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histore originale par Andrej Koymasky


LE BEAU GARÇON CHAPITRE 10 - LE COULOIR D'HÔPITAL

Rafael était dans sa chambre et il allait se déshabiller pour se coucher quand son portable sonna. Il le prit et reconnut le numéro de Serafino. Il vit rouge. Furieux, il l'ouvrit et répondit.

"Putain, tu veux quoi, encore ?"

"T'es un connard, une merde, un sale fils de pute, un immonde bâtard, un chien enragé, un maudit... un... un... un..." rugit une voix dans l'écouteur.

"Mais putain, qui êtes-vous ?" demanda-t-il quand il réalisa que ce n'était pas la voix de Serafino. "Vous voulez quoi, bordel !"

"Te tuer, bâtard, t'écraser comme un ver, te planter un couteau dans le bide, te castrer comme un porc..." reprit la voix sur un ton hystérique.

"Bordel, vous avez quelque chose à me dire ou..."

"Serafino s'est tué ! Tué ! Par ta faute, maudit bâtard. Il s'est... Tu l'as tué toi, immonde sac à merde !"

"Quand ? Comment ? Où ?" demanda Rafael soudain pris de chair de poule.

"Mais t'en as quoi à foutre, hein ? T'es pas content ? Mais va te faire foutre, raclure ! Il aurait dû te tuer toi, pas se tuer lui..."

"Quand ? Dis-moi où ils l'ont emmené ! Mon dieu, dis-moi... Mais qui es-tu ?"

"Emiliano, le seul ami de Serafino. Tu es content ? Crève, charogne ! T'en as quoi à foutre, d'où il est ? Hein ? Tu veux lui apporter des fleurs ? connard... sale con... connard..." dit la voix, coupée de sanglots de plus en plus faibles et l'appel fut coupé.

Rafael sentit sa tête tourner, le sang refluer de son corps, son cœur battre lourdement, une vraie grosse caisse. Il s'assit sur le lit en regardant le portable maintenant muet, presque sans le voir.

Il se secoua et composa hâtivement le numéro de Serafino. Une voix enregistrée l'informa que son appel était redirigé vers une boîte vocale et il comprit qu'Emiliano, après l'avoir appelé, avait éteint le portable.

Un instant, il se dit que ce pouvait être une blague de mauvais goût, une vengeance de Serafino, mais non, cette voix, ce ton... ne pouvaient pas être feints, ce garçon ne jouait pas. Il sentit ses cheveux se dresser. Que faire ? Où pouvait avoir été amené Serafino ? S'était-il vraiment tué ? Comment ? Quand ?

Il appela police-secours, il savait qu'un de ses amis y était de service.

"Mario ? Ici Rafael... Oui, Rafael Ballarini. Désolé, mais je viens d'apprendre que le... le fils d'un ami a eu un très grave accident... Tu pourrais vérifier... Oui, il s'appelle Serafino Molina, il a vingt-deux ans... Oui, il habite Rome... Oui, j'attends, merci..."

La musique d'attente lui sembla incongrue... et l'attente interminable. Il sentait une crampe à l'estomac, il avait du mal à respirer. Enfin la musique cessa.

"Oui ? ... Ce matin à dix heures ?... Une sortie de route, tu dis ? ... Il est... mort ? ... Où l'a-t-on emmené ?... Ecoute, tu peux me donner le numéro de notre collègue de garde aux urgences ? ... Oui, j'ai de quoi écrire, dis-moi... Merci... Salut."

Il composa le numéro. Après plusieurs sonneries, on répondit.

"Allo, je suis un collègue, Rafael Ballarini... Oui... Ah, Donati... Salut. Écoute, je voudrais un service... On a emmené où tu es un garçon de vingt-deux ans qui s'appelle Serafino Molina... Oui... Il est... quoi... comment... Dans le coma, tu dis ? ... Il n'est pas... mort ? ... Tu sais où il est, dans quelle chambre ? Ah... oui, compris. Merci et excuse le dérangement... Non, c'est le fils d'un ami et j'ai su que... Oui, bien sûr... Salut Donati et merci."

