Aine et Micheal commencèrent à se voir. D'abord juste de temps en temps, mais peu à peu plus souvent. Il se formait une certaine "complicité" colorée de sympathie et d'une grandissante confiance réciproque. Au début, ils évoquaient surtout Tomas, chacun livrant à l'autre ses souvenirs et ses expériences. Mais cela les conduisit peu à peu à parler aussi d'eux.
"Tu m'as bien dit que c'est toi qui avais séduit Tomas ?"
"Oui, Aine."
"Tu pourrais me dire comment... comment c'est arrivé ? Tu n'avais que dix-huit ans ? Et Tomas trente-trois ?"
"Oui. On s'est rencontrés en hiver, dans un refuge en montagne. J'y étais allé avec mon copain d'alors, enfin, ce n'était pas vraiment mon copain mais un ami, gay comme moi, la vingtaine, avec qui je partageais aussi de la tendresse... bref, je faisais l'amour avec lui.
"Tomas avait clairement compris l'essence de notre rapport. Il était difficile de ne pas le comprendre, puisque mon ami Luke et moi partagions sa chambre et que nous étions souvent enlacés... de façon... on ne peut plus intime. Mais il n'a pas mal réagi, au contraire, il nous traitait exactement comme tout couple qu'il aurait pu rencontrer par hasard.
"J'ai tout de suite été fasciné par la personnalité de Tomas... et aussi par son aspect physique, bien sûr. C'était un très bel homme. Quand on se changeait dans cette chambre à lits superposés, j'avais l'occasion de le voir à moitié nu : il avait un très beau corps, athlétique, musclé, glabre, mais aux jambes couvertes d'un léger duvet que je trouvais très érotique..."
"Oui, c'est vrai, moi aussi j'adorais ce détail..." dit Aine avec un petit sourire. "Moi aussi je trouvais ça très érotique..."
"Il était l'érotisme incarné... son sourire... sa voix... son regard... Non, peut-être pas vraiment l'érotisme, mais il était fascinant, attirant et sensuel."
"C'est tout à fait ça..." murmura Aine d'un ton rêveur.
"Alors... je me suis mis à le draguer... d'abord presque d'instinct, puis par jeu, mais après... j'ai décidé de le séduire... Nous n'avons passé que cinq jours ensemble dans ce refuge. Tout ce que j'ai pu faire pendant cette période a été de faire naître entre Tomas et moi une sorte de... d'entente, disons une amitié. Mais j'en voulais plus, bien plus.
"Nous avions échangé nos adresses et nos téléphones... On s'est revus... je l'ai dragué... Peu à peu notre amitié s'est colorée d'une intimité croissante... D'un côté je voulais faire... une avancée décisive, mais de l'autre je craignais, en la faisant, de l'éloigner de moi.
"Je l'ai dit, il savait bien que j'étais pédé, mais je n'arrivais pas à comprendre pour lui, je le savais veuf depuis peu, resté avec deux jeunes enfants, à l'évidence il n'avait pas de préjugés contre les pédés. Qu'il ait été marié pouvait vouloir dire qu'il était hors de portée pour moi, mais... je ne voulais pas m'avouer vaincu."
Aine l'interrompit : "Tu as une photo... de cette époque ?"
"De Tomas et moi ?"
"Même de toi seul... pour voir... comprendre quoi... comment Tomas te voyait." répondit Aine, hésitante.
"Oh, comment Tomas me voyait... mais il n'est pas dit que ça ressemble à ce que j'étais en réalité, ou a mon image d'alors. "
"Peut-être... mais as-tu une photo de quand tu avais dix-huit ans ?" insista Aine.
Micheal sourit, alla fouiller dans une petite boîte et revint en lui tendant une vieille photo format carte postale, "Là, j'avais dix-neuf ans..." lui dit-il.
"Donc tu étais déjà avec lui..." dit-elle en prenant la photo et en la regardant : "Tu étais très beau garçon ! Enfin... Je voulais dire... maintenant encore tu es un beau jeune homme, un bel homme. Mais je dois dire que tu étais déjà très beau..."
