Après trois jours, Serafino, toujours en coma artificiel, fut transféré en traumato. Emiliano et Rafael se relayaient à son chevet et se croisaient trois fois par jour, toutes les huit heures environ. Les médecins leur donnaient espoir qu'il puisse s'en sortir sans graves séquelles.
Un après-midi, lorsqu'ils se relayaient, Emiliano demanda à Rafael : "Comment vas-tu ?"
"Moi ?" demanda Rafael, un peu étonné.
"Oui, toi."
"Je ne sais pas."
"Il a l'air un peu plus détendu, il me semble."
"Oui..."
"Que penses-tu lui dire, quand il reprendra connaissance ?"
"Et toi ?"
"Le problème n'est pas moi, c'est toi. Mais quoi qu'il en soit, je lui dirait qu'il a été très con de faire ça. Il est con... tu es con... Vous feriez vraiment un beau couple. Que penses-tu lui dire ?"
"Je ne sais pas... Que je suis désolé..."
"Des banalités, quoi."
"Hein ? Non, je suis vraiment désolé. Oui, j'ai été très con... je lui demanderai si... s'il peut me pardonner..."
"Pour soulager ta conscience ? Mais pour lui ?"
"Que je voudrais... revenir en arrière."
"Tu sais que c'est impossible. Et puis... en arrière ? De combien en arrière ? Quand vous vous êtes rencontrés ? Quand vous avez cru être amoureux ? Quand tu as découvert la vie qu'il avait avant de te rencontrer ? Combien en arrière ? Et pourquoi ?"
"On ne croyait pas être amoureux... on était amoureux."
"Vous l'étiez ? Lui... il l'est encore, j'en mettrais ma main au feu. Voire les deux. Mais toi ?"
Rafael le regarda dans les yeux. Pendant quelques secondes, ils se regardèrent sans parler. Puis il murmura : "Je ne sais pas encore si... si ce n'est que du remord ou... oui si c'est... si ce que je ressens est... de l'amour. Mais je sais que je voudrais ne pas l'avoir poussé à... à faire... ce qu'il a fait."
"Au moins tu es honnête."
"Je fais comment pour comprendre ?"
"Te comprendre toi-même ? Tes sentiments ?"
Rafael hocha la tête.
Emiliano allait dire quelque chose quand la porte de la chambre s'ouvrit et entrèrent Leandro, Marta et Claudio. Ils se dirent bonjour puis Emiliano fit les présentations.
"Ah, vous êtes le policier..." dit Leandro en lui tendant la main.
"Oui..."
Ils se serrèrent brièvement la main.
Puis Leandro se tourna vers Emiliano : "Pourquoi ne m'as-tu pas averti ? Claudio l'a lu par hasard, dans un vieux journal."
"Je pensais que tu avais déjà assez d'ennuis comme ça..." se justifia Emiliano. "Bon, nous sommes trop nombreux, ici. J'y vais. À ce soir, Rafael."
"Oui, merci."
Une fois Emiliano parti, Leandro dit à Rafael : "Vous voulez bien venir un instant dans le couloir, pour me mettre au courant ?"
Ils y allèrent et Rafael lui raconta tout, depuis son appel furieux à Serafino en passant par la lettre, jusqu'à ce jour et l'état de santé du garçon.
"Alors ça n'a pas été un accident..." remarqua Leandro.
"Non... Et c'est de ma faute." dit Rafael en baissant les yeux.
"Votre faute... la faute... Dans notre société, on cherche toujours de la faute de qui c'est. À quoi bon ? La culpabilité de résout rien. Ne sommes-nous pas tous un peu coupables ? Faute... cause... ce serait un trop long débat. Quoi qu'il en soit, maintenant Serafino en est là... Quelles sont vos intentions ?"
"Je voudrais pouvoir réparer ce que j'ai causé..."
"C'est méritoire. Et comment ?"
"Je ne sais pas."
"Que ressentez-vous maintenant, pour ce garçon ?"
"Des remords..."
"Non, on a des remords pour une action, pas pour une personne."
"De la honte..."
"On a honte par rapport à quelqu'un, par POUR quelqu'un... Je vous ai demandé ce que vous ressentiez POUR Serafino." répliqua le photographe d'un ton calme.
"Je voudrais dire... de l'amour, mais... si je l'avais vraiment aimé, je n'aurais pas réagi comme je l'ai fait. Si je l'avais aimé, j'aurais essayé de comprendre avant de l'accuser, avant de le rejeter."
"Personne n'est parfait. Les espagnols disent : Ayer es historia, mañana es misterio, hoy es un regalo, por eso se llama presente !"
