Le père d'Austin avait perdu patience. Il continuait à recevoir des rapports de l'université, de plus en plus décevants. Son fils n'assistait plus qu'aux cours d'histoire de la littérature et séchait tout le reste. Il rendait de plus en plus rarement les devoirs demandés et ils étaient presque toujours écrit, bien que dans un bon style, de façon polémique, ou complètement hors sujet, ou avec "délires" sur la liberté de conscience, sur l'hypocrisie de la société ou le mensonges de la religion. La seule bonne nouvelle reçue était qu'Austin ne buvait plus et s'habillait convenablement.
L'avocat se demanda, puisqu'il semblait que son fils, au moins pour la tenue de sa personne, s'était repris en mains, où donc pouvait-il passer tout le temps volé à ses études. Il chargea un détective privé d'enquêter discrètement sur la vie d'Austin.
Il sut ainsi qu'il voyait assez souvent le fils d'un immigrant italien, un certain Corrado Renzulli, et que souvent il allait déjeuner ou dîner dans son auberge proche, et que souvent il emmenait l'italien dans son appartement, où il restaient ensemble de longs moments, parfois même quelques heures.
Graham Dewey Stephenson, pour la seconde fois, se rendit un matin à Cambridge pour affronter son fils. Il le trouva chez lui. Austin vint lui ouvrir, cette fois-ci sa présentation était parfaite.
"Oh, et à quoi dois-je cette visite inattendue ?" demanda-t-il en soulevant un sourcil.
"Tu es seul chez toi ?" demanda son père en entrant dans l'appartement.
"Oui, à part vous." répondit le jeune homme, un peu ironique.
Son père s'assit à la cuisine. "Austin, les nouvelle que j'ai de toi ne me plaisent en rien." commença-t-il.
Austin s'assit face à lui, comme la fois d'avant, sur l'autre côté de la petite table. "Vous n'avez qu'à ne pas les lire..." dit-il sur le ton de l'évidence.
"J'ai beaucoup dépensé pour te permettre d'étudier dans une des plus prestigieuses institutions du royaume. J'ai aussi accepté que tu étudies la littérature et non le droit, comme je l'aurais préféré. Qu'attends-tu d'autre de moi ?"
"Moi de vous ? Rien. Vous avez fait ce que vous vouliez."
"Mais ce n'est pas le seul problème. Je croyais que, après tout ce que m'a coûté de te faire soigner, tu étais guéris de ta... perversion. Et maintenant j'en viens à savoir que tu emmènes chez toi un garçon, un immigré, pour... pour tes immondes jeux de dégénéré !"
"Ce n'est qu'un ami, Corrado. Et il n'est venu que dans ma maison, pas dans mon lit !" répondit avec force le jeune homme.
"Comment crois-tu que je puisse te croire ?"
"Et bien ne me croyez pas ! D'ailleurs, même si je l'emmenais dans mon lit, cela ne vous regarderait pas. Et cette fois-ci je ne vous permettrai plus d'essayer de diriger ma vie comme vous l'avez déjà fait une fois. Il ne manque plus que quelques jours avant ma majorité, vous n'aurez donc plus aucun pouvoir sur moi, j'en remercie le ciel !"
"Ah oui ? Et bien vis ta vie de dégénéré, si ça t'amuse. Mais dès le mois prochain tu ne recevras plus un penny de ma part."
"Oh, merci ! En voici une bonne nouvelle. Et tant que vous y êtes, économisez aussi l'argent que vous coûte de m'écrire ou de venir déranger ma tranquillité. N'oubliez pas que je vous tiens pour responsable de la mort mon amant bien-aimé. Vous et votre moralisme hypocrite. Vous et la société dont vous êtes le parangon..."
"Mais pour qui te prends-tu, pour te permettre de juger ton père ?" cria-t-il presque pour l'interrompre.
"Bien malheureusement pour le fils d'un homme qui raisonne avec le code civil au lieu de son esprit et qui a un portefeuille à la place du cœur !"
