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histore originale par Andrej Koymasky


LE BEAU GARÇON CHAPITRE 9 - PRESQUE COMME ICARE

Serafino se sentait vraiment au ciel et au gré des semaines qui passaient, puis des mois, il se sentait de plus en plus heureux, une nouvelle vie s'ouvrait à lui. Il gagnait désormais bien moins, mais assez pour vivre et de toute façon il avait réalisé préférer de loin cette vie modeste à celle qu'il menait avant. Rafael avait bon caractère, il était tendre, mais aussi fort et décidé. C'était vraiment l'homme idéal, l'homme que la fortune lui avait envoyé pour donner à sa vie de la saveur et du goût.

Parfois il voyait encore ses anciens amis, rarement Omar, plus souvent Emiliano, mais il ne couchait plus jamais avec eux. Il allait aussi voir Leandro, Marta et Claudio, de temps en temps et il avait plaisir à discuter avec eux, à leur chanter les louanges de Rafael et de sa nouvelle vie. Il voyait plus rarement Stefano, Valerio et Alessio.

"Mais tu es vraiment heureux ?" lui demanda un jour Emiliano.

"Tu ne le vois pas ? Bien sûr, j'aimerais que Rafael puisse venir vivre avec moi, ou qu'on prenne un appart ensemble, mais il ne le peut pas encore. Tu sais, il n'y sont autorisés qu'une fois mariés ou passé un âge minimum. Alors je ne peux pas lui demander de venir vivre avec moi."

"Mais pour le fric, comment tu t'en sors ?"

"Je m'en sors. Pas mal. Bien sûr, j'ai dû réduire mon train de vie, mais je m'en fous. J'ai eu de la chance de rencontrer Rafael."

"Et dire qu'au début c'était un jeu... tu voulais te foutre de lui."

"Je ne le connaissais pas encore, ce n'était qu'un flic, pour moi... un de ces si nombreux connards de flics."

"Putain, Serafino, j'ai du mal à te reconnaître. Bon... mais je suis content pour toi. L'important est que tu sois heureux. Je regrette juste de... de n'avoir toujours pas trouvé quelqu'un qui baise aussi bien que toi, ni d'aussi beau garçon que toi."

"Tu vas trouver, tu vas trouver... Tu continues à aller chez Leandro, n'est-ce pas ? Tôt ou tard tu trouveras quelqu'un, et sans doute mieux que moi."

"Bah... peut-être..." répondit son ami en haussant les épaules. "Mais pas pour l'instant. Oui, je me trouve des coups occasionnels, mais c'est plus pareil."

"Désolé pour toi, mais, comprends-moi..."

"Bien sûr, je te comprends. Mais putain, quel changement chez toi ! Et... c'est vrai... tu es plus beau et resplendissant que jamais. La cure Rafael doit être un super reconstituant."

"Ça, tu peux le dire !" répondit joyeusement Serafino.

Oui, Serafino était vraiment heureux, surtout de l'amour de Rafael, mais aussi de sa nouvelle vie.

Il avait fait un double de ses clés, pour que Rafael puisse venir quand il voulait. Ce n'était pas vraiment nécessaire, mais c'était un symbole. Et quand Serafino entendait la clé tourner dans la serrure, il était excité sur le champ, son désir se réveillait comme par enchantement.

Parfois il se disait que tout ça était "trop beau"... et il ignorait à quel point c'était vrai.

Et en effet, un triste jour, il advint qu'un garçon de Leandro, suite à une dispute avec le photographe, voulut se venger et le lui faire payer, il porta plainte contre lui pour proxénétisme. Les carabiniers vinrent perquisitionner sa villa, mirent sous séquestre les photos, son agenda, le panneau avec les "douze règles" et tout ce qui pouvait être retenu à charge.

Contrairement à l'habitude, un procureur zélé, pour se faire un nom, mit l'affaire à la une et tous les journaux parlèrent du nouveau "scandale". Et, comme son nom apparaissait aussi dans le carnet d'adresse de Leandro, Serafino Molina fut considéré comme une "personne informée des faits" et son nom fut cité dans les journaux.

Certains garçons, sous la pression de la police et des enquêteurs, avaient avoué que nombre d'entre eux étaient aussi tapins, et là encore le nom de Serafino apparut. Les journalistes obtinrent, nul ne sait de qui ni comment, la liste des suspects, et ainsi fut aussi publié, parmi ceux qui se prostituaient, le nom de Serafino Molina. Ils furent nommés, puisqu'ils n'étaient plus mineurs.

