LES TROIS BOUDDHAS | CHAPITRE 7 LE NOVICE |
Quand Kiyoshi avait disparu, le docteur Ohmori Goroh, s'était rendu chez lui. Dans la chambre du garçon, toutes ses affaires étaient là, prêtes à être déménagées... jusque chez lui, se dit le célèbre professeur. Mais les jours passaient et Kiyoshi ne donnait pas signe de vie. Il retourna jusqu'à l'université pour se renseigner. "Nous ne l'avons pas revu, Ohmori-sensei. Et nous avons besoin de sa chambre, les nouveaux étudiants arrivent..." "Ne vous inquiétez pas, je vais envoyer un déménageur pour vider sa chambre et tout emmener... quelque part. Je m'occupe de tout. Si Kimura revient, vous n'aurez qu'à lui dire de venir me voir pour récupérer ses affaires." "Je vous remercie, Sensei, cela règle le problème. Nous vous informerons s'il se présente. Mais se sauver comme ça, sans rien dire à personne ! Un comportement bien cavalier. Espérons que rien de fâcheux ne lui soit arrivé." Oui, pensa le docteur, et s'il avait eu un accident ? Il se rendit à l'hôpital et demanda à son secrétaire d'appeler la police, les autres hôpitaux pour savoir si Kimura Kiyoshi avait eu un accident. Deux jours plus tard, le secrétaire l'informa que ce nom n'apparaissait nulle part. Ohmori se rendit alors au secrétariat de l'université et demanda l'adresse de ses parents. Il leur téléphona pour leur demander des nouvelles de Kiyoshi, sous le prétexte d'une absence au travail... Le père lui lut la lettre qu'il avait reçue de son fils... Ohmori en fut très surpris. Il avait voulu disparaître ? Mais pourquoi ? Quelle raison avait-il de tout abandonner derrière lui, y compris son amour et la carrière qu'il pouvait lui assurer ? Ohmori n'était pas du genre à renoncer facilement. Il se rendit dans une agence de détectives et leur communiqua toutes les informations qu'il avait et leur demanda de retrouver le garçon. Mais les jours passaient et les rapports périodiques qu'il recevait contenaient toujours les mêmes mots, "Sans nouvelles du sujet." Les mois passaient. Après avoir fait transporter chez lui toutes les affaires, il ouvrit tous les cartons que Kiyoshi avait faits et en vérifia le contenu dans l'espoir d'y trouver un indice. Mais il ne trouva rien. Parmi les élèves de la nouvelle promotion, il avait accordé deux cercles à certains, mais trois à aucun... Il ne se sentait pas prêt à effacer Kiyoshi de sa vie. Il l'aimait, il le voulait ! Il ne pouvait pas se résigner à la perdre. À la fin octobre, il prit dix jours de vacances. Il avait décidé d'aller visiter le Tottori-ken. Chaque année, il visitait une partie différente du Japon et il en avait déjà fait plus de la moitié... Il élabora un programme avec l'aide des meilleures agences de voyage, il leur fit réserver des chambres dans les villes dans lesquelles il ferait étape. Il fit réviser son élégante voiture décapotable, chargea ses valises et partit. Le troisième jour, il arriva à Misasa, où il avait réservé une chambre à l'hôtel Royal, une auberge thermale. Il fit porter ses bagages dans sa suite, avec chambre, salon et luxueuse salle de bain attenante. Il se déshabilla, revêtit un yukata de coton léger et descendit dans le spa, célèbre pour ses eaux radioactives et ses exhalaisons de radon. Le bassin thermal était très grand, ouvert sur l'extérieur et partiellement couvert d'un auvent de bois, entouré de hauts blocs de pierre et d'une palissade de bois, d'arbres et de lanternes de fonte. Un nuage dense de vapeur s'élevait de la surface du bassin. Il retira son yukata et descendit dans l'eau. À cet instant, il n'y avait que trois autres clients, un couple d'âge mûr et un jeune homme un peu efféminé. Les garçons efféminés gênaient un