Petru sentait que Mario n'était pas heureux avec son amant, qu'il commençait à le voir de moins en moins souvent. D'un côté il était content de ces symptômes d'éloignement entre eux, mais de l'autre il n'arrivait résolument pas à se réjouir du malheur de plus en plus évident de Mario.
Ce dernier continuait à animer chaque soir le "club" et il y était, souriant, il bavardait, jouait aux cartes avec les hôtes, chantait parfois quand le musicien jouait un morceau connu par la plupart. Mais Petru le connaissait désormais très bien et il savait que l'allégresse que Mario affichait était feinte.
Petru n'avait jamais eu de sympathie pour celui qui avait ouvert une brèche dans le cœur de Mario, mais à présent il le détestait de tout cœur, il ne lui pardonnait pas de faire souffrir "son" Mario !
Puis un jour, la clinique de Vimercate appela : madame Adèle était morte. Mario en eut évidemment du chagrin, mais en même temps il fut aussi soulagé : sa mère avait fini de souffrir et il ne devrait plus payer les frais coûteux de l'établissement.
Maintenant qu'il avait enfin fini de payer ses dettes, les finances se remirent à bien aller. Malgré cela, Mario se mit à parler de vendre la licence et les installations de l'hôtel. Mais comme une bonne partie des recettes était au noir, les offres qu'il reçut furent très basses. Aussi n'accepta-t-il aucune des rares qu'il reçut.
Puis un jour, subitement la police arriva, inattendue, et Mario fut arrêté sous l'absurde chef d'inculpation de favoriser la prostitution. Il s'agissait sans doute de la vengeance d'un des policiers qu'il avait repoussé et dont il ne payait plus les dessous de table.
Petru n'y connaissait rien en lois, et moins encore en lois italiennes, mais le chef d'accusation lui sembla absurde et injuste, aucun d'eux n'avait jamais favorisé la prostitution de quelque façon que ce soit. Toutefois, à la demande de grand-mère Félicité, Petru tâcha de faire aller l'hôtel de l'avant.
Sans Mario les réunions du soir devinrent moins attractives, les hommes y vinrent de moins en moins souvent, certains avaient tendance à trop boire et quelques rixes éclatèrent même. Sur conseil d'Arnaldo, c'est-à-dire de "monsieur le juge", qui était un peu le chef des réunions, Petru annonça qu'elles étaient suspendues.
"Monsieur le juge... ne pourriez-vous pas faire quelque chose pour aider le pauvre Mario ? Vous savez bien qu'il n'a jamais favorisé la prostitution, n'est-ce pas ?"
"J'essaie déjà de faire quelque chose, mais Mario a un bon avocat et tu verras qu'il s'en sortira bientôt, ne t'en fais pas. Malheureusement la justice à son rythme... et ici chez nous il est très lent."
Les recettes diminuaient rapidement et suffisaient à peine à couvrir les dépenses. Il ne venait presque plus de couple, par peur d'une nouvelle descente de police. Le club, provisoirement fermé par Petru, avait fondu comme neige au soleil. Les rares clients "normaux" qui ne venaient à l'hôtel que pour dormir n'apportaient pas assez de recettes pour couvrir les frais.
C'est pourquoi, avec la bénédiction de grand-mère Félicité, Petru fit rester chez elles les trois femmes de chambres et tout le travail de l'hôtel, ou presque, reposa entièrement sur ses épaules, celles de Fane et de grand-mère Félicité.
Finalement Mario fut relâché, lavé de tous soupçons, mais la période passée en prison lui avait fait perdre toute envie de continuer à se battre. Et puis son amant avait disparu, il s'était évanoui au lieu de rester proche de lui, ce qui avait été une déception de plus. Petru avait mal en regardant les beaux yeux de Mario, éteints et tristes.
Un jour, alors qu'ils déjeunaient tous les quatre, Mario annonça qu'il avait l'intention de vendre, à n'importe quel prix, et de se chercher un travail.
"Si c'est ce que tu veux, moi ça me va, Mario..." dit grand-mère Félicité, "... je peux aller dans une maison de retraite. Mais tu dois d'abord trouver la façon d'installer Petru et Fane, après tout ce qu'ils ont fait pour nous, nous leur devons bien ça."
