Taormina était un petit village, très pauvre, au sommet d'une falaise presque à pic au-dessus de la mer. Le chariot de Doucemain et Yeuxdor s'arrêta sur une petite place de terre battue, sous le couvent abandonné de San Domenico.
Ils virent un mur interrompu par une porte, à gauche il y avait un grand panneau avec des grosses lettres, sur lequel était écrit "Studio W.V. Gloeden, entrée libre", mais aucun des garçons ne savait lire, et à droite un autre avec quelques exemples de photographies, pour la plupart des portraits et des paysages, mais pas de nudité. Derrière, dans un bouquet d'arbres, des maisons escaladaient le rocher et, encore plus derrière, on voyait la pointe de la montagne sur un fond d'un bleu pur.
"C'est ici." annonça Doucemain, tandis que son petit ami sautait à terre.
"Alors, vous venez ? Vous n'avez pas changé d'avis, non ?" demanda Yeuxdor.
Coquelet et Chaton aussi sautèrent à terre. "Non, nous n'avons pas changé d'avis. Quoi qu'il en soit, nous verrons, on peut toujours dire non, si nous n'aimons pas." dit Chaton.
Alors que Doucemain mettait le frein au chariot, Yeuxdor apparut à la porte et cria : "Maureeee ! Baroooon ! Il y a quelqu'un à la maison ?"
Après un certain temps, vint un garçon, pieds nus, avec un beau visage avec des yeux noirs, des cheveux noirs et lisses, et avec des caractéristiques qui révélaient du sang arabe dans ses veines, qui, apparemment, lui avait valu son surnom, et il portait une blouse et une culotte de toile écrue. Il jeta un regard aux deux "étrangers", puis reconnut les deux garçons de Taormina et les accueillit avec un sourire.
"Yeuxdor ! Guglielmo se fera un plaisir de te voir. Et toi aussi, Doucemain, même si tu es en train de devenir un peu trop vieux pour ses photographies. Mais qui sont ces deux beaux visages que vous avez ramenés avec vous ? Sont-ils des amis à vous ? D'où viennent-ils ?"
Yeuxdor fit les présentations, et expliqua : "Ils viennent de Girgenti et sont à la recherche d'un travail. Étant donné qu'ils me semblent deux jeunes hommes aussi beaux comme il y en a très peu, nous leur avons dit que peut-être le baron pourrait être intéressé pour les faire poser pour ses photographies."
Le Maure les étudia : "Oui, Guglielmo devrait bien les aimer tous les deux... Mais vous leur avez bien expliqué de quel genre de photographies il s'agit ? Vous leur avez dit qu'ils auront à se déshabiller ?"
"Oui, bien sûr, et ils ont dit que c'est peut-être bien tout de même. Au moins, ils veulent essayer. Sauf que, tu vois, Maure, ils sont un couple et qu'ils veulent faire ces choses juste entre eux et pas avec d'autres, malheureusement."
"Malheureusement, hein ? Car toi et Doucemain, peut-être, vous auriez bien aimé le faire avec eux !" les taquina le Maure.
"Et pas toi, Maure ?" lui demanda Yeuxdor alors qu'ils entraient dans le jardin de la maison-atelier du baron, mettant un bras autour de ses épaules dans une attitude amicale.
"Eh bien, vous les gars savez bien que, tout comme vous, je ne suis pas comme presque tous les autres, qui tant qu'ils sont garçons aiment le faire sans problèmes, mais qui quand ils grandissent et se marient, donnent un coup d'arrêt net à tout ça et ne veulent plus rien en savoir."
Le Maure les conduisit tous les quatre par un escalier à une chambre élégamment meublée où il les fit asseoir. "Je vais appeler Guglielmo. Il est en train d'impressionner des images qu'il doit envoyer en Allemagne, car il a reçu une très bonne commande. Attendez-moi ici." a-t-il dit, et il disparut par une porte.