"Merci..." dit Micheal avec simplicité et il se rassit.
"Et... comment... Je veux dire... tu as dit qu'il n'avait jamais eu... qu'il n'avait jamais été avec un homme, avant toi..."
"Oui, c'est vrai. Tu veux savoir comment c'est arrivé ?"
Aine acquiesça, en le regardant dans les yeux, comme si elle voulait y lire la réponse avant qu'il ne parle.
"Nous étions allé voir Another Country, avec Rupert Everett... Le film venait de sortir. Tu l'as vu?"
"Non..."
"L'histoire commence dans un collège... par un amour homosexuel entre deux étudiants."
"C'est lui qui t'avait emmené voir ce film ?"
"Non, moi. Je m'étais dit que... en lui en parlant après... tu vois ?"
"Il te serait plus facile de lui dire ce que tu éprouvais pour lui ?"
"Oui."
"Et... ça a marché ?"
"Il y avait une belle scène... sur une barque... ils s'embrassaient... nous étions tous deux dans son auto, juste arrivé devant chez moi... Je lui ai rappelé cette scène et... je lui ai dit que... j'aurais aimé être sur cette barque avec lui... être enlacé comme ça avec lui..."
"Et Tomas ?"
"Il m'a tiré légèrement contre lui et il m'a enlacé... Je me suis un peu penché de côté et appuyé sur sa poitrine, presque comme dans le film... le volant soutenait ma tête..."
"Et là... dans l'auto..."
"Non. Mais dans la pénombre de la rue... j'ai trouvé le courage de lui dire ce que j'éprouvais pour lui. Tomas m'a caressé... doucement... sans rien dire... Je l'ai tiré vers en bas, vers moi... on s'est embrassés... Un baiser léger, mais..."
"Là, dans la rue ?"
"Oui. Il faisait nuit, la rue était déserte. Et j'étais décidé... bien qu'un peu inquiet d'avoir osé... mon cœur battait fort à en éclater. Mais Tomas n'a pas refusé mon baiser. Un baiser léger, c'est vrai, mais..." répéta Micheal comme en écho, le regard perdu dans le vide comme s'il revoyait la scène, un léger sourire sur ses belles lèvres.
"Et ?" demanda Aine dans un murmure.
"Je me suis redressé, je lui ai demandé pardon, mais je lui ai redit que je tombais amoureux de lui." dit Micheal à voix basse. "Je n'avais pas le courage de le regarder. J'attendais... Tomas me caressait une main, une caresse légère... et il m'a dit que... que lui aussi éprouvait.... de l'attirance pour moi. Je lui ai demandé si ce n'était que de l'attirance et il a répondu... presque dans un murmure... presque comme s'il était lui-même stupéfait de ce qu'il disait... il m'a dit que lui aussi tombait amoureux de moi."
"Et après ?"
"Et m'a souhaité bonne nuit... c'était un congé... Je l'ai regardé avec une question dans les yeux, muette mais certainement éloquente. Il m'a demandé de... de lui donner un peu de temps... On s'est dit au revoir... Je suis sorti de sa voiture, en me sentant complètement sens dessus dessous, les oreilles brûlantes, les tempes battantes, ma tête tournait... Il m'a retenu en me prenant une main, il m'a souri et m'a dit que lui aussi était amoureux de moi et il a répété que... qu'il avait juste besoin d'un peu de temps.
"Il lui en fallut moins que je ne craignais. Il m'a appelé deux jours plus tard, et m'a demandé si ça me disait de repartir en montagne, au refuge où on s'était rencontrés la première fois, pour le week-end. J'ignorais que, prétendant qu'on serait tout un groupe, il avait réservé tout le refuge... Aussi en fait nous sommes-nous retrouvés seuls tous les deux. Et, finalement, là-haut... nous avons fait l'amour. C'est ainsi qu'a commencé notre relation.