"Oui, grand-mère, tu as raison. Mais je ne veux pas t'abandonner dans une maison de retraite !"
"Mais qui parle de m'abandonner ? Tu viendras me voir, de temps en temps... quand le travail te le permettra. Avec ton expérience, tu pourrais trouver un poste dans un hôtel, à Milan peut-être ..."
"Mon dieu... je me sens un raté !" murmura Mario et il éclata en sanglots.
Son corps était secoué par les sanglots, il était assis plus voûté qu'un vieillard, les bras sur les genoux. Petru, impulsivement, se leva, se mit à genoux devant lui, le serra dans ses bras et se mit à pleurer avec lui.
"Non, Mario... non... s'il te plait, ne pleure pas... Tu verras, on s'en sortira... nous avons surmonté ensemble tant de difficultés et nous nous en sommes toujours sortis..." murmura-t-il en le serrant contre lui, comme s'il le berçait.
Grand-mère Félicité lança un coup d'œil à Fane et lui fit signe de sortir. Ils quittèrent tous les deux la cuisine, en silence.
"Mario... ne pleure pas... On s'en sortira, tu verras... Tu es juste trop fatigué, là... Mais tu vas voir qu'on s'en tirera... comme les autres fois." lui répétait Petru.
"Seuls grand-mère et toi ne m'avez jamais abandonnés... Combien de fois as-tu renoncé à ta paie, pour m'aider ? Quelle patience tu as eue ! Pourquoi ?"
"Parce que... parce que je... je t'aime bien, Mario."
Mario le regarda et dans le malheur qui voilait ses beaux yeux, ce fut comme si une minuscule lueur s'allumait, incertaine, tremblante, légère et faible. Il glissa de sa chaise, s'agenouilla devant Petru qui, d'instinct, le serra plus fort, comme pour le maintenir debout. Mario appuya sa tête entre son épaule et son cou... puis Petru sentit ses lèvres se poser, chaudes et douces, sur son cou et le frotter, légères, appuyer. Un long frisson le parcourut et il fut aussitôt excité.
"Tu m'aimes bien..." souffla Mario contre son cou.
Petru réalisa que, dans cette position, Mario sentirait vite son érection montante qui se renforçait et s'élevait, alors il essaya de s'éloigner un peu de lui. Il ne voulait pas qu'il prenne son amour pour un pur désir physique.
Mais Mario le serra contre lui plus fort qu'avant, il s'agrippait presque à lui, puis il demanda, dans un filet de voix : "Tu m'aimes bien ?"
"Oui, bien sûr..."
"C'est tout ? Tu m'aimes 'juste' bien ?"
Petru ne savait que dire : il avait bien compris le fond de sa question, mais soudain il hésitait. Il aurait voulu lui crier, lui dire, lui murmurer : "Non, bien plus : je t'aime !" mais il craignait qu'à cet instant Mario puisse lui dire oui juste parce qu'il avait besoin de soutien, de chaleur humaine, et pas par amour...
Mais alors il se dit : s'il a besoin de moi, maintenant... même si ce n'est pas par amour... je ne peux pas me défiler, pas maintenant. Advienne que pourra...
Alors Petru chuchota : "Non, pas juste... bien plus..."
"Plus ?" l'encouragea Mario.
Et enfin Petru prononça ces mots qui depuis des mois, et même des années, lui brûlaient le cœur : "Je t'aime, Mario... Je suis amoureux de toi... je t'ai toujours aimé !" dit-il à voix basse.
"C'est pour ça... que tu ne m'as jamais abandonné ?"
"Oui, bien sûr, c'est pour ça."
"Et moi... moi... je t'ai fait souffrir quand... quand je me suis mis avec... avec cet autre, n'est-ce pas ?"
"Peu importe."
"Pourquoi tu ne m'as rien dit ? Pourquoi tu ne me l'as pas fait comprendre ? Pourquoi, Petru ?"
"Je ne pouvais pas... Je t'aurais juste fait des problèmes..."
"Pourquoi ?"