"C'est un beau gars, le Maure... et vous disiez qu'il est le garçon, le petit ami du baron ?" demanda Chaton.
"Eh bien, je pense que oui." dit Doucemain.
"Et pourtant, le baron fait ces choses avec des autres ?"
"Cela est connu, bien sûr." dit Yeuxdor en riant.
"Mais si ils sont ensemble..." opposa Coquelet.
"Même Doucemain et moi sommes ensemble, mais parfois... si ça arrive..." le garçon admit avec un sourire malicieux. Puis il demanda: "Vous deux, jamais ? Vous faites ces choses seulement entre vous ?"
"À partir du moment où on a décidé de nous mettre ensemble, oui, juste entre nous. Nous l'avons promis l'un à l'autre, pas vrai Chaton ?"
"Oui, parce que Coquelet et moi sommes amoureux, ce n'est pas que nous le faisons que pour le plaisir, comme on faisait avant."
"Tu vois !" Doucemain s'exclama : "Qu'est-ce que je t'ai toujours dit Yeuxdor ? Tu vois qu'on peut tomber amoureux, même entre hommes ?"
À ce moment-là, entra un homme mince avec une belle moustache, la barbe soignée, les cheveux épais, bien habillé et avec un visage souriant agréablement, suivi par le Maure.
Avec un léger accent allemand, mais en bon dialecte sicilien, il salua. "Yeuxdor, je suis vraiment content de te revoir. J'ai à l'esprit d'autres poses où j'aurais besoin de toi ; on doit se mettre d'accord..." ensuite il regarda les deux nouveaux gars. "Ravi de vous rencontrer, je m'appelle Guglielmo von Gloeden. Et vous ? Maure m'a dit que vous venez de Girgenti ?"
"Bonjour, Monsieur le Baron. Oui, nous sommes de Girgenti. Nardu Piazza est mon nom, mais on m'appelle Coquelet, et mon copain est Luigi Fiordilino mais tous l'appellent Chaton, moi aussi bien."
"Eh bien, Coquelet et Chaton... deux beaux surnoms... bienvenus dans ma maison. D'après ce que je vois vous êtes deux garçons très beaux, et si vous êtes prêt à poser pour moi, j'aimerais faire quelques photos de vous."
"Excusez-moi, monsieur le baron, mais vous croyez que nous pouvons gagner notre vie, travaillant pour vous ? Nous deux on se contente de peu..." dit Chaton, "mais nous devons trouver de quoi vivre."
"D'une quelconque façon, je vais essayer de vous aider pour que vous ayez ce qu'il vous faut. Certainement, plus je peux faire de photos de vous et les vendre, plus je serai en mesure de vous donner un coup de main. Mais aussi longtemps que vous travaillez pour moi, vous ne manquerez jamais du nécessaire. Pourriez-vous me dire pourquoi vous avez quitté Girgenti et comment vous êtes arrivés ici ?"
Chaton et Coquelet racontèrent toute leur histoire à l'homme, y compris pourquoi ils avaient été contraints de fuir. Le baron écoutait attentivement en hochant souvent la tête.
Enfin, il dit : "Vous avez été malchanceux, mes garçons... Bref... ne t'inquiète pas, Chaton, ici tu n'auras jamais besoin d'utiliser le couteau. Mais maintenant, pour voir si on peut en conclure, avant je vais vous montrer quel genre de photos je fais habituellement, puis nous allons en reparler. Maure, s'il te plaît, va me prendre le catalogue dans l'autre pièce."
"Celui pour les clients étrangers ?" demanda le garçon.
"Oui, bien sûr, celui-là."
Le Maure revint avec un massif album dans ses mains et le plaça sur une table. Alors que le baron montrait les photos pour les deux garçons, il les commentait, expliquant que, ou il été inspiré par les légendes de la mythologie grecque, ou des scènes de la Rome et de la Grèce ancienne, ou même des scènes dans la nature, d'inspiration pastorale. Les deux garçons admiraient les belles photos enchantées : ils n'avaient jamais vu, et encore moins pensé, que l'on pouvait faire des photos comme ça.