"Vous dites ?"
"Hier est l'histoire, demain est mystère, aujourd'hui est un don, c'est pour ça qu'on dit le présent... C'est aujourd'hui qui compte, pas hier. Serafino voulait mourir pour vous... êtes-vous prêt à vivre pour lui ?"
Rafael le regarda, confus, puis il murmura : "Oui. Oh oui !"
"Pour tous les 'aujourd'hui' que vous pourrez vivre ensemble ?"
"Oui."
"Alors ne dites plus 'si je l'avais vraiment aimé'. Essayez plutôt de lui donner votre amour, jour après jour, jusqu'à ce que vous y arriviez. Parce que, j'ai peut-être tort, mais il vous aime encore, n'est-ce pas ?"
"Vous croyez que... j'en serai capable ?"
"Et vous ? Ne pensez-vous pas pouvoir au moins essayer ? Ne croyez-vous pas que Serafino, quel qu'ait pu être son passé, est digne d'être aimé ? Ne croyez-vous pas que l'aider à vivre une nouvelle vie soit beau et juste ? Serafino n'est pas seulement un des plus beaux garçons que j'aie jamais pris en photo, mais c'est un des meilleurs. Un des meilleurs dans son cœur, son esprit et son âme. Oh, oui, je sais, il n'était 'qu'un tapin', de luxe, mais un tapin, après tout. Et bien non ! Il n'était pas qu'un tapin. Croyez-moi, je les connais, ces garçons, je les connais mieux que leurs propres parents... qui les ont souvent rejetés. Accueillez-le, pas juste dans vos bras, mais dans votre cœur. Serafino a voulu la mort, à vous de lui donner la vie."
"En serai-je capable ?"
"Vous voudriez l'être ?"
"Oui, bien sûr que oui !"
"Et bien alors... vous en serez capable, croyez-moi."
"Merci... Mais Serafino... il voudra encore de moi ? Après ce que... comment je l'ai traité ?"
"Demain est mystère. Donnez-lui aujourd'hui, chaque aujourd'hui qui viendra. Vous ne pouvez rien faire d'autre... puisque vous l'aimez."
Rafael, spontanément, lui tendit la main. Leandro la serra dans les siennes. Des larmes coulaient lentement sur les joues du policier. Leandro sourit et lui tendit son mouchoir. Ils retournèrent dans la chambre.
Marta était assise à côté du lit et caressait doucement la main de Serafino. Claudio, debout derrière elle, lui avait posé une main sur l'épaule et il regardait, absorbé, le visage de son ami.
Leandro dit : "Bien, allons-nous en maintenant, ça vaut mieux. Serafino est entre de bonnes mains... Nous sommes de trop, ici."
Rafael dit : "Si vous me donnez votre téléphone, je vous tiendrai au courant. De tout."
Leandro acquiesça avec un sourire, écrivit son numéro sur un bout de papier et le lui tendit. Puis ils partirent tous les trois.
Rafael s'assit près du lit, prit délicatement la main de Serafino dans les siennes et le regarda. Un sparadrap lui traversait un sourcil, là où on lui avait fait deux points de suture. Son visage était détendu, presque normal. Il avait l'air de dormir. Rafael se dit qu'il était vraiment beau garçon, malgré sa pâleur.
La poitrine du garçon, sous le drap, se soulevait et s'abaissait à chaque respiration. Il n'avait plus besoin du masque à oxygène, même si la bouteille restait à côté du lit. Les transfusions aussi avaient cessé, il n'avait plus que les tubes d'antibiotiques et de solution nutritive, ainsi que la sonde urinaire.
Rafael se pencha sur le visage du garçon et lui chuchota : "Je t'aime, Serafino... je t'aime... Reviens-moi, s'il te plait. Pardonne-moi et reviens-moi, reviens avec moi. Je jure que je veux... je veux de tout mon être... je veux vivre pour toi. Je t'aime, Serafino... je t'aime... Je veux être à toi, si tu veux encore de moi."
Un infirmier arriva avec le déjeuner de Rafael : il avait commandé et payé les repas pour "parents" pour Emiliano et lui. Cette clinique proposait depuis peu ce nouveau service, très utile. Les repas n'avaient rien de spécial, mais n'étaient pas mauvais.
"Comment va-t-il, aujourd'hui, votre frère ?" lui demanda-t-il.
"Ils disent qu'il réagit bien au traitement." répondit Rafael sans préciser que ce n'était pas son frère.
"L'autre garçon qui vient le veiller n'est pas un parent, n'est-ce pas ?" demanda l'infirmier en posant le plateau sur la table.