"Parce que tu ne m'aimais pas, tu n'étais, tu n'es pas amoureux de moi. Tu m'as toujours bien aimé, depuis le jour, il y a dix ans, où don Cesare m'a emmené chez vous... Et je m'en suis contenté."
"Et tu étais là... toutes ces années... Tu es resté là... pour moi... et je ne me suis aperçu de rien... je n'ai rien compris..."
"Toi... avant que cet homme n'ouvre une brèche dans ton cœur... tu n'avais pas d'expérience, alors tu ne pouvais pas te douter... pas comprendre..."
"Mon premier homme... il m'a trahi... il m'a abandonné... Et toi, par contre, tu ne m'as jamais ni trahi ni abandonné... bien que je ne m'en sois jamais aperçu... que je ne l'aie jamais compris..."
"Mais peut-on tomber amoureux juste parce que... parce qu'on le décide ? Et si tu n'as que de l'amitié pour moi... moi ça me va."
Mario bougea à peine et... il sentit l'érection de Petru. Il se pressa contre et le jeune roumain rougit, mais sans s'y soustraire.
"Tu... tu as envie de moi, n'est-ce pas ?" lui demanda Mario dans un murmure.
"Oui... mais plus encore, je t'aime."
"Pourquoi... ne m'embrasses-tu pas ?" demanda Mario en relevant la tête et en le regardant dans les yeux.
Ils avaient tous deux les yeux brillants de larmes, dans ceux de Mario les nuages s'éloignaient, bien qu'ils ne soient pas encore sereins, ceux de Petru débordaient d'amour.
Leurs visages, déjà si voisins, s'approchèrent encore, lentement, très lentement. Mario ferma les yeux et pencha un peu la tête de côté, leurs lèvres se rencontrèrent, s'effleurèrent, légères comme des pétales de rose.
Petru se disait et se répétait de ne pas se faire d'illusions, Mario avait juste besoin de chaleur humaine... c'est tout... mais il était prêt à lui en donner, sans avoir en retour ce dont il rêvait depuis des années, depuis toujours.
Leurs lèvres s'entrouvrirent, Petru prit la lèvre supérieure de Mario entre les siennes et la serra à peine, la suça, léger. Mario frémit avec force et se pressa contre lui. Petru sentit que lui aussi était excité, il sentit clairement son érection à travers leurs habits.
Mario sortit sa langue, légèrement, à la rencontre de celle du beau roumain qui en même temps venait à sa rencontre. Lentement, il glissa à terre, sur le côté et attira son compagnon contre lui. Couchés, leurs jambes s'enlacèrent. Leur baiser se fit plus chaud, plus profond, plus intime.
Fane et Félicité n'entendaient plus leurs voix et ils allaient rentrer à la cuisine, mais Fane regarda entre les battants et les vit, enlacés et couchés par terre.
Il se retourna et fit s'arrêter grand-mère Félicité : "Il vaut mieux... ne pas encore entrer... madame." dit-il un peu hésitant.
La grand-mère fit un petit sourire : "Mais ici... à la cuisine... Il ne vaudrait pas mieux ... qu'ils aillent dans une chambre ?" dit-elle avec douceur.
Fane la regarda, stupéfait.
La vieille dame sourit à sa stupeur : "Ils ne seraient pas plus... à l'aise ?" demanda-t-elle, l'aire attendrie.
Fane ne savait pas quoi dire, il toussota et murmura, un peu gêné : "Je crois que... qu'être à l'aise... est bien le cadet de leurs soucis."
"Bien, tu dois avoir raison, Fane. Laissons-les en paix, alors..." dit-elle et elle le prit par le bras et ils s'éloignèrent de la porte de la cuisine pour aller s'asseoir dans les fauteuils du hall.
Ils gardèrent le silence un moment, puis Félicité chuchota : "J'espère que cette fois sera la bonne, pour Mario... qu'il réalisera et comprendra qu'il a toujours eu la bonne personne près de lui."
Fane la regarda et lui demanda : "Mais, madame Félicité, vous ne m'avez pas l'air... surprise."
"Au contraire... j'attendais ce moment... au moins autant que Petru m'a dit l'attendre et l'espérer."
