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histore originale par Andrej Koymasky


LE RETOUR CHAPITRE 1 - ENIO ET SON FRÈRE

Le téléphone sonna. Enio posa le plateau, tira le téléphone de sa poche et sourit en voyant qui l'appelait.

"Salut, poussin." dit-il.

"Où es-tu ?"

"Où veux-tu que je sois, poussin? À l'hôtel, tiens !"

"Que fais-tu ?"

"Je suis de service à la table."

"Plein de clients ?"

"Oui. Écoute, il faut que j'y aille... On se voit ce soir."

"Bisou, bisou, bisou !"

"À ce soir, mon poussin !"

"Tu ne m'envoies pas de bisou ?"

"Mais si, trois, comme toi, ça te va ? Maintenant, il faut que j'y aille, Anna-Rita. À ce soir." et Enio raccrocha.

Il reprit le plateau avec des tasses de lait de poule et alla en salle pour servir la table onze. Puis il retourna en cuisine chercher les plats de la six. Sa mère travaillait aux fourneaux, son frère Danilo finissait de décorer une truite à la crème de champignons pour la neuf.

Enio s'arrêta un instant pour regarder le travail de son frère. Bien qu'il l'ait déjà très souvent vu créer de belles compositions, avec une imagination incroyable, comme à chaque fois, il ne pouvait pas s'empêcher de le regarder travailler, c'était un vrai artiste : peintre, architecte, sculpteur, dont la matière première était la nourriture!

Ils étaient tous les deux diplômés du lycée hôtelier, mais s'il s'était spécialisé dans le service en salle et au bar, Danilo s'était dédié à la nouvelle cuisine. Enio admirait son petit frère, d'à peine trois ans de moins que lui.

En sortant de la cuisine pour servir la six, il croisa son père.

"Ce soir je serai pas là, papa, tu t'en souviens ?" dit-il.

"Mais oui, inutile de me rappeler toutes les demi-heures!" lui dit son père avec un clin d'œil. "Mais n'oublie pas de vérifier les commandes à faire pour le bar !"

"Bien reçu !" répondit gaiement Enio.

Ses parents aimaient bien Anna-Rita, même si au début ils avaient un peu de grincé sur ses vingt-cinq ans, deux de plus qu'Enio. D'après eux, la femme devait toujours être plus jeune. Mais elle avait su les conquérir, et plutôt vite.

Ils s'étaient rencontrés seize mois plus tôt, lorsqu'il était allé voir la boutique d'articles de ski qui venait d'ouvrir rue Del Rio au coin de rue Assietta. Elle y était vendeuse. Ils s'étaient aussitôt trouvés sympa et dès le surlendemain ils allaient danser ensemble, il ne fallut pas une semaine avant la première fois où ils firent l'amour.

Et elle était bonne, Anna-Rita, aucun doute. Et sur tous les plans. Enio se demandait ce qui l'attirait le plus en elle. Son beau corps, sensuel... son sourire, parfois tendre, parfois espiègle... son caractère affirmé, décidé, mais aussi assez conciliant. Avec elle, tout était agréable, discuter, danser, skier... et, bien sûr, faire l'amour. C'était la deuxième fiancée d'Enio et la quatrième fille avec qui il avait dépassé le simple flirt. Pour Anna-Rita, il était le troisième petit copain et le troisième garçon avec qui elle avait fait l'amour. Oui, ils étaient bien ensemble.

Pour ses vingt-trois ans, quelques jours avant, elle lui avait offert un beau téléphone portable avec appareil photo et depuis elle avait tendance à s'en servir pour le surveiller, c'était son côté "jalouse", mais sans excès, il ne l'aurait pas supporté.

Soudain en sentant un bref vertige, comme une bouffée de chaleur, et en entendant des voix crier, Enio se figea et dut s'agripper au bar.

Son père, derrière le comptoir lui demanda: "Qu'est-ce qu'il t'arrive, Enio ?"

"Rien, papa... mais qui est-ce qui crie ?"

"Qui crie ? Personne... Non, personne ne crie."

"Mais si... je ne sais pas où, mais... il y a deux voix... des voix d'hommes."

"Non... Bon dieu, que tu es pâle... va t'asseoir un moment, je fais le service. Donne-moi ça..."

"D'accord... table sept, papa. Tiens, ils ne crient plus."

