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histore originale par Andrej Koymasky


LUI SAVAIT VRAIMENT AIMER CHAPITRE 9 - AINE OU LA GENEROSITE

"Entrez !" dit Aine.

Stanley, le responsable du service projet, entra : "Avez-vous cinq minutes, madame Walsh ?"

"Oui, bien sûr, asseyez-vous. De quoi s'agit-il ? Un problème ?"

Stanley s'assit au bord de la chaise, raide, presque rigide : "Voilà, madame, c'est que... je crois qu'il est de mon devoir de vous dire que, j'en suis presque sûr, entre Brian Quinn et monsieur Micheal O'Brien il y a une relation, disons... particulière."

"Oh, vraiment ?" demanda Aine, amusée, en arquant un sourcil et, sans être vue, elle appuya sur le bouton de l'interphone du bureau de Micheal pour qu'il entende tout.

"Oui, certains coups d'œil, certains appels... certaines attitudes..."

"Mon dieu, Mr. Sadleir, les auriez-vous vu copuler au bureau ? Au travail ?" demanda Aine en faignant d'être scandalisée.

"Mais non, bien sûr. Mais..."

"Ils se sont embrassés dans un couloir ? Ou aux toilettes des hommes ?" insista Aine.

"Mais non, mais..."

"Alors, monsieur Quinn a fait des choses... inconvenantes pendant ses heures de travail ?"

"Non, mais il est évident que..."

"Donc vous les avez surpris à faire des choses interdites par la loi de notre république ? Ou à faire du scandale ?"

"Non..." gémit-il en commençant à comprendre à quel point il avait eu tort de venir parler à la présidente de l'usine.

"Alors, monsieur Stanley Sadleir... tiens, je n'avais jamais remarqué... vos initiales sont SS... ne vous semble-t-il pas inapproprié de mettre le nez dans ce qui ne vous regarde pas-le-moins-du-monde ? S'il vous gêne tant d'avoir un gay... ou du moins un présumé gay dans votre service, et un autre comme chef... je comprendrais votre demande de démission..."

"Démission ?" demanda-t-il déstabilisé, abasourdi.

"Ah non ? Oh, j'ai dû mal vous comprendre. Alors pardon, mais quel est le problème ?"

"Mais... pour le renom de l'usine..."

"Le renom ? Pourquoi, nos dépliants feraient-ils allusion à la présumée relation de deux employés de cette usine ? Ou le catalogue de nos meubles ? De quel renom parlez-vous, Mr. SS ?"

"Non, c'est que... je pensais ... je trouvais normal que vous sachiez... ayez connaissance... Certaines attitudes sont une offense..."

"Bon. Maintenant je sais, j'ai entendu. Les gens s'offensent à force de vouloir voir le mal à tout prix. Si quelque chose vous offense, mon cher Mr. SS, regardez ailleurs. Symboliquement, même. Mr. O'Brien est un excellent collaborateur, Mr. Quinn un excellent projeteur. C'est tout ce qui m'intéresse et je ne veux pas en savoir plus. Et j'attendais la même préoccupation de vous pour votre travail... et que vous montriez plus de discrétion que jusque là. Sinon... présentez-moi votre démission, si vous êtes trop troublé par ma politique. Si vous n'avez rien d'autre à me dire..."

Stanley se leva, bredouilla un au revoir et sortit du bureau, l'air d'un chien battu.

Peu après Aine entendit frapper doucement à la porte entre leurs bureaux et Micheal entra.

"Je ne pensais pas que... que ce qu'il y a entre Brian et moi était devenu si évident..." dit-il en s'asseyant face à elle, de l'autre côté du bureau.

"Que veux-tu, l'amour est comme un phare... on en voit la lumière même en plein jour. À ce stade... pourquoi n'arrêtez-vous pas de vivre séparément et de venir séparément au travail ? Il y a neuf mois maintenant que vous êtes ensemble, non ? La grossesse est finie, il est temps d'accoucher..."

Micheal rit. "Nous y pensons, Aine. Mais chez moi comme chez lui, c'est trop petit pour deux. Alors on pensait chercher un autre appartement."