Lorsque le baron ferma l'album, il demanda : "Alors, qu'en dites-vous, les gars ?"
"Elles sont très belles..." dit Coquelet, "elles me rappellent certaines légendes que Chapeaumoche me racontait souvent, c'est l'homme qui m'a servi de père. Celles des temps des dieux et des héros. Il en connaissait bien beaucoup et j'aimais beaucoup, quand il me les racontait... Si vous pensez que mon Chaton et moi nous sommes ce qu'il vous faut... Je pense que j'aimerais poser comme ça, pour vous."
"Oui, je voudrais moi aussi, si comme vous le dites, tout ce qu'on nous demande, c'est de se déshabiller et de poser pour vous, Baron... et rien d'autre." souligna Chaton.
"Oui, je vous l'ai dit, les gars. Je respecte votre relation et votre amour, n'en doutez pas."
"Alors... nous prenez-vous pour ce travail ?" demanda Coquelet avec un regard plein d'espérance.
"D'abord, je voudrais vous voir sans vêtements..." dit le baron.
"Maintenant ? Ici ? Nus ?" demanda Chaton.
"Oui, bien sûr." répondit l'homme.
Les deux garçons se regardèrent l'un l'autre, Chaton haussa les épaules, puis ils se déshabillèrent, écartant le léger sentiment de honte.
Le baron se leva et marcha lentement autour des deux garçons, en étudiant leur corps avec un œil professionnel, tandis que les trois autres garçons les regardaient avec un plaisir non dissimulé, puis il retourna à sa place.
"Oui, vous êtes absolument parfaits, en tant que sujets. Je crois que je pourrai faire de belles photos avec vous, et qu'elles auront un bon succès. Qu'en penses-tu, Maure ?"
"Que toi, Guglielmo, tu sais faire sembler beau même ce qui n'est pas beau, et que donc avec ces deux garçons tu feras des très belles photos. T'as déjà quelque chose dans ton esprit ?"
"Oui, une série de photos dans le cloître de San Domenico, pour commencer." dit l'homme, puis il se tourna vers les deux garçons, et dit : "Puisque vous n'êtes pas d'ici, vous n'avez pas un endroit pour dormir, pour l'instant, je suppose..."
"Oh, c'est ainsi..." confirma Chaton : "Mais aussi longtemps que le temps est bon, nous pouvons même dormir sous le ciel..."
"Non, non. Le Maure vous trouvera un endroit, du moins pour l'instant, ici chez moi. Ensuite, peut-être avec l'aide des amis que nous avons à Taormina, on ira vous trouver quelque chose de mieux, de définitif, si vous envisagez de rester vivre ici."
"Et peut-être que... vous pourriez nous aider à trouver aussi un autre travail, en plus de poser pour vous ?" aventura Chaton.
"Oui, j'y pensais juste. Ah, désolé, vous pouvez vous rhabiller maintenant," il ajouta avec un sourire, "même si c'est bien agréable de pouvoir vous regarder ainsi..."
"Oh, Guglielmo, tu pourras les regarder à loisir et à ton plaisir quand tu les prendras en photos." dit le Maure avec un sourire narquois. "À quel travail tu pensais pour eux ?" il lui demanda alors.
"Souvent, des touristes viennent, maintenant que s'est répandue la parole de combien est belle et accueillante Taormina... et ses garçons." dit l'homme. "Mais ici, à Taormina, il n'y a pas d'endroit où ils peuvent manger, se reposer. Étant donné que nos deux nouveaux amis ont également travaillé dans la friterie qui a pris feu, et s'ils apprennent à préparer quelques autres plats, peut-être qu'ils pourraient ouvrir une auberge, avec notre aide, et peut-être même avec quelques chambres à louer pour la nuit, si on trouve le bon endroit. Qu'en diriez-vous ? Vous vous sentiriez à même pour faire un travail comme ça ?"