"Comment oses-tu !" dit-il en se relevant alors que ses yeux lançaient des flammes à son fils.
"Oh, vous partez déjà ? Vous interrompez le dérangement ?" lui demanda Austin, tranquille, en restant assis.
"Tu n'es pas mon fils !" hurla l'avocat.
"J'ignorais que ma mère vous ait trompé avec un autre homme..." répondit Austin, angélique.
"Ne manque pas de respect ta mère !"
"C'est vous qui lui manquez de respect, pas moi. C'est vous qui m'avez offensé, moi et mes sentiments. C'est vous qui avez mené Quentin à la mort et qui m'y meniez moi aussi, si je n'avais pas trouvé qui m'a aidé à sortir du puits où vous me précipitiez ! Et maintenant, je vous prie, sortez de chez moi !"
"C'est moi qui paie le loyer de cette maison !"
"Pour votre malchance, le bail est à mon nom et c'est moi qui chaque mois verse au propriétaire le loyer que vous m'envoyez. Enfin, si vous voulez me faire sortir de cet appartement pour en jouir vous... il vous reste quelques jours pour saisir le tribunal et faire valoir votre droit parental. Après quoi j'aurai vingt et un ans et je serais libéré de votre joug. Sortez d'ici, s'il vous plait !"
L'avocat, furieux, quitta l'appartement sans rien ajouter. Austin lâcha un long soupir.
Peu après, il entendit frapper à la porte. Il se demanda ce que son père espérait encore de lui et il alla ouvrir l'air sec. Mais son visage s'ouvrit vite en un grand sourire : "Corrado ! Entre, viens..."
"Je suis venu il y a un moment, mais j'ai entendu que tu te disputais avec quelqu'un, alors je suis reparti. Puis j'ai vu descendre cet homme et je suis revenu. C'était qui ? Il voulait quoi ?"
"C'était mon père. Il m'a déshérité."
"Déshérité ? mais pourquoi ?"
"Pour deux sérieux motifs : d'abord je ne suis plus mes études comme il le veut et comme je devrais le faire pour ne pas gâcher son argent. Et l'autre raison... parce qu'il est persuadé que je t'emmène dans mon lit et qu'on y fait l'amour."
"Hein ? Mais comment ? Qu'en sait-il ?"
"À l'évidence il m'a fait surveiller par un de ses détectives, lequel, te voyant monter chez moi, y rester longtemps, et connaissant ma relation avec Quentin, a ajouté deux à deux et..."
"Et il a trouvé que ça faisait cinq !" conclut le garçon en riant. "Mais tu ne lui as pas dit que... qu'entre toi et moi il n'y a que de l'amitié, et rien d'autre ?"
"Si, et je n'aurais pas dû."
"Pourquoi dis-tu ça ?"
"Parce que... tout comptes faits... ne pourrions-nous pas donner raison à mon père, toi et moi ?"
"Tu veux dire... que tu aimerais baiser avec moi ? Tu ne blagues pas ?"
"Non, pas baiser avec toi... je voudrais faire l'amour avec toi. Je voudrais que notre amitié puisse dépasser cette invisible frontière qui nous sépare encore. J'ignore si je saurais jamais t'aimer comme j'aimais Quentin ou non, j'ignore si tu pourrais jamais m'aimer autant que Quentin m'aimait ou non... Mais on pourrait essayer de construire quelque chose ensemble, si tu le veux aussi."
"Je l'ai désiré bien avant que tu ne m'avoues que, comme moi, tu aimes les hommes..."
"Mais pourquoi, quand tu l'as su, ne m'as-tu rien dit de ton désir pour moi ?"
"Parce qu'il me semblait que dans ton cœur il n'y avait de la place que pour ton Quentin et pour personne d'autre. Par respect pour ta douleur, pour ton amour pour Quentin. Et parce que moi aussi... je n'avais pas envie de baiser avec toi, mais... de faire l'amour."
