"Après que Tomas s'en soit allé... dans ses affaires... j'ai trouvé vos lettres, monsieur O'Brien, alors..." commença Aine en le regardant dans les yeux.
"Je crois qu'il aurait mieux valu que vous ne les trouviez pas..."
"Mieux ? Et pourquoi ? Pour rester sur l'illusion que Tomas m'avait aimée ? Aimée... moi... moi seule..."
"Ce n'est pas une illusion, madame. Tomas vous a aimée, il vous a profondément aimée."
"Ha ha ! C'est vous qui me dites ça ? Oui ? Alors qu'éprouvait-il pour vous ? Vingt ans avec vous, dix-huit avec moi... il s'est moqué de nous... non, de moi seule, vous, vous saviez..."
"Non. Tomas ne s'est moqué ni de vous ni de moi, j'en suis sûr."
"Ah bon? Qui aimait-il, alors? Qui a-t-il aimé ?"
"Autant vous... que moi."
"Ah oui, fifty-fifty ? Il marquait sur le calendrier, ou sur son agenda, quand m'aimer moi et quand vous aimer vous ?" demanda-t-elle, sarcastique.
"L'amour... ne se partage pas en deux... il se multiplie. Il vous a aimé totalement, il m'a aimé totalement, ça j'en suis sûr."
"Oui, les trois flèches de Saint Finbarre, hein ? La cathédrale de l'amour !"
Micheal rougit un peu : "Oui madame, c'est exactement ça. Tomas ne vous a-t-il pas donné tout ce que vous pouviez attendre d'un mari amoureux ?"
"Je me suis bercée de l'illusion qu'il en était ainsi..."
"Non. Il en a été ainsi. Et moi, il m'a donné tout ce que je pouvais attendre de mon... de mon homme."
"Mais vous saviez tout de Tomas et moi... et moi rien de vous et lui."
"Quand... quand Tomas a commencé à me parler de vous..."
"Vous étiez déjà ensemble depuis deux ans..."
"C'est vrai. Quand Tomas a commencé à me parler de vous, j'ai compris qu'il pourrait avoir besoin de vous autant que de moi. Pas seulement pour ses deux enfants, qui avaient perdu leur mère... J'ai compris que vous pourriez lui donner quelque chose que jamais je n'aurais pu lui donner...
"Et quoi donc ?"
"Une famille stable. Une mère pour ses enfants. Une... respectabilité que, dans notre société, il risquait de perdre si on nous voyait ensemble. Vous savez bien, je pense, combien notre si catholique et traditionaliste Irlande... reste encore impitoyable avec deux personnes du même sexe qui s'aiment."
"Alors, après vous avoir séduit vous..."
"Non, madame, c'est moi qui ai séduit Tomas."
"Mais allons ! Vous n'aviez que dix-huit ans... et Tomas en avait trente trois."
"Il ne... J'ai été son premier... son seul garçon. J'avais... de l'expérience. Lui pas. Je me suis senti attiré par lui... je suis arrivé à... à le faire tomber amoureux de moi..."
"Et deux ans plus tard vous ne lui suffisiez plus et... et il s'est mis avec moi." remarqua Aine dans un amer sarcasme. "Il avait tout simplement besoin d'une femme pour faire tourner sa maison, sa famille... et le soulager au lit."
"Non... vous ne pouvez pas dire ça. La maison, une employée aurait pu s'en occuper, les enfants, d'accord... mais au lit... excusez-moi, ce n'est pas de la prétention... mais je pouvais lui suffire moi. Même si en fait personne ne suffit totalement à l'autre. Je... puis-je être complètement sincère avec vous, madame ?"
"Je suis là pour cela." répondit Aine, sèchement.
"Au début, Tomas a sans doute vu en vous... plus une mère pour ses enfants qu'autre chose. Oh, comprenez-moi, Tomas vous admirait, vous estimait, et vous lui plaisiez... Mais l'amour n'est arrivé que dans un second temps, en vivant avec vous et vous connaissant mieux."
"Mais il est resté avec vous."
"Notre civilisation, notre culture nous ont imposé de croire qu'un rapport d'amour doit être exclusivement en couple. Au fond... je l'ai cru moi aussi. Alors, quand je me suis rendu compte que Tomas tombait amoureux de vous... j'ai pensé m'en aller."