"Oui, cela pourrait être une bonne idée." dit Doucemain. "La chose importante est de trouver le bon endroit. Peut-être près de l'église, sur la grande route... Si je ne me trompe pas la maison des Cangemi est vide depuis une paire d'années. Vous pourriez leur demander combien ils veulent pour l'utiliser. Toi, Yeuxdor, tu les connais bien, les Cangemi, non ?"
"Oui, je peux essayer de leur parler, mais si le baron y ajoute un bon mot aussi, ce serait peut-être plus facile. Vous comprenez que je ne sais pas si ils ont assez confiance pour la donner à deux étrangers juste parce que je leur demande."
"Nous avons mis de côté un peu d'argent ..." dit Coquelet, en fouillant dans le gros sac dans lequel ils avaient quelques vêtement de rechange, en sortit une liasse de papier de journal, l'ouvrit et le montra au baron.
Il compta les billets et les rendit au garçon : "Oui, avec cet argent et un peu d'aide... Et bien, dans les jours à venir, nous verrons ce que nous pouvons faire. Sans hâte, car les gens ici, plus on les presse, moins ils sont disponibles et plus ils deviennent difficiles. Eh bien, maintenant je dois retourner à mon laboratoire pour imprimer des photos. Toi, Maure, vois à trouver un endroit où ils peuvent dormir, ces deux mecs. Et toi Yeuxdor, vois de revenir demain, car nous devons combiner pour des nouvelles poses. À bientôt, les gars."
Donc Chaton et Coquelet commencèrent à travailler pour le baron. Ils réussirent à oublier assez rapidement leur embarras pour les longues séances dans lesquelles ils devaient poser nus ou presque nus, parfois en présence ou avec d'autres garçons, et bientôt non seulement ils en prirent l'habitude, mais ils commencèrent aussi à se faire des amis avec les jeunes locaux, surtout avec Doucemain et Yeuxdor.
Parfois, ils allaient prendre des photos près de la mer, parfois sur les montagnes, tantôt dans les ruines du théâtre grec ou dans le cloître de l'ancien couvent de San Domenico, ou même dans les différentes parties du vaste jardin et de la belle maison-studio du Baron.
Pendant ce temps, Yeuxdor et le baron traitaient avec les Cangemi, et enfin, au bout de quelques mois, les deux garçons purent louer la maison. Au rez-de-chaussée il y avait une cuisine et deux chambres communicantes dans lesquelles ils placèrent des tables et des chaises pour en faire un restaurant. À l'étage il y avait cinq petites pièces, vraiment pas très grandes. Ils s'installèrent dans une d'elles, et aménagèrent les quatre autres pour héberger tout client de passage.
Quand des touristes étrangers arrivaient, en particulier pour acheter les photographies du baron, celui-ci les invitait à s'arrêter pour manger, et éventuellement aussi pour dormir, chez Coquelet et Chaton, qui avaient appelé la petite auberge "Chez Gigi et Nardu." Parfois, l'un des invités amenait sans aucun problème un des garçons du village dans la chambre qu'il louait. Les gens du pays étaient bien au courant des "goûts" du baron et les acceptaient sans réserve, et ils savaient aussi bien que, parfois, leurs enfants (qui officiellement étaient des "guides touristiques") concédaient, en échange d'un don, leurs grâces à quelques-uns des riches touristes qui s'arrêtaient pour quelques jours dans le pays.
Coquelet et Chaton, entre l'argent qu'ils gagnaient en posant pour le baron et celui qu'ils obtenaient de la petite auberge, pouvaient avoir une vie presque aisée, bien plus que ce qu'ils auraient pu espérer. Ils étaient heureux de leur arrangement.
Un soir Souriceau, un garçon de dix-sept ans nommé Alfio Zambuto, après être sorti de la chambre de l'un des riches clients, s'arrêta pour bavarder avec Chaton et Coquelet, comme le faisaient souvent les garçons du village.
