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histore originale par Andrej Koymasky


L'HOTEL DE PASSE CHAPITRE 7
DES PROBLEMES, DES PROBLEMES...

Les choses n'allaient pas bien, à l'hôtel. Ils arrivaient à s'en sortir, mais ils s'en faisaient toujours sur ce que demain leur réservait et comment finir le mois.

Et tandis que la situation empirait, d'étranges visites de flics en civil commencèrent. Ils venaient avec une fille. Petru avait compris que c'était des flics en civil en reconnaissant l'un de ceux qui étaient venu quand les deux garçons de la chambre onze s'étaient tués. D'ailleurs Mario s'adressait parfois à eux par leur grade. Les visites de ces policiers préoccupaient de plus en plus Mario qui était de plus en plus inquiet.

Petru lui demanda un jour pourquoi ces visites l'inquiétaient tant...

"À part qu'ils ne paient pas... Mais c'est un peu comme s'ils nous faisaient chanter, tu ne le vois pas ? Ou vous nous laissez faire nos affaires ou nous vous le faisons payer... Ils ne le disent pas haut et clair, ils nous laissent juste le comprendre..."

"Oui, mais... tant qu'eux aussi viennent baiser ici, d'une certaine manière nous sommes à l'abri, parce qu'ils font en sorte qu'on n'aie pas de vraie descente de police, n'est-ce pas ?"

"Une protection inutile et que je n'ai pas demandée. Et puis ces gens-là devraient faire respecter la loi mais ils ne la respectent pas eux-mêmes... je n'ai pas confiance en eux. Je m'attends à ce que tôt ou tard, en plus de ne pas payer, de venir ici à l'œil, ils se mettre aussi à me demander un pot-de-vin, une enveloppe. Et nous sommes loin de pouvoir en payer une, sans compter que ce serait injuste."

"Mais pourtant on ne fait rien d'illégal, ici, hein ? Ce n'est pas nous qui trouvons les putes aux clients, et ils ne nous paient pas pour les trouver... Ils se les trouvent seuls, ils les paient eux, nous ne prenons aucun pourcentage. Pour nous ce sont... de simples clients, nous leur louons juste une chambre et ce qu'ils y font... ne regarde qu'eux, et pas nous."

"Sois tranquille, s'ils s'y mettent ils peuvent nous chercher des poux dans la tête et nous le faire payer. Nous avons tant de lois en Italie qu'il est impossible de ne pas en violer au moins une sans le savoir. Non, ça ne me plait pas de les avoir comme clients... mais malheureusement je ne peux rien y faire."

Quelques jours après cette conversation, un mardi matin, Petru alla à la cachette de l'argent mais découvrit qu'il y avait juste assez pour payer les salaires, les quittances, les factures et les courses. Alors il ne prit que l'équivalent de son salaire et alla le déposer à la banque.

Bien que ce soit le matin et qu'il fasse déjà jour, sur le trajet entre l'hôtel et le centre du village, Petru fut soudain entouré et agressé par trois jeunes qui le volèrent. Quand les trois vauriens prirent la fuite en sautant dans une voiture, à coup sûr volée, et que Petru se releva en tremblant, sa première pensée fut que par chance ils n'avaient pu lui voler que son salaire et pas toutes les recettes de la semaine. Il ne s'en faisait pas trop pour son argent, ni pour les coups qu'il avait pris en voulant s'opposer au vol, ce qui l'inquiétait était qu'à présent il ne se sentait plus en sécurité.

Quand il rentra à l'hôtel et raconta le vol, Mario voulut lui donner au moins la moitié de ce qu'on lui avait volé mais Petru refusa.

"Tu n'as pas d'argent devant toi, je ne peux pas t'en prendre. Ne t'en fais pas, ce n'était pas beaucoup d'argent..."

"Mais que pourras-tu envoyer chez toi ?"

