindre d'eux, ce sera une bonne chose de leur donner du travail... et de les aider à être ensemble sans trop de problèmes."

"Ne t'inquiète pas Chapeaumoche, nous allons les garder comme deux fils : du bâton quand ils le méritent, mais de l'attention quand ils en ont besoin. Mais si tu te portes garant pour eux, je pense qu'il n'y aura pas besoin de bâton. Et d'ailleurs, si on ne s'aide pas entre nous..." dit Vito.

De retour à Girgenti, l'homme communiqua immédiatement à Coquelet et Chaton la solution qu'il avait trouvée. Les deux en étaient ravis et ont promis à l'homme qu'ils allaient travailler bien et dur, afin de ne pas lui faire mauvaise figure avec ses amis. Donc, le dimanche suivant, Chapeaumoche pris le chariot et les deux garçons et les emmena à Racalmuto et resta avec eux pour le déjeuner à la maison de Vito et Cicciu.

Ensuite, ils allèrent tous au moulin, où Cicciu avait mis en ordre la vieille cuisine au premier étage pour les deux garçons. Bien que la chambre soit pauvre et nue les deux étaient heureux d'avoir une place juste pour eux. Les autres pièces du premier étage étaient utilisés comme entrepôts pour les dames-jeannes, les scourtins, et tout ce qui pouvait être utile pour le pressage des olives et pour le stockage de l'huile de première pression, de deuxième choix et de l'huile à brûler pour les lampes, pour l'éclairage.

Les deux garçons commencèrent à bien travailler pour Vito et Cicciu, à la fois dans les champs pour la culture des oliviers, la récolte des olives et tout ce qui était nécessaire. Habituellement tous deux mangeaient dans leur chambre, mais chaque dimanche ou jour de fête, la sœur de Cicciu Le Beau préparait aussi quelque chose de spécial pour les deux garçons, et l'un ou l'autre, allait chercher le panier avec la bonne nourriture préparée pour eux.

Alors vint la fin d'Octobre, et les travailleurs du pressoir commencèrent à arriver et les deux garçons aussi furent envoyés pour travailler au moulin. Quand arrivaient les charrettes avec les sacs d'olives, on devait les libérer des saletés, des feuilles et des brindilles, puis on les lavait dans de grandes cuves d'eau froide. Les olives étaient ensuite placées dans des moulins broyeurs, c'est à dire des machines avec deux meules qui profitaient de la rotation d'un axe vertical pour bouger : un âne attachée au poteau, les yeux bandés pour qu'il n'ait pas le vertige, faisait tourner la lourde masse de granit. On obtenait ainsi une pâte verdâtre, homogène.

La pâte était ensuite placée dans des cuves spéciales et agitée en continu, de manière à permettre la séparation des particules d'huile, qu'elle contenait, du reste de la pâte. Cette étape terminée, c'est à dire le pétrissage, la pâte était prête pour l'extraction de l'huile. On devait ensuite presser la pâte : on la plaçait sur des disquettes de fibre végétale tressée, appelées scourtins, qu'on plaçait sur l'axe vertical de la presse à subir la pression et obtenir le moût d'huile.

La pâte était stratifiée d'environ un doigt d'épaisseur sur chacun des scourtins, les diaphragmes de filtrage en forme de couronne circulaire. La séquence de scourtins alternant avec des couches de pâtes était interrompue par des disques métalliques, également en forme de couronne circulaire, qui servaient de support et de renfort : cinq scourtins étaient alternées avec quatre couches de pâtes, et deux disques métalliques étaient un au-dessus et un au-dessous, pour délimiter la succession. La tour ainsi obtenue était ensuite encastelée sur l'aiguille, c'est à dire sur le support central de la presse ainsi appelé parce qu'il était couvert de trous et creux à l'intérieur de manière à permettre l'écoulement du moût d'huile aussi le long de l'axe central.

Un piston poussait la tour contre le linteau de la presse. Pendant le pressage, le jus huileux s'écoulait des diaphragmes de filtrage ou vers l'extérieur de la tour le long de la surface de laquelle s'écoule vers le bas ou vers le centre passant à travers le scourtin. Au début le moût huileux était composé presque entièrement d'huile (l'huile fleur), puis progressivement le pourcentage d'eau augmentait.