"Puis-je vous poser une question ?" demanda le garçon à un moment donné.
"Bien sûr, Souriceau." dit Chaton.
"Fleurette m'a dit que pour vous deux... ça ne vous intéresse pas du tout les filles, et que vous êtes ensemble et vous ne voulez pas vous marier..." a-t-il commencé, un peu hésitant.
"Pourquoi tu nous demandes ça ?"
"C'est que... aussi pour Fleurette et moi... nous ne nous soucions même pas du tout de faire ces choses avec les filles, et nous aimerons bien... nous mettre ensemble comme Fleurette dit pour vous deux. Cependant, je ne sais pas si entre deux hommes on peut être bien..."
"Nous deux, on est très bien ensemble. En fait, nous ne pourrions même pas être l'un sans l'autre, désormais. Parce que, vois-tu, nous n'aimons pas seulement faire ces choses entre nous, mais surtout, tous les deux nous sommes amoureux. Tu comprends ? Toi et Fleurette, vous aimez juste faire ces choses entre vous, ou bien..."
"Nous aimons tous les deux aussi faire avec quelqu'un d'autre, pour le moment, comme ça vient. Pourtant nous nous aimons beaucoup, et nous pensons que nous tenons à rester ensemble comme vous deux, ou le Maure avec le baron, ou même comme Yeuxdor avec Doucemain..."
"Et vous n'en avez pas parlé avec le Maure ou avec d'autres ?"
"Oui, bien sûr. Mais je tiens à entendre aussi bien ce que vous en pensez."
"Tu vois, Souriceau, pour autant que nous sachions, nous deux nous sommes un peu différents de ceux que tu m'as dit, parce que nous deux nous ne voulons plus jamais le faire avec quelqu'un d'autre. Parce que en plus d'être très bien ensemble, et en dehors de s'aimer comme des amis, il y a l'amour, on ne peut plus faire des choses avec des autres."
"Un peu comme mari et femme, comme deux mariés à l'église ?" demanda le garçon.
"Oui, c'est ça. Mais ce n'est pas parce que c'est interdit. Tout simplement parce que nous n'en avons même pas vraiment le désir, tellement on est amoureux."
"Voici, Fleurette et moi, nous ne savons pas si nous sommes amoureux ou non. Bien que nous sommes vraiment amis, que dis-je, même encore beaucoup plus que des amis."
"En avez-vous parlé entre vous ?"
"Oui, parfois. Mais on n'arrive toujours pas à comprendre si..."
"Fleurette est âgé de seize ans, n'est-ce pas ?"
"Oui, il les a depuis cinq mois et demi."
"Et toi ? Seize aussi ?"
"Non, dix-sept et neuf mois."
"Vous avez tout le temps, donc, pour comprendre. Vous n'êtes pas pressés, non ? Le seul problème pourrait être ce que diraient vos familles... Tu vois, Chaton ne pourrait jamais vivre avec moi, sans se marier, si nous n'avions pas quitté Girgenti. Son père ne le lui aurait jamais permis. Doucemain, il peut être avec Yeuxdor, d'après ce qu'il m'a dit, juste parce qu'il est le septième fils et son père ne semble pas se soucier s'il n'est pas marié, et Yeuxdor n'a plus de parents et que Doucemain est son cousin au second degré... Alors ils ont de la chance, les deux. Or le baron, qui peut rester avec le Maure, parce lui aussi est loin de son pays, loin de son peuple..."
"Les autres, tôt ou tard, se marient tous. Avant de se marier, personne ne remarque si un garçon fait ces choses avec un autre garçon ou avec un homme. Mais plus tard, pour ce que j'en sais, ils doivent arrêter. Pourquoi ceux comme nous, une fois que nous avons grandi, nous devons au contraire le faire secrètement ou nous nous en aller, comme vous avez du faire vous deux ? Je n'aime pas. Le fait est qu'on ne peut pas faire en sorte qu'on aime les femmes, si vraiment on ne les aime pas, ce n'est ça ?" dit Souriceau tristement.
