CONTES DE PROVINCE CHAPITRE 4
LOIN, TRÈS LOIN

Daniel, quand ils se virent en classe, réussit à avertir son Joël de ce qui était arrivé.

"Merde, je te l'avais dit que tu ne devais pas le faire... Et maintenant ?" il lui demanda avec inquiétude.

"De toute façon, je ne leur ai pas du tout parlé de toi et moi..."

"Ce n'est pas ça qui me préoccupe... C'est que maintenant il va devenir beaucoup plus difficile, pour toi et moi de nous voir, tu ne comprends pas ? Ils te tiendront à l'œil... Comment allons-nous faire ?"

"Je n'y avais pas pensé... tu as raison... Mais je pensais que les miens l'auraient pris d'une autre manière, surtout ma mère. Je ne sais pas, Joël... mais je ne veux pas te perdre. Maintenant encore plus qu'avant j'ai besoin de toi... ne m'abandonne pas, au moins toi."

"Oui, moi aussi j'ai besoin de toi, Danny, et je ne te quitterai jamais. Mais qu'est-ce qu'ils vont faire les tiens, maintenant ?"

"Ils ont dit qu'ils veulent parler au docteur Harnell, notre pasteur..."

"Zut, j'ai entendu dire que celui-là est l'un des chrétiens les plus fondamentalistes de la ville, si pas de tout le comté ! Notre pasteur dit que si cela dépendait du pasteur Harnell, il remettrait en vigueur les bûchers comme en 1600 !"

"Mais que veux-tu qu'il puisse me faire ? Maintenant, je suis majeur, non ?"

"Il peut rendre ta vie impossible, voici ce qu'il peut faire. Impossible à la fois à la maison et dans la congrégation."

"Et je pars, loin de la maison, loin de Benton... si tu... si tu..."

"Je... je te suivrai aux extrémités du monde, Daniel... Oui, si tu décides de t'en aller, je viens avec toi, n'importe où."

"Tu me le jures ?"

"Je te le jure, bien sûr !"

"Cela ne te fait pas... peur, d'avoir à tout quitter ?"

"Bien sûr que cela me fait un peu peur... Mais pas trop, pas assez. Je ne veux pas te perdre, Daniel. Merde, si tu m'avais écouté et tu n'avais rien dit aux tiens..."

"Maintenant c'est fait, malheureusement. Mais... et les tiens ? Comment tu fais à leur dire que tu veux t'en aller ? Et pourquoi ? Et avec moi ?"

"Si je décide de venir avec toi, loin d'ici... je ne vais pas le leur dire avant. Je vais laisser une lettre dans laquelle je leur dis que je suis gay et c'est pourquoi je dois m'en aller. Et sans besoin de leur dire que je viens avec toi. Le moins qu'ils savent, le mieux c'est."

"Tu le ferais vraiment ?"

"Tu ne dois pas en douter, même pas un instant."

Daniel lui fit un sourire reconnaissant : la disponibilité pleine et prête de son amant et aimé, lui donna un peu de courage et de force. Et il en avait vraiment un grand besoin.

Les parents accompagnèrent Daniel chez le pasteur, auquel ils avaient déjà expliqué le problème qui avait émergé avec leur fils.

Le docteur Harnell était un homme massif, avec un visage sévère. Quand il fut seul avec Daniel dans son bureau, il affronta immédiatement le problème, sans demi-termes.

"Alors, jeune Daniel Bowens, tes parents m'ont me dit que tu affirmes être homosexuel."

"Oui, révérend." il répondit, en le regardant droit dans les yeux.

"Cela signifie que tu as eu des rapports sexuels contre nature ?"

"Non, je n'ai jamais eu de rapports sexuels contre nature." Il répondit, en pensant que ce qu'il a fait avec Joël était «selon» sa nature et non pas «contre» nature.

"Alors, qu'est-ce qui te fait penser que tu es homosexuel, si tu n'as jamais eu des relations sexuelles avec des personnes de ton même sexe ?"

"Je n'ai pas dit cela. J'ai des relations sexuelles avec une personne de mon même sexe. Nous sommes amoureux..."

"Un homme ne peut être amoureux qu'avec une femme, garçon. Ne dis pas des bestialités. Et un homme qui a des relations sexuelles avec un autre homme, c'est contre nature. Tu ne sais pas que Dieu haït les homosexuels ? Qui est l'homme qui t'a induit à accomplir ce péché abominable ?"

"Pourquoi voulez-vous savoir qui il est ?"