Son père fit non de la tête, lui prit les assiettes et se dirigea vers la salle pour servir les clients. Enio s'assit sur le tabouret du piano, et s'appuya contre l'instrument. Son vertige était fini. Il inspira à fond, plusieurs fois. Puis il se leva et alla derrière le bar se servir un whisky qu'il avala cul sec. Il sentit une agréable chaleur l'envahir. Son père revint.

"Comment te sens-tu ?"

"C'est passé... ce n'était rien... Mais tu n'as vraiment pas entendu crier?"

"Non... et j'ai encore une bonne oreille !"

Enio n'était pas arrivé à comprendre les mots, mais il était sûr d'avoir entendu deux hommes crier, comme une discussion très animée, ou plutôt une dispute. Il haussa les épaules et se remit au service, sans plus y penser.

Le soir venu il alla chercher Anna-Rita. Ils avaient décidé d'aller au cinéma voir "The Terminal" de Spielberg. Après ils marchèrent un peu en parlant du film.

"Beurk ! La scène du baiser de Victor et de l'hôtesse était gerbatoire !" dit Anna-Rita.

"Pourquoi?"

"Je l'aurais bien mieux tournée, cette scène. Tu en doutes, peut-être ?"

Enio eut un petit rire: "Oui, mon poussin, c'est vrai. On aurait cru Tom Hanks dans un remake Europe de l'Est de Forrest Gump."

"Je n'ai pas aimé Forrest Gump !"

Ils allèrent s'asseoir sur un banc du parc. Anna-Rita posa la main sur ses genoux et le caressa de façon intime.

"Hé, qu'est-ce que tu fais ! Arrête ça tout de suite !" dit Enio en rougissant.

Elle rigola : "Il n'y a personne, me dis pas que tu n'aimes pas ça."

"Non, pas en public. Arrête..." ajouta-t-il en repoussant sa main délicatement. Puis il eut un nouveau vertige et entendit des bruits. "Il y a quelqu'un..."

"Mais non, nous sommes seuls."

"Si... quelqu'un pleure...il sanglote. Tu n'entends pas ?"

"Non... Je n'entends rien... où ça ?"

Enio regarda autour de lui: "Je ne sais pas d'où ça vient... mais il y a des sanglots... Peut-être que quelqu'un est malade."

Anna-Rita se redressa et tourna la tête dans toutes les directions en écoutant avec attention.

"Non, je n'entends rien."

"Putain, c'est impossible, c'est fort..."

"Mais où ça ? Où les entends-tu ?"

"Je sais pas, je ne comprends pas..."

Anna-Rita rit : "Tu te fiches de moi! Tu as tout inventé pour que j'arrête de te toucher ! Sale hypocrite."

"Mais non, je l'entends... Je l'ai vraiment entendu. Ça a cessé à présent. Mais c'est bizarre, c'était comme si ça venait de dans ma tête... ou de partout..." dit Enio, l'air perplexe.

"Et tu me préviendras s'il faut que je me mette à paniquer ?" demanda-elle avec l'air de se moquer de lui.

Ils se remirent à marcher, tendrement enlacés, et à parler du film. Lorsqu'ils arrivèrent chez Anna-Rita, elle l'embrassa avec passion en se serrant contre lui.

"Tu ne veux pas que je monte ?" fit-il avec un sourire charmeur.

"Non, pas ce soir... Tu sais, j'ai mes règles, alors..."

"Alors, tu es vraiment perfide."

"Pourquoi ?"

"D'abord, tu me tripotes... et puis ensuite..."

"Allez, Enio! Tu sais que j'aime le faire avec toi... C'est juste que ce soir... Allez, ne me fais pas la tête !"

"Bon... et bien bonne nuit, alors."

"Es-tu fâché ?"

"Non..."

"On s'appelle ?"

"Salut."

Enio rentra à l'hôtel, lentement. Il était un peu déçu, mais il comprenait... Après tout, se disait-il, ils n'étaient pas ensemble rien que pour baiser ! Il avait passé une bonne soirée avec elle... et dans quelques jours, ce serait elle qui lui demanderait, il en était sûr.

Arrivé dans le hall il trouva son père et sa mère sur le canapé. En l'entendant rentrer ils tournèrent tous les deux la tête vers lui, interrompant ce qu'ils se disaient. Enio remarqua leur air étrange, tendu. Il regarda sa montre : il n'était pas trop tard, à peine une heure et demie. Il se dirigea vers eux.