"Pour l'instant vous n'avez pas encore ce problème... Et puis, quand viendra le temps où vos familles voudront vous faire vous marier, si vous voulez être ensemble, vous déciderez comment faire. Et si c'est le cas, vous irez loin d'ici, où personne ne sait pour vous, et vous pourrez passez pour deux cousins comme nous le faisons..."
"Oui, mais en secret, et dans le mensonge. Comme si nous étions des hors la loi. Même si le baron dit que ici il n'y a pas de loi qui dise rien contre deux garçons qui aiment faire ces choses ensemble. Ils veulent que nous on se sente sale, malhonnête, on jette sur nous une faute que nous n'avons pas, parce que ce n'est pas quelque chose que nous pouvons choisir. Aussi les autres garçons, c'est pas qu'ils choisissent : quand ils sont encore garçons, ils le font entre eux parce qu'ils se soulagent et il s'amusent, mais à la fin ils espèrent trouver une fille tôt ou tard."
"Peut-être, en grandissant, vous aussi développerez un intérêt pour les filles, non ?"
"Non. On s'aperçoit bien de ces choses, quand on commence à grandir... là aussi. Et Fleurette et moi, les filles ne nous intéressent pas même pas un petit peu. Tu n'as jamais essayé avec une fille ?"
"Non, jamais."
"Moi... oui, une fois... et ma bite ne s'est même pas soulevée. Au lieu avec un gars elle se réveille juste si je le touche ou s'il me touche, et avec Fleurette ça suffit même juste que je pense à lui !"
"Une fois, il y a longtemps, à l'époque où ils ont construit le théâtre grec, et quand il y avait plusieurs dieux et héros comme les légendes racontent, ceux qui étaient comme nous nous pouvaient faire ces choses tranquillement, sans problèmes. Oh, qu'ils étaient des beaux temps, ceux-là, au moins pour ce problème. Tu sais, l'homme qui m'a servi de père m'a dit que ça arrivait assez souvent. Et pas seulement pour les dieux de l'Olympe avec des garçon, comme Jupiter qui a enlevé Ganymède, ou comme Apollon qui aimait Hyacinthe; mais aussi des homme matures, comme Castor et Pollux, Achille et Patrocle, Alexandre et Hephaestion... et bien d'autres."
"Ils ne reviendront jamais des temps si beaux, où tout le monde peut vivre tel qu'il est et non pas comme les autres le veulent ? Où l'on n'a pas besoin d'aller bien loin comme vous deux vous avez dû faire, où il n'y a pas besoin de le faire secrètement ? Maintenant on doit se marier, mais ensuite, peut-être, on va mettre des cornes à sa femme avec un autre, ce qui n'est pas bon ni pour les pauvres femmes, ni pour les pauvres maris ?"
"Et qui sait, mon Souriceau ? Qui connait l'avenir ? Nous pouvons seulement essayer de vivre le présent le mieux que nous pouvons..."
"Mais toi et Chaton... vous êtes vraiment heureux d'être ensemble ?"
"Oui, n'est-ce pas Chaton ? Nous sommes heureux et nous avons de la chance que, malgré toutes les difficultés et les problèmes que la vie nous a donnés, nous pouvons être ensemble. Et même si c'est très beau de faire l'amour entre nous, la chose la plus belle est d'être ensemble, même juste comme en ce moment, et savoir qu'il est là pour moi, toujours, comme moi je suis là pour lui, toujours. Et, si nous sommes chanceux, pas seulement toujours, mais aussi pour toujours."
"J'aime beaucoup Fleurette... et je sais que sans lui la vie serait très mauvaise. Et il m'a dit que pour lui aussi il en est le même. Écoutez, si on veut parler de ces choses, Fleurette et moi, nous pouvons venir en parler avec vous ?"
"Bien sûr, Souriceau, chaque fois que vous voulez ou en avez besoin."