"Qu'est-ce qui vous fait penser ça ?" demanda Rafael sans répondre.
"Et bien... comme ça... Bon appétit." dit-il en haussant les épaules, et il ressortit avec son charriot.
Quand Emiliano vint le relayer, Rafael lui raconta la remarque de l'infirmier qui apportait les repas.
"Tu ne lui as pas dit que c'étaient pas ses oignons ?" lui demanda le garçon, un peu agressif.
"J'aurais peut-être dû... Ou peut-être aurais-je mieux fait de lui dire que Rafael est mon copain..."
Emiliano lui fit un petit sourire.
"Je peux te poser une question ?" demanda Rafael.
"Essaie."
"Tu... pour venir ici... tu travailles moins."
"Je tapine moins ? Quoi, ça t'ennuie d'appeler les choses par leur nom ? Oui, je tapine moins, mais je m'en fous."
"Tu l'aimes bien..."
"C'est dur de ne pas l'aimer."
"Ce Leandro est un type bien."
"Même si les journaux déversent de la merde sur lui."
"Les journaux n'en parlent presque plus. Il a un bon avocat, pour le procès ?"
"Oui, un excellent avocat, et il s'en sortira comme les autres fois. On s'en tirera tous, tu verras, parce que son avocat défendra aussi les garçons. De toutes façons, les accusations portées contre Leandro sont fausses."
"Et contre les garçons ?"
"Il faut qu'ils prouvent qu'on tapine. Aucun de nous n'a été pris en flagrant délit, alors... De toute façon ça ne m'inquiète pas. Tu verras que ça finira en acquittement : pour Leandro ce sera pour accusations infondées et par manque de preuves pour les garçons. Il est certain que nos clients ne viendront pas témoigner contre nous."
"Tu... tu n'aimerais pas arrêter de... de faire... le tapin ?"
"On doit tous arrêter, tôt ou tard."
"Mais tu n'aimerais pas ?"
"Pourquoi, tu veux me racheter ?" lui demanda-t-il, un peu ironique.
"Non... c'est juste... pour comprendre."
"C'est un travail comme un autre... si tu es en mesure de choisir tes clients, si tu n'es pas obligé, si tu n'es pas exploité comme c'est le cas de certains garçons que des mafias étrangères achètent, emmènent ici et vendent. Vous feriez mieux de vous occuper d'eux, les flics, plutôt que de nous."
"Nous devons... obéir aux ordres..."
"Oui. Où ai-je déjà entendu ça ? Ah oui... à Nuremberg."
"Tu me traites de nazi ?"
"C'est toi qui l'as fait, par ta réponse. Même si... même si, m'a dit Serafino, tu as laissé Valerio s'échapper, je crois. Sale travail que le tien. Oui, d'accord, il faut bien que quelqu'un le fasse. Oui, d'accord, c'est à cause de la loi... et toutes ces merdes... qui pourtant ont un sens."
"La vie n'est pas facile..."
Emiliano le regarda, comme pour l'étudier, puis dit : "Peut-être es-tu moins con que je croyais... Pas plus que moi ou les autres, au moins. La vie n'est pas facile, dis-tu... Les choses faciles ne valent rien. La vie, si. Je peux te poser une question, à présent ?"
"Essaie..." répondit Rafael en imitant inconsciemment son ton d'un peu avant.
Emiliano sourit : "Tu es arrivé à un peu mieux comprendre... à décider de ce que tu diras à Serafino quand à son réveil ?"
Rafael hocha la tête, sérieux.
"Et ?"
"Je lui demanderai si... s'il a encore confiance en moi et s'il me croit si... si je lui dis... que je l'aime."
"Et s'il te disait non ?"
Rafael soupira doucement puis dit à mi-voix : "Tant pis, je prendrai mes affaires et je rentrerai chez moi."
Emiliano sourit : "Idiot, tu n'auras rien à ramener chez toi. Tu sais quelle réponse il te donnera ?"
"Non..."
"Aucune... rien que deux petites larmes aux coins des yeux et un sourire comme un soleil d'été. Et il recommencera à aimer la vie. Et toi. Il fallait qu'il veuille se tuer pour... pour que tu comprennes ?"
"Je suis con, n'est-ce pas ?" lui répondit Rafael avec un sourire teinté de tristesse.
"Et bien... pas vraiment... Serafino était tapin... tu étais con... ce qui compte c'est que vous avez changé tous les deux. Avant qu'il ne soit trop tard. D'ailleurs, vous aviez une bonne raison de changer." lui dit Emiliano en lui donnant un coup de poing amical dans la poitrine.