Serafino, pour défendre Leandro, avait nié se prostituer et insisté sur le fait qu'ils ne venaient que pour les photos, ce qui était vrai. Il avait expliqué que la feuille avec les douze règles n'était qu'une suite de conseils pour ceux qui faisaient le trottoir, mais ne signifiait rien. Il jura que Leandro n'avait jamais poussé quiconque à se prostituer et n'avait jamais procuré de clients aux garçons.

Mais il advint que Rafael, en lisant des articles sur le "scandale Forleo", tomba sur le nom de Serafino et apprit que de témoin, il était devenu inculpé de prostitution.

Serafino se doutait que Rafael en viendrait à tout savoir sur lui, aussi se préparait-il, nerveusement, à l'affronter en se demandant s'il devait attendre la réaction de son amant ou la précéder et l'appeler pour tout lui dire.

Il décida que de toute façon il ne lui cacherait plus rien, que la meilleure ligne de conduite serait de lui dire toute la vérité : il était sûr de l'amour de Rafael, de son amour pour lui et il se disait que son aimé apprécierait qu'il ait complètement changé de vie pour lui.

Mais malheureusement, ce ne fut pas le cas.

Rafael, le soir même où avait paru l'article le nommant, arriva chez Serafino comme une furie. Il l'accusa des pires choses, lui jeta tous ses mensonges au visage, lui hurla son dégoût au visage... Serafino essaya de en vain le calmer, de lui faire entendre raison, de lui faire comprendre qu'il l'aimait vraiment, qu'il avait changé de vie rien que pour lui... mais rien n'y fit.

"Je ne t'ai rien dit, avant, parce que je savais comment tu as traité ce garçon stripteaseur... Mais moi..." essaya-t-il de lui expliquer d'un ton affligé.

Mais Rafael le coupa : "Lui au moins ne se vendait pas, il ne se prostituait pas ! Toi par contre... Tu me dégoutes, tu me dégoutes, tu ne comprends pas ça ? Tu t'es toujours foutu de moi !" lui dit-il avec véhémence, rage et mépris.

"Non... Non, je te jure... Je... au début... c'est vrai... j'ai voulu te jouer un tour, j'avoue. Mais... mais tu... mais tu m'as vite... ouvert les yeux et..." balbutia Serafino.

"Oui, et tu faisais ton puceau, tu faisais semblant d'être candide, pur et ingénu. Tu m'as fait croire que j'étais ton premier homme ! Alors que tu n'étais que.... Tu es une grosse merde ! Une sale pute, un enculé de merde, voilà ce que tu es..."

"Je l'étais !" cria Serafino pour surmonter la furie de Rafael. "Je l'étais, oui, je l'étais. Mais... mais je ne le suis plus... non, je ne le suis plus, et pour toi ! Pour toi, tu comprends ? J'ai trouvé du travail, je gagne moins mais je m'en fiche... je l'ai fait pour toi !"

"Mais me casse pas les couilles et retourne à ton trottoir, alors, recommence à te faire du fric, sale truie !" lui hurla Rafael, fou furieux.

Puis il lui jeta à la figure les clés de l'appartement, rageusement, fort puis il lui cracha au visage et sortit comme une furie, en claquant la porte derrière lui, si fort que les vitres vibrèrent dans la pièce.

Serafino resta un instant figé comme une statue, incrédule. Puis il se laissa lentement glisser par terre, il se sentait complètement vidé, et il éclata en pleurs. Les sanglots le secouaient violemment, il lui semblait que le souffle lui manquait et même que son cœur éclatait.

Il resta par terre des heures, incapable de bouger, le froid du carrelage pénétrait en lui, mais ce n'est pas de froid qu'il tremblait, c'était l'intensité de la douleur qui le déchiquetait.

Puis, tard dans la nuit, il se traîna jusqu'à son lit, s'y jeta, habillé. Il n'arriva pas à dormir, il ne faisait que pleurer, sangloter. Il se sentait fini, perdu.

"Après avoir passé des années dans la merde, si bien qu'on se lave, on pue toujours..." se dit-il dans un long gémissement qui aurait pu être celui d'un animal blessé.

Quand l'aube arriva il tremblait toujours comme une feuille. Il prit son portable et envoya un message à Rafael.

"Je t'en prie, reviens... parlons encore... je t'aime..."

Une heure passa, puis une heure et demie et le portable bipa. Il regarda tout de suite et vit, déçu, que le message était d'Emiliano. Il ne le lut pas. Il attendit encore... Il remarqua que le soleil était haut. Il regarda sa montre : presque midi. Le portable sonna et son cœur battit fort. Il répondit tout de suite, sans regarder le numéro appelant, en espérant que ce soit...