"Au début elle était... déséquilibrée. Pas à cause de notre écart d'âge, pour nos quinze ans de différence. Mais parce que, je l'ai compris plus tard, on ne devrait pas s'engager dans une relation tant qu'on n'est pas prêt à se donner. Mais on n'est capable de se donner que quand on est devenu adulte, c'est à dire quand on a acquis tout seul ce dont nous avons tous besoin. Quand les deux ont encore besoin de recevoir, la relation ne peut pas s'épanouir. Dans notre cas, Tomas était prêt à donner... moi j'avais encore besoin de recevoir. Alors, au moins au début, notre relation ne s'est appuyée que sur lui...
"Mais justement grâce à son amour... j'ai mûri, jusqu'à être moi aussi capable et prêt à donner. Jusqu'à ce que je comprenne qu'aimer n'est pas dire : tu es à moi, mais au contraire de dire du fond du cœur : je suis à toi. Jusqu'à ce que je comprenne que le vrai bonheur était pour moi de le voir heureux, le rendre heureux. Ce fut une évolution progressive, qui avança grâce au fait que je me demande ce qui me plaisait le plus chez lui et que, suite à ça, j'essayais de faire miennes ses valeurs... Je ne sais pas si j'arrive à... t'expliquer cela."
"Je pense que oui. Mais... physiquement... dès le premier moment..."
"Oh, ça a tout de suite marché, ça, bien que ce soit sa première fois. L'acte physique est important, bien sûr, mais pas essentiel."
"Tomas... savait faire l'amour..."
"Oui, Aine, c'est vrai, mais surtout... il savait donner de l'amour, il savait aimer... même avec son corps. Il te faisait te sentir aimé."
"Oui. Mais... tu avais vingt ans quand Tomas m'a rencontrée, c'est ça ? Comment te l'a-t-il dit ? Il te disait toujours tout ? Ou tu l'as découvert toi ?"
"Il me disait toujours tout. Il m'a raconté comment il t'a connue. J'ai vite senti, compris qu'il était attiré par toi, par ta personnalité."
"Et... tu n'as pas été jaloux ? Tu n'as pas craint pour votre relation ?"
"Non. J'avais déjà appris à l'aimer... je savais déjà que j'étais à lui et non lui à moi. Et je comprenais que tu pouvais lui donner quelque chose que moi je ne pouvais pas : refaire sa vie, surtout pour ses enfants, la prunelle de ses yeux."
"Oui. Il m'a épousée plus pour donner une mère à ses enfants que pour avoir une femme..."
"Au début, peut-être en était-il ainsi. Mais après, en te connaissant mieux, il est tombé amoureux de toi, crois-moi."
"Tu ne dis pas ça... juste pour me consoler ? Ou juste pour... défendre la mémoire de Tomas ?"
"Non. Sois honnête, tu sais bien qu'il t'aimait, tu sais parfaitement combien il t'aimait."
"C'est encore un peu difficile, pour moi... Si je n'avais pas découvert ton existence... bien sûr... je l'aurais cru moi aussi... Mais tu as peut-être raison. Le fait est que, au moins dans notre société, on attache beaucoup de valeur à la monogamie, alors... alors on pense qu'une relation de couple ne peut pas, ne doit pas être un triangle. Tu sais, je me sens encore un peu confuse..."
"Oui, je comprends, bien sûr... Moi j'ai eu tout le temps de comprendre. Toi ça t'est tombé dessus si soudain. Aine... je ne dis pas que le triangle soit... bien. Je dis juste qu'il peut aussi être bien s'il est soutenu par un amour fort. Mais je crois aussi qu'il est très difficile qu'un triangle fonctionne. S'il a fonctionné, le mérite en revient surtout à Tomas."
"Et à toi. Moi... je ne sais pas... je ne crois pas que... que j'aurais pu accepter. Tu l'as dit, c'est peut-être pour ça que Tomas ne m'a jamais rien dit ni laissé soupçonner sur toi. Peut-être savait-il que je n'aurais pas été en mesure de comprendre et d'accepter."