"Alors... vous saviez ?"
"J'en ai parlé avec Petru. Je lui ai dit d'être patient, que tôt ou tard mon Mario finirait par le remarquer. Moi je m'en fiche de devoir aller dans une maison de retraite, mais maintenant j'y irai plus volontiers, si je sais que Mario ne sera pas seul."
Pendant ce temps, les deux garçons, effectivement insouciants du manque de confort et oublieux des autres, se caressaient, s'embrassaient et ouvraient chacun les habits de l'autre.
"Tu me veux ?" demanda Petru dans un murmure.
"Oui... je veux te faire mien... et être à toi..."
"Je suis déjà à toi..."
"Mais comment m'aimes-tu ?"
"De tout mon être."
"Et moi... si aveugle... Tu me pardonnes de n'avoir pas compris avant ?"
"J'ai tout fait pour que tu ne comprennes pas... pour ne pas te gêner..."
"Non. Je voulais dire... je voulais te demander pardon de n'avoir pas compris avant que... que moi aussi je t'aime."
"Toi... vraiment ?"
"Maintenant je le sais. Maintenant je le sens. Maintenant j'en suis sûr. Ce que je ressentais pour toi... n'était pas que de l'amitié, de l'affection, de la tendresse... J'ai toujours eu besoin de toi. Et j'ai été si idiot d'aller chercher ailleurs."
"La vie, ses problèmes et ses peines, nous distraient parfois. Et puis... toi, contrairement à moi, tu n'avais pas d'expérience."
"Non, c'est vrai, je n'avais pas d'expérience pour le sexe. Mais si j'avais compris avant, tu aurais été mon premier homme au lieu de... celui-là ! J'ai cédé à ses avances, mais j'aurais dû te céder à toi."
"C'est peut-être ma faute... je ne t'ai pas fait d'avances. Mais je pensais que tu... n'éprouverais rien pour un autre homme, alors... je n'ai pas osé."
"J'en suis devenu conscient il y a cinq ou six ans. Et je savais, pour toi, alors... Je pensais qu'après les mauvaises expériences que tu avais eues... ce n'aurait pas été bien de te demander à toi de... Si je m'étais imaginé que tu m'aimais... que tu pouvais, que tu voulais répondre à mon désir..."
"Mais alors... toi aussi tu me désirais ?"
"Oui. Tu es beau, gentil, bon... il ne te manque rien. Mais te dire que tu me plaisais... me semblait te manquer de respect. Presque t'obliger, tu vois ? Parce que je n'avais pas compris qu'au-delà de mon désir, je pouvais aussi t'offrir mon amour. Je n'avais pas compris... que je t'aimais."
Petru se sentit comme étourdi, enivré... sa tête tournait. Jamais il ne s'était senti aussi heureux.
Mario reprit : "Mais ne va pas t'imaginer que maintenant je te dis ça juste parce que... parce que j'ai besoin de quelqu'un. Je n'ai pas besoin de quelqu'un... J'ai besoin de toi."
"Et moi de toi. Oh, Mario, ce que je t'aime !"
Mario l'embrassa de nouveau, puis se détacha de lui, se rassit par terre, se leva le faisant le tirer, le prit de nouveau dans ses bras et l'embrassa encore.
"Il vaudrait mieux qu'on se réarrange, avant leur retour..." murmura-t-il avec un tendre sourire.
Petru acquiesça.
Ils se détachèrent, reboutonnèrent leurs chemises et pantalons.
Puis Petru dit : "Grand-mère Félicité sera contente..."
"Comment ça ? Quoi qu'il en soit..."
"J'en ai parlé avec elle, plusieurs fois. Et d'ailleurs, la première fois c'est elle qui m'en a parlé."
"Alors... elle avait compris avant moi. Et tu dis qu'elle sera contente ? Qu'elle approuvera ?"
"C'est certain."
"Alors allons la trouver et le lui dire !" s'exclama Mario, heureux.
Petru, joyeux, le regarda dans les yeux et il vit que, pour la première fois depuis des années, ils étaient complètement sereins, même lumineux.
"Mon dieu que tu es beau !" murmura Mario, ému. Puis il ajouta : "Petru, tu te sentirais qu'on essaie encore une fois de relancer cet hôtel ?"
