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histore originale par Andrej Koymasky


LE BEAU GARÇON CHAPITRE 4 - RAFAEL, LE POLICIER

Il quitta la maison de l'architecte le lendemain matin à huit heures et quart. En descendant l'élégant escalier, il ouvrit l'enveloppe et en vérifia le contenu qu'il mit dans son portefeuille. Il ne vérifiait jamais devant le client, ça ne lui semblait pas poli. Il ne lui était arrivé qu'une fois de trouver moins d'argent que convenu dans l'enveloppe.

Quand ce client l'avait appelé pour un autre rendez-vous, il avait refusé en expliquant pourquoi. Si le client s'était excusé, s'il avait dit qu'il avait dû y avoir une erreur, il aurait compris et il y serait retourné. Mais cet homme lui dit d'un ton arrogant qu'il y avait la somme convenue et qu'il avait dû perdre un billet ou qu'il était de mauvaise foi. Serafino se contenta de couper court à la conversation en raccrochant et il ne revit plus jamais ce client.

Avant de rentrer chez lui, il alla prendre le petit déjeuner dans un bar. L'architecte ne lui en proposait jamais. Non que ce soit important, mais c'était un petit geste que certains clients avaient quand il passait la nuit avec eux, et ça lui faisait plaisir. "Peut-être parce que ça me fait me sentir moins pute..." se dit-il à mi-voix en riant de lui.

Aucun client ne le traitait en pute, sans quoi il l'aurait rayé de sa liste. L'un d'eux, l'assistant d'un sénateur de Forza Italia, à chaque fois qu'il le quittait, lui disait même "Et merci pour tout"... Oui, c'était gentil de sa part.

"Ton sénateur sait que tu aimes les garçons ?" lui avait-il demandé un jour.

"Il ne manquerait plus que ça, il me renverrait sur le champ." avait répondu l'homme.

"Tu aurais dû me répondre : oui, bien sûr, et il s'en fiche complètement." lui avait dit Serafino.

"Pourquoi ?"

"Parce que si je voulais te faire chanter, ce que tu viens de me dire serait du pain béni pour moi."

"Je sais que tu ne ferais pas ça. J'ai eu les meilleurs références sur ton compte, et à présent je te connais un peu." répondit-il.

"Des références ? Et de qui ?" avait demandé Serafino, curieux.

"On parle du péché mais pas du pécheur. Tu sais ce que c'est... entre nous, on se passe les infos utiles. Et celui qui m'a donné ton portable est quelqu'un qui te connaissait très bien."

"Me connaissait ? C'est à dire... qu'il ne me voit plus ?"

"Tu essaies de deviner qui c'est... alors je ne te réponds pas." avait répondu l'homme avec un petit sourire.

Après avoir pris comme petit déjeuner un capuccino et un pain fourré fromage et tomate, il, marcha un peu pour se détendre et faire du lèche-vitrines. Il avait peu dormi, mais il récupérerait en faisant une petite sieste dans l'après-midi. Il s'arrêtant devant la vitrine d'un libraire et s'attarda à regarder les titres exposés.

Un petit livre attira son attention : "Indépendance Gay - Les origines de la Gay Pride" de Massimo Consoli. Sur la couverture, verte, sous le titre, il y avait la photo de deux flics qui tenaient un garçon par les bras, pendant qu'un troisième approchait, l'air menaçant. Des flics américains. Il décida d'acheter le livre. Il valait moins de sept euros. Il le feuilleta rapidement et remarqua, avec un brin de déception qu'il n'y avait pas de photos. Bah, tant pis. Cent vingt sept pages, il le lirait en peu de temps.

Puis il vit une devanture de sous-vêtements masculins qui présentait quelques articles d'Eros Veneziani. Il se dit qu'il pourrait en acheter pour renouveler sa garde-robe "de travail"... Il entra et choisit un débardeur et deux slips noirs du genre "voir sans voir", très sexy. Le vendeur, avec un regard à l'évidence plein d'espoir, lui demanda s'il voulait les essayer.

"Non, merci, je sais exactement quelle taille il me faut." répondit-il en allant payer à la caisse les près de cent euro que ça coûtait. Puis il alla au comptoir prendre ses achats.

"Ils vous iront divinement... Votre copine en sera folle, je vous l'assure..." dit le jeune homme d'une voix suave, en mettant les deux boîtes dans un sac plastique, sans le quitter des yeux.