"Sauf que maintenant... puisque mon père m'a coupé les vivres, je ne pourrai pas garder cet appartement et je devrai me chercher un travail, et je ne sais pas si je pourrai en trouver un. Je ne voudrais pas commencer quelque chose avec toi en risquant de devoir abandonner dès le commencement."
"Tu es décidé à quitter l'université ?"
"Oui, bien sûr, après tout j'avais déjà perdu presque tout intérêt pour les études, et sans le soutient financier de mon père..."
"Tu ne crois pas que tu pourrais faire la paix avec lui ?"
"Je ne veux pas ! Faire la paix avec lui ne serait possible qu'en le laissant diriger ma vie comme il l'a fait jusque là. Non, assez, plus jamais ça !"
"Et si tu avais un travail qui te permette de continuer à payer le loyer... tu resterais ici ?"
"Bien sûr."
"Et tu essaierais... de te mettre avec moi ?"
"Avec grand plaisir."
"Mon père... disait justement avant-hier à ma mère qu'on devrait peut-être trouver un serveur ou une serveuse... Ce n'est pas un grand poste, mais je crois que si je lui propose de te prendre à l'essai... tu pourrais rester là et on pourrait... essayer, toi et moi."
"Ce serait idéal. Oui, parle à ton père. Il me connaît, il saura évaluer si je peux faire un travail de serveur, et je le ferais volontiers. Tu devras m'apprendre les trucs du métier, mais je crois pouvoir y arriver..." dit Austin avec un regard heureux. Puis il ajouta : "Tu ne voudrais pas maintenant... venir là avec moi ?"
Corrado rougit un peu et lui dit : "Pas encore, Austin. Tout d'abord parce que je dois rentrer bientôt, on n'aurait pas assez de temps. Et puis, je crois que c'est mieux si tu commences d'abord ta nouvelle vie... Et enfin... même si on s'est tout les deux dit notre désir... je préférerais qu'on puisse passer ce pas... sans hâte. On a attendu déjà si longtemps que quelques jours ne seront pas un obstacle, tu ne crois pas ?"
"Si, tu as parfaitement raison. Tu es plus sage que moi. Quand penses-tu parler à ton père et pouvoir me donner une réponse pour ce travail ?"
"Je vais lui en parler tout de suite, dès que je descends. Et si tu viens déjeuner chez nous, je te donnerai la réponse."
"Alors vas-y, on se voit plus tard !" lui dit Austin joyeusement.
Il se dit que si son père n'avait pas fait cette stupide accusation gratuite qu'il couche avec Corrado, peut-être ne le lui aurait-il jamais proposé... Ils s'étaient bien dit l'un à l'autre qu'ils étaient homosexuels, mais Corrado ne lui avait fait aucun avance, et il n'avait pas soupçonné qu'il puisse lui plaire en ce sens. Oui... Corrado lui avait dit ne pas avoir essayé avec lui parce qu'il le sentait encore trop amoureux de son Quentin... Il avait été très attentionné, de respecter de la sorte ses sentiments alors qu'il le désirait.
Il alla dans sa chambre et, face au portrait de son amour perdu, il dit : "S'il y a une vie après la mort... tu sais que je t'aime, et tu ne peux pas être fâché si j'essaie de me mettre avec Corrado... pas vrai ? Tu sais que tu restes à jamais dans mon cœur..."
Plus tard, il descendit déjeuner. À peine entra-t-il pour s'asseoir à une table libre, Corrado le regarda en souriant et lui fit un signe affirmatif... Puis, quand il vient le servir, il lui dit : "Reviens plus tard, mes parents veulent te parler."
"Ils ont dit oui ?" lui demanda Austin.
"Ils veulent te parler pour se mettre d'accord avec toi. Donc je suis pratiquement sûr que ce sera oui."
