LES TROIS BOUDDHAS CHAPITRE 6
À CAUSE D'UNE LIBELLULE

Le lendemain, à l'issue de son ascension vers le Nageire-do, le long de l'étroit sentier, d'un pas alerte mais prudent, Takeichi Momosaki fut surpris de ne pas trouver le jeune et fascinant ermite assis en méditation.

Arrivé à la petite porte sous l'auvent, sur l'arrière, il l'ouvrit et entra, un peu inquiet. Il ouvrit la porte de la chambre. La lueur de l'aube pénétra dans la pièce. Kiyoshi était étendu sur le futon, juste vêtu d'un nemaki, le kimono de nuit, largement ouvert, et une magnifique érection pointait vers le plafond, comme pour rivaliser avec les poteaux qui soutenaient le vénérable petit temple.

Takeichi resta sur le seuil, le souffle coupé. Il posa au sol le bidon d'eau et le panier de victuailles et retira ses sandales de paille avant d'entrer en silence. Il se coula le long de l'homme qui avait suscité son amour et le regarda, très ému.

Rapidement, il retira tous ses vêtements, puis il dénoua délicatement la ceinture qui retenait encore le nemaki échancré du jeune homme et en écarta les deux pans. Il l'admira, à présent presque complètement nu, en le caressant du regard.

Puis il s'étendit à côté de Kiyoshi et commença à lui caresser doucement la poitrine, le ventre, le pubis... et enfin, tremblant, il effleura le beau membre. Kiyoshi poussa un léger gémissement, et des mots indistincts s'échappèrent des lèvres douces, mais un, un seul, fut clairement compris par le novice excité.

"Takeichi..."

"Je suis là..." murmura le garçon, ému.

"Take..."

"Je suis là pour vous..." déclara-t-il en se serrant contre lui, le regard fixé sur son visage.

Kiyoshi ouvrit des yeux qui semblaient briller comme deux joyaux mystérieux et rencontra le regard plein de dévouement du garçon.

"Tu es là ?"

"Oui, pour vous..."

"Take... Je..."

"Chut ! Prenez-moi, s'il vous plaît..." murmura le jeune novice en serrant dans sa main brûlante le mât fièrement dressé de Kiyoshi.

Il se mit de côté, lui tournant le dos et l'attira contre lui, le faisant tourner sur le côté jusqu'à ce qu'il sente le puissant épieu pousser contre son propre postérieur.

"Prenez-moi !" répéta le garçon en tournant la tête pour pouvoir regarder Kiyoshi dans les yeux.

"Je..."

"Prenez-moi..."

Ils restèrent un moment silencieux, immobiles, puis Kiyoshi, hésitant, l'entoura d'un bras et l'attira contre lui. Takeichi passa une main derrière lui pour guider le membre entre ses petites fesses. Kiyoshi se mit à pousser, tirant contre lui le corps du garçon... Et enfin, il fut admis dans l'étroit temple d'amour de Takeichi.

"Oh... Take..." soupira-t-il.

"Oui... Oui..." murmura le garçon en retirant sa main, à présent que la voie était ouverte.

Kiyoshi poussa de nouveau et pénétra jusqu'aux profondeurs les plus cachées de ce temple de chair vive et brûlante.

"Oui..." répéta le novice, ravi.

Le jeune homme se mit à se déplacer avec une tendre énergie d'avant en arrière. Le seul bruit léger qu'on entendait dans l'antique bâtisse était leur respiration irrégulière, qui s'amplifiait progressivement. Takeichi remuait légèrement son bassin à chaque poussée de son compagnon, jouissant longuement de cette danse passionnée, primordiale, infatigable.

Kiyoshi s'immobilisa, tendu comme la corde d'un arc, se poussant vers l'avant et son corps jaillirent les vagues tièdes du plaisir, emplissant le précieux repaire tout juste conquis. Takeichi poussa un long soupir étouffé, relâchant tout l'air qu'il avait retenu quand il avait senti venir le sommet de leur union. Il tendit la main pour prendre son fundoshi sur le sol de bois et le pressa contre son membre palpitant juste à temps pour recevoir sa réponse au don du jeune homme.

Ils se détendirent d'un coup, encore unis... Takeichi tourna la tête et rencontra le regard brillant de son compagnon. Enfin, il vit flotter un léger sourire très doux. Heureux, il laissa retomber sa tête sur le futon et ferma les yeux.

"Nous n'aurions pas dû..." murmura Kiyoshi, d'une voix douce qui démentait le sens de son propos.

"Pourquoi pas ?" demanda le garçon sans ouvrir les yeux, jouissant de la chaleur du corps du jeune ermite toujours uni à lui.