"Ah, enfin ! Vous avez des préférences sur le quartier ?"

"Non. S'il y avait de la verdure autour, ce serait bien, mais..."

"Tu sais... je me disais que la villa est trop grande pour moi, maintenant que je suis seule, alors, bien qu'à contrecœur, j'envisage de la vendre..."

"Je ne crois pas qu'entre Brian et moi nous ayons assez d'économies pour l'acheter, Aine..."

"Non, je m'en doute, mais si... si je la faisais réaménager pour y faire deux appartements, deux espaces, un pour moi et un pour vous deux... je serais contente de la garder et d'y rester. À moins que vous ne vouliez pas de moi comme voisine..."

"Diable, ce serait bien ! Tu serais vraiment prête à..."

"J'en serais heureuse, ça me permettrait de ne pas la vendre. J'en mets la moitié à ton nom, et..."

"En as-tu parlé avec Deidre et Sean ?"

"Oui, bien sûr, et si je voulais la vendre ils n'auraient rien contre. Alors ils n'auraient pas d'objection à ce que je t'en donne la moitié."

"Tu es très généreuse... et j'aimerais. Mais je dois d'abord en parler à Brian. Je crois qu'il dira oui, mais..."

"Evidemment. C'est bien que tu veuilles son avis. Perlez-en tous les deux, puis donnez-moi une réponse."

"Merci pour la façon dont tu as traité Stanley..."

"Pourquoi ? Je l'ai traité de la seule façon sensée, il me semble. Je ne crois pas qu'il se risquera encore à ses... absurdes dénonciations."

"Je peux en parler à Brian ?"

"Fais comme tu le pense. Je crois que oui. Stanley est bien comme technicien... un peu moins par sa mentalité. S'il reste à sa place, je compte le garder, sinon... on se passera de lui."

"Oui, je suis d'accord. Je l'apprécie aussi, professionnellement. Je crois qu'après ce que tu lui as dit, il sera très prudent sur son comportement."

"Si c'est le cas, tant mieux pour lui. Tu sais... je pensais lui demander de dessiner un nouveau lit... Un lit conçu pour y faire l'amour, et qu'on pourrait appeler Kama-Sutra..."

Micheal éclata de rire : "Non, par pitié, n'essaie même pas, tu vas lui faire avoir un infarctus."

"Mais ce serait une bonne idée, non ? Pas l'infarctus, le lit, je veux dire. Un lit qu'on puisse à sa guise moduler selon les évolutions érotiques qu'un couple voudrait y essayer..." insista Aine en plaisantant.

"Tu ne crois pas que les bons vieux coussins traditionnels suffisent ?"

Quand il vit Brian, Micheal lui parla de l'offre d'Aine. Ils en discutèrent un peu, acceptèrent et le lui dirent. Alors Aine engagea un architecte pour qu'il fasse un projet pour réaménager la villa et la partager en deux appartements. Elle voulut que Micheal et Brian soient aussi chez elle quand elle rencontra l'architecte pour discuter du projet.

La maison étant sur deux niveaux, Aine décida de la séparer par un plan vertical pour que chacun ait la zone jour au rez-de-chaussée et la zone nuit à l'étage. Du côté d'Aine, un peu plus grand, elle fit aussi faire deux chambres pour héberger les enfants de Tomas s'ils venaient la voir.

Les travaux durèrent quatre mois. Quand tout fut prêt, Micheal et Brian déménagèrent un samedi à la villa. Le soir, après avoir dîné tous les trois ensemble, ils discutèrent un moment puis les deux amants se retirèrent dans leur partie.

"Tu es content, Brian ?" lui demanda Micheal quand ils furent dans leur nouvelle chambre.

"Bien sûr que je le suis. Aine a été généreuse avec nous. C'est très beau, ici. Et le jardin et la piscine aussi. Tout est beau."

"Je crois qu'Aine se sentait un peu seule. Néanmoins, c'est vrai, elle a été très généreuse avec nous."