Mais ce n'était pas Rafael, c'était son chef.

"Serafino, qu'est-ce que tu fous, pourquoi n'es-tu pas venu au travail ?" cria la voix de Cristiano.

"Oh, monsieur Fusato... je ne me sens... pas bien..."

"Et tu pouvais pas au moins m'avertir, putain ! Tu as quoi ? Tu te sens comment ? Tu as de la fièvre ?"

"Non... Je... je... les journaux..."

"Purée, quoi les journaux ? Je me fous des journaux et de ce qu'ils disent de toi ! Tapin ou pas, il y a du boulot ici... Bouge ton cul !"

"Je ne pourrais pas, vraiment..."

"Ou tu viens tout de suite, ou je..."

"Je ne peux pas. Je n'y arriverais pas !" cria Serafino, exaspéré. "Je ne peux vraiment pas !"

"Alors cherche-toi un autre travail ! On ne se comporte pas comme ça, putain ! Tu ne te rends pas compte du mal que..."

"Mais va te faire foutre !" hurla Serafino et il raccrocha.

Puis il se décida à envoyer un autre message à Rafael, c'était tout ce qui l'intéressait, maintenant.

"Je t'en prie, je t'en conjure, donne moi encore une chance."

Rien. Aucune réponse. Aucune réaction. Sa montre indiquait déjà quatre heures de l'après-midi.

Alors, à nouveau tremblant de la tête aux pieds, il composa le numéro de Rafael. Il entendit une sonnerie, deux, trois, quatre sonneries et le signal s'arrêta et il entendit la sonnerie occupé. Rafael avait reconnu son numéro et avait raccroché, sans l'écouter.

Il rappela, deux, trois, quatre fois, toujours avec le même résultat.

Serafino essaya par tous les moyens de contacter Rafael, mais en vain. Puis il décida de l'appeler d'un téléphone public, dont il ne reconnaîtrait pas le numéro.

"Allo !" tonna la voix de Rafael.

"Écoute-moi. Ne raccroche pas !" gémit Serafino.

"Tu veux quoi, bordel ?"

"Je... je t'aime, Rafael..."

"Ah ah ah !" fit le rire sarcastique, forcé et cruel du policier.

"Je t'aime. Je t'aime..."

"Mais arrête ! Disparais de la face de la terre, elle ne s'en portera que mieux, enculé !" lui répondit Rafael d'un ton froid, avant d'ajouter : "Et arrête d'appeler, sinon ça va mal finir !"

"Ça peut pas être pas pire que maintenant..."

"Fous-moi la paix, compris ?"

"Mais je t'aime vraiment, je n'ai que toi..."

"Crève !" entendit Serafino puis la communication fut coupée.

Quand Serafino rentra chez lui il se sentait complètement perdu. Ce n'était pas possible... Non... Maintenant qu'il avait commencé à vivre, à vraiment vivre, maintenant qu'il croyait avoir trouvé le bonheur... tout s'effondrait. Il avait perdu Rafael, la seule chose importante, la seule belle chose de sa vie. Il n'avait même plus de travail. Leandro accusé injustement... lui-même attendait son procès... c'était la fin. Il n'avait plus rien, plus personne au monde. Personne ne l'aimait. D'abords son père... puis sa mère... et maintenant Rafael aussi.

"Disparais de la face de la terre !" lui avait-il dit.

Oui, c'était tout ce qu'il lui restait à faire.

Mais avant... Il appela Emiliano.

"Allo ?"

"Salut, Emi..."

"Salut Serafino." répondit son ami d'un ton abattu, en reconnaissant sa voix.

"Salut. Écoute, je... je ne gère plus la situation... Rafael m'a largué..."

"Oh, putain... je suis désolé..."

"J'ai aussi perdu mon boulot et..."

"Ton travail aussi ? Mais..."

"Alors j'ai décidé de changer de coin, de m'en aller..."

"Et où?"

"Loin, le plus loin possible..."

"Mais le procès... On est convoqués..."

"Je m'en fous. Je regrette juste pour Leandro, pour toi et les garçons. J'espère qu'ils s'en sortiront. Écoute... je me disais... Je ne peux pas emporter toutes mes affaires, alors... Tu es mon meilleur ami, alors... j'ai décidé de tout t'offrir. Je te mets les clés sous le vase, au rez-de-chaussée. Viens... demain peut-être... Non, après-demain... viens chez moi et emporte tout ce que tu veux..."

"Mais tu es sûr que..."

"Oui, tout à fait sûr."