Il reboutonna son uniforme et sortit en hâte. Il prit sa Fiat 500 et se précipita à l'hôpital, il piaffa devant deux feux rouges, mais il n'avait pas la sirène, alors... Il finit par arriver à l'hôpital, il se gara et courut aux urgences. D'où, grâce aux explications de son collègue, il arriva au service des soins intensifs, devant la chambre où ils avaient mis Serafino.

Sur une chaise en fer peinte en blanc, un garçon de l'âge de Serafino était assis, qui, dès qu'il le vit, se leva et le regarda d'un œil mauvais.

Quand il arriva devant lui, le garçon lui demanda, doucement mais d'un ton glacial : "Tu es Rafael ?"

"Oui... On ne peut pas entrer ?"

"Qu'est-ce que tu viens foutre ici ?"

"Tu es Emiliano ?"

"Oui. Que viens-tu faire ici ? T'assurer qu'il est mort ?"

"On m'a dit que c'était un accident... une sortie de route..." dit Rafael.

Emiliano ne répondit pas. Il fouilla violemment, presque avec rage, dans sa poche et il en sortit des papiers froissés. Ses mains tremblaient. Il les ouvrit, choisit une enveloppe et la lui tendit en le regardant dans les yeux, les siens comme deux lames brûlantes.

Rafael regarda l'enveloppe : elle lui était adressée et il reconnut l'écriture de Serafino. Maintenant ses mains à lui tremblaient aussi. Il continuait à regarder l'enveloppe, immobile.

"Tu ne l'ouvres pas, assassin ?" lui siffla le garçon.

Rafael lâcha comme un sanglot étouffé, tourna l'enveloppe, l'ouvrit, sortit la lettre, la déplia et la lut. Et il comprit sans l'ombre d'un doute que cela n'avait pas été un accident. Ses mains tremblaient tant que quand il essaya de relire la lettre, il n'y arriva pas.

Avec un gémissement étouffé, il se laissa tomber sur la chaise à côté de celle où avait été assis Emiliano.

"T'es content, maintenant, sac à merde ?" lui demanda le garçon d'une voix très basse mais assez claire.

Rafael leva les yeux pour rencontrer le regard d'Emiliano. D'un filet de voix, il demanda : "Qu'ont dit les médecins ?"

"Il est dans le coma."

"Tu l'as... vu ?"

"Non, il ne m'ont pas laissé le voir. Tu es content ?"

"Content ?"

"Tu lui avais donné la vie... maintenant tu la lui enlèves..."

"Je... je ne... ne croyais pas..."

"Ah, ah !" dit Emiliano et il s'assit lui aussi.

"Tu... tu l'as lue ?"

"Bien sûr."

"Quand te l'a-t-il donnée ?"

"J'avais rendez-vous avec lui à dix heures."

"Ce matin ? À l'heure de l'accid... du malheur ?"

"Non, ce soir. J'ai sonné... j'ignorais tout... J'ai sonné... Il devait être chez lui à dix heures, il me l'avait dit... Il y avait la clé sous le vase... Je suis entré... les lettres... Une pour moi, une pour toi, et son portable... Je les ai lues et... et..." dit Emiliano et il se mit à pleurer, en silence, le corps secoué de sanglots.

"Comment as-tu fait pour... le trouver ? Pour savoir où il était ?"

"Ben, j'ai fait le 112, pourquoi ?" murmura Emiliano d'un ton ironique. "Je leur ai dit que c'était mon frère..."

"Tu sais si... s'ils ont prévenu ses parents ?"

"Mais tu ne le sais pas ? Il ne te l'a pas dit ? Son père l'a abandonné quand il avait dix ou douze ans, sa mère l'a abandonné quand il en avait seize. Et toi, enculé de fils de pute... tu..."

"Non, il ne me l'avait jamais dit... je croyais que..."