Serafino le regarda, amusé, il lui fit un clin d'œil et sortit. Quand il se retourna, le vendeur était derrière la vitre de la porte et il le regardait encore, ou plutôt, il le déshabillait du regard. Serafino lui fit "salut, salut" de la main et s'en alla.

Il retourna à sa moto, mit ses achats dans le top-case et rentra chez lui. Il mit la radio, se changea et commença à faire le ménage.

Vers onze heures son portable sonna. Il vit que c'était Emiliano et il répondit.

"Salut, petit cul en or !"

"Salut, Serafino. Dis, tu es libre ce soir ?"

"Pourquoi, tu as envie ?" lui demanda-t-il joyeusement.

"Ben, ça fait quatre jours que... Mais c'est pas pour ça... pas que pour ça. Ce soir, à l'Alien, via Velletri... tu connais ?"

"Bien sûr."

"À minuit il y a un spectacle où jouent trois amis et ils m'ont donné deux invitations. Ça te dit d'y aller ?"

"C'est quoi comme spectacle ? Les travelos habituels qui se prennent pour Marilyn Monroe et qui chantent en play-back ?"

"Non. Mes amis font un numéro de danses érotiques sud-américaines. Ils sont bons, vraiment... Tu viens ?"

"Ils sont mignons, au moins ?"

"À se baver dessus !" s'exclama Emiliano.

"Tu te les es faits tous les trois ?" lui demanda Serafino, amusé.

"Non... par malheur ils sont tous les trois... comme moi. Que passifs. Mais ils sont très bons, tu sais..."

"Pour se faire mettre ?"

"Mais non, crétin, pour danser ! Alors, tu viens ?"

"Oh... pourquoi pas. On se retrouve où ?"

"À onze heures et demie devant l'entrée, d'accord ?"

"OK."

Le soir, Serafino se prépara pour aller à la boîte gay. Il se demandait quoi mettre. Comme il n'avait pas l'intention de "draguer" ou de faire de l'effet à qui que ce soit, il se décida pour quelque chose de très simple : une chemise à rayures verticales bleu et gris clair, un pantalon du même gris et des tennis également grises. Il se regarda dans le miroir. Il décida de laisser ouverts les trois premiers boutons et de mettre un petit collier bleu à ras du cou. Satisfait, il partit pour l'Alien.

Emiliano était déjà là à l'attendre. Il regarda sa montre : "Ponctuel, comme toujours." remarqua-t-il en souriant.

"Le loup esquive mais ne perd pas sa proie..." lui dit Serafino.

"Ah ah, spirituel ! Viens, entrons."

L'endroit était déjà assez plein, mais pas encore bondé. Ils dirent bonjour à quelques amis et avancèrent jusqu'au comptoir.

"Qu'est-ce que tu m'offres ?" lui demanda Emiliano.

"Un verre d'eau on the rocks... Ce que tu veux, va."

"Un jus de tomate épicé."

Serafino en commanda deux et tendit un verre à son ami. Il se retourna et fouilla l'endroit du regard. Soudain il donna un coup de coude à Emiliano.

"Eh, j'ai failli me le renverser dessus !" protesta son ami.

"Regarde là..." fit-il, "le type debout contre le mur, avec un polo blanc, un fut noir et un verre vert en main..."

"Lequel ? Ah, celui qui ressemble à Raoul Bova ? Putain de beau mec !"

"Oui, lui, c'est un flic et il s'appelle Rafael..."

"Un flic ? Mais allez ! En civil, ici ? Qu'est-ce qu'il fait là ?"

"Il est gay lui aussi. Il doit être venu draguer !"

"Tu le connais ? C'est un client à toi ? Tu as déjà baisé avec lui ? Il baise bien ? Il est actif ou passif ? Tu me le présentes ?"

"Ohé, ohé, du calme, mon garçon ! Non, je ne le connais pas."

"Mais tu as dit qu'il est flic et qu'il s'appelle Rafael !"

Serafino lui raconta alors ce qui s'était passé quelques nuits plus tôt et ce qu'il avait pu entendre.

"Bon... flic ou pas, un type comme ça ne dormirait pas dans la baignoire chez moi !" dit Emiliano. "Eh, il regarde vers nous... Tu es sûr qu'il n'a pas pu te voir ?"

"Oui, tout à fait sûr."