"Elle ne songe pas à se remarier ?"

"Il ne semble pas, du moins pas pour l'instant." dit Micheal en attirant son amant à lui et en commençant lentement à le déshabiller et le caresser. "Même si elle dit ne pas l'exclure."

"Elle est encore jeune, c'est encore une belle femme, et surtout c'est quelqu'un de bien. Elle ne devrait pas avoir de mal à se trouver un mari." dit Brian en s'attaquant à son tour aux habits de son amant.

"Tu m'épouserais si on pouvait en Irlande, comme depuis peu au Royaume Uni ?" lui demanda Micheal en le prenant par la taille pour l'attirer vers le lit.

"Oui. Oui, je t'épouserais. Mais je voudrais une cérémonie intime, discrète. Je n'ai pas envie de finir à la une des journaux comme une bête de cirque. Tes parents, Aine, deux ou trois bons amis."

"Ici, en Irlande, l'église catholique est encore trop puissante. Je ne crois pas que ce sera possible... pas de sitôt, du moins."

"L'important c'est que nous soyons bien ensemble, pas vrai ? Mariés ou pas." murmura Brian en l'attirant sur lui et il l'enlaça des bras et des jambes.

Ils échangeaient de petits baisers, presque ludiques, mais dans un crescendo de désir, de frissons, de plaisir et de passion. Ils ne parlaient plus, maintenant, du moins pas avec des mots, inutiles avec tout ce que disaient leurs yeux, leurs sourires, leurs corps

Pendant qu'il se laissait saisir et envelopper par ce plaisir croissant, Micheal compara inconsciemment Tomas et Brian. Qu'ils étaient différents ! Et pourtant, autant cela avait été beau avec Tomas, autant ça l'était maintenant avec Brian. Il se dit que c'était très beau de pouvoir vivre ensemble.. dommage que ça n'ait pas été possible avec Tomas, à part quelques jours quand ils faisaient un voyage ensemble.

Il se dit qu'alors que Tomas avait été fort comme le roc que rien ne déplace, il avait lui plutôt la force de l'eau qui s'adapte mais que rien n'arrête. Et Brian avait la force du roseau qui se plie à chaque rafale de vent mais se redresse aussitôt après... Trois genres de force si différentes...

Il se dit qu'au fond, au début, toutes les belles choses ressemblaient à un conte. Et qu'il n'y a pas "une route" vers le vrai amour mais qu'on la construit en y avançant. Puis... il arrêta de penser et se laissa complètement aller au jeu ancien et toujours nouveau de l'amour. Un jeu qui à chaque fois lui procurait un bonheur inattendu, stupéfiant, et complet...

Leurs corps s'unirent intimement, et ils savourèrent ensemble la joie de cette nième union. Chacun buvait le sourire heureux de l'autre, tandis que leurs corps bougeaient à l'unisson pour donner à l'autre le maximum de plaisir, pour lui communiquer la profondeur et l'intensité de son amour.

Quand enfin ils s'étendirent, haletant un peu après ce long marathon d'amour, ils se regardaient heureux et satisfaits, Brian prit le visage de Micheal entre les mains, l'attira vers lui et l'embrassa tendrement sur les paupières, sur le front, à la pointe du nez, sur les lèvres.

"Te lasseras-tu jamais de moi ?" demanda-t-il dans un murmure.

"Je devrais ?" lui demanda Micheal l'air malicieux.

"Je ne saurai jamais être à la hauteur de Tomas..."

"Quelle absurdité ! Il n'y a pas de... hauteur à atteindre... ce n'est pas un podium olympique. Tu es toi. Et ce 'toi'... me plait énormément."

"Je ne veux pas te perdre, maintenant que je t'ai trouvé..."

"Il suffit qu'on se tienne par la main et qu'on avance ensemble... et on s'arrêtera au bord du chemin si l'un de nous est fatigué, on attendra qu'il se repose et on partagera la charge si l'un de nous en a trop. Ce n'est pas si difficile, du moment qu'on n'oublie pas qu'on est deux. Tant qu'on pense 'nous' plus que 'moi'."