"Je ne sais pas..." admit honnêtement Kiyoshi.

"Vous le regrettez ?"

"Non..."

"Je serai à vous tant que vous le désirerez..."

"Ce n'est pas la première fois, pour toi..."

"Non. Depuis trois ans, avec un des moines..."

"Il t'a forcé ?"

"Oh non, non. J'ai accepté avec plaisir. Je ne l'avais jamais fait avant. Et jusqu'à présent, je ne l'avait fait avec personne d'autre."

"Mais alors... Pourquoi moi ?"

"Il le fallait, je le voulais. Et enfin... vous avez souri."

"C'est vrai."

Ils murmuraient dans un souffle plein de chaleur, de confiance réciproque, de mutuelle gratitude.

"Alors je ne suis que ton deuxième."

"Oui."

"Je n'aurais pas dû..."

"Pourquoi ?"

Alors, sans changer de position, à voix très basse, Kiyoshi raconta au gracieux et gentil novice le motif qui l'avait fait fuir jusque dans cet endroit.

"Vous n'arrivez vraiment pas à savoir lequel des deux... est réellement votre amant ?"

"Vraiment."

"Vous les aimez toujours ?"

"Toujours."

"Vous souffrez toujours ?"

"Je souffre."

"Le repas... Il va être froid... Et il faut que je redescende..." dit le garçon.

Ils se séparèrent et se rhabillèrent. Rapidement, Kiyoshi avala le repas que le novice lui avait apporté.

"Mudoh-sama ?"

"Oui ?"

"Vous... voudrez que je revienne sur le futon ?"

"Je ne sais pas..."

"J'en serais heureux..."

"Je te désire aussi, mais..."

"J'en serais heureux..." répéta le garçon en ramassant le plateau. Il lui sourit et quitta rapidement la salle du temple.

"Ne cours pas, maintenant !" lui cria Kiyoshi. "Sois prudent."

"Oui, je le serai." s'écria le novice, en s'engageant sur l'étroit sentier.

Kiyoshi se jura de ne plus recommencer avec le si joli novice... mais il fut incapable de tenir cette promesse. Takeichi était heureux de voir de plus en plus souvent une esquisse de sourire sur le beau visage du jeune homme et se livrait chaque fois avec joie.


À cette époque, une équipe de télévision de la NHK, la télévision d'état, était montée jusqu'au Sanbutsu-ji pour tourner un documentaire dans le double objectif d'enregistrer et de transmettre au gouvernement les documents pour demander auprès de l'UNESCO le statut de patrimoine mondial pour le Nageire-do.

L'abbé leur accorda bien évidemment son autorisation pour filmer tout le complexe des temples, mais il leur défendit de monter jusqu'au Nageire-do. Monter tout leur matériel si haut aurait été trop dangereux. Alors l'équipe prit plusieurs vues de loin en utilisant de puissants zooms, mais également en filmant depuis un hélicoptère...

Kiyoshi avait été un peu dérangé par le bruit des rotors de l'appareil et leva la tête pour regarder cette bruyante libellule, énorme et scintillante, puis il baissa les yeux et tenta de l'oublier, de reprendre sa méditation, assis au bord de la plateforme.

Quand, dans la soirée, Takeichi lui porta son repas, il lui raconta, excité comme un enfant, toute la visite des caméramans de la télévision.

"Ils m'ont même interviewé, vous savez ?"

"Très bien."

"Peut-être que ma famille pourra me voir à la télévision."

"Très bien."

"S'ils ne coupent pas la scène. Ils ont tourné environ huit heures de film, mais le metteur en scène a dit que l'émission ne durerait que trente minutes, alors ils vont couper beaucoup de choses."

"Tu serais triste qu'ils coupent ton interview ?"

"Non, pas vraiment."


L'émission sur Sanbutsu-ji fut diffusée quelques jours plus tard sur la NHK, le soir à neuf heures quinze.

À Kyoto, Kobayashi Shinji était assis sur son tatami, sur un coussin. Il consultait un ouvrage ancien portant des reproductions de calligraphie qu'il avait acheté ce jour-là chez un bouquiniste. La télévision était allumée et par instants, il y jetait un coup d'œil. Il vit le générique d'ouverture d'un documentaire sur le Sanbutsu-ji. Tout en gardant un œil sur son livre précieux, il suivit l'émission.

Le présentateur disait, "... et le petit bijou de Sanbutsu-ji, qualifié de trésor national et peut-être bientôt comme patrimoine mondial de l'UNESCO, serti dans le Mont Mitoku, on trouve le Nageire-do, aussi appelé Oku-no-in. Perché dans une paroi rocheuse presque verticale, construit vers l'an 709 par un moine nommé En-no-gyoja, il abrite à présent un ermite du nom de Mudoh..."