Chaque pression durait environ une heure. Dans la première demi-heure la pression était graduellement augmentée, et après on l'arrêtait à une valeur constante. Après que la pâte soit libérée du liquide, dit huile-moût, tout ce qui était restée sur les scourtins était l'huile de recense, formée par les résidus des noyaux et de la pâte d'olives. L'huile-moût, comme il était extrait, on le mettait au repos pour la séparation de l'eau de l'huile végétal qui, étant plus léger, remontait à la surface.

L'huile obtenue avec ce système à froid, était ensuite décantée jusqu'à ce que toutes les particules contenues dans la suspension soient déposées sur le fond et l'huile se révèle claire, justement décanté. La décantation durait pendant trois ou quatre mois. L'huile est sensible à la lumière et à la chaleur, donc elle était stockée dans des dames-jeannes, dans un endroit frais et sombre. On faisait enfin le dernier soutirage dans des bonbonnes en verre épais vert foncé, bien lavé, et l'huile était prête à être vendue.

Coquelet et Chaton avaient bien appris toutes les étapes du travail, et n'épargnaient pas leurs efforts et croulaient sous la fatigue. Dans la soirée, alors que les autres travailleurs posaient leur literie provisoire au sous-sol du moulin, les deux garçons montaient dans leur chambre pour se reposer, faire l'amour, dormir.

Les autres travailleurs étaient pour la plupart des saisonniers provenant des pays voisins. Certains revenaient au moulin de Vito Catalanu depuis plusieurs années. Les plus vieux avaient environ cinquante ans et les moins âgés environ vingt-cinq, de sorte Chaton et Coquelet étaient les plus jeunes.

Quand il faisait trop sombre pour continuer à travailler, ces hommes, qui étaient souvent loin de chez eux pendant quelques mois, se rassemblaient devant le moulin, si le temps était beau, ou dans le moulin lui-même, et passaient la soirée à bavarder, à faire un peu de musique et à chanter, ils échangeaient des plaisanteries, souvent lourdes et allusives, ou écoutaient les histoires des plus vieux.

Un des premiers soirs Chicorée, un homme de trente-quatre ans, demanda aux deux garçons: "Mais qu'êtes-vous vous deux, des frères ?"

"Non, nous sommes amis." dit Coquelet.

"Et pourquoi vous avez une chambre ici ?" demanda un autre homme.

"Catalanu nous l'a donné, parce que nous travaillons pour lui toute l'année."

"Des amis..." commenta Chicorée en les regardant avec un sourire ironique. "Oui, j'ai vu qu'il n'y a qu'une paillasse... Vous êtes comme cul et chemise, ou plutôt cul et bite, je parie !"

"Eh bien, ils sont garçons. Même si c'était comme tu penses, qui d'entre nous, quand on était garçons..." dit l'un des autres, riant de bon cœur.

"Mais ils ne sont plus des garçons, maintenant, non ? Je suppose que alors..." dit un autre homme en regardant les deux garçons avec des yeux malicieux.

Calogero, un des plus vieux, intervint en essayant de changer de sujet : "La première fois que je suis venu travailler pour Catalanu, j'avais juste vingt ans. Ignace, le père de Catalanu, était encore en vie et Vito n'a qu'un an de plus que moi."

"Vous, Calogero, connaissez bien Vito Catalanu, alors." demanda un autre.

"Oui, bien sûr. Tout comme je vous connais. On se voit pour le travail, il n'y a pas autre chose." répondit l'homme.

"Mais dites-moi, Calogero, est-il vrai que Vito... qu'il n'est pas intéressé par les femmes ?" demanda Chicorée.

"Je ne sais pas et je n'ai pas besoin de savoir. Ce qui l'intéresse, c'est ses oignons. Ce qui m'intéresse, c'est qu'il me paye pour le travail que je fais." répondit l'homme, sèchement.

"Mais pour moi, je pense que c'est pourquoi Catalanu a donné la chambre ici au dessus à ces deux garçons... peut-être qu'il passe parfois leur faire une visite, non ?"

"Je ne l'ai jamais vu monter à l'étage, moi, Vito Catalanu." dit un autre des hommes.

Les deux garçons n'aimaient pas du tout ces discours et ces petits sourires, en effet, ils les dérangeaient, donc très peu de temps après ils saluèrent et montèrent dans leur chambre.