"On ne pourrait pas se voir, avant ton départ ?"

"Je crois vraiment que je n'aurai pas le temps. Non, je ne peux pas, Emiliano. Disons-nous au revoir au téléphone."

"Serafino, tu es sûr de ce que tu fais ? C'est un sale coup mais il passera lui aussi, ils nous oublieront tous et..."

"Non, je dois partir. Loin. Dis au revoir pour moi aux copains... Et si tu arrives à voir Leandro... dis-lui... je sais pas... dis-lui... que je suis désolé pour lui et que j'espère qu'il s'en sortira."

"Attends, Sera... je veux te voir... avant ton départ, je veux te voir. S'il te plait..."

"Je ne sais pas si..." répondit-il, insoucieux qu'il l'ait appelé Sera, bien qu'il sache qu'il détestait être appelé comme ça.

"S'il te plaît, Sera, je VEUX te voir, compris ? Je viens chez toi tout de suite et..."

"Non, pas maintenant. Écoute... d'accord pour demain soir, après dîner... si tu peux passer chez moi..."

"OK. Vers dix-heures, ça te va ?"

"Oui, parfait."

"Bon, Serafino, la vie est belle... Tu verras qu'on s'en sortira. Putain, je ne t'avais jamais vu aussi abattu !"

"Et bien, après tout ce que... toute les merdes que je me suis prises... tu t'attendais à ce que je me mette à chanter ?"

"Non, mais... Bon, je viens demain soir, OK ? À demain."

"Salut, Emi. T'es un vrai copain."

Il raccrocha et posa le portable sur la table. Puis il chercha deux feuilles blanches et deux enveloppes. Il prit un bic et s'assit à la table du séjour.

Sur la première il écrivit : "Pour Emiliano Onofri".

"Mon très cher ami,

Je suis désolé de te poser un lapin mais je ne me sentais vraiment pas de t'attendre et de te voir. Ne m'en veuilles pas, tâche de me comprendre et de me pardonner.

Je te l'ai dit, prends tout ce que tu veux. Si tu veux va voir le propriétaire et dis-lui que tu veux prendre ma place, peut-être te laissera-t-il habiter ici. Sinon, emporte tout ce qui t'intéresse.

Sors-t-en bien, mon ami. Mais ouvre l'œil: la vie est dégueulasse, parfois. Et ne t'en fais pas pour moi, quand tu liras ça, je serai bien, ou du moins j'aurai fini d'être mal.

Il y a tant de choses que je voudrais te dire, mais excuse-moi, je n'y arrive pas. À ma façon je t'ai aimé. Comme Leandro, Marta et tous nos amis. Mais toi, surtout.

Il y a une lettre pour Rafael à côté. Je te prie de la lui faire parvenir. J'aurais pu la lui poster mais je préfère que tu la lui donnes en mains propres. Fais-le, s'il te plait, je ne te demande rien d'autre.

Je t'embrasse, comme le frère que je n'ai jamais eu.

Serafino."

Puis il écrivit sur l'autre enveloppe : "Pour Rafael Ballarini".

"Rafael, mon amour,

Crois ce que tu veux, mais je t'aime, je t'aime vraiment, je t'aime de tout mon être. Alors, si tu ne veux pas de mon amour, si tu ne veux plus me donner le tien, je ne sais pas quoi faire d'autre.

La dernière chose que je peux faire, tout ce qui me reste à faire, c'est de suivre ton conseil et disparaître de la face de la terre.

Je suis désolé de ne pas être ce que tu voulais, de n'avoir pas pu le devenir, bien que j'ai tout fait pour. Je voulais t'offrir ma vie, une vie enfin propre, mais tu n'en veux pas, tant pis, elle ne sert plus à rien ni à personne.

Sache que ma dernière pensée sera pour toi, parce que tu es tout ce qu'il y a eu de vraiment beau dans ma vie. Ne serait-ce que pour quelques mois.

Je t'aime. Je t'aime et je t'aimerai jusqu'au dernier instant de ma vie, jusqu'à mon dernier souffle. Après, je ne sais pas ce qu'il y a, alors je ne sais pas si je pourrai encore t'aimer.

Je t'aime plus que ma vie, Rafael. Oui, plus que ma vie et peut-être que, quand tu liras ces lignes, tu réaliseras que je ne te raconte pas de craques, tu comprendras que je suis sincère.

La vie est comme le jeu de l'oie, parfois tu tombes sur une case qui te fait reculer, parfois sur une case qui te fait avancer. Parfois tu es puni injustement, parfois tu es récompensé sans le mériter. Parfois tu perds, tout juste quand tu pensais gagner.