"Parce qu'il est un danger pour l'ensemble de notre communauté. Il doit être mis en condition de ne pas nuire davantage. Malheureusement, la loi ne nous donne pas les moyens de poursuivre un homme qui a un rapport charnel avec un adulte... sauf s'il t'a séduit quand tu étais encore mineur, dans lequel cas nous pourrons le dénoncer..."

"Je ne vais dénoncer personne, pas du tout."

"Tu ne comprends pas, garçon ? Cet homme t'a corrompu... c'est l'œuvre du démon ! Tu as besoin d'aide pour guérir de cette perversion..."

"Personne ne m'a corrompu, et je ne crois pas au diable, et je n'ai rien à guérir !" s'exclama Daniel avec force.

"Oh ! Tu ne crois pas au diable... Cela signifie que tu es en son pouvoir..."

"Et vous me feriez un exorcisme, maintenant ? Comme dans le film ?"

"Ironie à bon marché. Caractéristique de vous jeunes gens pleins seulement de vous-même. Vous croyez être les maîtres du monde et vous n'êtes que des brindilles ballottées par le vent. Vous n'êtes même pas maîtres de vous-mêmes, vous êtes esclaves de la luxure, de l'hédonisme, de la drogue, de l'alcool, du sexe, des modes les plus absurdes..."

Daniel l'écoutait avec un léger sourire sur ses lèvres, et il hochait la tête légèrement, se demandant quoi d'autre allait sortir le pasteur, et, surtout, où il voulait arriver.

"... et tu n'as plus de respect pour rien ni personne, même pas pour toi-même. Daniel Bowens, tu dois absolument changer, tant qu'il est encore temps. Malheureusement, tu es déjà majeur, dans notre état. Hah, majeur ! Déjà le devenir à vingt et un ans serait trop tôt, mais à dix-huit, alors ! On ne devrait devenir majeurs que lorsque on est capable de se prendre en charge et de fonder une famille !"

"Vous connaissez Seth Reeves, pasteur ?" demanda Daniel avec un léger sourire.

L'homme fronça les sourcils : "Non, ce serait qui ?"

"Un garçon du haut plateau. Il était mon camarade de classe... puis, à seize ans, il a mis enceinte une fille, il l'a épousé, il a quitté l'école et a commencé à travailler, et il a maintenant deux enfants. Voilà, il serait devenu majeur à seize ans, selon vos idées..."

"Et pourquoi pas ?"

"Pendant que le directeur de notre banque, monsieur Robert Douglas, en dépit d'avoir une cinquantaine d'années et un excellent travail, vu qu'il n'est pas encore marié, il devrait encore être un mineur ?" continua-t-il avec ironie.

"Nous ne sommes pas ici pour parler des autres, mais de ton problème..."

"Mon problème ? Mais je n'ai vraiment aucun problème... sauf mes parents et leur pasteur."

"Je suis déjà d'accord avec tes parents, Daniel Bowens. La prochaine semaine tu partiras pour le centre de réhabilitation d'Exodus North America. Ils sont spécialisés dans la guérison de l'homosexualité et ils obtiennent un succès dans soixante-dix pour cent des cas qu'ils traitent. Je leur ai déjà téléphoné pour demander ton admission."

Daniel sourit : "Et si j'étais un du trente pour cent restant ? Et si moi je ne voulais pas me laisser faire le lavage du cerveau ?" il demanda.

"C'est la condition pour que tes parents continuent à te considérer comme un membre de la famille, qu'ils te donnent assistance, vivre et couvert, et qu'ils continuent à te payer les études..."

"Oh, je vois. C'est à prendre ou à laisser... C'est quelque chose de déjà décidé, me disiez-vous, révérend ?" demanda Daniel en prononçant le dernier mot avec un certain sarcasme.

"Bien sûr, pour ton propre bien. Tu t'établiras au centre d'Exodus, et tu continueras là tes études au collège. Cela te fera du bien de changer l'air, de te soustraire à l'influence pernicieuse de l'homme qui t'a corrompu..."

Daniel réfléchit : il avait peu de jours pour s'organiser. Il se rendit compte qu'il n'avait pas d'autre choix que de faire semblant d'accepter, puis la fuite avec son Joël... Il devait l'avertir, coordonner les choses avec lui, mais de telle sorte que, s'ils le surveillaient, ni le pasteur ni ses parents puissent soupçonner que c'était Joël, et non un homme imaginaire, son amant.

"Jusqu'au jour de mon départ... je dois continuer à fréquenter le collège, ici ?" demanda-t-il.