"Qu'est-ce qui se passe ?" demanda-t-il.

"Assieds-toi." dit son père doucement mais fermement.

Il regarda ses parents dans les yeux et vit que sa mère avait pleuré. "Qu'est-ce qui se passe ?" demanda-t-il encore, en retenant son souffle.

"Ton frère..." dit son père.

"Qu'a-t-il fait ?"

"J'ai su... j'ai découvert que..." dit son père, l'air fâché, "... qu'il baisait avec..." il baissa d'un ton, "... avec Pino !" lâcha-t-il enfin.

"Qui, Danilo ?" demanda Enio en écarquillant les yeux.

"Pourquoi, tu as d'autres frères ?" lui demanda son père, sarcastique. "Oui, bien sûr, Danilo... avec Pino Russo."

"Ah bon."

"C'est ça, je découvre que ton frère est pédé et tout ce que tu trouves à dire c'est : Ah bon !"

"Papa, on dit pas pédé, on dit gay." dit Enio de façon un peu incongrue.

"Pédé, gay, tantouse... ça change quoi ? Il baise avec un mec !" dit son père en haussant le ton.

"Nestor ! Baisse d'un ton, tu veux que tout le quartier soit au courant ?" l'enjoignit sa femme.

"Mais... ça s'est passé où ?" demanda Enio.

"Dans la chambre de Pino Russo."

"Et comment sais-tu qu'ils y baisaient ?"

"Je suis monté dire à Pino qu'il fallait nettoyer à fond la douze parce que le Commandant venait demain... et... j'ai entendu des bruits... j'ai cru qu'il avait fait venir une fille dans sa chambre et tu sais que je déteste que les employés... Alors j'ai frappé et quand il a ouvert... tu parles d'une fille... c'était ton frère !"

"Mais papa, tu les as bien vus... n'as-tu pas mal interprétés les bruits que..."

"Oh non ! À part qu'ils ont mis trop longtemps à ouvrir... et le lit défait... et ton frère rouge comme une tomate et Pino plus gêné que... que..."

"Et alors, qu'as-tu fait ?" demanda Enio.

"J'ai dit à ton frère d'aller sur le champ dans sa chambre, bien sûr et j'ai jeté Pino à la porte."

"Ah bon. Et d'après toi, ça résoud quoi ?"

"Comment ça ?"

"Réfléchis, papa. Si Dino est gay, tu crois que mettre Pino à la porte va le rendre hétéro ? Et Pino est un excellent garçon de salle, le meilleur qu'on ait eu, où vas-tu en trouver un autre aussi bon ?"

"Parce que d'après toi j'aurais dû faire comme si de rien n'était ?"

"Mais bien sûr que oui. Après tout, ils sont majeurs tous les deux et si ça leur plait, c'est leurs oignons. Papa... on est au troisième millénaire !"

"Mais Enio..." s'insurgea sa mère, "... c'est si... si mal, si moche, si laid... pense au scandale, à la honte..."

"Quel scandale ? Ils ont baisé sur la place ? Sur une table du restaurant ? Tu n'as pas entendu à la télé que dix pour cent des gens sont comme ça ? Que c'est naturel ?"

"Naturel ? Ce qui est naturel c'est ce que tu fais avec Anna-Rita et pas ce que ton frère fait avec Pino !" lâcha son père en fronçant les sourcils.

"Et pourquoi est-ce sur nous que doit tomber ce dix pour cent ?" se lamenta sa mère.

"Papa, Maman... soyons raisonnables. Danilo n'a rien volé, ne se drogue pas, n'a fait aucun scandale, n'a tué personne. M'est avis que s'il est ainsi, mieux vaut qu'il soit avec Pino qu'avec Dieu sait qui ! Tout cela restant discrètement à la maison."

"Mais, avoir un fils... pédé..."

"Gay, papa."

"Oh, me casse pas les couilles ! Pédé, gay, appelle ça comme tu veux, ça ne change rien !" lui répondit son père.

"Nestor, baisse d'un ton !" dit sa mère.

"D'accord, Ersilia, mais le dire à voix basse ne changera rien ! Le fait est que les jeunes n'ont plus de morale, c'est sûr ! Doux Jésus, après tout ce que nous avons fait pour lui !"