"Ma famille a moins besoin qu'avant de mon argent, ce ne sera pas un gros problème, pour eux. Mais toi, si tu me donnais de l'argent, là tu aurais un gros problème, tu ne bouclerais plus tes comptes. Ne t'en fais pas, ce n'est pas grave." dit-il à Mario qui étalait délicatement de la pommade sur ses bleus.

Alors Mario fit en sorte que les clients donnent plus de pourboire que d'habitude à Petru. Il le demandait ouvertement à chaque client, même si par orgueil il n'aimait pas demander et que ça n'avait rien de facile pour lui, mais ce mois-là il mit son orgueil de côté.

Petru, même s'il espérait plus, se contentait de l'affection que Mario ne manquait pas de lui témoigner. Il aimait ce garçon qu'il avait vu grandir, il l'aimait comme un frère, comme un vrai ami, même s'il aurait voulu l'aimer comme un amant.

Mais il prenait grand soin de ne pas le laisser le deviner, car il craignait que si Mario s'en doute avant d'être prêt, leur entente merveilleuse de tous les jours serait ruinée. Souvent, bien qu'il fasse encore de temps en temps l'amour avec Fane, Petru se masturbait, les yeux fermés, en rêvant qu'il était avec Mario.

Puis arriva quelque chose qui inquiéta fort Petru. Il réalisa qu'un de leurs clients habituels, qui venait à chaque fois avec un autre garçon, s'était mis à faire les yeux doux à Mario. Rien de vraiment explicite, mais Petru voyait bien que ce type était "trop" gentil avec Mario et il était de plus en plus sûr de là où il voulait en venir.

Ce qui rendit Petru vraiment anxieux fut l'impression que peu à peu Mario cédait à cette cour assidue, lui aussi devenait de plus en plus gentil avec ce client. Les sourires de plus en plus chaleureux qu'ils échangeaient en se rencontrant, en parlant étaient autant de coups de poignard dans le cœur de Petru.

Et quand un jour ce client arriva seul et que Mario ne l'enregistra pas mais demanda à Petru de prendre la réception, qu'il monta avec lui à l'étage... Petru se sentit terriblement triste et jaloux, des larmes coulèrent de ses yeux et il fut incapable de les retenir.

Fane passa par le hall, il remarqua l'expression de son ami et il vit qu'il pleurait.

"Eh, Petru... que t'arrive-t-il ?"

"Rien..."

"Ah oui, et c'est quoi, ces larmes ?" lui demanda-t-il, inquiet.

"Rien, j'ai pris quelque chose dans l'œil, c'est tout..."

"Dans les deux yeux ?" lui demanda Fane, incrédule.

"Oui, de la poussière... j'ai soufflé trop fort sur le placard à clés pour enlever la poussière et j'en ai pris dans les yeux, et..."

"Mais il était si sale ? Mais je l'ai épousseté il n'y a que deux jours..."

"Et bien tu l'as mal épousseté. Prends ton travail plus au sérieux !" répondit brusquement Petru.

Fane le regarda, assez incrédule. Il savait ne pas mériter ce reproche. Mais il réalisa alors qu'il n'y avait pas que ses yeux qui pleuraient, c'était tout le visage de Petru qui avait une expression étrange, trop étrange. Non, ce n'était pas de la poussière !

"Oui, crie-moi dessus. Si tu ne veux pas me dire ce que tu as, tu n'as qu'à me dire de m'occuper de mes oignons, mais ne m'accuse pas de mal travailler, de ne pas mériter mon salaire..."

"Je n'ai pas dit que..."

"Si, tu l'as dit ! Tu viens de le dire. Je te croyais un ami, pas un étranger. Quoi qu'il en soit... pardon de m'être permis..." lui dit-il d'un ton affirmé et offensé et il se retourna pour partir.

"Fane..." gémit presque Petru.

Le jeune homme se retourna : "Qu'y a-t-il ?"

"Excuse-moi... tu as raison... c'est que... ça ne va pas bien. Avec madame Adèle à la clinique, l'argent file plus vite qu'il n'entre... Excuse-moi, je n'aurais pas dû te parler comme ça."