"Mais j'ai l'impression que ce n'est pas nous qu'il regarde, mais toi. Il ne te quitte pas des yeux... Sûr que tu lui plais. D'ailleurs... je devrais pas draguer avec toi, beau comme tu es, je n'ai aucune chance."

"Si tu veux je te le laisse."

"Mais il ne fait que te regarder. Tu ne ferais pas un petit tour avec lui ?"

"Voire deux. Mais je ne..."

"Et bien quoi ? Allez, lance-toi !"

"Mais non. Je suis venu avec toi..."

"Et bien, peut-être que si on se sépare je pourrai draguer moi aussi. Tiens, Serafino, si on se perd de vue, drague ou pas, on s'envoie un sms, d'accord ?"

Serafino haussa les épaules. Emiliano s'éloigna lentement, en regardant autour de lui. Serafino partit dans la direction opposée, mais sans regarder le policier. D'un côté il se sentait attiré, mais de l'autre il ne l'intéressait pas vraiment. Pas un flic. Ne serait-ce que parce qu'il n'avait surement pas les moyens de se payer un tapin aussi cher que lui.

Il décida de se chercher une place où s'asseoir pour profiter du spectacle quand il commencerait. S'ils étaient ponctuels, chose dont il doutait fort, ça devrait commencer bientôt. Il s'assit sur une banquette vide. À côté il y avait trois folles bruyantes et d'âge moyen, elles se racontaient des blagues à voix haute. De l'autre côté il y avait un couple du genre "papa et fiston", un homme dans les soixante ans avec un garçon qui devait à peine être majeur.

Sur la piste, plusieurs couples dansaient et se frottaient, le DJ passait des slows à ce moment. Serafino sirotait lentement son jus de tomate et il regardait les couples danser. Il ne venait pas souvent à l'Alien, aussi n'y connaissait-il presque personne et il doutait que de ses clients y viennent, en général, soit ils n'allaient pas en boîte soit ils préféraient des endroits plus sélects et distingués.

Un peu après, une des trois folles demanda à Serafino s'il avait du feu, il lui répondit qu'il ne fumait pas.

"Oh, chéri, tu ne bois pas, tu ne fumes pas et tu ne cours pas les filles ! Tu es une sainte !" fit la folle puis il lui tourna le dos.

Serafino haussa les épaules.

Le "papa" lui demanda : "Tout seul ?"

"Hein ?"

"Tu es seul ou tu attends quelqu'un ?"

"Je suis seul..."

"Tu plais beaucoup à mon garçon et si..."

"... et je ne cherche pas de compagnie." précisa Serafino, d'un ton gentil mais ferme et il se retourna pour regarder les danseurs.

La musique s'arrêta et la piste se vida. Le DJ annonça le premier numéro de la soirée, le "célèbre" John Baez-Pahaleuil allait faire un striptease. Serafino sourit au jeu de mot. Arriva sur la piste de danse un beau garçon dans les vingt-cinq ans, en smoking et haut-de-forme et, sur un fond musical classique de striptease, il présenta son numéro, le finit tout nu, mais quand il enleva son string, il le remplaça vite par le haut-de-forme pour couvrir son sexe et il partit sous un déluge d'applaudissements.

Il était pas mal, il avait un beau corps, bien proportionné et il bougeait de façon très sensuelle. Puis fut annoncé "la" chanteuse, une drag-queen, mais elle ne chanta pas en play-back et elle avait une assez belle voix. Evidemment, elle chanta "My way"... Serafino trouva qu'elle était mieux que d'autres qu'il avait vues par le passé, mais pas exceptionnelle.

Puis arrivèrent les trois amis danseurs d'Emiliano, le trio "Los Muchachos". Ils ne portaient que des pantalons blancs, très serrés au bassin et larges aux chevilles, ils étaient torse nu et pieds nus. Ils chantèrent et dansèrent plusieurs chansons sud-américaines assez originales, de façon très érotique. Emiliano avait raison, ils étaient bons. Serafino les applaudit plus fort qu'il n'avait fait pour les autres.

Enfin arriva une folle, vêtue d'un smoking à paillettes, qui raconta plusieurs blagues sur les gays, de façon vraiment drôle. Les trois folles assises à côté de Serafino faisaient la claque, bien que ce soit inutile, puisque le type était bon.