Chicorée les salua en disant: "Endormez-vous tout de suite, comme des bons garçonnets, ne vous fatiguez trop pour faire certaines choses interdites, car demain il y a beaucoup de travail à faire." et plusieurs hommes se mirent à rire, tandis que Chaton rougissait légèrement, et les deux garçons montèrent à l'étage.

Dans les jours qui suivirent les réflexions de Chicorée et de certains des autres hommes devinrent de plus en plus lourdes et explicites, de sorte que les deux garçons étaient de plus en plus mal à l'aise. Ils pensèrent à en parler à Catalanu, mais ils ne se décidaient pas à le faire.

Arriva, entre-temps, le lendemain de la Noël. Coquelet était en train de balayer et ranger leur chambre, tandis que Chaton était allé à la maison de Vito et Cicciu, pour prendre la nourriture que Maria Luisa, la sœur de Cicciu Le Beau, avait préparé pour eux sur son ordre.

Coquelet entendit la porte de la cuisine s'ouvrir et, pensant que Chaton était déjà de retour, regarda en arrière avec un large sourire, qui se refroidit aussitôt quand il vit que, au lieu de Chaton, c'était Chicorée accompagné de deux autres travailleurs, Nicolò et Turi.

"Eh bien, tu ne souris plus pour nous ? Tu pensais que c'était ton petit ami, hein ?" demanda Turi en s'avançant vers lui.

"Que voulez-vous ?" demanda le garçon, préoccupé par le sourire moqueur qui traînait sur les visages des trois hommes.

"Ce que nous voulons, demande-t-il ?" dit Chicorée : "Ton cul, on veut ton cul, mon garçon, car il y a déjà trop longtemps qu'on n'a plus fait une bonne baise, c'est pas vrai, les amis ?"

"Laissez-moi tranquille, je ne suis pas une femmelette, moi !" répondit Coquelet, sèchement.

"Ah, c'est Chaton qui fait la femelle entre vous deux ?" demanda Nicolò avec une grimace amusée, en essayant d'enlever le balai des mains du garçon. "Mais pour nous, il n'y a pas de différence. Lorsque la bite réclame... tout trou est bon."

Le garçon, sans répondre, le visage rouge de colère, essaya d'éloigner l'homme, mais les trois étaient sur lui. Ils luttèrent pendant un moment en silence, mais bientôt les trois hommes eurent le dessus et réussirent à immobiliser le garçon, et à l'emmener vers la paillasse.

"Lâchez-moi ! Foutez-moi la paix, je ne veux pas faire ça !" cria Coquelet encore en train de se tortiller pour se libérer des trois hommes.

"Et pourquoi pas ? Hier soir, je suis venu... et j'ai entendu derrière la porte que vous étiez en pleine baise..." dit Turi ironiquement. "Allez, allez, ainsi... que tu disais à ton petit ami..."

Ils se battaient encore, mais Coquelet était déjà couché sur la paillasse et les trois hommes étaient sur lui, essayant de baisser son pantalon, et Chicorée poussa une main forte sur sa bouche pour l'empêcher de crier.

Chaton, de retour de la maison de Catalanu, montait l'escalier de pierre ignorant ce qui se passait, portant le panier avec la nourriture et de bonne humeur pour le bon déjeuner qu'il ferait bientôt avec son amant. Il poussa la porte et s'arrêta comme foudroyé.

Dès qu'il réalisa ce que les trois hommes essayaient de faire à son bien-aimé, le sang lui monta à la tête, une fureur aveugle le saisit, il posa le panier, prit un couteau qui était sur la table et se jeta sur l'enchevêtrement de corps en criant et frappant aveuglément.

"Laissez-le aller ! Lâchez-le ! Je vous tue tous !" hurlait-il.

Turi prit un coup de couteau dans le dos, pas profond mais douloureux, Nicolò, en reçu un dans le bras, et enfin Chicorée pris le troisième coup de couteau sur le côté. L'homme se tourna, ses yeux s'écarquillèrent, le couteau toujours enfoncé son côté, il poussa un cri et tomba par terre.

Les deux autres s'enfuirent en criant: "À l'assassin, à l'assassin... appelez les carabiniers !"

Coquelet se leva de la paillasse, pâle comme la mort, en réajustant son pantalon, et dans un murmure, il demanda, en montrant le corps sans vie de Chicorée : "Tu l'as tué ?"

"Je ne sais pas, mais je l'espère bien !" répondit Chaton, en tremblant violemment de tout son corps, mais avec un ton de fierté.