"Tu as plus d'expérience que moi..."

"Non, je suis seulement plus âgé..." répondit Micheal en souriant. "Ou peut-être n'avons-nous que des expériences différentes. Tu as l'expérience de trois amants et diverses aventures... Moi d'un seul amour, mais qui a duré vingt ans... Peut-être que, en les mettant ensemble, on pourra s'en sortir bien. Je ne me suis jamais demandé combien ça durerait, avec Tomas... J'ai juste fait en sorte de recommencer à l'aimer à chaque fois que je pensais à lui. Jour après jour... après jour... après jour..."

"Mais tu ne t'es jamais senti fatigué le lui ? D'être avec lui ?"

"Parfois, si, et alors je me demandais : mais je l'aime, malgré cette lassitude ? Et à chaque fois la réponse était oui. Et alors la lassitude était surmontée et passait peu à peu. Quelqu'un a dit que le vrai amour ne doit jamais demander de sacrifices. C'est faux, c'est une vaste connerie. Tout travail, tout sport, tout hobby, si on le fait sérieusement, demande souvent des sacrifices pour arriver au résultat. Pourquoi pas l'amour ?"

"Tu sais, avec les trois autres... on n'a jamais parlé d'amour... Enfin, on se disait 'je t'aime', mais on n'en a jamais parlé comme nous deux maintenant. Tu en parlais, avec Tomas ?"

"Bien sûr, parfois on en parlait. Dans notre société on parle peut-être trop souvent de sexe et pas assez d'amour. Partout : en famille, à l'école, entre amis... mais le pire, entre amants. Le sexe peut être bien, évidemment, mais combien plus important est l'amour !"

"Baiser avec un inconnu peut te donner de la satisfaction, mais le faire avec celui que tu aimes... c'est le paradis." commenta Brian l'air rêveur, en lui caressant doucement la poitrine.

"Oui, le faire par amour... exprimer son amour grâce au corps... cela fait de nous de vrais humains. Chacun de nous 'est' dans ses relations avec les autres. Alors l'acte d'amour, qui est la relation la plus complète et la plus créatrice, nous rend plus complets et meilleurs."

"Je ne veux pas te perdre, maintenant que je t'ai trouvé..." répéta Brian, "Nous nous tiendrons toujours par la main, d'accord ?"

"Tant que nous saurons aimer, nous le ferons certainement."

Ils se turent, au plaisir de leur proximité, suivant chacun le fil des ses pensées, en se laissant aller à l'agréable sensation d'être en sécurité dans les bras de l'aimé. Ils glissèrent lentement, imperceptiblement dans le sommeil et leurs membres nus, peu à peu, s'enlacèrent de nouveau...

Quand Micheal se réveilla le dimanche matin, encore assoupis il chercha à tâtons le corps de son amant. Il n'était pas là. Aussitôt réveillé il ouvrit les yeux, s'assit sur le lit et regarda autour de lui.

Brian était debout devant la fenêtre, complètement nu, derrière le rideau léger, les jambes un peu écartées, les bras le long du corps et la lumière du petit matin entourait sa silhouette d'un subtil halo de lumière argentée. Il se dit que c'était là une vision magnifique. Il resta à le contempler quelques secondes, se sentant très ému : il était si beau et il était à lui !

Il sortit silencieusement du lit, approcha dans son dos, écarta le rideau et le serra dans ses bras. Brian sursauta à peine mais vite, sans se retourner, sans un mot, il se pressa contre lui, se relâcha contre lui et renversa un peu la tête en arrière pour la poser sur l'épaule de son aimé.

"Comment vas-tu ?" lui demanda Micheal dans un murmure.

"Mieux que jamais. Et toi ?"

"Qu'est-ce que tu crois ?" demanda-t-il à voix basse en le serrant un peu plus contre lui. Puis il lui demanda : "Que regardais-tu ? À quoi pensais-tu ?"

"Je regardais le ciel... et je me disais qu'il était beau... lumineux... oui, lumineux comme notre amour..."