"S'il ne t'avait pas vraiment aimée, il est vraisemblable que tu aurais eu des soupçons, sinon sur moi, au moins qu'il ait une autre femme."
"Je n'ai jamais eu la moindre raison d'avoir des soupçons."
"Parce qu'il t'a toujours donné tout ce dont tu avais besoin. Et je ne parle pas du matériel et du physique, mais aussi sur le plan affectif."
"Tu sais... maintenant que j'y pense... c'est vrai : la première fois que Tomas m'a dit je t'aime, ce n'était pas avant le mariage, mais après... Avant il disait juste : je t'aime bien... tu me plais... je suis bien avec toi."
"Tomas a toujours été très attentif au choix de ses mots, il n'a jamais rien dit à la légère."
Aine eut un petit rire et secoua la tête, en regardant Micheal avec une expression un peu amusée.
"Qu'y a-t-il ?" demanda le jeune homme.
"C'est que... nous parlons comme deux veuves inconsolables... mais deux veuves... du même homme."
"C'est un peu le cas."
"Mais moi... j'ai pu le pleurer... publiquement... Je l'ai accompagné au cimetière. J'ai reçu les condoléances... j'ai eu ses enfants auprès de moi, ses employés, ses amis, nos amis. Toi non... Rien de tout cela."
"Et j'ai appris sa mort par le journal. Mais qu'importe ? J'ai toujours su que notre amour ne pouvait pas avoir, ne pourrait jamais avoir... de reconnaissance publique. Même maintenant que les temps ont un peu changé, comme il était marié je n'aurais jamais pu avoir plus que je n'ai eu. Les promenades bras dessus, bras dessous, la tête penchée sur l'épaule au cinéma, lui dire mon amour à voix haute dans la rue, lui caresser la main au restaurant..."
"Moi par contre... j'avais tout ça. Et maintenant... il me laisse riche, j'ai une belle maison, j'ai son usine. Pendant que tu es ici, seul, dans cet appartement si modeste."
"Qu'importe ? Tout ce qui compte n'est-il pas d'avoir eu son amour ? Le reste... c'est que des choses secondaires. Surtout les aspects matériels, la belle maison, l'argent, l'usine..."
"Tu es quelqu'un de très gentil et de très bien."
"Merci."
"Tu sais... je suis contente de t'avoir rencontré."
"Merci. Moi... je te connaissais déjà un peu parce que Tomas me parlait souvent de toi. Il me parlait de tout ce qu'il aimait. Toi, ses enfants, ses employés, son usine..."
"Va savoir ce qu'aurait été la vie si j'avais pu accepter, comprendre... Par ma faute... il n'a jamais pu parler de toi avec moi."
"On ne peut se reprocher de faute que pour ce que l'on fait, volontairement, de mal."
"Alors disons à cause de moi."
"Le passé est le passé. Maintenant tu es là... Maintenant tu sais, et tu as accepté, non ?"
"Je commence à comprendre... à accepter... Grâce à toi. Tu es un garçon très bien." répéta Aine en lui faisant un petit sourire. "Je comprends... qu'il ait été amoureux de toi... de toi aussi."
"Mais savoir que tu n'étais pas la seule te fait encore mal..."
"De moins en moins. Il n'est pas facile de changer d'un coup toutes ses perspectives, toutes ses certitudes, tu t'en doutes..."
"Oui, bien sûr. Peut-être aurait-il été mieux, pour toi, de n'avoir jamais rien découvert sur moi..."
"Je ne sais pas. Non. Si Tomas a toujours conservé toutes tes lettres et tous tes messages... Je ne crois pas au destin, mais... Maintenant je connais une partie importante de sa vie... et je le connais mieux..."
"Un peu mieux, oui. Ce qui est merveilleux dans une relation c'est qu'on n'en finit jamais de découvrir quelque chose de nouveau sur l'autre."
"Il ne te manque pas ?"
"Si... Bien sûr qu'il me manque. Pas à toi ?"