"Je vous remercie. C'est bon d'avoir au moins une personne avec qui on peut parler de ces choses !" dit le garçon, qui les salua, et s'en alla en courant.
L'auberge fermée et le nettoyage effectué, les deux amants allèrent dans leur chambre et se déshabillèrent.
"Fatigué ?" demanda Coquelet pendant qu'ils glissaient dans leur lit, le prenant dans ses bras.
"Jamais assez pour te dire que je n'ai pas envie de le faire..." dit l'autre, l'embrassant et le serrant à lui.
"Cela me fait du bien, de la tendresse, ce Souriceau..."
"Ouais, à moi aussi. J'espère qu'ils auront au moins notre bonne fortune."
"Nous avons eu de la chance, toi et moi. Tout d'abord de nous rencontrer. Mais après, aussi parce que nous avons rencontré des gens bons, aimables, qui nous ont aidés."
"Parfois... je me demande..."
"Quoi, mon amour ?" demanda Coquelet.
"Tu vois, il nous semblait être bien au moulin... mais nous avons dû fuir. Et puis, il semblait bien encore, à Riposto, et au contraire l'incendie nous a forcés à partir. Allons-nous, au moins ici, à ne pas avoir de problèmes ?"
"Comme je l'ai dit à Souriceau, qui connaît l'avenir ? Nous pouvons seulement essayer de vivre le présent le mieux que nous pouvons... Si tout va bien, nous allons rester ici, et vieillir ici, et mourir ici. Sinon... on verra. Et comme je te l'ai dit plus d'une fois, tant que je t'ai, je n'ai pas peur du tout."
"Oui, c'est ainsi pour moi aussi." dit Chaton en recouvrant avec son corps le corps de son amant et en l'embrassant profondément dans sa bouche. "Mais maintenant, je te veux vraiment..."
"Prends-moi, mon amour..."
"Je te veux vraiment, je voulais dire, t'avoir en moi." ricana l'autre.
"Oh... et moi qui espérais..." plaisanta Coquelet, comme il le faisait souvent, "Quelle déception !"
"Si tu te comportes bien, plus tard, je vais te donner ce que tu veux, je te le promets. Je vais te la donner toute."
Ils se tournèrent sur le lit, Coquelet prépara longuement son amant et finalement le fit sien. Chaton l'accueillit en lui avec un sourire béat, plein de gratitude, en lui caressant la poitrine, excitant ses tétons avec art, lui caressant le ventre tendu, les cuisses frémissantes à chaque poussée.
"J'adore tellement, quand tu me prends..." murmura-t-il.
"Plus que de me prendre ?"
"Non, mon amour, autant. C'est différent, mais je ne peux pas te dire ce que j'aime le plus. Comme pour toi, n'est-ce pas ? Allez, allez mon amour... Tu es tout à moi... et je suis tout à toi !"
Coquelet se pencha sur lui, et continuant à bouger en lui, l'embrassa passionnément. Chaton gémit dans les affres d'un fort, croissant plaisir. Leurs yeux brillaient comme des étoiles dans le ciel, à la douce lumière de la bougie allumée, tremblante, sur la table de nuit dont la douce lumière caressait leurs jeunes corps frais, liés dans la danse douce du don réciproque d'amour pour l'autre.
Sur la petite table de nuit, avec la bougie, dans un petit cadre à deux sous, il y avait aussi une des premières photos que le baron avait prises dans le cloître du couvent abandonné, et dont ils avaient demandé une copie, que l'homme avait volontiers imprimée, et donnée aux deux garçons.
Ils ne savaient pas, les deux garçons unis dans l'amour, que des nombreux yeux admireraient, pendant des dizaines d'années, leurs attrayants corps, se demandant qui pouvaient être ces deux garçons siciliens, suspendus entre le ciel de l'amour et la mer de la passion, sans fausse modestie, et qui offraient à la postérité leur nudité belle, dernier écho des temps des dieux.