Fane revint vers le comptoir et lui sourit : "Excuses acceptées. Mais, tu ne crois pas prendre les choses trop à cœur ? Si l'hôtel devait fermer... toi et moi trouverions un autre emploi. Je sais, ce n'est pas facile, mais..."

"Je ne veux pas d'un autre travail, je veux travailler ici." gémit Petru.

Un client arriva avec une fille et ils durent interrompre leur conversation. Fane se mit à balayer le hall. Petru encaissa l'argent et donna les clés à l'homme. Quand le couple eut disparu dans l'escalier, Fane se rapprocha du comptoir.

"Petru, un boulot en vaut un autre... D'accord, on n'est pas mal, ici, et même si on n'est pas bien payés, ça me va. Mais..."

Petru ne répondit pas, mais il fit non de la tête.

"De toute façon," ajouta son ami, "pour l'instant ça va encore, ici, non ? Il n'a pas parlé de nous licencier, Mario... Et je suis sûr qu'avant de nous renvoyer ils renverraient les femmes de chambre. Et avant de te renvoyer, ils me renverraient moi."

"Non, ils n'ont pas parlé de nous licencier, mais je vois les comptes et... ça ne va pas bien. Entre le pourcentage qu'il faut donner à madame Becarelli et à l'avocat, les factures, les impôts, les courses... tout le reste sert à payer les médecins, les soins et la clinique. Si seulement madame Adèle guérissait... ou mourait... Ça recommencerait à aller bien."

Même si la vraie raison de ses larmes était toute autre, parler de ça avec son ami avait distrait et un peu calmé Petru.

Un peu plus tard, Mario et cet homme descendirent l'escalier. Ils allèrent au bar où Mario lui offrit un verre. Ils étaient assis ensemble, côte à côte, ils discutaient amicalement. Petru les regardait, il n'arrivait pas à détourner les yeux d'eux.

Fane vit le regard de son ami et il y lut une profonde détresse que leur conversation avait précédemment en grande partie dissipée, il devina alors de la vraie raison des larmes de son ami.

"Mario et ce type... sont allés baiser, n'est-ce pas ?" lui demanda-t-il à voix basse, bien qu'il lui parle roumain et que personne ne puisse les comprendre.

Petru le regarda et Fane vit un éclair de douleur dans les yeux de son ami qui se contenta d'acquiescer.

"Et toi... toi tu es... amoureux de Mario." dit Fane encore plus bas, parce qu'il comprenait qu'il s'engageait sur un sujet vraiment intime, très personnel.

"Non..." gémit Petru, mais Fane comprit bien que c'était un oui.

"J'ignorais que... que Mario aussi... était comme nous..."

"Peut-être... peut-être que lui-même l'ignorait, du moins jusqu'à il y a quelques jours... Je ne sais pas..."

"Et toi maintenant... tu es jaloux de cet homme..."

"Non... Il n'y a rien entre Mario et moi..."

"Quel rapport ? Tu es amoureux de lui... cet homme est ton rival. Mais si tu es amoureux de Mario, pourquoi ne le lui as-tu jamais fait comprendre ?

"Peut-être... par peur qu'il me dise non..."

"Mais comme ça, n'est-ce pas comme s'il t'avait déjà dit non ? Mario sait pour toi... il connait toute ton histoire, non ?"

"Mais il ignore si je suis pédé ou pas. Il sait juste qu'on m'a obligé à me prostituer avec des hommes. Et c'est peut-être pour ça... parce que j'ai été tapin... que je ne l'intéresse pas dans ce sens."

"Mais celui avec qui il est maintenant... qu'a-t-il de mieux que toi ?" lui demanda Fane.

"De mieux que moi ? mais que Mario est allé avec lui, pas avec moi. Il est riche, élégant et cultivé... ce n'est pas un immigré quelconque comme nous."