"C'est tout à fait sans importance. Tes parents le décideront."

"Et... pour aller à ce... au centre de réhabilitation, m'accompagnerez-vous ?"

"Non, je n'en ai pas le temps. Ce n'est pas nécessaire, d'ailleurs. Il y a seulement quatre heures de voyage, tu es assez vieux pour y aller seul. Mais d'abord tu dois me promettre d'éviter absolument, ces jours-ci, de rencontrer l'homme qui t'a pris au piège... Et tu ferais bien de me dire qui il est, de sorte que nous puissions..."

"Je ne vais pas rencontrer l'homme qui m'a séduit, je vous le promets. Mais je ne peux pas vous dire son nom. C'est une personne trop... puissante." inventa Daniel, "Il pourrait se venger sur vous et aussi sur ma famille. Il en a les moyens..."

Le docteur Harnell fronça les sourcils : "Trop puissant, tu dis ? Eh bien tu me dis qui il est et je vais voir si c'est le cas de... comment faire éventuellement pour..." dit-il, bien que sur un ton un peu incertain.

"Non, non... Il m'a fait promettre que je ne mentionnerais jamais son nom... et s'il soupçonnait... Je peux tâcher de l'éviter, pour ces quelques jours, comme je l'ai promis... Plus je ne peux pas faire. D'ailleurs, que pourriez-vous faire contre lui, puisque j'étais déjà majeur quand il m'a... convaincu de faire ces choses."

"Mais s'il avait essayé par hasard et s'il essayait aussi avec des mineurs... Tu ne comprends pas que nous avons une obligation morale de l'arrêter, si pas grâce à la loi, au moins grâce à la force de l'opinion publique... Que pourrait-il jamais faire s'il avait toute la ville contre ?"

"Vous n'avez aucune idée de ce qu'il pourrait faire, docteur Harnell. Non, vous n'en avez pas la moindre idée. Que pourriez-vous faire, si votre église brûlait... peut-être avec vous et toute votre famille dans ? Que pourriez-vous faire, s'il payait de faux témoins, et il en trouverait plus du nécessaire, vous devez me croire, qui vous accuseraient des pires choses ?" Daniel insinua à basse voix, tout en s'amusant en voyant l'expression de plus en plus incertaine de l'homme. "Et si je vais à ce centre... vous devez me jurer que personne ne saura jamais où je suis allé, ou je crains qu'il pourrait se venger sur moi !"

"Mais qui est-il, pour l'amour de Dieu ! ?" demanda alors le pasteur, préoccupé.

Daniel baissa encore sa voix : "Avez-vous déjà entendu parler de..." et il fit une pause pour l'effet, en goûtant la réaction de l'homme, "... de Cosa Nostra ?"

"Un Italien ? Il n'y a pas d'Italiens ici à Benton, ni des descendants d'italiens..."

"Il n'y a pas seulement des italiens parmi les hauts gradés de Cosa Nostra, docteur Harnell. C'est un homme... au-dessus de tout soupçon..."

"Et comme peux tu être sûr qu'il est un homme de Cosa Nostra ? C'est lui qui te l'a dit ?" répliqua le pasteur un peu incrédule, mais pas tout à fait sûr.

"Pas un homme, mais l'un des gros canons, croyez-moi. Ne me demandez pas plus, j'ai déjà trop dit. Je ne vais dire à personne où je vais, et je prévois que ni vous ni mes parents disiez rien à personne... et qu'ils ne fassent aucun effort pour entrer en contact avec moi, au moins pendant plusieurs mois, parce que je crains que, ne me voyant pas plus, il tâche de savoir où je suis allé... Vous devez me le promettre... ou je préfère continuer à le voir. Mieux dans son lit que dans un cercueil ! " Daniel conclut, dans l'espoir de ne pas avoir exagéré et d'avoir été convaincant.

"D'accord, d'accord. Mais toi aussi, à céder non seulement aux flatteries d'une personne dépravée mais même si dangereuse ! Tu vois que..."

"J'ai été naïf, oui, je l'avoue mais... je ne savais pas du tout, quand..."

"Tu verras que là, au centre de réhabilitation, ils t'aideront à revenir sur la bonne voie, avec l'aide de notre Seigneur Jésus-Christ ! Aïe confiance en Lui et en nous, ses ministres, jeune Daniel Bowens !"

"Oui, révérend docteur Harnell... je vous remercie d'avoir pris soin de moi. Excusez-moi de mes premières réactions, mais... la peur, vous comprenez..."