"Mon Dieu... J'espère que non. Je ne veux pas qu'on te mette en prison... Il faut fuir avant l'arrivée des carabiniers."

"Ce sont eux qui t'ont attaqué, je viens de te défendre." répondit le garçon avec un calme étrange, s'apaisant presque soudainement.

"Et essaye de leur l'expliquer, toi. Dieu saint... dieu saint... tu es tout couvert de sang... Nous devons nous sauver, maintenant, ne comprends-tu pas ?"

"Et où ?"

"Au loin, qui se soucie d'où. Loin d'ici. Avant qu'il ne soit trop tard." dit Coquelet très agité.

À ce moment, on entendit des voix et des bruits de pas dans l'escalier.

"Trop tard..." murmura Coquelet : "Nous sommes foutus." et il pâlit en se tournant vers la porte.

Cicciu entra avec Vito, suivi par d'autres hommes. Vito ordonna à l'un des hommes à aller chercher le médecin. Puis il ordonna aux autres de sortir, d'attendre en bas. Ainsi, alors que Cicciu se penchait sur Chicorée, il demanda aux deux garçons ce qui s'était passé.

"Nous devons les aider ..." dit Cicciu en se levant.

"Oui, bien sûr, mais si les carabiniers arrivent, alors on ne peut plus rien faire. Ils doivent se sauver, ou ils risquent de passer de victimes à coupable, pour la loi." répliqua amèrement Vito.

"Mais fuir, comment ? En dessous il y a plein d'hommes..." opposa Cicciu.

Vito réfléchît un moment, puis dit : "Par la fenêtre, sur l'arrière il n'y a personne, je pense que l'un de nous doit descendre pour dire aux hommes d'attendre les carabiniers. Vous vous en sentez capables, les garçons ?"

"Oui, bien sûr..." déclara Coquelet après que Chaton lui ait fait un signe affirmarif de la tête.

Vito pris tout l'argent qu'il avait dans son portefeuille, il demanda à Cicciu de lui donner aussi tout ce qu'il avait sur lui, et le remit aux garçons : "Ça peut vous être utile. Vite. Cicciu, va en bas. Je vais venir aussi dans un moment."

"Mais qu'est-ce qu'ils vous feront, quand ils se rendront compte que vous nous avez laissé nous échapper ?" demanda alors Chaton.

"Dans un moment je descendrai, et je leur dirai que je vous ai ligoté... et puis, quand on découvrira que vous n'êtes plus là, je dirai que peut-être je ne vous avais pas assez bien attaché et donc vous avez été en mesure de vous libérer. Ne vous inquiétez pas pour moi. Nous descendons maintenant, en emmenant Chicorée en bas... Ainsi, quand le médecin arrivera, il ne devra pas monter ici."

"Mais il est mort ?" demanda Coquelet inquiet.

"Non, il respire encore, ne vois-tu pas ?" dit Cicciu, puis il ajouta : "Et le couteau n'est pas entré beaucoup, il me semble."

"Catalanu, Arnone, j'ai un service à vous demander, avant de partir..." dit Coquelet, encore fortement ébranlé.

"Dis-moi, et si nous le pouvons..." dit Cicciu.

"Prévenez Chapeaumoche... et dites-lui que, même s'il ne nous reverra plus, il est toujours plus qu'un père pour moi, et que je l'embrasse."

"Certainement, j'irai en personne à Girgenti et je vais tout lui expliquer, ne vous inquiétez pas. Et je lui dirai combien tu l'aimes." dit Vito. "Mais maintenant, allez, vite. Vous n'avez pas de temps à perdre."

Les deux garçons ouvrirent la fenêtre et, s'assurant que personne ne pouvait les voir, se laissèrent tomber dehors et disparurent dans les montagnes, courant entre les buissons et les arbres. Puis Vito et Cicciu soulevèrent du sol le corps inanimé de Chicorée. Le couteau glissa hors de la plaie et tomba au sol. Les deux hommes, le menèrent à bout de bras en bas de l'escalier.

Arrivés juste à l'extérieur, les hommes se pressèrent autour d'eux.

"Est-il mort ?"

"Et les garçons ?"

"Qu'est-ce qui s'est passé là-haut ?"

Vito déposa sur l'herbe le corps de Chicorée et fit un geste demandant le silence : "Les garçons, je les ai ligotés dans la cuisine. Lui n'est pas mort, la blessure n'est pas profonde, il s'est juste évanoui à cause de la trouille, je pense. Qui est allé appeler le médecin ?"