"Vous voulez me faire croire que vous ne vous êtes pas battu pour le garder pour vous seul ?"
"Et pourquoi aurais-je dû ? Pour me construire une illusion de bonheur sur son sacrifice ? Aimer ne signifie-t-il pas vouloir le bien de l'autre ? Et il était évident pour moi que vous, madame, pouviez lui donner beaucoup et le rendre heureux... ce que vous avez fait. Oui, je serais parti. Mais Tomas n'a pas voulu, parce qu'il m'aimait aussi. Parce que, contrairement à beaucoup de monde, c'était un homme vraiment capable d'aimer."
"Je... ne sais pas si j'aurais accepté de... le partager avec d'autres..."
"C'est pour ça que Tomas a décidé de garder notre amour secret."
"Mais vous... ne m'avez-vous pas vue comme une... rivale ?"
"Et pourquoi aurais-je dû, si vous rendiez heureux mon... rendiez heureux Tomas."
"Mais ne vous êtes-vous pas senti... comme une... roue de secours ?"
"Non, absolument pas."
"Mais quand il était avec moi, il n'était pas avec vous..."
"Et quand il était au travail, il n'était pas non plus avec moi. Enfin, je veux dire que ce qui comptait pour moi c'était qu'il soit heureux... ce qui suffisait à me rendre heureux."
"Un vrai héros." dit Aine avec léger sarcasme.
Micheal sourit : "Non, simplement un garçon amoureux."
"Mais enfin ? Vous, ici... une maison si modeste... et moi... dans une belle villa... Deux poids, deux mesures... Je me serais attendue à ce qu'il vous offre, s'il vous aimait vraiment, au moins le même confort qu'il m'a offert à moi..." dit-elle en regardant autour d'elle.
"Tomas aurait voulu, mais moi pas. Je suis bien ici... son amour me suffisait."
"Il ne vous a même pas offert un bon travail... Il aurait pu vous embaucher à l'usine, non ?"
"Je ne pouvais pas travailler à l'usine avec lui... On risquait que des gens comprennent ce qu'il y avait entre nous. Et puis, être taxi indépendant me permettait de régler mes engagements pour être libre quand Tomas pouvait me consacrer un peu de temps."
"Un peu de temps... les restes..."
"Non... Quand il partait en déplacement, en voyage d'affaire, j'allais presque toujours avec lui... Il ne m'a jamais fait manquer de son temps... mais surtout, il ne m'a jamais fait manquer de son amour..."
"Amour... amour... mais comment aimer deux personne sans enlever quelque chose à chacune ? Je ne comprends vraiment pas. Moi, plus que de l'amour, je crois que c'est de l'égoïsme..."
"Sincèrement, madame, avez-vous jamais senti, soupçonné, eu la sensation que Tomas vous ait enlevé quelque chose ?"
"Non... mais parce que je ne savais pas... Mais vous..."
"C'est comme quand on a un enfant et qu'un second naît : on les aime tous les deux, sans rien enlever à aucun des deux. Le vrai amour se multiplie, il ne se divise pas."
"Mais Tomas passait les nuits, presque toutes les nuits, avec moi... vous ne vous sentiez pas seul, vous ?"
"Quand on aime et qu'on est aimé, on ne sent jamais seul. Et Tomas était un homme vraiment capable d'aimer."
Aine secoua la tête : "Que d'illusions je me suis faites, en ne sachant pas... vous ne croyez pas vous en être faites, vous, parce que vous l'aimiez ?"
"Pendant tant d'années ? Non, madame, croyez-moi. Ni vous ni moi ne nous sommes fait d'illusions. J'en suis profondément convaincu. Vous comme moi avons vécu par lui... comme lui a vécu par nous deux..."
"J'ai du mal à vous comprendre... à vous croire..."
"J'en suis désolé. Parce que vous et moi... avons tant en commun..."
"En commun ? Vous et moi ?"
"Oui. Tomas... notre amour pour lui... son amour pour nous..."
"Les trois flèches..." murmura Aine en faisant non de la tête. "Un triangle... un triangle sordide."
"Pourquoi sordide, madame ? C'était si beau quand je pouvais être avec lui, mais si beau aussi quand je ne pouvais pas, parce que je savais être dans son coeur comme il était dans le mien."