"Papa, s'il te plaît ! Ça n'a rien à voir avec la morale ! Ni avec ce que vous avez fait pour lui ! Danilo a toujours été un bon garçon, et il l'est encore. Bordel, si tu ne l'avais pas surpris, qu'en saurais-tu ? Est-ce qu'il se ballade en talons aiguilles ? Il parle avec une voix de fausset ? Il séduit des gamins ?"

"Il ne manquerait plus que ça !" grommela son père.

"Papa, ce qui compte, c'est que Danilo est un bon gars, un chouette type..."

"Un bon gars, tu parles !" lâcha son père dans un sarcasme. "Bon à enculer les autres si ce n'est à se faire mettre !"

"Ce qu'il fait au lit, sans faire violence à personne, ne change rien à sa valeur. Tâche de te calmer... Je sais que tu ne t'y attendais pas, mais..."

"Non on ne s'y attendais pas!" dit sa mère à voix basse, en secouant la tête. "Il ne pouvait pas être comme toi et aller avec une fille comme tous les mecs ? Ce Pino pourrait-il l'avoir... flatté, détourné..."

"Non, maman. Si Danilo est fait ainsi..."

"Mais toi, tu n'en savais rien ?" demanda son père, l'air suspicieux.

"Non, rien du tout, pas plus que vous. Mais pour moi, si c'est le cas, ça ne change rien. Maman, papa... les gays ont déjà une vie assez difficile entre les histoires de respectabilité et tous les préjugés qui traînent ! Ne vous mettez pas, vous aussi, à faire de sa vie un véritable enfer ! Fichez-lui la paix avec Pino, acceptez-le tel qu'il est. Est-ce que Pino ne reste pas un excellent garçon ? Et pas rien qu'en tant qu'employé ! Laissez-les tranquilles. Avoir un fils gay n'a rien d'une honte ! "

"Tu dis ça parce que ce n'est pas ton fils." lança sa mère.

"Je dis ça parce que c'est vrai ! Et si je devais un jour avoir un fils gay, je l'accepterais et je l'aimerais comme avant... non, plus qu'avant, pour le protéger de la méchanceté des gens !"

"Mais il est si jeune... peut-être qu'il peut changer... qu'on peut faire quelque chose pour qu'il change..." gémit presque sa mère.

Enio fit non de la tête: "Écoutez, on ne parle pas de fringues ou d'une mode qui peut changer. Être comme ça, c'est une nature. Et tu ne peux pas changer la nature, maman..."

"Comment ça, la nature ? La nature veut qu'un homme couche avec une femme, bordel !" s'écria son père.

"Non. La nature veut que sur cent hommes, quatre-vingt-dix fassent comme tu dis, et dix comme Danilo... C'est la nature : on naît hétéro ou on naît homo. Et on ne peut rien y faire, ni Danilo, ni vous, ni moi !"

"Mais pourquoi ça nous arrive-t-il à nous ?" gémit sa mère.

"Et pourquoi pas ? Va-tu finir par te mettre en tête que ce n'est pas une honte ? Ni un choix, ni une maladie, ni un crime !"

"Et alors, que pouvons-nous faire ?" demanda sa mère, éplorée.

"L'aimer... et le laisser tranquille... avec Pino."

"Je l'ai viré." dit son père en fronçant les sourcils.

"Tu n'as rien écrit. Dis-lui demain qu'il peut rester, s'il le veut... rester travailler ici et... rester avec Danilo."

"Je ne sais pas... Mon Dieu, à t'écouter tout à l'air si simple, si facile, si naturel. Mais oui, les gars, amusez-vous, baisez... Et bientôt il faudra que je leur achète un lit double !" dit son père, énervé.

Enio sourit: "Ça pourrait être une bonne idée... Allez, papa, c'est toi qui rends les choses plus difficiles qu'elles ne le sont. Laisse-les vivre leur vie. Et puis, si tu t'y opposes, que va-t-il se passer ? Danilo peut céder et alors il deviendra frustré, refoulé, et il finira par se chercher un copain en cachette, peut-être des rencontres sordides dans les toilettes, au risque de déclencher un vrai scandale... ou alors il va quitter la maison pour vivre sa vie en paix."

"Mais... et s'il attrapait le sida ?" demanda sa mère.