"Et que pouvait-il faire, hein ? Tu vois ! Que sais-tu de nos vies, hein ? Toi, sale chiure de connard, le gardien de la loi et de la moralité ! T'en sais quoi de nos vies ? Tu... tu... c'est toi qui devrait être là-dedans, pas lui... Toi, connard... Et s'il crève... je te jure... que... je vais te chercher et... je te tue ! Je te le jure ! Prie pour qu'il s'en sorte, parce que je... je... Je m'en fous de prendre perpète, mais je te saignerai comme un porc ! Prie, prie..."

Rafael mit la main sur ses yeux, tête penchée, et pleura.

"Connard..." répéta Emiliano dans un murmure, la voix rauque.

Pendant plusieurs minutes, ils se turent tous deux. Dans le couloir désert seul le tic-tac d'une grande horloge murale rompait le silence.

Puis Emiliano regarda Rafael et lui dit : "Tu es en uniforme, si ça se trouve, ils te laisseront entrer, toi... Va voir dans quel état il est... Parle à ses médecins... Bouge-toi le cul, bordel, fais quelque chose !"

"Je... ne sais pas... je ne suis pas en service, et..."

"Mais ils en savent quoi, eux ? Dis-leur que... que tu dois faire une enquête, ou n'importe quoi... Mais putain, c'est à moi de te dire quoi faire ?" demanda-t-il d'un ton exaspéré.

"Non... Non, d'accord... C'est cette porte ?"

Emiliano hocha la tête. Rafael se leva, chancela un instant et se reprit. Il alla à la porte, l'ouvrit et se montra. Dans la pièce, éclairée au néon, il n'un avait qu'un lit et dessus un patient avec plusieurs plâtres, un masque à oxygène sur le visage, entouré d'appareils, de poches de transfusions, de tubes qui descendaient de flacons renversés où coulait un liquide incolore, un moniteur où défilait un signal de forme étrange et plusieurs bip-bip étouffés se faisaient entendre.

"Il est interdit d'entrer... Oh, monsieur l'agent, que puis-je..." dit un infirmier en posant son journal et il se leva de sa chaise.

"C'est... Serafino Molina, n'est-ce pas ?"

"Oui, monsieur l'agent."

Rafael entra et ferma la porte, silencieusement. Un nœud dans la gorge, il regarda la forme étendue sur le petit lit.

"Vous sauriez me dire son pronostic ?"

"Grosso modo... Coma artificiel, commotion cérébrale, fractures multiples aux bras, hémorragie... C'est son casque qui l'a sauvé, ils ont dit, sinon... Un sale accident, ça c'est sûr."

"Et il... il s'en tirera ?"

"Ça... qui sait ? Il est entre les mains de dieu. Moi je suis juste de garde, je ne suis qu'infirmier. Ces garçons roulent comme des fous et... si ça se trouve il avait bu, ou fumé, allez savoir..."

"Est-il possible de parler avec un médecin ?"

"À cette heure, monsieur l'agent ? Il est presque deux heures du matin. J'ignorais qu'on travaillait à cette heure, dans la police."

"À quelle heure passent les médecins ?"

"Hors urgence, c'est-à-dire si je ne les appelle pas, la première visite demain matin est vers huit heures. D'ici six heures."

"Vous serez ici jusqu'à huit heures ?"

"Non, je suis relevé à sept heures."

"Bien... merci. Bonne nuit." dit Rafael.

Il sortit à reculons et heurta Emiliano qui essayait de regarder dans la chambre. Il ferma la porte en silence pendant que le garçon faisait deux pas en arrière, puis il se tourna.

"Tu l'as vu ?" lui demanda Emiliano.

"Oui..."

"Comment... comment il est ?"

"Il était... il est... il n'est pas..."

"Accouche, bordel..."

"Couvert de pansements, de plâtres... masque à oxygène et..."

"Et ?"

"De tubes... il y a des machines..."

"Il a repris conscience ?"

"Coma... artificiel..."

Emiliano gémit doucement et se laissa tomber sur sa chaise. Rafael s'assit à côté de lui.

"Si rien ne va se passer... avant huit heures demain matin... à huit heures demain, les médecins... On ne saura rien d'autre avant..."

"D'autre... d'autre que quoi ?"