Aine eut un petit rire amer : "Oui, et si ça se trouve quand il baisait avec moi, il pensait à vous !"
"Je ne crois vraiment pas. Il ne pensait qu'à vous, tout comme il ne pensait qu'à moi en faisant l'amour avec moi."
"Vous étiez dans la tête de Tomas pour affirmer cela ?"
"Non... simplement... je le connaissais bien... comme je suis sûr que vous aussi le connaissiez bien."
"Pas si bien, puisque j'ignorais votre existence..."
"Je conçois que vous soyez encore secouée par la découverte de mon existence, mais... il y avait entre vous une parfaite entente. Vous vous compreniez d'un regard... N'est-ce pas ?"
"Je l'ai cru... je le croyais..." dit Aine la voix basse et inconsolable et, tout soudain, elle se mit à pleurer.
Ce n'étaient pas des pleurs hystériques ni désespérés, mais calmes, les larmes coulaient lentes et silencieuses de ses yeux mi-clos, pendant qu'elle secouait légèrement la tête et se tordait les mains, appuyées sur le plan de la table.
Micheal posa une main sur celles d'Aine dans une légère caresse et il murmura : "Tomas vous aimait vraiment, Aine, je vous l'assure..."
"Mais comment peux-tu en être sûr, Micheal ? Comment peux-tu être sûr qu'il m'aimait, et qu'il t'aimait toi ? Ne comprends-tu pas que je sens mon monde s'effondrer sous moi ? Déjà le perdre si... si soudain... c'était dur, mais... maintenant... douter même de ce que je croyais avoir partagé avec lui pendant dix-huit ans... Tu ne comprends pas ?"
"Si... pour moi aussi, le perdre si soudainement a été un horrible coup, crois-moi..."
"Et toi... tu n'as même pas pu venir le pleurer à son enterrement..."
"J'y étais moi aussi... à l'écart, mais j'y étais..."
"À l'écart, justement. Et c'est juste, ça ?"
"Ça ne dépendait ni de Tomas, ni de toi, ni de moi... La société... n'aurait jamais accepté, permis... Pour moi ce n'était pas important de pouvoir être près de son cercueil, de sa tombe ou... ou dans un coin. Parce que de toutes façons Tomas était... il est dans mon cœur. Comme il est dans le tien, Aine..."
Inconsciemment, à l'arrivée des larmes d'Aine, ils avaient commencé à se tutoyer et s'appeler par leur prénom.
"Tomas t'a aimée de tout son être..." insista Micheal.
"De tout son être ? Non, s'il en avait une partie pour toi."
"C'est le mystère de l'amour... je te l'ai dit, il ne se divise pas mais il se multiplie."
"Je voudrais avoir ta certitude."
"Et tu dois l'avoir. Je sais que ce n'est pas exactement pareil, mais réfléchis : Tomas aimait-il plus son père ou sa mère ? Plus sa fille ou son fils ? La question n'a pas de sens, ils les aimait autant et de tout son être, n'est-ce pas ? Alors, aimait-il plus Aine ou Micheal ? Cette question non plus n'a pas de sens pour qui a connu Tomas comme tous les deux nous l'avons connu."
"C'était un homme vraiment capable d'aimer... as-tu dit."
"Peut-être est-ce rare, mais lui il était comme ça. "
"Mais pourquoi... pourquoi ne m'a-t-il pas parlé de toi ?"
"Crois-tu que tu aurais été prête à accepter, à comprendre et à apprécier ?"
"Non..."
"C'est pour ça. Il ne voulait pas te faire de mal, tu vois ? Ce n'était pas de l'égoïsme de sa part à ton égard. T'es-tu jamais sentie négligée, mise à l'écart ?"
"Non... non, mais... c'est parce que je ne savais pas..."
"Non, pas parce que tu ne savais pas, mais parce qu'il t'a toujours donné tout ce dont tu avais besoin. N'est-ce pas le cas ? Moi... j'étais au courant... et pourtant je ne me suis jamais senti mis à l'écart, ni jamais négligé."
"Oui, mais en tant que gay, tu es habitué à devoir te contenter..."
Micheal sourit : "Personne ne s'habitue jamais à ce qui est injuste. Et même si j'avais été une femme, cela n'aurait rien changé. Bien sûr, pour la société mon problème était double : amant et de plus homme..."