"Maman, d'après les statistiques il y a plus d'hétéros que d'homos qui attrapent le sida. Autrement dit, je risque plus d'être contaminé que lui. Il suffit qu'il prenne ses précautions..."

"Je ne sais pas..." répéta son père en faisant non de la tête. "Quelle tuile, quand même, j'étais loin de m'y attendre."

"Allez, papa, ce n'est pas une tuile. Personne ne se limite à ce qu'il fait au lit. Oublie ça un instant. Danilo, n'est-il pas un bon garçon, un travailleur sérieux, honnête, un artiste dont la préparation des plats nous apporte plein de clients ? N'est-il pas aimable, gentil... bref, un type bien, comme je disais ?"

"Oui, mais..."

"Non, papa. C'est oui et il n'y a pas de mais. Ce qu'il fait au lit n'y change rien. Tu es fier de lui, oui ou non ?"

"Oui..."

"Alors continue à l'être, papa ! Danilo n'est ni pire ni meilleur qu'avant que tu le saches gay. Il est tel que je t'ai dit, mais maintenant il a encore plus besoin qu'avant de savoir que la famille le comprend, le soutient, le défend et le protège ! S'il te plait, papa... maman... Il faut que vous l'aimiez !"

"Mais bien sûr qu'on l'aime..." murmura sa mère.

"Bien. Et si on allait se coucher et digérer ça en dormant. Si ça se trouve demain tout ça vous semblera moins compliqué..."

Ses parents se regardèrent puis hochèrent la tête, tristement.

"Papa... veux-tu que j'aille dire à Pino qu'il n'est pas viré ?"

"Mais je n'ai pas encore..."

"Allez, papa, tu sais que j'ai raison, cette fois. Je peux le lui dire ?"

"Fais ce que tu... Bon, d'accord, va le lui dire. "

"Merci, papa. Bonne nuit. Vous verrez, tout va bien se passer."

Il grimpa au grenier où se trouvaient les chambres des employés et frappa chez Pino. Lequel ouvrit peu après, en pyjama, ébouriffé et somnolent. Il le regarda, un peu surpris.

"Je peux entrer ?" demanda Enio.

Pino s'écarta pour le laisser passer. Enio vit la valise ouverte par terre, à demi remplie.

"Désolé si je te réveille, mais... tu peux ranger ta valise, si tu veux. Papa a changé d'avis, tu peux rester."

"Il t'a dit..."

"Oui, et j'ai discuté avec lui et maman. Je crois être arrivé à leur faire comprendre qu'il n'y aurait rien de mal si Danilo et toi... mais si tu veux bien en parler, dis-moi... c'est juste pour vous amuser ou y a-t-il quelque chose de plus? "

"Tu n'es pas... fâché contre moi ?"

"Non, pas du tout."

"Je ne sais pas qui... comment nous avons... nous nous sommes compris tout simplement. Ce n'est pas moi qui... Je veux dire, nous avions chacun déjà eu nos expériences..."

"Oui, très bien."

"Tu veux savoir si... ce qu'il y a entre nous... Nous ne sommes pas vraiment amoureux, mais... mais nous sommes très bien ensemble... nous... nous aimons bien. Et depuis que nous sommes ensemble, ni moi, ni lui, n'en avons cherché d'autres."

"Depuis quand êtes-vous ensemble ?"

"Presque un an. Mais comment puis-je rester... maintenant que vous savez tout ?"

"Tout le monde ne sait-il pas que je suis avec Anna-Rita ? Si ma famille accepte ma relation, pourquoi pas la vôtre, au moins entre nous ? Quelle différence y a-t-il ?"

"Mais... mais ils l'accepteraient ?"

"Je crois que oui. Mon père s'est laissé convaincre de te garder."

"Putain, je n'ai jamais été aussi gêné !"

"Eux aussi seront sans doute gênés au début, mais ça va passer, tu verras."

"Je ne sais pas... je..."

"Si Danilo et toi vous aimez bien, essaie de le faire, pour lui. Vous êtes-vous revus depuis... depuis que mon père a compris ?"

"Non..."

"Maintenant, je vais aller le voir. Bonne nuit, Pino et... reste ici, c'est la meilleure chose à faire, je pense, crois-moi."

"Merci. Je vais réfléchir..."

Enio sortit et alla à l'appartement familial. Il frappa chez son frère. Aucune réponse, il entra. Danilo était couché sur le ventre, encore habillé, sa lampe de chevet allumée. Enio l'appela doucement. Pas de réponse. Puis vint s'asseoir sur le lit de son frère.