"Commotion cérébrale... hémorragie... beaucoup de fractures..."

"Et tout ça par ta faute, connard..." dit Emiliano, mais cette fois d'un ton désespéré et plus agressif comme avant.

"Oui..."

"Demain huit heures..."

"Écoute, Emiliano... demain je peux aller au commissariat et... je peux demander un congé, mais le bureau n'ouvre qu'à neuf heures, et..."

"C'est ton problème, tu crois pas ?"

"Si. Va dormir, maintenant. Je reste ici. Reviens à huit heures, on écoutera ensemble les médecins et après... après tu restes et je vais demander mon congé..."

"Et je rentre comment ?"

"Tu es venu comment ?"

"En taxi, ma moto démarrait pas. Mais j'ai claqué presque tout ce que j'avais pour la course."

"Je te paie le taxi. Tu as le portable de Serafino ?"

"Oui, pourquoi ?"

"Garde-le allumé. Si... si nécessaire, je t'appelle. Et tu as mon numéro."

"Je reste ici, il n'y en a que pour quelques heures."

"Non, s'il te plait. Je reste jusqu'à huit heures... Dès que j'ai mon congé, je reviens et on se met d'accord. Va dormir, maintenant, tiens..." dit-il en lui tendant un billet de cinquante euro.

Emiliano le regarda, hésitant, puis il prit le billet sans un mot et fit mine de s'en aller. Il se tourna et le regarda encore : "À huit heures, je suis ici." dit-il et il partit.

Rafael ressortit la lettre de Serafino et la relut. Et la relut encore... et pleura encore. Toute sa rage, tout son mépris à la découverte de la vie passée de Serafino se dissolvait lentement dans ces larmes silencieuses mais cuisantes. Les heures passaient, d'une incroyable lenteur, et lui donnaient le temps de revoir tout ce qu'il y avait eu entre Serafino et lui, Serafino à présent inconscient derrière cette porte, qui luttait entre la vie et la mort.

"Je suis désolé de ne pas être ce que tu voulais, de n'avoir pas pu le devenir, bien que j'ai tout fait pour. Je voulais t'offrir ma vie, une vie enfin propre, mais tu n'en veux pas, tant pis, elle ne sert plus à rien ni à personne..." avait-il écrit.

Il ferma les yeux et s'abandonna contre le dossier, la lettre dans ses mains, sur ses genoux. Il resta longtemps ainsi, immobile. Le tic-tac de la pendule murale, la vague odeur de désinfectant, l'odeur habituelle d'un couloir d'hôpital, l'image de Serafino sur son petit lit, le discours enragé d'Emiliano, tout cela lui semblait une ambiance surréaliste, cauchemardesque.

"Je voulais t'offrir ma vie... mais tu n'en veux pas, tant pis, elle ne sert plus à rien..."

Il lui semblait les entendre, ces mots, il lui semblait que Serafino les lui murmurait.

"Je t'aime plus que ma vie, Rafael... Je t'aime, je ne peux pas m'en empêcher... tu es tout ce qu'il y a eu de vraiment beau dans ma vie... J'ai perdu au jeu de la vie... et tout est fini... La dernière chose que je peux faire est de suivre ton conseil et disparaître de la face de la terre..."

"Non... Non, Serafino, non... Ne meurs pas, je t'en prie... Ne disparais pas de la face de la terre... Non..." murmura-t-il.

"T'es un connard, une merde, un sale fils de pute, un immonde bâtard, un chien enragé, un maudit... " criait dans sa tête la voix d'Emiliano. "C'est toi qui l'as tué..."

Une porte s'ouvrit et une infirmière apparut, elle lui lança un coup d'œil et le salua d'un geste, puis elle entra dans la chambre de Serafino. Quelques minutes après l'infirmier qui avait fait la nuit sortit, son journal sous le bras.

"Comment va le garçon ?" lui demanda Rafael.

"Rien de nouveau. Mais vous êtes resté là toute la nuit ?"

Rafael hocha la tête. L'infirmier le regarda, un peu étonné, puis lui fit un signe d'au-revoir et s'en alla. Rafael referma les yeux.