peu Ohmori. Son Kiyoshi, bien que très beau et délicat, était viril, même s'il le laissait le prendre. À cette pensée, il se sentit excité et présenta une forte érection, visible dans l'eau claire. Il ne s'inquiéta pas. Une pancarte demandait aux clients de garder un sous-vêtement ou de garder une serviette autour des reins, même dans le bassin. Mais Ohmori n'avait pas respecté la règle. En entrant dans l'eau, il avait retiré la serviette autour de ses hanches. De plus, la femme était du côté opposé, assez éloignée de lui. Le plus jeune, plus proche, semblait incapable de détourner son regard de son érection. Ohmori eut un sourire amusé. Le jeune homme se déplaçait lentement dans l'eau, de plus en plus près. "On est bien, ici, vous ne trouvez pas ?", dit-il d'une voix aux inflexions féminines. "Oui, surtout s'il y avait une jolie fille !", lui répondit Ohmori pour le décourager. Le jeune homme reçut immédiatement le message. "Oui..." répondit-il d'une voix presque grinçante, et il s'éloigna, mais juste à distance pour continuer à pourvoir espionner l'érection de l'homme. Ohmori l'ignora et se laissa bercer par la sensation plaisante de l'eau chaude et il se mit à rêver d'être là, seul avec Kiyoshi, et qu'ils faisaient l'amour... Le couple sortit de l'eau et s'éclipsa. Le jeune homme efféminé quitta aussi le bassin. Ohmori en profita pour se masturber jusqu'à ce qu'il atteigne un bel orgasme... Pas tel, cependant, que ceux qu'il ressentait en compagnie de Kiyoshi. Il sortit, se sécha, remit son yukata et alla jusqu'au restaurant pour le dîner. Avant de retourner dans sa chambre, il passa par la réception et vit sur le présentoir quelques dépliants vivement colorés. Il en prit un au hasard et le feuilleta. Il présentait la cérémonie du hiwatari, la "marche sur les braises," exécutée par des yama-bushi, les moines de la montagne, sur des charbons ardents obtenus en brûlant les gomaki, c'est-à-dire les tablettes de bois sur lesquelles, les fidèles, les pèlerins inscrivent leurs prières. Au vu des photos, cela semblait intéressant. Il découvrit que la cérémonie aurait lieu le lendemain, le dernier dimanche d'octobre, dans le temple du Sanbutsu-ji du Tendai-shu. Une carte était jointe en annexe. Il l'étudia et pensa qu'une vingtaine de minutes était suffisante pour aller jusqu'au temple. Il regarda les autres dépliants. L'un d'eux parlait du Nageire-do, un petit temple, vieux de mille trois cents ans, qui faisait partie des temples de Sanbutsu-ji. Comme la cérémonie du hiwatari se déroulait à la nuit tombée, il pensa qu'il pouvait aller visiter le temple dans la matinée et qu'il aurait tout le temps pour se rendre à la cérémonie en soirée. Le ticket d'entrée n'était que de cinq cents yens et il était possible, en laissant une offrande aux moines, de partager leur nourriture végétarienne, arrosée d'un bon saké réchauffé sur un feu dans de longs récipients en bambou. Il ramena les dépliants dans sa chambre pour les lire plus attentivement, de sorte qu'il arrive au Mont Mitoku déjà bien préparé. Il vérifia que son appareil photo était en bon état et mit en place une carte mémoire vide. Il s'étendit sur le grand lit à l'occidentale, prit le dernier roman de Himeno Kaoruko, un auteur au sens de l'humour très particulier et très apprécié, intitulé, "Sobaya No Koi" (l'amour dans un restaurant de pâtes). Par instants, il riait. Il était tombé amoureux de cet auteur quand il avait lu son roman, "Homme à louer". Il avait tous ses livres dans la bibliothèque de sa maison. Au bout d'un moment, ses paupières se firent lourdes et il glissa insensiblement dans le sommeil, le livre ouvert sur les genoux, la lumière encore allumée.