"Oui, oui, je comprends, bien sûr. Maintenant va. Je téléphone aux tiens pour les mettre au courant de ce que nous avons discuté."

"Certainement, et merci à nouveau. Mais ne leur dites rien de cet homme... J'en ai trop peur..."

Daniel sortit de l'étude du pasteur et il dût faire un effort pour ne pas se mettre à rire. Très bien. Il était déterminé. Maintenant, il devait juste avertir Joël de se préparer... Il déciderait avec lui où aller, où s'échapper, afin de vivre leur vie paisiblement. Il le verrait le lendemain en classe.

Joël fut tout de suite d'accord pour s'échapper. Ils discutèrent sur comment et où se trouver, sur où aller. Le problème était que Daniel ne savait pas où le pasteur et les parents voulaient l'envoyer, il ne savait même pas s'il devait y aller en train ou en bus Greyhound, et même le jour du départ n'avait pas encore été fixé. Ils élaborèrent plusieurs plans, en tâchant de prévoir les différentes possibilités.

"Tu es vraiment sûr de vouloir fuir avec moi ?"

Joël le regarda en fronçant un peu les sourcils : "Tu ne dois même pas me le demander. Quoi, ne le sais-tu pas que je t'aime pour de vrai ?"

Daniel sourit doucement : "Bien sûr, que je le sais. Et si tu savais... combien je voudrais faire l'amour avec toi ! Qui sait quand nous y réussirons à nouveau ?"

"Bientôt... et sans plus de problèmes, une fois que nous sommes partis de ce trou de merde ! Tu vas voir, nous allons réussir."

"Oui... oui, je l'espère bien. Et puis... une fois que nous sommes partis et sommes allés loin... nous sommes majeurs, non ? Que pourront-ils nous faire ? Rien !"

Le pasteur avait convaincu les parents de Daniel de ne dire à personne où leur fils allait : il était très préoccupé par les allusions faites par le garçon. Tant il était sûr de lui à tonner contre les «pécheurs» de la chair, lorsque ceux-ci étaient des gens simples et humbles, autant il était effrayé quand il risquait de marcher sur les pieds de gens puissants...

Donc, le père de Daniel, prit sa camionnette et accompagna son fils dans la ville voisine et il l'embarqua, avec deux valises, sur le train qui devait l'emmener au «Centre de rééducation» d'Exodus.

Le lendemain, quand Joël ne le vit pas arriver en classe son Daniel, il comprit qu'il était parti. Alors, ayant mis les choses qu'il avait préparées dans un sac de voyage, ainsi que toutes ses économies, après le dîner, il dit aux siens qu'il montait dans sa chambre pour étudier, il laissa sur l'oreiller une lettre dans laquelle il disait qu'il allait tenter sa chance à New York, il glissa hors de la maison et s'éloigna à pied de Benton, allant jusqu'à l'entrée de l'autoroute.

Il lui alla bien, sur la route il ne rencontra personne qui le connaissait. Arrivé à l'entrée, il commença à faire de l'autostop, jusqu'à ce qu'il trouve une voiture qui allait vers la côte du Pacifique. Il fut chanceux, il trouva un camion qui allait à Denver. Ici, après plusieurs heures d'attente, il trouva un passage sur une Toyota qui allait à Salt Lake City, et finalement d'ici un dernier passage jusqu'à San Francisco.

Entre temps, Daniel, quand le train s'arrêta à Saint Louis, descendit, alla au guichet pour se faire annuler le reste du voyage et l'échangea contre un billet sur un train qui irait dans le sens opposé. Une fois terminé le trajet couvert par le billet, il sortit et continua le voyage en stop, lui aussi. Ce n'était pas confortable de faire du stop en traînant deux valises, mais bien ou mal, il s'en tira.

Enfin, il arriva à San Francisco. Il avait encore un peu d'argent en poche. Il arriva devant l'hôtel de ville un peu avant midi. Au coin entre Grove et Polk Street, il s'assit sur ses bagages, sortit un sac avec un peu de nourriture qu'il avait acheté le long du voyage et commença à le grignoter, en attendant que Joël arrive... Il se demanda combien de jours il devrait attendre : ils étaient d'accord d'aller à ce coin tous les jours de neuf heures du matin à six heures du soir.

Heureusement, le temps, même si pas vraiment beau, était discret et surtout il ne pleuvait pas. Daniel regardait les passants : c'était un curieux mélange de gens habillés de manière classique d'employés ou pigistes, que des sans-abri, ou des jeunes gens habillés à la dernière mode, et aussi des gens de divers groupes ethniques, qui l'intriguait et le fascinait.