Et finalement le DJ remit de la musique et la piste se remplit peu à peu. Serafino se leva et alla danser, seul. Il vit Emiliano se déhancher devant un beau type à l'air un peu banlieusard, et il se demanda s'il avait fait une touche. Il sut qu'il avait deviné juste quand son ami lui fit un clin d'œil avec un signe OK de la main.

En dansant, il tourna lentement sur lui-même... et il se retrouva devant le flic, qui lui sourit. D'instinct, il répondit à son sourire. Ils dansèrent un moment face à face. "Il bouge bien, le flic champion de cent mètres," se dit-il. Il dansait d'une façon déliée, fluide, parfaitement en rythme, d'une subtile sensualité. Et à chaque fois que leurs regards se croisaient, il lui faisait un beau sourire.

Quand un peu plus tard Serafino quitta la piste de danse, le flic le suivit et l'aborda : "Salut." lui dit-il.

"Salut. Tu danses très bien."

"Merci. Toi aussi. Je m'appelle Rafael."

Ça l'étonna un peu qu'il se présente par son vrai nom. "Moi c'est Serafino. Tu sais que tu ressembles..."

"Oh non, toi aussi ! Je commence à le détester, ce Raoul Bova !" fit le flic en levant les yeux au ciel, avec une expression drôle.

"Désolé. J'imagine que tu en as marre de te l'entendre dire. Tu viens souvent ici ?"

"Non. Mon ex est le type qui a fait le striptease et il tenait à ce que je vienne le voir."

"Ton ex ?" demanda Serafino, curieux.

"Ça ne m'allait pas qu'il fasse... ce métier." répondit Rafael.

"Et toi... tu fais quoi comme travail ?"

"Fonctionnaire. Rien d'intéressant."

Serafino sourit, en fait, sans avouer son vrai métier, il n'avait pas menti.

"Et toi ?" lui demanda Rafael.

Il allait répondre : tapin, mais ce qui sortit fut : "Chômeur."

"Oui, c'est dur de trouver du boulots en ce moment."

"Bah."

"Je peux t'offrir un verre ?"

"Merci."

Ils allèrent au bar. "Tu veux quoi ?"

"Un Gin-fizz, merci."

Rafael commanda, paya et lui tendit le verre. "Ça te dit de discuter un peu ?"

Serafino hocha la tête. Ils allèrent chercher un coin tranquille où s'asseoir.

"Et toi, tu viens souvent ici ?" lui demanda Rafael.

"Non. Plutôt rarement. Ni ici ni ailleurs."

"Oui, si tu es chômeur... Tu habites chez tes parents ?"

"Non, seul."

"Et comment fais-tu pour..."

"Des petits boulots, quand je peux." répondit Serafino.

"Au black, bien sûr." dit Rafael en hochant la tête. "Tu as fait des études ?"

"J'ai commencé le lycée, mais j'ai dû arrêter à seize ans. Je n'ai aucune culture."

"La culture... la vraie culture ne se trouve pas dans les livres."

"Ah bon ? Et où, alors ?"

"Je crois que la culture, c'est ce qu'il te reste quand tu as tout oublié. La culture c'est ce que la vie t'apprend et que tu t'appropries. La culture n'est pas de lire le latin et le grec."

Cette définition plut à Serafino qui acquiesça avec un sourire.

"Je t'ai observé toute la soirée. J'aime ta façon de sourire."

"Et je souris comment ?" lui demanda Serafino.

"Tu as un sourire gentil et franc."

Franc ! Se dit Serafino, ironique. "Et après le stripper ? Tu l'as quitté il y a longtemps ?"

"Un peu plus d'un an. Je n'ai personne."

"Tu l'as quitté parce que... tu es jaloux ?"

"Non. Parce que... je ne supportais pas qu'il fasse ce travail." répliqua Rafael.

"Mais vous êtes restés en contact, s'il t'a invité et que tu es venu le voir..." remarqua Serafino.

"Oui. Ce n'est quand même pas un criminel que je devrais éviter ! Je veux dire... s'il aime faire ça... De la part d'un ami... ça ne me pose aucun problème, mais pas pour mon copain. Disons que mon copain doit réserver sa nudité à moi seul..."

"Bon... mais alors, il ne fallait pas non plus qu'il aille à la plage où d'autres le verraient ?" lui demanda Serafino, un peu sarcastique.