Finalement, les médecins arrêtèrent les sédatifs aussi Serafino pouvait-il maintenant se réveiller d'un instant à l'autre. Tant Rafael qu'Emiliano étaient très excités. Aucun d'eux n'aurait plus voulu se relayer, ils voudraient tous deux être à côté de lui quand il reprendrait connaissance.
Ce fut Emiliano qui aborda la question : "Écoute, on voudrait tous les deux être là quand Serafino ouvrira les yeux, n'est-ce pas ? Alors, je me suis dit... Que penses-tu de nous relayer pour dormir ici, sur cette chaise ?"
"Je ne sais même pas s'ils nous laisseront rester tous les deux... Surtout qu'aucun de nous n'est de sa famille. Non, je crois qu'il vaut mieux qu'on continue comme avant et... dès qu'il se réveille, celui qui est là envoie un sms à l'autre."
"Mmhh... mais... s'il se réveille quand je suis là... dois-je lui dire ou pas que toi aussi tu..."
"Je ne sais pas. Ça dépend... S'il t'interroge sur moi, s'il te parle de moi... alors peut-être. Sinon... il me verra à mon arrivée. Qu'en dis-tu ?"
"D'accord, on fait comme ça."
Une autre journée passa. Rafael était venu relever Emiliano.
Dès son arrivée il demanda : "Toujours rien ?"
Emiliano fit non de la tête et se leva pour lui céder la chaise. Rafael s'assit et, comme souvent, il prit la main de Serafino dans les siennes. Il regardait son beau visage quand il remarqua un léger tremblement des paupières. D'instinct, il lui serra la main un peu plus fort. Emiliano lui posa une main sur l'épaule et la serra. Rafael comprit qu'il avait aussi vu ce petit signe.
Ils restèrent un moment immobiles, en silence à continuer à guetter le moindre changement sur le visage de Serafino. À nouveau ses paupières semblèrent trembler, comme s'il voulait les ouvrir sans y arriver. Puis lentement il les ouvrit, parut accommoder, tourna les yeux, tout doucement, d'abord vers la fenêtre, puis à l'opposé, vers la porte... et ses yeux s'arrêtèrent sur ceux du policier.
"Rafael ?" souffla-t-il dans un murmure à peine audible, stupéfait.
"Je t'aime..." lui dit le jeune homme, la voix cassée par l'émotion.
Les yeux de Serafino se mouillèrent, deux grosses larmes s'accumulèrent au coin puis coulèrent lentement sur son visage. Ses lèvres tremblèrent, s'ouvrirent et un sourire fleurit sur son visage fin et pâle.
"Je t'aime, Serafino..." répéta Rafael au comble de l'émotion, il avait presque du mal à parler.
Le garçon ferma les yeux. Emiliano serra fort l'épaule de Rafael. Lequel caressait doucement la main de Serafino. Puis le garçon rouvrit les yeux, à présent aussi lumineux que son sourire.
"Je t'aime..." répéta Rafael, profondément ému.
Serafino leva les yeux vers la silhouette d'Emiliano, debout derrière Rafael. Il rencontra son regard et son sourire s'accentua.
"Emiliano ?"
"Oui ?"
"Il m'aime... Rafael m'aime..." murmura-t-il.
"J'ai entendu... J'ai entendu moi aussi. Oui, Serafino, Rafael t'aime. Il t'aime vraiment."
"Alors... je peux... vivre..."
"Tu le dois ! Tu dois vivre, mon amour." lui dit Rafael. "Tu dois vivre pour moi... et moi je vivrai pour toi..."
"Oui..."
Serafino referma les yeux, mais le sourire resta sur son visage et les larmes poursuivaient leur lente descente sur ses joues.
"Maintenant je peux m'en aller et vous laisser seuls. Je viens te relayer dans huit heures, comme d'hab..." murmura Emiliano en se penchant à l'oreille de Rafael.
"Merci... On était là tous les deux... je suis content..."
"Moi aussi. Salut, Serafino. Je reviens tout à l'heure... Je préviens l'infirmière que tu t'es réveillé."
Le garçon ouvrit les yeux, le regarda et hocha la tête. Emiliano lui sourit et, en silence, il quitta la chambre.
"Je t'aime, Serafino... pardonne-moi..."
Le garçon lui sourit et acquiesça.
Peu après arriva la chef de salle. Elle regarda Serafino, vérifia sa tension, lui posa quelques questions puis annonça qu'elle avertissait les médecins et sortit.
Rafael lui caressa la joue : "Guéris vite et bien, mon amour."