Shinji releva les yeux vers l'écran pour découvrir la vue du temple en équilibre précaire contre la falaise de basalte. Puis il y eut un long zoom avant qui termina sur un plan de plus en plus serré et... le cœur de Shinji sembla s'arrêter.

Il se releva lentement, regardant fixement le petit écran, puis, toujours aussi lentement, il se laissa tomber sur les genoux et un sanglot s'échappa de ses lèvres et il laissa échapper un nom, Kiyoshi ! Bien qu'il porte une tenue de moine et que sa tête soit rasée, c'était manifestement lui ! Il ne pouvait se tromper.

Depuis qu'il avait disparu, presque un an auparavant, Shinji l'avait cherché partout, toujours plus désespéré à mesure que les jours passaient sans qu'il ne trouve la plus petite trace du garçon.

Il s'était même rendu sur le campus, à la résidence universitaire où on lui avait expliqué que toutes ses affaires étaient restées dans sa chambre, emballées, comme prêtes à être expédiées.

"Mais à présent, où sont ses affaires ?"

"Je ne sais pas," répondit l'employé de l'université. "Quelqu'un est venu les chercher."

"Pouvez-vous me dire le nom de cette personne ? Son adresse ?"

"Vous êtes de sa famille ?"

"Non..."

"Alors je suis désolé, je ne suis pas autorisé à vous donner cette information."

"Mais Kimura-san est un ami très cher... Son sort me tient à cœur... Il faut que je le retrouve..."

"Je suis désolé, je ne peux pas."

Shinji insista sans succès, il alla même parler au recteur de l'Université, mais il ne put obtenir l'information qu'il cherchait.

Il se rappela que la famille du garçon habitait à Hikone, sur le lac Biwa. Il s'y rendit et trouva plusieurs Kimura. C'était un nom assez commun. Il demanda s'ils connaissaient un Kiyoshi, jeune diplômé de médecine... Mais personne n'avait entendu parler de lui.

À présent... Maintenant, il savait enfin où le garçon se trouvait, ermite à Sanbutsu-ji... Il se demanda ce qui avait poussé son amant à disparaître comme ça, à choisir de se faire ermite dans le Tendai-shu... Dans un premier temps, il avait pensé qu'il était peut-être parti avec un autre homme... Il comprenait à présent que ce n'était pas ça. Mais pourquoi ? Pourquoi ?

Il décida qu'il devait aller à Sanbutsu-ji pour rencontrer Kiyoshi et lui poser la question. Shinji était toujours profondément amoureux de lui et pendant tous ces mois, il n'avait pas cherché d'autre compagnon, même pas pour une aventure d'une heure. Il se sentait fiévreux et regrettait presque qu'il fasse nuit... Il alla se coucher mais il n'arriva pas à fermer l'œil jusqu'au matin.

Enfin, il put se rendre jusqu'à une agence de voyage pour prendre tous les billets pour se rendre jusqu'au Sanbutsu-ji. Il partit en fin de matinée. Il se sentait agité, ému. Comment Kiyoshi l'accueillerait-il ? Que lui dirait-il ? Dans quelques heures, il le retrouverait... Mais pourquoi s'était-il enfui ainsi, sans rien dire, sans laisser de trace ?

Il avait l'impression que le train n'avançait pas, il avait hâte d'arriver. Devant lui, deux garçons jouaient au sudoku. Par instants, ils échangeaient des regards dans lequel Shinji put lire plus qu'une simple amitié. Il en éprouva un certain plaisir... Shinji aimait l'amour.

"Comment Kiyoshi m'accueillera-t-il ?", se demanda-t-il de nouveau.

Quel que soit son accueil, il devait le voir, tenter d'éclaircir avec lui la raison de son évasion... et si Kiyoshi lui demandait de le laisser seul... il accepterait sa demande, par amour, bien qu'à regret. Qu'importait alors la fin de cette histoire... il était heureux de ces deux ans d'amour passés ensemble et qu'il garderait dans son cœur comme un cadeau précieux.

Il ferma presque les yeux pour "revoir" le beau visage de Kiyoshi... En face de lui, les deux garçons, pensant qu'il s'était endormi, firent le geste d'échanger un baiser. Intérieurement, Shinji eut un sourire en se disant qu'il était vraiment injuste qu'un garçon et une fille puissent échanger un vrai baiser, alors que ces deux garçons ne pouvaient que le simuler en cachette...


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