"Viendront aussi des jours de pluie, de brume, de neige..."

"Oui, et aussi l'obscurité de la nuit, bien sûr. Mais ils passeront... et le ciel redeviendra lumineux et beau. Mais si pour ce ciel nous ne pourrons qu'attendre... notre ciel à nous, nous pourrons nous-même le faire redevenir lumineux."

"C'est vrai."

"On s'habille, Micheal ? Aine va bientôt nous appeler pour prendre le petit déjeuner ensemble. Je l'ai déjà vue sortir chercher des fleurs au jardin."

"Encore un moment. J'aime te serrer comme ça."

"Oui..." murmura Brian.

Et Micheal entendit dans cette courte syllabe tout le monde qu'elle contenait. Il y avait bonheur, don de soi, plaisir, émerveillement... et il était plus chargé de sentiments que le "oui" qu'on échange en se mariant... Une seule syllabe, mais plus lourde de sens qu'un long discours.

"Tu m'aimes ?" demanda Brian dans un murmure.

"Evidemment."

"Pourquoi tu m'aimes ?"

"Parce que tu es toi."

"Comment m'aimes-tu ?"

"De tout mon être."

Brian se retourna entre ses bras et lui fit face. Il le saisit par la taille et l'attira contre lui. Leurs lèvres s'effleuraient, légères comme des papillons. Leurs yeux brillaient comme des gemmes. Des sourires pleins de tendresse illuminaient leurs visages.

"Serons-nous encore capables, dans vingt ans, d'être comme ça ensemble ?" lui demanda Brian d'une petite voix.

"Seulement vingt ans ?" demanda Micheal avec un petit sourire.

"Je m'en contenterais... pour commencer."

"Je ne peux que te promettre que je ferai de mon mieux..."

"Ça me suffit. Moi aussi je ferai de mon mieux, c'est juré !"

"Pourquoi es-tu si beau, Brian ?"

"Parce que je suis à toi."

La voix d'Aine surgit du jardin : "Les garçons ? Habillez-vous et venez, le petit déjeuner est prêt !"

Le bras sur l'épaule, ils se montrèrent à la fenêtre : "Il faut vraiment qu'on s'habille ?" demanda Micheal en plaisantant.

"Oui, sauf si vous voulez que la pauvre miss Gallagher s'évanouisse !"

"Elle seulement ? Pas toi ?" lui demanda Micheal en riant.

Aine ne répondit pas, fit un geste de la main comme pour chasser quelque chose et rentra dans la villa en riant.

"Qui est miss Gallagher ?" demanda Brian en allant vers le lit pour s'habiller.

"La gouvernante de la villa des Walsh, une vieille fille. Je crois qu'elle travaille pour eux depuis une douzaine d'années."

"Elle n'était pas là, hier soir."

"Non. Je crois qu'elle avait pris deux jours de congé."

"Combien de personnel a Aine, ici à la villa ?"

"Trois personnes, la gouvernante, un jardinier à tout faire et sa femme, la bonne. Ils logent tous les trois là-bas, dans la dépendance, au-dessus du garage."

Ils s'habillèrent et descendirent au rez-de-chaussée où ils allèrent à la salle à manger d'Aine. La table était déjà mise pour trois et devant chaque place il y avait les fleurs coupées plus tôt au jardin par Aine. Ils se mirent à table et la gouvernante arriva avec la bonne, portant deux plateaux couverts de plats alléchants, et elles se mirent à les servir. Aine échangea quelques mots avec elles et ils commencèrent le petit-déjeuner.

Quand les femmes furent sorties, Aine dit : "Vous avez bonne mine, vous êtes radieux..."

Les deux amants se regardèrent et sourirent.

"J'ai cru préférable de dire au personnel que vous êtes ensemble, que vous êtes un couple. Sinon, ils l'auraient compris." dit Aine.

"Tu as bien fait." lui dit Micheal.

"Et... ils ont réagi comment ?" demanda Brian.

"Miss Gallagher a dit : ah, bien. Rien d'autre. Mister Byrne, le jardinier, et son épouse ont dit que si c'était bien pour moi, ils n'y voyaient aucun problème."