"Aucun rapport. Le strip n'est-il pas vendre de l'érotisme ? Se faire désirer. Et s'exhiber... au sens de l'exhibitionnisme."

"Mais ce n'est pas interdit part la loi..."

"Bien sûr que non, mais... mais pas mon copain. En aucun cas."

"Mais... il acceptait les avances du public ?"

"Non. Je ne crois pas. Il l'affirmait et je le crois. De toute façon... Je ne supportais pas... de voir, de savoir comment d'autres le regardaient et lui criaient : à poil, à poil, à poil... Je dois être vieux jeu, mais je ne supportais pas ça. J'aurais préféré qu'il soit maçon, serveur, éboueur ou n'importe quoi. Mais il a voulu continuer, alors..."

"Mais tu l'aimais ? Tu étais amoureux ?"

"Bien sûr que j'étais amoureux de lui. Et au fond je l'aime encore. Un peu."

"Mais quand tu t'es mis avec lui, tu ne savais pas quel travail il faisait ?"

"Non, il a commencé un peu après qu'on se soit mis ensemble. Il ne me l'a dit qu'après avoir commencé... en m'invitant là où il le faisait..."

"C'était à Rome ?"

"Oui."

"Vous êtes restés combien de temps ensemble ?"

"Près de deux ans. Il avait vingt et un ans quand je l'ai rencontré."

"Mon âge... Donc maintenant il a vingt-deux ans presque vingt-trois."

"Oui."

"Et ça t'a fait quel effet, ce soir, de le regarder ?"

"Un peu de désir... un peu de gêne... et même une certaine admiration, parce qu'il m'a semblé bon, quoi qu'il en soit. Mais ne parlons pas que de lui et moi. Parle-moi un peu de toi."

"Que veux-tu savoir ?"

"Tout."

Serafino rit. "Dans tout ce vacarme... je crois que j'en perdrais la voix et que tu n'entendrais qu'un mot sur deux."

"Bon... et si on sortait ?"

"Pour aller où ?"

"Il fait beau... et la nuit, Rome est belle... on pourrait se promener un peu, si ça te dit."

"Je suis venu en moto, elle est garée près d'ici..."

"On pourrait faire un tour et quand tu voudras rentrer on reviendra ici. Si tu veux faire un tour avec moi."

"Et pourquoi pas ? Allons-y."

Ils sortirent. Ils marchaient lentement, côte à côte, ils tournaient au hasard des ruelles désertes, parfois des artères principales où quelques automobilistes noctambules pressés se hâtaient, en infraction avec nombre de règles du code de la route, vers quelque destination inconnue. Et ils parlèrent.

Serafino était mi-intrigué, mi-amusé, et il se demandait quand ce charmant flic allait lui demander de baiser. Il l'écoutait, assez surpris par le mélange qu'il découvrait en lui, un mélange de sagesse et d'ingénuité, de certitudes toutes faites et de doutes à peine conscients, de lieux communs et d'intuitions géniales.

Mais il restait pour lui avant tout un flic, donc "aux ordres du pouvoir", payé pour opprimer les plus faibles socialement. Serafino était loin d'être un idéologue d'extrême gauche, il se définissait lui-même comme un "animal apolitique", mais c'était parce qu'il avait dû vivre dans la rue et s'en accommoder, parce qu'il avait dû se cacher des "forces de l'ordre" tant qu'il n'était pas majeur.

Rafael était indubitablement beau garçon, mais il, restait un adversaire, sinon un ennemi, pour lui et tous les garçons de la rue. Un des types envoyés pour persécuter Leandro, un de ceux qui cassaient les couilles des putes et des tapins. Le bras séculier d'une loi qui s'acharne sur les clandestins qui doivent vendre au noir pour survivre, mais qui fiche la paix au gros capitalistes, étrangers ou italiens, qui s'enrichissent sur le dos des pauvres.

C'est pourquoi Serafino, au cours de sa promenade avec le flic, était partagé entre deux sentiments : une attraction spontanée pour ce beau jeune homme et un mépris raisonné pour la police. Mais l'acteur rusé et consommé qu'il était devenu pour survivre choisit spontanément de lui jouer le garçon ingénu, franc et gentil qu'il pensait que le beau Rafael apprécierait.

"Tu m'as bien dit que tu n'as pas de copain ?" lui demanda Rafael à un moment.

"Non, j'en ai pas."

"Mais tu en as déjà eu un ?"

"Non, jamais."