Plusieurs minutes après, il entendit une porte s'ouvrir et il se leva, en rouvrant les yeux. C'était Emiliano qui revenait. Il jeta un coup d'œil à la pendule murale : il était déjà huit heures moins le quart. Il regarda le garçon avancer vers lui, l'air boudeur, les yeux cernés et rouges.

"Rien de nouveau ?" dit le garçon en s'arrêtant devant lui.

"Non, rien."

Emiliano lui tendit un gobelet en plastique, avec un couvercle : "Je t'ai pris un café..." dit-il.

"Merci."

Il s'assit à côté de lui. "Mais j'y aurais mis de la mort aux rats avec plaisir !" ajouta-t-il pendant que Rafael commençait à le boire.

"Oui..." murmura le policier.

"Tu penses que... que Serafino... va s'en tirer ?" C'était plus une supplique qu'une question.

"Il le faut... il le faut !" répondit-il, la voix cassée.

"Pourquoi tu l'as traité comme ça ?"

"Parce que... que je suis un connard, une merde, une chiure..."

"Ouais. Sèche tes yeux... Un flic... un policier... ça ne doit pas pleurer..."

Rafael haussa les épaules. Il jeta son gobelet vide dans la poubelle à côté. Il plia la lettre de Serafino et la remit en poche, dans son enveloppe. Il enleva sa casquette, la mit sur ses genoux et se passa la main dans les cheveux deux ou trois fois.

Des bruits arrivèrent. La grande porte vitrée s'ouvrit, au fond du couloir et arrivèrent trois médecins et deux infirmiers. Deux médecins parlaient ensemble à voix basse. Rafael et Emiliano se levèrent. Les deux groupes se regardaient sans rien dire, puis les nouveaux arrivants entrèrent dans la chambre de Serafino.

Ils y passèrent plusieurs minutes. Puis leur groupe sortit. Emiliano poussa Rafael vers eux.

"Je suis l'agent Ballarini. Quel est l'état du garçon ?" demanda-t-il, en tâchant d'avoir un ton professionnel.

Un des médecins répondit : "Le pronostic est encore réservé... il a subi plusieurs traumatismes, on le garde sous sédatifs..."

"Mais... il s'en sortira ?" demanda Rafael.

"Le pronostic est réservé, mais... aucun organe vital n'est atteint. Il n'a pas d'hémorragie interne. Sans doute... sans doute que son casque l'a sauvé. Je ne peux pas en dire plus pour l'instant."

"Je comprends."

"Mais... ce garçon est sous surveillance ? On ne nous a rien dit..."

"Non... non... Je suis ici à titre personnel..."

"Ah." dit le médecin, "Un parent."

Rafael garda le silence et ne le démentit pas.

"Nous faisons tout ce que nous pouvons..." dit un autre médecin.

Ces mots lui parurent sinistres. "Merci." dit Rafael.

Les médecins s'en allèrent.

"Tu restes ici, d'accord ? Moi... je vais au poste. Dès que j'ai mon congé je reviens et on se met d'accord pour se relayer. Je ne sais pas combien de temps ça me prendra, mais je reviens dès que possible." dit Rafael.

Le garçon hocha la tête.

"Si... s'il y a..." dit le flic, hésitant.

"Je t'appelle, j'ai ton numéro."

"Merci."

Rafael partit.

Emiliano le regarda s'en aller et sortir. Il se rassit. Il se dit que ce flic n'était peut-être pas la merde dont il l'avait traité. Il était juste con. Il ne s'attendait pas à ce qu'il accoure ici... il ne s'attendait pas à ce qu'il pleure... et maintenant il allait demander un congé pour pouvoir rester près de Serafino...

"Oui, tu n'es qu'un grand, énorme, monumental connard..." dit-il à mi-voix.

Il était presque l'heure du déjeuner quand Rafael revint. Il était en civil. Emiliano se dit qu'il était mieux en uniforme. Il le salua d'une main.

"Rien de nouveau..." dit-il quand Rafael arriva près de lui.