Quelques-uns semblaient être pressés, et ils marchaient sans regarder autour, allant directement à leur destination. D'autres marchaient lentement, en regardant autour avec des yeux paresseux, plus comme s'ils n'avaient rien à faire ou voulaient passer du temps, que vraiment intéressés par ce qu'ils voyaient. D'autres, mais peu, avaient l'air d'être des touristes, ils observaient tout avec intérêt évident, ou tout au moins avec curiosité...

Daniel espérait de ne pas devoir attendre trop de jours pour se retrouver avec son Joël. Il se demanda ce qu'ils pouvaient faire pour vivre... Il n'était pas du tout confus pour la démarche faite, mais maintenant il voyait très clairement toutes les difficultés qu'ils auraient à souffrir. Au moment où ils avaient décidé et planifié l'évasion, ils étaient tous deux tellement pris par l'urgence d'échapper, qu'ils avaient à peine abordé le problème de comme faire pour vivre, après...

Un homme d'âge moyen, bien habillé, s'arrêta devant lui : "En attente de quelqu'un, garçon ?"

Daniel le regarda : "Oui... un ami..." répondit-il d'un ton un peu incertain.

"Toi et cet... ami, vous n'êtes pas d'ici, n'est-ce pas ? Et vous n'avez pas d'endroit où aller, je me trompe ?"

"Pourquoi? Qu'en savez-vous ?"

L'homme sourit : "Si ton ami était d'ici, tu serais allé directement chez lui, et tu ne l'aurais pas attendu ici. Et si vous aviez un endroit, tu y aurais laissé les valises, tu ne les aurais pas traînées avec toi..."

"Vous êtes un flic, vous ?" Daniel demanda sur la défensive. "Je ne suis pas en train de faire quelque chose d'interdit, à rester assis ici, non ?"

"Non, non, je ne suis pas un flic, sois tranquille. J'ai un petit magasin de vêtements sur Castro Street, avec mon boyfriend. Quelle heure as-tu ton rendez-vous, avec ton ami ?"

"Vous aussi vous êtes gay ?" demanda le garçon, un peu surpris pour la façon dont l'autre le lui avait dit sans problème.

L'homme sourit : "Ici, à San Francisco, nous sommes nombreux... et il n'y a pas de problème à le dire ni à vivre ensemble avec l'homme qu'on a choisi."

"C'est pourquoi nous avons décidé de venir ici. Je ne sais pas quand mon petit ami vient, nous devons nous rencontrer ici... J'espère qu'il arrivera bientôt..."

Ils parlèrent un peu, et à Daniel l'homme, qu'il avait d'abord regardé avec suspicion, sembla sympathique.

"Alors," conclut l'homme, dont le nom était Peter, "vous n'avez ni un lieu, ni un travail et... je parie, peu d'argent en poche..."

"C'est ça. Mais nous ne pouvions pas rester plus longtemps dans notre ville. Nous ferons quelque chose, ce que nous trouverons."

"Moi aussi à ton âge, je me suis enfui de la maison et je suis venu ici à San Francisco. J'ai été chanceux, car j'ai rencontré quelques jours après mon arrivée, mon petit ami, qui m'a donné un coup de main pour me ranger... "

"Celui avec qui vous vivez encore ?" demanda Daniel.

"Oui, lui. Il a cinq ans de plus que moi... Nous sommes ensemble depuis vingt-trois ans. Son nom est John. Alors il était infirmier dans un hôpital. J'ai trouvé du travail comme serveur dans un pub. Puis, il y a dix ans, nous avons ouvert notre boutique et maintenant nous travaillons tous les deux là-bas..."

"Vous croyez que nous réussirons à trouver du travail, moi et mon Joël ?"

"Je pense que oui. Prends, c'est ma carte de visite avec l'adresse de notre magasin... Si vous aviez quelque problème... montrez vous ici et, dans la limite de nos possibilités, nous allons vous donner un coup de main."

"Je vous remercie. Vous êtes très gentil."

"Et ce soir, ne reste pas ici. Va dormir à l'auberge de jeunesse... Tu as assez d'argent ?"

"Pour un couple de nuits ou trois, je crois..."

"Super. Rappelle-toi de venir nous voir, si vous avez des problèmes, hein ?" conclut l'homme qui le salua, et s'en alla.