Mario et cet homme se levèrent et allèrent vers l'entrée. Ils se dirent au revoir et l'homme partit. Mario revint au comptoir et quand Petru vit son visage radieux, souriant, il sentit encore un coup de poignard dans le cœur.

Les jours suivants, Petru vit cet homme revenir, mais sans garçon avec lui. À l'évidence il revenait pour Mario. Parfois ils prenaient une chambre, mais d'autres fois ils restaient juste à bavarder au bar. Malgré la souffrance qu'elle lui valait, cette situation avait au moins un côté positif : Mario semblait avoir retrouvé une certaine sérénité.

Parfois ce type venait avec un ou deux autres, il les présentait à Mario et ils discutaient à trois ou quatre et Mario ne montait pas dans une chambre avec le type.

L'hôtel eut tôt fait d'être fréquenté par un curieux groupe de clients étranges, rien que des hommes, qui montaient rarement prendre une chambre avec un garçon mais qui allaient tous discuter au bar et restaient des heures à parler entre eux, mais surtout avec Mario.

C'étaient des hommes aux origines sociales les plus variées : cadres, acteurs, juges, policiers, prêtres mais aussi chômeurs, artistes, artisans, ouvriers... le bar devint leur repaire habituel, l'endroit où ils aimaient discuter, échanger idées et avis, écouter de la musique, boire ou jouer aux cartes. De plus en plus d'hommes, presque toujours seuls, y venaient sans prendre de chambre, certains venaient assez souvent à ces réunions informelles, d'autres n'apparaissaient qu'une fois ou rarement...

Un jour, celui que tous appelaient "monsieur le juge" suggéra à Mario de faire payer une cotisation associative, autant pour sélectionner la clientèle que pour faire face aux frais. Il lui suggéra aussi d'embaucher un jeune musicien qui se produirait dans la salle à manger et d'augmenter, d'au moins doubler sinon tripler le prix des consommations, à condition de mettre au bar des produits de marque, pour sélectionner les habitués et éloigner les malvenus.

Ainsi, peu à peu, sans cesser de marcher comme hôtel de passe, il se forma au bar et à la salle à manger, dont les murs avaient été enlevés pour en faire un espace unique, une sorte de cercle assez élitiste, sans nom ni licence, qui n'accueillait qu'une clientèle choisie qui pouvait se permettre de fréquenter l'endroit.

Mario se retrouva donc à gérer quelque chose qu'il n'aurait même pas su qualifier, mais où sa présence semblait essentielle, autant parce qu'il connaissait tout le monde qu'à cause de sa bonne humeur et de sa sympathie.

Certains de ces hommes auraient fait les pieds au mur pour le mettre dans leur lit, Petru n'en doutait pas, même si aucun n'avait osé faire plus que des allusions voilées que Mario avait habilement su éluder. Et au plus grand malheur de Petru, Mario continuait à s'isoler de temps en temps avec cet homme.

L'argent coulait à flots, à présent, et le revenu des chambres était devenu une part marginale des recettes.

Mario put donc rembourser à madame Becarelli tout ce qu'elle lui avait prêté pour l'opération de sa mère et, puisque madame Adèle ne se remettait pas de l'intervention et que son état ne s'améliorait pas, il arriva à la faire transférer dans une bonne clinique spécialisée en maladies chroniques sur les collines de Vimercate. Madame Adèle n'était désormais pas plus utile à elle qu'aux autres, elle n'était plus qu'un fardeau.

Mais Petru voyait bien que Mario n'était pas vraiment serein, on aurait même dit que sa jeunesse s'étiolait prématurément. Bien qu'il soit le cœur de ce club informel, le jeune homme semblait de plus en plus seul et fatigué.