Austin mangea de bon appétit. Finalement la vie recommençait à lui sourire. Il portait maintenant sur Corrado un regard différent et il s'aperçut que le garçon était très sensuel, qu'il était à la fois gentil et viril... Il était très différent de Quentin, tant physiquement que de caractère.
Après avoir fini d manger, il paya puis il demanda au père de Corrado à quelle heure il devait revenir. L'homme lui dit qu'entre trois heures et quatre heures ce serait bien. Austin attendit qu'il soit trois heures et demie et il redescendit. Il frappa à la porte close de l'auberge. Corrado vint lui ouvrir.
"Viens, on est tous là."
La famille était au complet, Mario, le père, Lucia, la mère, la sœur aînée de vingt-deux ans, Anna, Corrado et son petit frère Francesco, de dix-sept ans.
"Alors, Monsieur Austin, vous avez décidé d'arrêter vos études." commença le père.
"Oui, monsieur Renzulli : cela ne m'intéresse pas beaucoup et mon père, si j'arrête mes études, ne m'entretient plus, je dois donc subvenir à mes besoins."
"Exact. Et vous accepteriez d'être serveur chez nous."
"Avec plaisir. Je n'ai jamais été serveur, mais je pense et j'espère apprendre vite."
"Vous êtes une personne raffinée, ce serait bon pour nous d'avoir un serveur de belle allure, comme vous. Quant à apprendre, ce n'est pas si difficile. Mais, être serveur ici ce n'est pas que servir à table, c'est aussi aider à nettoyer et à faire tout ce qui est nécessaire pour faire marcher la gargote..."
"Oui, je comprends. Aucun problème. Nettoyer, je l'ai toujours fait tout seul, là au-dessus, chez moi, pour épargner mon argent."
Ils discutèrent encore un peu, les horaires et la paie hebdomadaire, et ils finirent par conclure l'accord par une poignée de main.
Puis Austin dit : "Monsieur Renzulli, après tout je suis plus jeune que votre fille Anna et à peine plus vieux que Corrado. Pourquoi ne pas me dire tu et m'appeler pas par mon prénom ?"
"D'accord. D'ailleurs ça ferait bizarre aux clients si je donnais du vous à un de mes serveurs. Alors, tu prendras ton service demain matin, d'accord ?" répondit-il en souriant.
"Même ce soir, si vous voulez." proposa Austin.
"Non, demain, en commençant une journée complète c'est plus simple pour les comptes."
Corrado l'accompagna à la porte : "Content ?"
"Oh oui. Et je le serai plus encore quand... tu viendras chez moi."
"Ce soir, après la fermeture... mais juste un moment."
"Juste ?
"Cette fois-ci, oui. Rien ne presse, non ?"
"Mais quand même... maintenant qu'on s'est enfin tout dit..." répondit Austin avec un petit sourire provocateur.
"Oui, tu as raison...un peu quand même." confirma le beau napolitain les yeux brillants. "Mais il ne faudra pas attendre trop longtemps, je te le promets."
Ce soir là, tard, Corrado frappa chez Austin. Quand ce dernier lui ouvrit, avec un large sourire, et le fit entrer chez lui, le garçon retira sa main de son dos et lui offrit une fleur.
"Je n'ai pas trouvé la rose rouge que j'aurais voulue... ce n'est plus la saison des roses, malheureusement..." dit-il en la lui tendant.
Austin sentit la fleur puis y déposa un baiser léger.
"Eh, ça vaut pas... c'est à moi que tu devais donner le baiser, pas à la fleur !" lui dit Corrado en l'attirant contre lui.
Leurs lèvres se rencontrèrent, s'ouvrirent et leurs langues se mirent à jouer, légères et heureuses. Austin serra plus fort le garçon contre lui et le pressa contre son érection, et sentit avec plaisir celle de Corrado.
Le garçon, se détacha de lui et dit : "Mais maintenant il vaut mieux que je m'en aille... ou je risque de rester ici jusqu'au matin... et je ne peux pas. Mon père viendrait me chercher."