"Nunzio y est allé." dit un des hommes.

"Quelqu'un est allé appeler les carabiniers ?"

"Non, personne. Nous avons attendu d'entendre ce que vous auriez décidé, maître." dit un autre des hommes.

"Turi et Nicolò, où sont-ils ?" demanda Cicciu.

"En bas, dans le pressoir, où ils lèchent leurs blessures. Salvatore est avec eux pour les aider."

"Je peux parler, Catalanu ?" demanda l'un des travailleurs les plus âgés.

"Bien sûr Calogero, parle."

"Pour moi, vous ne devriez pas appeler les carabiniers."

"Oh non ? Et pourquoi ?"

"Ces trois hommes... étaient montés pour baiser les deux garçons dans le cul... à leur place moi aussi je me serais défendu avec un couteau..."

"Et qu'est-ce que vous en savez ?" demanda Vito.

"Je les ai entendus parler, et c'est déjà quelque temps qu'ils avaient décidé de le faire. Ils ont obtenu exactement ce qu'ils méritaient. Ce n'est pas quelque chose qui concerne les carabiniers, non ! Moi, à votre place, j'irais délier les deux garçons, et je leur dirais qu'un changement d'air serait bon pour eux..."

Vito regarda les autres hommes : "Et vous, que pensez-vous ? Que doit-on faire, selon vous ?"

"Si c'est vrai ce que Calogero vient de dire... les garçons se sont seulement défendus, ce n'est donc pas quelque chose qui concerne les carabiniers..." dit un autre fermement.

Peu à peu, tous hochèrent la tête et acquiescèrent.

Vito alors dit à Calogero : "Eh bien, que celui d'entre vous qui pense qu'ils devraient s'en aller librement, monte à leur pièce, les délie... et les fasse fuir."

Calogero avec trois autres hommes montèrent l'échelle.

Cicciu demanda doucement : "Pourquoi tu les as envoyé en haut ?"

"Pour que ce ne soit pas seulement nous deux qui soyons responsables de la fuite des garçons."

"Mais ils vont voir qu'ils ne sont plus là maintenant..."

"Mais les autres ici-bas n'en savent rien..."

Les hommes qui étaient montés avec Calogero tardaient à redescendre. Le médecin vint, ayant pris soin de Chicorée, il confirma que la blessure n'était pas mortelle, puis descendit dans le pressoir pour examiner les deux autres.

Enfin Calogero et les autres descendirent.

Le vieil homme dit à haute voix : "Nous les avons détaché et nous les avons fait sortir par la fenêtre. Maintenant je crois qu'ils sont en sûreté dans la montagne !"

Cicciu le regarda avec étonnement, mais Vito sourit et hocha la tête. Alors que les hommes s'étaient dispersés en commentant ce qui s'était passé, Vito s'approcha de Calogero et lui dit doucement : "Merci, Calogero. Je vous en serai reconnaissant."

L'homme sourit : "Ce sont des choses qu'on doit arranger entre nous... et les autres étaient d'accord avec moi pour dire que nous les avons déliés, pour vous garder hors de la chose. Mais si je peux me permettre de vous donner un conseil..."

"Dites-moi." dit Vito doucement.

"Dès que ces trois là seront capables de marcher... payez-les et renvoyez-les. Nous serons tous mieux sans certains éléments parmi nous. On respirera de l'air beaucoup plus propre."

"Oui, je vais faire comme vous dites Calogero. Quoi qu'il en soit, merci. Vous êtes un homme bon, vous. Bon et intelligent."

"Je suis juste un travailleur, Vito Catalanu. Mais je sais comment ça se passe. Si ces deux garçons aimaient le faire entre eux, c'était quelque chose qui ne regardait personne. Et nul n'a le droit de forcer un autre. Je me souviens quand vous aviez essayé avec moi, quand on était jeunes comme ces deux garçons... mais vous ne m'avez pas forcé, non ? Et à mon refus, vous m'avez traité comme avant, ni plus ni moins. C'est pourquoi j'ai toujours aimé travailler pour vous qui êtes un homme juste, honnête et bon. Et ces deux garçons là, j'espère que la vie leur sourit comme elle vous sourit maintenant à vous... et à Cicciu Le Beau, votre compère."


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