Le fait est que Mario, et Petru le voyait de plus en plus clairement, était exploité par les hôtes du club qui l'obligeaient à en être l'animateur, mais ça lui permettait de payer la clinique de sa mère. Il était aussi exploité par les policiers et les inspecteurs des impôts qui fermaient l'œil sur le fait qu'il n'avait pas les licences nécessaires en échange de l'usage gratuit des chambres ou de sollicitations régaliennes... enfin de pots de vin. Il était exploité par sa mère qui ne lui laissait pas un instant de répit, qui aurait voulu le voir tous les jours et qui le submergeait, quand il allait la voir, de lamentations sur tout et tout le monde.

Petru réalisa qu'il était, avec grand-mère Félicité, le seul vrai soutien de Mario, son seul vrai ami... et il continua à l'aimer en silence.

Un jour, alors que Petru était dans le réduit derrière la réception à faire les comptes du mois, il vit à travers le miroir sans tain qui donnait sur le comptoir deux sales types louches.

"Monsieur Mario Vizzini, c'est bien ça ?" demanda l'un d'eux.

"Oui..."

"Pas mal, cet hôtel... nous avons entendu dire que depuis quelque temps... il rapporte beaucoup..."

"Excusez-moi, mais... vous désirez ?" demanda Mario, tendu.

"Vous êtes seul ?" demanda l'homme en guise de réponse.

"Oui..." mentit Mario.

Petru sentit quelque chose de très étrange, de... dangereux, alors il se leva et s'approcha en silence de la glace sans tain pour mieux voir ce qui se passait.

"Il serait très dommage que... qu'il y ait un incendie... Vous ne trouvez pas ? Nous pourrions vous faire une assurance contre tout... incident, en échange d'un pourcentage honnête de vos recettes..."

Petru sentit très clairement la tension de Mario, bien qu'il le voit de dos, et il se demanda s'il devait sortir pour lui prêter main forte et se tenir à ses côté.

"Nous sommes déjà assurés à la Générale, nous n'avons besoin de rien d'autre." répondit sèchement Mario.

"Oh mais si, tu as besoin d'autre chose..." dit l'homme avec une grimace en passant soudain au tu.

Mario tremblait, pas de peur, mais de rage. Le regard incendiaire, il répondit : "Tout ce que j'ai à perdre c'est ma famille et l'hôtel, mon travail, quoi. Et si vous vous hasardez à toucher l'un ou l'autre, je vous jure que... je vous jure que je vous le ferai payer et..." dit-il en sortant le pistolet du tiroir et en le brandissant, "je n'hésiterai pas à vous tuer, même si ça doit me valoir perpète, si je vous vois encore ne serait-ce que passer dans le coin. J'ai été assez clair ? Maintenant, hors d'ici... et au pas de course !"

Petru se montra alors à la porte et dit : "De toute façon j'ai tout filmé ! Allez, cassez-vous !"

Les deux hommes partirent sans un mot, en grande hâte.

"Dommage que tu n'aies pas pu le faire vraiment..." lui dit Mario, encore tendu.

"Mais ils n'en savent rien. Et de toute façon je les ai bien regardés et s'il le faut je suis prêt à les décrire et à témoigner qu'ils t'ont menacé. Espérons qu'ils ne se montrent plus."

"Merci d'être venu..."

"Je n'allais quand même pas te laisser seul ! Mais tu ne devrais pas les dénoncer ?"

"Je ne sais pas. Je ne les avais jamais vus, avant, il faudrait que je porte plainte contre X. Voyons s'ils essaient encore..."

Peut-être ces deux hommes n'étaient-ils que deux balourds qui ne s'attendaient pas à une réaction aussi décidée, ou étaient-ce les connaissances intéressantes que Mario avait fait au club, mais non seulement il arriva à ne pas céder au racket de ces malfrats, mais il put par la suite s'affranchir des flics et des inspecteurs des impôts. Petru était presque sûr que "monsieur le juge", toujours l'un des clients les plus fidèles des soirées au bar de l'hôtel, devait avoir bougé les bons pions.