"Mais Tomas... tu m'as dit qu'avant de te connaître il n'avait jamais été... il n'avait jamais fait... Et puis, il avait déjà été marié, il avait eu deux enfants... comment se fait-il que... qu'un homme normal... soudain, du jour au lendemain..."
"Peut-être parce que Tomas se souciait plus de la personne que du sexe... Tomas n'est pas tombé amoureux d'un homme, mais... de moi, de Micheal... Et de même, avec toi, il n'est pas tombé amoureux d'une femme, mais d'Aine..."
"Tu m'as dit qu'au début... il n'était pas vraiment amoureux de moi..."
"Il t'estimait, t'admirait et physiquement tu l'attirais... mais l'amour est venu petit à petit, en te connaissant mieux. Oui, honnêtement, à ce qu'il m'a dit, au début c'était plus pour donner une mère à ses enfants... D'ailleurs... il en avait clairement parlé avec toi, non ? Il ne t'a pas trompée."
"C'est vrai. Et moi ça m'allait comme ça. Honnêtement... moi aussi, honnêtement... Tomas était beau, quelqu'un de bien, fascinant, intelligent, d'agréable compagnie..."
"Gentil, honnête..."
"Moi aussi je ne suis tombée amoureuse de lui qu'après le mariage, en vivant ensemble..."
"Et il n'y a rien de mal à ça, au contraire, il est bien que ce soit arrivé. Combien de couples dits normaux ne sont fondés que sur un accord mutuel, une convention légitime, mais sans amour ?"
"Comment peux-tu être si serein, Micheal ?" demanda-t-elle en le regardant les yeux presque suppliants.
"Parce que je sais qu'il m'a vraiment aimé."
"Mais il ne te manque pas, maintenant ?"
"Bien sûr qu'il me manque. Le son de sa voix me manque, la lumière de son regard, le toucher de ses mains..."
"Oui... et... et faire l'amour avec lui..."
"... et faire l'amour avec lui, bien sûr."
"Comment... comment était-ce ?" demanda Aine dans un murmure.
Micheal sourit : "Magnifique... tu devrais le savoir..."
"Oui... magnifique, c'est vrai..." reconnut Aine en rougissant un peu.
"Oui, parce qu'il t'aimait... parce qu'il m'aimait, tu vois ?"
"Tu es un garçon... un homme très gentil, Micheal. Je comprends que... que Tomas... ait été amoureux de toi."
"Merci. Mais n'oublie pas qu'il était aussi vraiment, profondément amoureux de toi."
"Je voudrais avoir ta certitude..."
"Tu la trouveras en toi, Aine, à mesure que ton cœur et ton esprit se remettront du tumulte de ces derniers jours."
"J'espère que... J'ignorais... je n'avais pas idée de ce que... de comment se passerait notre rencontre, Micheal... Je sentais juste que... que je devais venir."
"Tu as bien fait."
"Je... j'ai ton numéro de téléphone... et tu as certainement le nôtre... le mien... J'aurais plaisir, si tu veux bien... j'aimerais que l'on se revoie..."
"Bien sûr, volontiers."
Pour la première fois, Aine ébaucha un petit sourire. Micheal retira sa main de celles d'Aine, à présent plus nerveusement serrées mais détendues.
"Je ne t'ai rien offert..." remarqua Micheal.
Aine sourit encore : "Nous aurons d'autres occasions." murmura-t-elle en se levant. "Maintenant... il faut que j'aille au bureau. Je dois mener de l'avant l'œuvre de Tomas du mieux que je peux..."
"Bien sûr. À bientôt, j'espère."
"Oui, à bientôt."
En roulant vers l'usine, Aine repensait à la rencontre dont elle sortait. Si différente qu'elle n'avait imaginé. Micheal était très différent qu'elle n'aurait cru. Elle avait senti la force de l'amour de ce jeune homme pour son mari...
Pouvait-il avoir raison ? Tomas... aurait été un homme si plein d'amour qu'il avait pu en donner assez... non, en abondance à eux deux ? Les trois flèches de la cathédrale saint Finbarre ? Un triangle... parfait ?
En général, quand on parle de triangle pour une relation, on pense à quelque chose de sordide... quelque chose qui engage juste les trois protagonistes sexuellement, pas sur un niveau d'amour. Et souvent un des trois côtés du triangle n'existe pas, il est ouvert. Et maintenant qu'un des trois sommets avait disparu... maintenant ce côté ouvert... commençait à se refermer.