"Danilo... Danilo..." appela-t-il en le secouant légèrement.

"Hein? Oh, C'est toi ? ... Tu as su..."

"Oui, c'est pour ça que je suis là." dit-il en souriant et lui caressa les cheveux.

"Et tu es furieux, toi aussi?"

"Non, pas du tout. Je peux te poser une question ?"

"Oui..."

"Depuis quand tu sais que tu es gay ?"

"Depuis toujours. Mais la première fois où... où j'ai... j'avais seize ans."

"Un copain de classe?"

"Oui..."

"Et avec Pino ?"

"Ça fait un an. Mais ça faisait longtemps que... je voulais... Bref, depuis le jour où papa l'a embauché."

"Et c'est arrivé comment ?"

"Eh bien... on a parlé... et peu à peu on a compris... qu'il me plaisait... que je lui plaisais... alors..."

"Vous vous aimez bien ou vous aimez baiser ?"

"Les deux..." dit Danilo en rougissant. "Mais à présent... Papa l'a viré."

"Je l'ai fait changer d'avis ; s'il le veut, Pino peut rester."

Les yeux de Danilo s'écarquillèrent. "C'est vrai ?"

"Oui, c'est vrai. Je ne dis pas que ce sera facile, au moins les premiers temps, ni pour vous ni pour papa et maman... mais vous verrez qu'ils finiront par vous accepter."

"Je croyais que tu serais... comme papa..."

"Mais il t'a battu ? Ou crié dessus, ou insulté ?"

"Non, il m'a juste dit d'aller dans ma chambre. Mais tu aurais vu les yeux de papa... il me regardait... c'était pire que s'il me frappait ou que s'il m'insultait. À croire que je lui fais honte."

"Mais non... c'est juste qu'il ne s'y attendait pas, il n'y était pas préparé. Mais papa et maman t'aiment, Dani... Et moi aussi, bien sûr."

"Ils te l'ont dit ?" lui demanda Danilo en se levant et se tournant pour le regarder dans les yeux.

"Oui, je leur ai demandé et ils ont dit oui. Alors tu verras que tout va s'arranger. Il faudra peut-être un certain temps, mais... tout ira bien. Tu veux que Pino reste ? "

"Oui..."

"Je lui ai parlé avant de venir te voir. Je ne sais pas ce qu'il va décider... il est très gêné. Je lui ai dit de rester."

"Mais papa l'a viré..."

"Papa a changé d'avis."

Danilo l'embrassa et éclata en sanglots, des pleurs nerveux, mais libérateurs. Enio lui caressait les cheveux en le serrant contre lui.

"Tout va bien se passer, Dani, tu verras... tout ira bien. Demain tu vas monter chez Pino, lui parler, et si vous en avez envie tous les deux, qu'il reste. Et puis tu sais que tu peux toujours compter sur moi."

"Oh Enio... Enio... merci... merci..."

"Mais de quoi, petit frère ?"

"Je suis gay, et pourtant..."

"Pour moi tu es le même Danilo qu'avant, ni plus ni moins. Que tu sois gay ne change rien. Bon, à présent tâche de dormir... Demain est un autre jour, comme on dit. Maintenant, c'est à vous deux de montrer que vous êtes toujours les mêmes, deux types bien !"

Enio quitta son frère et alla dans sa chambre. En passant, il s'arrêta devant la porte de la chambre de ses parents et écouta : il les entendit parler à voix basse, calmement. Il croisa les doigts et retourna dans sa chambre.

Il se déshabilla, mit son pyjama, éteignit et alla se coucher. Il repensait à ses discussions avec ses parents, puis avec Pino et Danilo. Oui, se dit-il, tout allait s'arranger. Tous comptes faits, dans l'ensemble ils ne l'avaient pas trop mal pris.

Bien sûr, se disait-il, jamais il n'aurait pensé que Danilo soit gay. Pas plus que Pino, pour être honnête. Il ne s'en serait jamais douté. Il les voyait comme deux types sains, virils, "normaux". Le fait est qu'on croit toujours que tout le monde est hétérosexuel... jusqu'à preuve du contraire.

Plongé dans ces pensées, il s'endormit, un peu fatigué par la tension de la soirée.


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