"Avec toi, tout ce que tu voudras. Pour tout ce que tu décideras, je resterai à tes côtés."
"Parfait. Alors allons-y."
Ils sortirent de la cuisine en se tenant par la main. Félicité, dès qu'elle les vit, souriants, s'illumina d'un sourire attendri.
"Grand-mère..." commença Mario.
"Oh, enfin !" soupira-t-elle. "Asseyez-vous avec nous."
"Tu... savais déjà tout... même avant moi. Pourquoi ne m'as-tu rien dit ?"
"Tu n'étais pas encore prêt. Tu avais besoin d'un étranger, d'un inconnu, pour apprendre à te connaître. Maintenant je peux partir sereine en maison de retraite."
"Oh non, je... nous ne te laisserons pas partir. Nous avons encore besoin de toi." dit Mario, puis il regarda Fane : "Et de toi aussi, si tu es encore disposé à faire quelques sacrifices. Petru et moi nous nous aimons et nous avons décidé de relancer l'hôtel."
"Tu crois que vous vous en tirerez ?" lui demanda sa grand-mère.
"Nous nous en tirerons. Tous ensemble. Mais ce ne sera plus un hôtel de passe. Nous trouverons la façon de le relancer. Nous le rebaptiserons..."
"Mais que ferons-nous pour madame Becarelli et son avocat ?" demanda Petru.
"Si ce n'est plus un hôtel de passe, ils ne pourront plus prétendre à grand-chose. Et puis... le juge s'est toujours montré un vrai ami... il nous aidera à nous libérer enfin de ces deux là. Si nous n'avons plus à leur verser vingt pour cent, les choses iront bien mieux." dit Mario d'un ton décidé.
"Mais nous avons peu de clients..." fit remarquer Félicité.
"Nous trouverons comment en avoir plus. Et avec les premières recettes, nous rénoverons les chambres et les autres salles."
Petru était heureux de voir à quel point son Mario avait retrouvé son énergie... maintenant il pouvait vraiment dire "son" Mario... et il faisait face à la vie.
Mario appela le juge qui non seulement assura qu'il les aiderait à se libérer de cette dame et de l'avocat, mais leur soumit aussi plusieurs idées pour relancer l'hôtel : en faire un centre d'accueil de congressistes, contacter les agences de voyages et les organismes de tourisme.
"San Donato est très bien desservi depuis Milan, et l'hôtel est facilement accessible. Je suis sur le point de prendre ma retraite et si vous voulez, comme passe-temps, je m'occuperai de vos relations publiques. Vous verrez que l'hôtel aura tôt fait de tourner à plein régime et que vous devrez embaucher plein de nouveau personnel." dit-il avec un réel enthousiasme.
"Vous avez toujours été si gentil avec moi, monsieur le juge, sans avoir jamais rien demandé en échange... Pourquoi ?"
Le juge sourit : "Parce qu'en toi... je vois mon fils, qui est mort à vingt et un ans. Tu lui ressembles, physiquement et de caractère. Alors... comme je n'ai rien pu faire pour lui..."
"Je ne savais pas que vous aviez été marié, que vous avez eu un fils..." dit Mario.
"Ma femme et lui... un accident de voiture... Ils m'ont quitté il y a près de vingt ans. Longtemps je me suis refermé en moi-même et je les ai pleurés... Puis j'ai compris que toutes les larmes que je verserais sur leur mort et ma douleur ne les feraient pas revenir. Puis, par hasard, je t'ai rencontré, Mario, après qu'un ami m'ait parlé du... salon que tu tenais ici..."
En l'espace de quelques mois, petit à petit, l'hôtel refleurit. Les chambres étaient presque toujours toutes louées, parfois même il fallait réserver bien à l'avance.
Ils firent passer le permis à Fane et ils achetèrent un petit bus pour aller chercher les clients à l'aéroport ou à la gare centrale. Ils rouvrirent aussi le restaurant, embauchèrent un cuisinier et un aide cuisinier ainsi qu'un chasseur, trois femmes de chambre et un réceptionniste.