Cependant, le même soir, Takeichi avait porté son dîner à Kiyoshi. "Demain, ce sera le hiwatari. N'êtes-vous pas intéressé d'aller le voir ? Ça n'arrive qu'une fois par an..." "Non, il y aura beaucoup de monde... Je préfère rester ici." "L'année passée, je marchais sur les braises, le saviez-vous ?" "Très bien." "Ce soir... si vous le désirez... je pourrais rester ici avec vous..." ajouta le novice un peu hésitant. "Mais tu ne pourras pas redescendre dans l'obscurité... Ce serait trop dangereux." "Je pourrais rester... toute la nuit, si vous le voulez. J'ai prévenu que c'était possible. Il suffit que je sois revenu avant l'aube..." "Alors c'est d'accord." Takeichi sourit avec reconnaissance, très heureux. Il aimait tellement faire l'amour avec Mudoh-sama... Plus qu'avec le jeune moine qui l'avait pris avec lui. Non seulement le jeune ermite était très beau, mais il s'unissait à lui, il le prenait avec un mélange de virilité et de tendresse vraiment spécial. Enfin, il pourrait passer, pour la première fois, une nuit complète avec le fascinant jeune homme. La lanterne de papier éclairait la petite cellule du temple d'un halo de douce lumière chaude qui en laissait une partie dans la pénombre, créant une atmosphère intime et chaude. Sur le mur du fond, les statues semblaient s'animer dans le scintillement de la flamme pendant qu'à l'extérieur, la tombée rapide de la nuit enveloppait la nature d'une couverture de silence et de mystère et le ciel s'obscurcissait, barré de rouge sur l'horizon. Quand Kiyoshi eut fini son frugal repas, il repoussa le plateau et les bols. Takeichi déroula le futon de l'ermite et se mit à se déshabiller. "Non... Laisse-moi le faire. Nous avons tout le temps que nous voulons, cette nuit." Tout heureux, le garçon acquiesça et le jeune homme se leva. "Je... Me permettez-vous de vous retirer vos habits, Mudoh-sama ?" "Bien sûr. Viens ici, Takeichi." "Êtes-vous heureux que je reste pour la nuit ?" "Très heureux." répondit-il avec un doux sourire. Ce sourire dont il était la cause réjouit le novice. Quand il souriait, Kiyoshi paraissait encore plus beau et cela arrivait plus souvent, depuis qu'il faisait l'amour à Takeichi. L'âme du jeune homme guérissait lentement, à mesure de la cicatrisation du cœur, de la plus grande paix de l'esprit. Il savait qu'il ne recevrait peut-être jamais son amour, mais, comme il avait un caractère bon et généreux, il était content de pouvoir au moins "guérir" Kiyoshi de sa douleur. Ils se mirent sur le futon. Avec des gestes lents, calmes, presque solennels, ils se mirent à se déshabiller mutuellement. À mesure qu'ils les ouvraient, ils les laissaient tomber au sol sur le plancher de bois, tout autour d'eux. Enfin, entièrement nus, ils purent s'admirer, pendant que les membres se redressaient, comme attirés par la nudité de l'autre. La lumière de la lanterne jouait sur leur peau, l'embellissant, la rendant semblable à une rare soie damassée. Kiyoshi passa le bout de ses doigts, légers comme des pétales de fleur sur le corps du garçon. Takeichi frissonna et ferma les yeux. À son tour, il tendit les mains pour caresser la poitrine du jeune homme. Puis il se mit lentement à genoux et avec un plaisir gourmand, il posa ses lèvres sur le membre puissant que, d'ici peu, il accueillerait en lui. Il le sentit palpiter. Il le frotta contre son visage puis il commença à le lécher avec un soin délicat. Kiyoshi tremblait. À son tour, il se mit à genoux devant son compagnon et l'embrassa avec une passion retenue. Il fit s'étendre Takeichi sur le côté et se coucha à son tour dans la direction opposée pour qu'ils puissent tous deux se dédier à