"Si. Beaucoup. Et avoir pris sa place à l'usine me fait aussi découvrir de nouvelles choses sur Tomas. Tu sais qu'ils l'estiment et l'aiment tous, là-bas ?"
"Je n'ai aucun mal à le croire, il s'occupait toujours bien de tous ses employés. Ce n'était pas un chef paternaliste."
"Non, c'est vrai. Comme il n'était pas un mari-chef à la maison. Et il a été un bon père, un très bon père, pour Sean et Deirdre. Mais à toi... te donnait-il vraiment assez ?"
"Nous ne serions pas restés vingt ans ensemble si ça n'avait pas été le cas." lui répondit Micheal avec un petit sourire.
"Je peux te poser une question... peut-être bien trop intime ?"
"Oui ?"
"Mais... il y avait encore de la passion entre vous... je veux dire... physiquement..."
"Oui. Il a toujours été très beau de faire l'amour avec lui."
"Oui, c'est vrai... pour moi aussi..." confirma Aine en rougissant un peu.
Micheal sourit en remarquant ce rougissement. Il tendit spontanément une main pour caresser celle d'Aine. Laquelle leva les yeux et lui sourit, presque timidement.
Ils se voyaient de plus en plus souvent et, à chaque fois, il se révélaient l'un à l'autre de nouveaux détails de leur vie avec Tomas. Peu à peu, et de plus en plus, ils se mirent aussi à parler d'eux-mêmes, de leurs sentiments, et aussi de leurs expériences en dehors de leur relation avec Tomas.
Ils étaient très bien ensemble et une vraie amitié de développait entre eux. Aine se mit aussi à lui parler de son travail, pour diriger l'usine d'ameublement et lui, parfois, lui donna quelques conseils, révélant ainsi être bien au courant de tout ce qui concernait l'usine.
"Tu donnais aussi des conseils à Tomas, pour l'usine ?" lui demanda Aine, un jour.
"Parfois. Tout comme toi, non ?"
"Si, c'est vrai."
"Tu sais s'il a augmenté Flavio Marzi, le chef comptable, ce jeune italien ? Peu avant sa mort il m'a dit vouloir le faire, il trouvait qu'il le méritait largement."
"C'est vrai, il m'en a parlé à moi aussi. Je ne sais pas, il faut que je vérifie. Merci de me l'avoir rappelé. Parfois je me sens un peu submergée par tout ce dont je dois m'occuper, voir, décider... Bien que Robert, Stanley et les autres m'apportent une aide précieuse."
"Tomas était exceptionnel pour cela aussi..."
"Oui, et moi je me sens un peu... sous dimensionnée." dit Aine à voix basse. Elle soupira, puis le regarda droit dans les yeux : "Micheal, pourquoi ne vends-tu pas ton taxi pour venir travailler avec moi à l'usine ? Ensemble... nous devrions arriver à la faire aller de l'avant comme l'aurait fait Tomas..."
"Moi ?" demanda-t-il, stupéfait. "Mais je... sais juste faire le taxi..."
"Et moi je savais juste être l'épouse d'un industriel... Je parle sérieusement, Micheal. Je me sentirais beaucoup plus... sûre de moi si tu venais travailler avec moi. En tant que... mon adjoint."
"Tu as un excellent secrétaire..."
"Oui, c'est vrai, mais justement, il n'est que secrétaire. Après tout, tu devrais aussi avoir le droit de diriger l'usine, après avoir donné vingt ans de ta vie à Tomas. Et plus je te connais, plus je t'apprécie."
"Mon dieu, Aine... je ne sais pas... Tu me prends au dépourvu. Et puis..."
"Tu me soulagerait d'un grand poids. À nous deux, j'en suis sûre, nous pourrons le faire. Il y a déjà un moment que j'y pense, j'ai vu que tu en sais au moins autant que moi sur le travail de Tomas... S'il te plait... Sinon pour moi... fais-le pour Tomas. Pour la gestion quotidienne nous nous partagerons les tâches et les décisions importantes nous les prendrons ensemble."