"Tu préfères... t'amuser ?"

"Je n'ai encore jamais... sauf adolescent avec un copain de classe... mais rien que des jeux de gamins..." dit Serafino à voix basse, en regrettant de ne pas pouvoir rougir à volonté, mais il feignait d'être gêné.

"Tu veux dire, c'est vrai... tu n'as encore... jamais fait l'amour ?"

"Tu ne me crois pas ? Non... c'est que... ça ne me dit pas de faire comme les chiens qui... se sentent le cul et se sautent dessus... puis s'en vont comme s'ils ne s'étaient jamais vus. Ce n'est pas que... que je ne sente pas... comment dire... l'envie me vient parfois... et fort, même, mais je... Pour l'instant je me contente de rêver et..."

"Mais tu n'as pas d'amis gays ?"

"Si... quelques uns... pas beaucoup."

"Et avec eux ?"

"Leur conversation... j'ai baisé ici, j'ai baisé là... je me suis fait truc, je me suis fait machin... à croire que c'est tout ce qui compte pour eux... Je n'aime pas ça. Alors... je me contente de... rêver et de... le faire seul. Au moins pour l'instant." répondit Serafino en feignant un embarras que bien sûr il ne ressentait pas.

"C'est pour ça que tu n'as encore jamais..." dit Rafael et dans sa voix il n'y avait ni étonnement ni dérision mais de la tendresse.

"Une seule fois..." inventa Serafino. "Mais ça ne m'a pas plu. J'avais dix-sept ans et deux types... m'ont... alors que je ne voulais pas..."

"Et tu ne les as pas dénoncés ?"

"Dénoncés ! Tu ne lis donc pas les journaux ? Tu ne sais pas que la victime passe pour coupable si le vrai coupable à de bons avocats ? Et ces deux types auraient pu se payer les meilleurs avocats de Rome si je les avais dénoncés, je t'assure. Alors..." inventa Serafino, toujours dans le rôle qu'il s'était choisi.

"Purée, mais c'est... Et oui, je lis les journaux et... c'est triste mais tu dis vrai. Quelle société de merde..."

"Et si j'étais allé voir les carabiniers ou les flics, tu ne crois pas que j'aurais été leur premier suspect ? Tu ne sais pas le mépris qu'ils ont pour les gens comme nous ?"

Rafael ne répondit pas. Il marchait les yeux fixés au sol, devant lui. Après un bref silence, il dit : "Mais ils ne sont pas tous comme ça. Même dans la police il y a des gens qui... qui comprennent..."

Serafino le regarda un instant, puis baissa aussi le regard : "Qui comprennent ? Eux... ils n'ont pas connus certaines expériences. Eux... c'est la loi et l'ordre. Mais la loi des riches, l'ordre des puissants. Au lieu d'arrêter l'évasion fiscale, ils arrêtent les pauvres filles et les pauvres garçons réduits à faire le trottoir pour avoir à manger."

"Ils ne sont pas tous comme ça..." insista Rafael à voix basse.

"Et même s'il y avait un flic pas comme ça, que pourrait-il faire ? Désobéir aux ordres ? Eux aussi sont coincés dans les rouages de cette société de merde, non ? Tu sais pourquoi ils les envoient toujours au moins par deux ? Pour qu'ils se surveillent l'un l'autre. Mais oui, après tout, eux aussi sont de pauvres types. Il faut qu'en fin de mois ils ramènent quelques euros à leur famille. Je ne les juge pas, mais... mais ils ne me sont pas sympathiques."

"Peut-être... peut-être que si tu en connaissais certains..." hasarda Rafael. "Il y en a d'humains..."

"Ah, alors présente m'en un et je te croirai. Mais je ne dis pas qu'il n'y en a pas qui sont comme tu dis, mais quand ils sont en uniforme avec un pistolet à la ceinture... ne doivent-ils pas oublier eux aussi... qu'ils sont humains ? Robocop... Tu en connais ?" demanda Serafino.

"Oui, et... je t'assure que... qu'ils ne sont pas tous comme tu crois..." répondit Rafael, hésitant.

Mais en attendant tu ne me dis pas que tu es flic... pensait Serafino, sarcastique. "Je ne te crois pas." lui dit-il.

"Serafino... je... je suis... flic !" lui dit-il en s'arrêtant, puis il se tourna vers lui et le regarda dans les yeux.


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