"Mais tu n'as toujours rien dit à Deirdre ni à Sean, n'est-ce pas ?" lui demanda Micheal.

"S'il faut que je le fasse, je préfère le leur dire en personne quand ils viendront me voir."

"Comment crois-tu qu'ils le prendront ?"

"Je les connais assez bien pour penser qu'ils le prendront bien. Mais, je te l'ai dit, je ne crois pas indiqué de leur parler de Tomas et toi. S'il est facile d'accepter la sexualité d'un étranger... je crois moins facile d'accepter celle de son père."

"Mais... toi tu l'as acceptée." lui fit remarquer Micheal.

"Ça n'a pas été simple, j'avoue. Mais oui, je l'ai acceptée. Surtout grâce à toi, Micheal, et à tes mots. Il n'est pas facile de dépasser les conditionnements et les préjugés qu'on a depuis l'enfance. Peut-être que toute seule je n'y serais pas arrivée."

"À l'évidence tes préjugés n'étaient pas si forts, et de toutes façons tu étais prête à écouter et à comprendre..." lui dit Brian.

"Sans être prêt à écouter et à comprendre... on est déjà mort. Et je suis vivante, grâce à dieu !" s'exclama joyeusement Aine.

"Pourquoi le monde est-il si plein de préjugés ?" demanda Brian.

"Parce que le pré-jugé est un jugement qu'on te sert sur un plateau, bien emballé, dont tu disposes sans te fatiguer le moins du monde. Le jugement, par contre, tu dois peiner à le former et tu ne peux jamais en être sûr à cent pour cent." lui répondit Micheal.

"C'est tout à fait ça. Par le passé j'ai eu l'occasion de rencontrer deux juges. L'un était toujours 'sûr' de ses jugements. Il n'a jamais eu de crise de conscience, jamais. L'autre par contre ne cessait de se demander si les jugements qu'il avait prononcés étaient vraiment 'justes'... Inutile de dire que le second était plus digne de rendre la justice, même s'il n'a sans doute pas eu une vie facile." dit Aine.

Après le petit-déjeuner, ils allèrent au jardin.

"De toutes façons..." dit Aine, "ces vingt dernières années ont vu un glissement progressif du regard de la société occidentale sur les gays."

"Ah oui ? Tu crois ?" lui demanda Micheal.

"Oui, je me suis informée, tu sais... Sur Internet. Et bien j'ai vu que si autrefois vous n'étiez identifiés que par vos goûts sexuels et physiques, on reconnaît maintenant de plus en plus que l'expérience centrale de tout gay est la même que de tout hétéro : l'amour. Un amour qui rend fou, humilie, exalte tout aussi bien le gay que l'hétéro. Et cela me fait espérer que les préjugés s'éteindront peu à peu."

"Mais le pape a écrit récemment dans une encyclique que l'amour homosexuel est un amour faible... enfin, de moindre valeur, de seconde catégorie..." objecta Brian.

"Mais qui se soucie de ce que pontifie ce Benoît à Rome ?" s'exclama Aine.

"Ciel ! Et toi qui va si régulièrement à l'église..." répliqua Micheal plus qu'un peu ironique.

"Je donne à l'église et aux prêtres mon obole, pas mon cerveau." répondit Aine, joyeuse. "Et puis, il suffit de vous regarder tous les deux pour comprendre que votre amour n'a rien de seconde catégorie. Même le pape Benoît ne parle que par préjugés."

"Mais avec ces discours il met de l'eau au moulin de l'homophobie." lui fit remarquer Micheal.

"Oui, je crois que tu as raison, malheureusement. Quoi qu'en général, l'homophobe moyen n'a pas besoin d'eau à son moulin, il le fait tourner tout seul. À propos, Brian, comment se comporte Stanley, avec toi ?"

"Correctement, bien qu'un peu froidement. Il n'y a aucun problème."

"Bien. Tant mieux pour lui." dit Aine et elle lui décocha un sourire chaleureux.


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