"Et si on n'était pas d'accord, hein ? À deux... il n'y aurait jamais de majorité."
"On pourrait au moins essayer, non ? Et si tu t'aperçois que ça ne te va pas... tu pourras toujours redevenir taxi. Mais je ne crois pas que nous aurons des problèmes..."
Aine dut encore insister quelques jours, mais il finit par céder. Ainsi, dès que Micheal eut accepté de travailler avec elle, elle fit préparer un bureau à côté du sien, communiquant.
Alors que Micheal s'occupait surtout de la production et des ateliers, Aine s'impliquait dans la partie financière où elle se sentait mieux.
Après un an de travail en commun, pendant lequel aucun problème n'avait surgi, Aine, en faisant les comptes avec Micheal, satisfaite, lui fit une nouvelle proposition.
"Comme je suis la veuve de Tomas avec qui nous étions en communauté de biens, tout ce qui était à lui est devenu à moi et à ses enfants. Maintenant... je voudrais qu'une partie de ce qui était à Tomas puisse être à toi, mais si on faisait une donation ou une vente, on paierait trop d'impôts..."
"Aine ! Mais ça n'a aucun sens... qu'est-ce que tu racontes ? Tu me verses déjà un excellent salaire en tant que ton adjoint et..."
"Oh si, au contraire, ça a du sens. Surtout que l'usine marche bien, mieux même, depuis que tu es là."
"Merci. Alors, tout est bien comme ça, non ?"
"Non. Une partie t'en revient... Non, ne m'interromps pas... Je l'ai décidé. Et j'ai trouvé la façon de te rendre copropriétaire sans que le fisc nous saigne et de façon parfaitement légale. Il suffit que tu acceptes..."
"Quoi ?"
"Epouse-moi sous le régime de la communauté de biens. Voila."
Micheal la regarda d'un air tellement abasourdi qu'Aine éclata de rire.
"Tu plaisantes ?" demanda Micheal.
"Absolument pas."
"Mais je suis gay, tu le sais. Quel mari serais-je, pour toi ? Tomas était bisexuel, ce n'était pas pareil, pour lui..."
"Tu ne serais mon mari... que devant la loi. Je ne te demande pas de coucher avec moi."
"Mais si tu... si tu voulais te remarier, fonder une famille..."
"Non, je crois que ça ne m'intéresse pas. Et puis, au cas où, on en parlerait. Tu ne vois pas que c'est la solution idéale ? Je ne te verse plus de salaire, nous nous partageons juste les bénéfices. La seule clause est que ni toi ni moi ne pouvons vendre nos parts, après nous, tout doit revenir aux enfants de Tomas."
"Aine..." le jeune homme geignait presque. "mais c'est de la folie..."
"Possible... mais le monde n'appartient-il pas aux audacieux ?"
"Mais Sean et Deirdre ? Comment le prendront-ils ?"
"Ils m'on déjà donné une procuration générale pour leurs parts, juste après la mort de leur père, parce qu'ils n'ont pas l'intention de s'occuper de l'usine. Je ne partagerai avec toi que ma part, bien sûr. Et nous continuerons à gérer le tout ensemble."
"Non, Aine... non... ça n'a aucun sens... Je comprends tes raisons... mais moi je me moque d'avoir une part des biens de Tomas. Et puis... si tu tombais amoureuse d'un autre... ou moi..."
"Je crois que moi ça ne m'intéresserait pas... Et toi, de toutes façons; tu serais quand même libre, si tu trouvais un autre compagnon... Ce ne serait pas moi qui m'y opposerais, bien sûr."
"Non, Aine. Je te remercie, c'est très gentil, mais je ne peux pas accepter..."
"Mais moi je suis bien avec toi et... et j'aimerais que tu diriges l'usine avec moi. Ça fait un an qu'on se connaît... Je te voudrais à mes côtés. Tu connais bien l'usine et tu sais comment Tomas la dirigeait."
"Si tu y tiens vraiment, tu peux toujours me nommer vice-président. Ça... je crois que je pourrais l'accepter."