Au soir Daniel, se rendit à l'auberge, et il put ainsi laisser là ses valises. Le lendemain, il retourna attendre Joël au coin de Grove et Polk Street. En début de l'après midi, il fut à nouveau abordé par un passant, un bel homme sur la trentaine, avec le physique d'un bodybuilder.

"T'attends quelqu'un, garçon ?"

"Un ami..."

"Je ne pourrais pas être moi cet ami ? Cela me plairait de t'emmener dans mon lit, tu es un beau garçon..."

"Non, merci, j'attends mon ami. Je suis avec lui, je ne vais pas avec les autres."

"Dommage. Je t'ai vu hier, et je pensais que peut-être tu cherchais un client... Ça m'aurait plu de t'enculer. T'as un joli petit cul. Ça me plairait d'y faire un petit tour exploratoire dedans..."

"Mais il n'est pas en vente... ni à emprunter." dit le garçon, un peu agacé par le ton de l'autre.

L'homme haussa les épaules et partit. Peu après arriva un clochard, encore assez jeune mais plutôt mal mis.

"T'as bien fait de ne pas aller avec ce type-là. C'est un sadique, tu sais ? Il aime faire du mal aux garçons qu'il amène chez lui. Fouets, cire fondue, pinces dentelées, gode si grand dans le cul... Et il aime les jeunes garçons comme toi. Un de mes amis qui tapine, après avoir été avec ce mec-là, il a dû aller à l'hôpital... Je m'appelle Drake, et toi ? "

Le garçon lui serra la main : "Daniel. Il ne me semblait pas un sadique, bien que je ne le sache pas, mais il ne m'inspirait pas confiance... J'attends mon ami, c'est pour ça que je suis ici, je ne tapine pas..."

"Je l'ai fait quand j'étais plus jeune et en bon état... J'étais en grande demande, tu sais ? J'étais un beau gamin."

"Tu n'as pas trouvé de boulot, par la suite ?" lui demanda Daniel.

"Non, parce que je ne l'ai pas cherché : j'aime la vie libre, sans engagement, pas de calendrier, pas de devoirs... Je suis un peu comme un déplacé, non ?" il conclut avec un sourire gai.

"Cependant, je me fierais plus à toi qu'à ce type d'avant..." dit Daniel avec un sourire amical.

"Tu es un bon gars, tu as une bonne âme..." dit Drake.

"Comment peux-tu le dire, si tu ne me connais même pas ? Je ne pourrais pas être un loup déguisé en agneau ?"

Le clochard se mit à rire : "Non, pas toi ! Tu vois, sur le visage nous avons les yeux ; dans les yeux il y a le regard ; au bout du regard il y a l'âme... et ton âme est propre. N'ayant rien de plus utile ou important à faire, je m'amuse à observer les gens... "

Ils furent interrompus par une voix qui appelait : "Daniel !"

Le garçon se retourna : c'était Joël, son sac de toile sur ses épaules, qui courait vers lui avec un grand sourire heureux sur son visage. Il courut à sa rencontre et ils s'étreignirent étroitement, puis Daniel embrassa Joël dans sa bouche.

"Hé ! Pas ainsi en le public..." murmura Joël rougissant, mais évidemment heureux pour ce baiser.

"Et pourquoi pas ? Notre seul public est Drake, c'est lui, et il n'y a pas de problème... Et puis nous sommes à San Francisco, non ?" répondit Daniel joyeusement et il le conduisit à saluer le jeune clochard.

"Ton ami ?" Drake demanda, tendant la main à Joël. "Je suis content que vous vous êtes trouvés. Vous êtes beaux à regarder. Dans tes yeux on lit un amour fort et beau..."

Les trois bavardèrent, et Joël raconta son voyage.

"Et que pensez vous faire, maintenant ?" leur demanda le jeune clochard.

"Je pensais aller ici, chez un gars que j'ai connu hier, et voir s'il peut nous aider à trouver un boulot..." dit Daniel en remettant à Joël la carte de visite de Peter.

Drake jeta un regard à la carte : "Je sais qui c'est. Oui, c'est un homme bon et aussi son John est bien. Vous pouvez leur faire confiance. S'ils peuvent, ils vont certainement vous aider. Eh bien, mes vœux, les garçons. Que la Puissance soit avec vous !"

"Nous pourrons nous revoir, Drake ?" Lui demanda Daniel.

"C'est possible, si la Puissance le veut. Je suis presque toujours ici. Oui, je serais ravi de vous rencontrer à nouveau... et savoir que vous allez bien."


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