"Ils m'ont donné une semaine, prise sur mes vacances." lui dit Rafael.

"Tu n'as pas dormi..."

"C'est pas grave..."

"Ils ont dit que dès qu'il ira mieux, il sera transféré en traumato."

"Ah."

"Toi au moins, tu l'as vu."

"Il y avait bien peu à voir... des pansements, des plâtres, des tubes, des machines..." murmura Rafael avec un non muet de la tête.

"Rien que tes cadeaux, quoi..." dit tristement Emiliano, mais sans agressivité.

"Je voudrais être là... à sa place..."

Emiliano fit non de la tête : "Il ne devrait y avoir aucun de vous, là. Si seulement... si seulement tu... Mais à quoi bon, à ce stade ?"

"C'est... c'est trop facile de juger... de juger avant de savoir... Il faut d'abord essayer de comprendre... Oui, il m'a menti plusieurs fois, mais..."

"S'il n'était pas amoureux de toi, vraiment amoureux... il n'en serait pas là maintenant... non, il rirait de toi et s'amuserait."

"Oui."

"Il t'a menti... ou il t'a caché certains faits... parce qu'il voulait que tu le voies comme il voulait être, comme il voulait devenir pour toi. Il ne se foutait pas de toi, tu t'en rends compte ?"

"Oui."

"Parce que Serafino... Nous, les tapins, ne devrions jamais tomber amoureux. Ça finit toujours mal. Nous sommes marqués au fer rouge, nous sommes les rebuts de la société. Nous ne sommes que des garçons à utiliser et à jeter. Et si l'un de nous est battu au sang, tué par ceux qui nous haïssent... ou profitent de nous, ou un fou ou un fanatique... juste parce qu'on tapine, nous passons de victime à coupable, pour les gens comme toi. Les putains, tout le monde leur jette la pierre, même ceux qui vont les voir... alors un pédé qui fait la pute... c'est la double peine, évidemment. Nous ne sommes plus humains... nous n'avons plus de droits... Nous sommes juste des garçons à utiliser puis à jeter. Du consommable."

Rafael l'écoutait sans mot dire, mais les mots le frappaient comme un réquisitoire, comme autant d'accusations brûlantes et méritées.

"Putain, je t'aurais tué... Je dis vrai, tu sais... J'aurais voulu d'abord te castrer, puis te saigner comme un porc. Et je n'aurais pas valu plus que toi. Parce que juger est trop facile... juger avant de connaître, avant d'arriver à comprendre. J'aurais juré que tu n'en aurais rien à foutre... et t'es là, abattu, comme moi..."

"Si au moins ça servait à quelque chose..." murmura Rafael.

"Si tu as du remords, ça te sert au moins à toi. Si tu essaies de comprendre, ça nous sert à tous. Si... si ton amour pour Serafino n'a pas tout à fait disparu... alors ça lui sert aussi à lui."

"Je ne sais pas, franchement... je suis encore trop perdu."

"Je crains que tu aies tout le temps pour voir clair en toi. Bon dieu, quel crétin tu peux être !"

"Oui..."

"Mais au fond... au fond on est tous des crétins, à notre heure... qui plus qui moins... Et certains le voient et l'admettent, d'autres non. Serafino aussi a été con, après tout, de vouloir se foutre de toi au début, de ne pas comprendre qu'il jouait avec le feu, puis de tomber amoureux de toi... comme un crétin."

"Mais il le paie cher..."

"Trop cher. Oui. Putain, être ici... comme ça... sans pouvoir rien faire... rien pour lui... ça me tue."

Rafael hocha la tête.

"T'étais mieux en uniforme..."

Rafael le regarda, un peu étonné par sa remarque.

"Quoi qu'il en soit... tu es bel homme... Mais ce n'est pas pour ça que Serafino a craqué pour toi. Après tout, il doit y avoir du bon en toi pour l'avoir rendu aussi dingue de toi... Après tout... S'il te savait ici... pour lui... peut-être qu'il réagirait mieux... peut-être qu'il retrouverait l'envie de vivre..."


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