procurer du plaisir à l'autre avec leur bouche. Le jeune novice en était presque ivre d'émotion. Une nuit entière avec le bel ermite, c'était plus qu'il n'aurait jamais osé espérer. Mais quand "son" moine lui avait dit que cette nuit, il devait se préparer pour la fête du lendemain et qu'il ne lui demanderait pas de venir dans sa cellule, il était immédiatement allé demander la permission de passer la nuit dans l'ermitage de Nageire-do... Dans les réunions hebdomadaires avec Kiyoshi, l'abbé avait observé la très lente, très progressive amélioration dans l'attitude de l'ermite et, à juste titre, il l'avait attribuée à l'influence du jeune novice. Pour cette raison, il lui avait sans problème donné l'autorisation d'y passer la nuit. Malgré son aspect austère, l'abbé était pourvu d'une profonde humanité, et il savait que pour les moines, l'abstinence sexuelle n'était un idéal que seuls quelques-uns, comme lui-même, savaient et pouvaient poursuivre sans problèmes. Ainsi, sachant bien que tout le monde, dans le monastère ne le pouvait pas, il ne s'en préoccupait pas, tant que cela ne créait pas de problèmes particuliers.
Alors qu'en bas, dans la vallée, dans l'enceinte des temples, les préparatifs battaient leur plein, les deux jeunes hommes étaient unis dans un harmonieux cercle parfait de plaisir. Au bout d'un moment, ils se séparèrent, Kiyoshi se tourna et s'étendit sur le corps frais du novice et l'embrassa avec une tendre passion. Puis, joyeusement comme à chaque fois, Takeichi s'offrit. Il le regarda se préparer, descendre sur lui et, avec un léger soupir de plaisir, il l'accueillit en lui. Dans cette position, alors que la lanterne était placée au sol derrière lui, le corps de Takeichi restait dans la pénombre. Mais ses yeux brillaient presque de lumière pendant que le jeune homme bougeait en lui avec un enthousiasme croissant. Takeichi regardait le corps courbé sur lui, à contre-jour, et il vit la silhouette nimbée d'une fine auréole dorée se déplacer au rythme de plus en plus rapide de leur union. Il sentait croître en lui une jouissance qui n'était pas uniquement physique... Il ressentait, plus qu'il ne voyait, le sourire s'épanouir dans l'ombre sur le beau visage du jeune homme musclé, à mesure que l'orgasme s'emparait de leur corps et il était rempli d'une joie aussi intense que le plaisir qu'il éprouvait. Les sensations de l'un renforçaient celles de l'autre, dans un crescendo de plus en plus intense jusqu'à ce que, presque à l'unisson, ils se crispent et se relâchent plusieurs fois en une rapide succession, et du milieu de leur corps, l'énergie virile se libéra dans une symphonie de jets puissants et de gémissements étouffés. Puis tout redevint silencieux, immobile. Le temps lui-même sembla s'arrêter un moment tandis qu'ils retenaient leur souffle et que seuls leurs cœurs galopaient libres et heureux comme deux poulains dans les vastes prairies du plaisir. Ils poussèrent un long soupir et se détendirent, l'un au-dessus de l'autre. Kiyoshi serra Takeichi entre ses bras et l'embrassa tendrement et un grand calme se répandit dans leur cœur, comme la fumée légère de mille bâtons d'encens parfumé, allumés devant les statues du Bouddha. Après quelques minutes où leurs esprits, vides, contemplaient la beauté éphémère de l'union parfaite de leur chair, forte et fraiche, Kiyoshi tira la couverture sur eux, Takeichi se serra contre lui et ils se laissèrent glisser doucement dans le sommeil. Kiyoshi ne pouvait pas savoir que cette même nuit, à la même heure, aussi bien Shinji que Goroh avaient décidé de se rendre à Sanbutsu-ji.
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