Le jour, Petru faisait tourner l'hôtel, même si les couples se faisaient de plus en plus rares, pendant que Mario allait à Vimercate s'occuper de sa mère. Puis, le soir et la nuit, jusqu'au petit matin, Mario animait le salon, avec l'aide de Fane qui tenait le bar, et il entretenait cette étrange congrégation de riches célibataires qui ne cherchaient que très rarement du sexe mais seulement de la compagnie et du contact humain.

Un matin, Fane dormait et Mario venait de partir voir sa mère, grand-mère Félicité sortit de la cuisine en essuyant ses mains sur son tablier blanc et elle alla au comptoir de la réception où Petru lisait un roman policier.

"Il y a des clients, en-haut ?" demanda-t-elle.

"Juste quatre couples."

"Oui, pas beaucoup... Laisse-moi m'asseoir un moment avec toi, qu'on bavarde un peu..." dit-elle en faisant le tour du comptoir, et elle prit la chaise libre et s'y assit. "Dis-moi, Petru, tu arrives à garder patience ?" lui demanda-t-elle à voix basse.

Le jeune homme ferma son policier et le posa, il avait la vague impression de se douter à quoi la vieille dame faisait référence et que la conversation ne serait pas courte.

"Oui... oui, j'y arrive..."

"Et ce n'est pas trop dur ?"

"Non..."

"... ce n'est pas trop dur de voir que Mario... a ouvert les yeux mais... ne t'a pas vu ?"

Petru la regarda, émerveillé : "Comment vous faites, grand-mère Félicité, pour tout voir tout en étant toujours à la cuisine ?"

"Les femmes de chambre... voient ce que je ne peux pas voir. Tu penses bien qu'elles sont tout de suite venu tout me raconter... avec plein de détails."

"Ah..."

"Quoi qu'il en soit... d'après moi... ça ne durera pas, avec ce type, et quand ce sera fini... Mario aura besoin que tu sois près de lui, pour l'aider à surmonter sa déception..."

"Bien sûr que je serai près de lui, mais... qu'est-ce qui vous fait dire que ça va finir ? Comment pouvez-vous en être sûre ?"

"Je ne connais pas cet homme, mais je connais très bien mon petit fils. Si tout allait bien, s'il avait trouvé le vrai amour... je m'en serais aperçue, même s'il ne me dit rien. Toi par contre... je sais que tu saurais lui donner le vrai amour. Je sais qu'avec toi il pourrait être heureux."

"Comme je voudrais que vous disiez vrai, grand-mère Félicité..."

"Je comprends que cette période... pour toi... le savoir avec... cet homme... est loin d'être facile. Mais tu as quelques avantages sur ce type."

"Moi, des avantages ? Mais lesquels ?"

"Tu as toujours été là, tu connais Mario mieux que lui... et surtout toi tu l'aimes." dit la vieille dame en mettant l'accent sur le "toi".

"Mais si Mario ne devait jamais m'aimer ? Ne jamais plus m'aimer qu'on ne peut aimer un frère ou un ami ?"

"Et toi, tu pourrais arrêter de l'aimer ?"

"Non. Non, je ne pourrais pas."

"Et bien alors... si ce que tu crains devait arriver... continue à l'aimer et à souffrir, mon pauvre Petru."

"Peut-être devrais-je avoir le courage de lui dire ce que je ressens pour lui..."

"Maintenant qu'il est avec cet homme... il n'est peut-être pas prêt à t'apprécier à ta juste valeur. Mario croit à l'évidence avoir trouvé ce qu'il lui fallait."

"Alors j'aurais dû essayer moi, avant que ce type n'arrive."

"Peut-être... mais peut-être pas. Va savoir ce que ce type est arrivé à éveiller en lui... Tu aurais peut-être aussi pu y arriver. Mais de toute façon, il en a été ainsi."

"Pourquoi, grand-mère Félicité, tout est toujours si compliqué ?"