Serafino acquiesça : "Moi aussi, je t'aime..."
"Je sais."
Les médecins entrèrent et ils firent sortir Rafael. La visite dura près d'une heure, mais il n'était pas inquiet. Il sentait une grande chaleur en lui et, comme il n'était jusque là pas arrivé à prier pour que Serafino soit sauvé, à présent une prière spontanée jaillit dans son esprit : "Merci, Seigneur. Protège-nous toujours. Amen."
Quand les médecins sortirent, ils lui donnèrent enfin des nouvelles réconfortantes. Ils lui dirent les durées minimale et maximale, probables de sa guérison, les soins, les examens complémentaires nécessaires et lui dirent que, grâce à sa jeunesse, il était probable, bien que ce ne soit pas encore certain, qu'il n'aurait pas de séquelles.
Notablement soulagé, Rafael appela sur le champ Leandro, comme il le lui avait promis, pour lui donner la bonne nouvelle. Puis il retourna dans la chambre. Serafino avait les yeux fermés, l'air serein. Il l'appela doucement mais n'obtint pas de réaction. Il comprit qu'il devait s'être rendormi et il ne le dérangea pas. Les lourds nuages qui avaient pesé sur son cœur depuis qu'il avait su que Serafino avait tenté de se tuer, se dissipaient enfin.
Pour la première fois depuis qu'il passait son temps ici, il se leva, alla à la fenêtre et regarda dehors. En-dessous il y avait le parking du personnel de l'hôpital, avec quelques arbres ça et là; devant, quelques maisons datant de l'époque fasciste, plus haut, le ciel d'un bleu délavé avec quelques nuages filandreux. Rien de beau, rien d'exceptionnel, et pourtant Rafael aima cette vue.
"Rafael ?" appela une voix faible.
Il se retourna et lui sourit : "Oui ?"
"Tu es encore là ?"
"Bien sûr !"
"Quand prends-tu ton service ?"
"J'ai pris une semaine de congés. Je reprends demain."
"Tu viens ici ?"
Rafael fit le tour du lit et vint s'asseoir près de lui.
"Ça ne t'ennuie pas... ce que... ce que je faisais ?"
"Non. Tout ce qui compte c'est que tu guérisses... et qu'on s'aime."
"Tu ne m'embrasses pas ?"
Rafael sourit, se pencha sur lui et leurs lèvres s'effleurèrent. Il passa doucement le bout de la langue sur les lèvres de Serafino, qui les ouvrit pour l'accueillir et la suça doucement. Le baiser se fit plus chaud, plus intime, plus doux.
Quand ils se détachèrent, Serafino dit : "Je voudrais te prendre dans mes bras, mais... tant qu'on ne m'enlève pas le plâtre... et les pansements... je ne pourrai pas..."
"J'attendrai..."
"Nous attendrons..."
"Oui, nous attendrons."
"Je m'en sors bien..." murmura Serafino.
"Quoi ?"
"De n'avoir pas... réussi..."
"Si j'étais moins... moins con, comme dit Emiliano... tu n'en serais pas là... réduit à cet état... par ma faute."
"Emiliano t'a dit que tu étais con ?"
"Et bien pire... tout ce que je méritais, il me l'a dit. Il t'aime bien, Emiliano. Il a toujours été ici, avec moi, on se relayait, lui et moi..."
"S'il pouvait aussi se trouver un bon garçon..."
"Un qui soit moins con que moi..."
"Même un comme toi, ce serait pas mal." lui murmura Serafino, avec un sourire attendris.
"Je te promets d'être moins con, à l'avenir. Je te promets que..."
"Moi aussi... Au début... moi aussi j'ai fait le con avec toi."
"Ah bon ?"
"J'avais tout filmé, la première fois qu'on a fait l'amour... pour en rire avec les copains..."
"Et... vous avez bien ri ?"
"Non. J'ai tout effacé, personne ne l'a vu."
"Mais à présent, ne parle plus, ne te fatigue pas, mon amour."
"Tu me prends encore la main ?"
"Oui, et toi essaie de te reposer. Tu dois te remettre vite."
"D'accord." murmura Serafino, il ferma les yeux et glissa peu à peu dans le sommeil.
Rafael aussi ferma les yeux et, dans le soulagement qui suit une forte tension, lui aussi s'endormit lentement.
Quand Emiliano vint prendre son tour, il les trouva comme ça, main dans la main, endormis. Il sourit. Il prit le portable de Serafino qu'il avait toujours sur lui et prit quelques photos. Il se dit que son ami serait content de les avoir.