Et voilà, j'ai perdu. Le jeu de l'oie est fini, on range les jetons et on replie le carton avec le parcours pour le mettre dans son étui, et tout est fini. On dit qu'un bon jeu dure peu. Et c'est vrai.

Je t'aime, Rafael, même si tu ne veux plus de mon amour. Mais j'ai perdu, j'ai perdu au jeu de la vie, j'ai peut-être présumé de mon habileté au jeu.

Je t'aime, tu ne peux pas m'en empêcher.

Serafino."

Il plia soigneusement en quatre les deux lettres, les mit chacune dans son enveloppe, les posa autour de son portable, l'une contre l'autre, comme un début de château de cartes.

Puis il alla se coucher. Il n'avait rien mangé de la journée, mais la faim ne le tourmentait pas. Il se déshabilla et se coucha sur son lit. Il essaya de retrouver dans l'oreiller l'odeur de Rafael, mais elle aussi avait disparu. Il sombra presque aussitôt dans un sommeil profond et sans rêves.

La lumière du jour le réveilla. Il ouvrit les yeux et regarda autour de lui, sa chambre lui sembla étrangère. Ce lit où il n'avait emmené que Rafael lui semblait plus triste qu'un cimetière abandonné. Il en sortit en se disant que ses vingt-deux ans lui pesaient plus que les cent ans d'un vieillard. Il prit une longue douche puis se rasa avec soin, il se brossa les dents et se peigna.

Puis, toujours nu, il revint dans sa chambre. Il fouilla tous ses tiroirs un à un et choisit les sous-vêtements les plus neufs et sexy qu'il ait, les habits les plus beaux et les plus à la mode. Quand il fut content de son choix, de l'harmonie des couleurs, il s'habilla.

Il vérifia son allure dans le miroir et se dit qu'il était parfait. Oui, sans fausse modestie, il lui fallait bien avouer qu'il était très beau garçon. Un très beau garçon. Il vit qu'il s'était un peu décoiffé en s'habillant. Alors il retourna à la salle de bain se recoiffa soigneusement et se mit un peu de parfum un peu musqué. Ni trop ni trop peu.

Il sortit de son appartement, cacha un double des clés sous le vase à côté de la porte, pour Emiliano. Il descendit dans la rue. Il promena son regard de haut en bas, pour la dernière fois. Mécaniquement, il mit son casque, comme toujours, et le ferma.

Il monta sur sa belle Gilera brillante, son beau cheval d'acier et partit doucement, en clignotant à gauche. Il roula tranquille, respectueux, plus qu'il n'en avait l'habitude, de tout le code de la route. La journée était radieuse, le soleil chaud, l'air assez limpide et la température agréable.

Il prit le périphérique en respectant les limites de vitesse. Il attendit que passent les voitures qui avaient la priorité et s'immisça dans le trafic, en tenant bien sa droite.

Quand il vit qu'il approchait du pont de Settebagni, il clignota à gauche. Il vérifia que personne ne venait derrière, accéléra à fond, tourna le guidon à droite, fit cabrer sa moto et s'envola, haut vers le ciel, et passa au-dessus de la rambarde de sécurité, le tablier et les protections du pont.

Il se libéra en l'air... il se sentait léger comme une libellule... seul le ronflement du moteur de sa belle moto, maintenant au ralenti, accompagnait son vol, comme pour le souligner du bourdonnement calme d'un bourdon... Il vola... vola... le panorama lui parut splendide, sous la douce caresse du soleil. Il comprit l'ivresse qu'avait dû sentir Icare quand son père lui avait fait mettre les ailes et qu'il était monté vers le soleil.

Le ciel était d'un bleu aveuglant comme il n'en avait jamais vu resplendir sur Rome, la ville éternelle. Il respira à pleins poumons tandis que la parabole commençait sa descente, et le beau projectile que faisait sa moto, sa belle Gilera brillante qui chevauchait comme un fier cheval sauvage, son cheval d'acier pointa le museau vers la terre.

Sous peu il allait trouver le saint Graal, sous peu il aurait rejoint la terre promise, sous peu... sous peu... encore un peu...

Il cria à pleins poumons : "Rafaeeeel, je t'aimeeeeee !"

Ses yeux furent pleins de grosses larmes, il vit la terre, Mère-Terre, accueillante, courir à sa rencontre. Il écarta les bras comme pour l'enlacer et, à l'instant où la Mère-Terre l'accueillait... elle, au moins, ne le rejetait pas... tout devint noir et silencieux et Serafino trouva enfin la paix.


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