"Parce qu'il faut être prêts tous les deux. Par chance, toi tu continues à être prêt pour lui, tu n'as qu'à attendre... et espérer qu'il réalise être prêt pour toi. D'après moi... ça arrivera tôt ou tard. Du moins je l'espère de tout mon cœur, autant pour mon Mario que pour toi."

"Je n'ai jamais connu mes grand-mères... mais j'aurais aimé qu'elles soient comme vous."

"Et moi je suis contente que tu aies arrêté de m'appeler madame pour me dire grand-mère."

"Je ne vous en ai même pas demandé la permission... ça m'est venu tout seul de vous appeler comme ça, comme Mario vous appelle."

Félicité sourit : "Les choses qui viennent toutes seules sont les meilleures. Bon, il faut que je retourne à la cuisine. Je dois repasser vos uniformes pour que vous puissiez vous changer. Tu sais que Mario tient à ce que vous soyez toujours impeccables. Ce n'est pas parce que c'est devenu un hôtel de passes qu'il faut négliger l'apparence."

"Vous, grand-mère Félicité, vous ne vous êtes jamais remise que madame Adèle ait décidé d'accepter la proposition de madame Becarelli, n'est-ce pas ?"

"Et bien... que veux tu que je dise... je suis de la vieille école..."

"Pas tellement, si vous avez accepté mon amour pour Mario et si vous espérez qu'on finisse ensemble." dit Petru en souriant.

"Toute la différence est là. S'il ne venait ici que des couples qui s'aiment mais n'ont pas d'endroit... ça ne me poserait aucun problème. C'est vrai. Ce qui me déplait c'est que ces filles... et ces garçons, font ça pour de l'argent, parce qu'ils y sont forcés. Si quelqu'un devrait comprendre ça, Petru, c'est bien toi."

"Certaines filles font ça pour l'argent mais sans y être obligées... elles ont des parents riches et l'argent ne leur manque pas... Mais elles en veulent plus... Et puis... elles disent que ça les amuse..." lui fit valoir Petru.

"Toutefois elles ne le font pas par amour, ça ne change rien !"

"Mais c'est mal de s'amuser ?" lui demanda le jeune homme.

"S'amuser n'est pas mal, mais... Je suis vieille mais faire commerce du sexe... je ne sais pas... ça me semble laid. Se faire utiliser par un homme juste pour... Surtout quand on n'est pas obligée... Si j'avais une fille qui fasse ça, je crois que j'en mourrais de chagrin."

"Peut-être que pour certaines filles de bonne famille l'argent n'est qu'une excuse..."

"Une excuse, comment ça ?"

"Une fille qui aime coucher avec n'importe qui, on la traite de putain, non ? Alors... dire qu'elle fait la putain juste pour l'argent... lui permet de coucher avec qui elle veut... Enfin, je parle de celles qui ne sont pas obligées."

"Je n'avais jamais pensé à ça, Petru. Peut-être que tu as raison. Il faut que j'y réfléchisse... Mais maintenant il faut vraiment que je retourne travailler."

Petru se demandait comment il se faisait que madame Félicité, qui avait toujours été très taciturne, aime tant parler avec lui. Il comprenait que ses relations avec madame Adèle ne soient pas si bonnes... Belle-fille et belle-mère s'entendent rarement à merveille. Mais il savait qu'elle aimait bien Mario, pourtant elle semblait parler plus volontiers, plus longtemps, avec lui qu'avec son petit-fils.

Quoi qu'il en soit, Petru était heureux que la vieille dame ait tout compris de son amour pour Mario et qu'elle l'approuve, mieux, qu'elle espère qu'ils finissent ensemble. Et pouvoir en parler avec elle était magnifique, parce que celui qui aime a besoin de parler à quelqu'un de son amour, surtout quand il n'est pas partagé.

Rares sont les gens capables de tout garder enfermé dans leur cœur sans risquer qu'il n'éclate.

Fane aussi était au courant de son amour pour Mario, et pourtant, pour quelque étrange raison, Petru n'arrivait pas à en parler sincèrement à cœur ouvert avec son ami.


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