Aine se sentait confuse, mais moins tendue que quand elle était partie affronter Micheal. À quoi qu'elle se soit attendue, elle avait en fait trouvé quelque chose de totalement différent.
Micheal... quelle personne inhabituelle... Il avait dit que c'était lui qui avait "séduit" Tomas... Elle aurait aimé savoir comment c'était arrivé, ce qu'il voulait vraiment dire. Il avait aussi dit avoir été le premier et le seul homme de Tomas. Et il n'était pas jaloux d'elle. Tout cela bouleversait complètement ses idées.
Une fois au bureau, elle fut vite prise par les mille problèmes que lui soumettaient un à un ses collaborateurs, alors elle cessa de penser à Micheal, à Tomas et à elle. Robert était assurément un secrétaire efficace et dévoué. Elle lui demanda d'apporter du café et de rester le prendre avec elle.
"Puis-je vous poser une question personnelle, Robert ?"
"Faites..."
"Vous... m'avez dit être gay... vous avez un ami ?"
Robert sourit : "Oui, il s'appelle Steve. Nous sommes ensemble depuis un peu plus de six ans."
"Le fait de... d'avoir découvert que Tomas... pendant vingt ans... a aussi eu un ami..." commença Aine, presque hésitante, à voix basse. Puis, après une profonde inspiration, elle dit d'une voix plus haute et plus claire : "Je suis allée le rencontrer... ce matin."
"Oui ?"
"Oui. C'est un... un jeune homme intéressant... différent de ce que... de ce que j'imaginais..."
"Ah."
"Et... Micheal... c'est son nom... a insisté... beaucoup insisté sur le fait que... que Tomas m'a vraiment aimée."
"Je crois que c'est vrai. Je n'en ai jamais douté." dit Robert avec un sourire gentil.
"Bien. Mais... mais il était aussi amoureux de Micheal... Comment cela se peut-il ?"
"Je ne sais pas... je ne crois pas que moi je serais capable de... d'aimer de la même façon deux personnes, mais... nous sommes tous différents. Et Mr. Walsh était quelqu'un d'exceptionnel... il avait un grand cœur, toujours attentif à tous..."
"Micheal a dit que c'était un homme qui savait vraiment aimer. Mais... je suis encore un peu... secouée."
"Je comprends, madame. Oui, je crois qu'il est vrai de dire que Mr. Walsh savait vraiment aimer. Je n'ai aucune idée de ses sentiments pour ce Micheal, mais je suis sûr qu'il vous aimait."
"C'est... quelqu'un d'aimable, Micheal. Très gentil. Il vit dans un très modeste appartement... très bien rangé, très propre... mais modeste. Il est chauffeur de taxi. Il me semble étrange que... que Tomas m'ait tenue dans le luxe alors que lui, au contraire..."
"S'ils se sont aimés vingt ans... leur rapport devait être très fort et solide, au-delà du luxe et du matériel."
"Evidemment. C'est étrange, quand j'ai découvert qu'il y avait un homme... je me suis sentie trahie, trompée. Mais à présent, après l'avoir rencontré, je ne sais pas mais... je ne sais plus où j'en suis. Mon dieu, on pourrait dire... que c'est du passé, mais... je me sens comme si... comme si on avait retiré la chaise sur laquelle je m'asseyais. Mais, Robert, si je peux me permettre.... Dites-moi comment un homme peut tomber amoureux d'un autre homme ?"
Robert ne répondit pas tout de suite, puis il dit : "Lorsque l'amour est véritable, il ne s'agit pas d'un homme avec un homme ou d'un homme avec une femme mais... d'une personne avec une personne. Je crois qu'au fond il y a dans toute amitié aussi une composante d'attirance sexuelle... que par éducation, par conditionnement, on nie en général, que d'habitude on n'exprime guère que comme une intimité particulière, mais sans dépasser les limites que la société nous impose, sans accepter son caractère physique..."
"Mais Tomas n'avait pas ces limitations ? C'est ce que vous voulez dire ?"
"Ou, même s'il les avait... il a eu la force... et le courage de les dépasser."
"Autant avec moi qu'avec Micheal ?"
"C'est peut-être exactement cela..."