Comme les affaires marchaient bien, le juge leur conseilla de fonder une société en nom collectif, dont les membres furent Mario, Petru, Félicité, Fane et Arnaldo lui-même, puis ils persuadèrent le propriétaire de l'hôtel de le vendre. Le juge leur fit obtenir un prêt à très bon taux. Ils achetèrent aussi un bout de terrain à côté de l'hôtel pour agrandir la salle à manger et le jardin.
Pour le vingt-huitième anniversaire de Petru ils firent une belle fête. À cette occasion, Arnaldo et grand-mère Félicité leur apprirent qu'ils comptaient se marier, alors Fane aussi annonça qu'il s'était mis avec le chasseur tunisien. Les deux garçons en furent heureux et leur firent tous leurs vœux de bonheur.
Quand le soir Petru et Mario montèrent dans leur chambre, dès qu'ils furent sur leur lit matrimonial, ils se serrèrent et s'embrassèrent, fatigués mais heureux.
"Je suis content que grand-mère, comme Fane, s'installent, pas toi ?" dit Mario avec un sourire réjoui.
"Si, bien sûr. Et puis... on leur a donné le bon exemple, non ?" lui murmura Petru.
"Sais-tu qu'à chaque jour qui passe, je t'aime plus ?" lui murmura Mario en le caressant.
"Oui, je sais, je le sens. Mais je ne..."
Mario rit : "Je sais... tu ne pourrais pas plus !"
"Plus, non... mais mieux, si. Dis, tu crois qu'on pourrait prendre quelques jours de vacances ?"
"Je crois que oui... Où veux-tu aller ?"
"Je veux t'emmener à Brasov, là où je suis né, dans les Carpates méridionales, et te présenter ma famille."
"Et me présenter comment ? Comme ton associé ?"
"Non, comme mon amant !"
"Mais comment crois-tu qu'il le prendront ?"
"Costel et Stelian le savent déjà, je le leur ai écrit et ils l'ont bien pris. Doru et Florin... après ce qu'il y a eu entre nous quand on était gamins, je crois vraiment qu'ils n'ont rien à dire. Quant à papa et maman... on verra. J'espère qu'ils comprendront. Mais je veux qu'eux aussi le sachent."
"Comme tu veux, mon amour. Je serai très heureux de les connaître. Mais maintenant... que dirais-tu qu'on pense un peu à nous ? J'ai attendu cet instant toute la journée..."
Petru l'embrassa et, par d'adroits mouvements sous lui, il s'offrit. Mario s'enfonça lentement en lui et quand il fut bien appuyé contre lui, il commença à le prendre avec plaisir et vigueur, à coups calibrés. Petru le regardait, les yeux brillants de joie, lui caressait le dos et frottait doucement ses tétons.
Oui, pensait-il, ça valait la peine d'avoir attendu si longtemps, d'avoir eu patience comme grand-mère Félicité l'y avait encouragé. Grand-père Carlo lui avait dit, des années avant, qu'on ne peut dire ni jamais ni toujours, et pourtant Petru savait que leur amour durerait toujours, qu'ils ne se quitteraient jamais !
Il sentait que Mario approchait, progressivement mais inexorablement du sommet du plaisir, et il bougea sous lui pour lui en donner encore plus. Il le vit devenir radieux, littéralement, le sentit accélérer peu à peu son si bon va-et-vient dans son chaud canal, il sentit que tous les muscles de son corps glissaient et enfin il le sentit décharger en lui.
Il le caressa, attendit qu'il se détende un peu, et ils s'embrassèrent tendrement.
Mario, en le serrant contre lui, se mit sur le dos et l'entraîna sur lui. Puis il s'offrit, plein du désir d'accueillir et de sentir en lui son aimé. Petru se prépara, prit ses jambes et lui fit poser les chevilles sur ses épaules, et enfin il le pénétra.
"Oh, que c'est bon !" murmura Mario.
"Oui, c'est vraiment bon. Je t'aime de chaque centimètre de mon corps, mon amour, le sais-tu ?"
"Je le sais et... je le sens. Surtout tous ces centimètres que tu me pousses dedans..." sourit Mario, en tendre plaisanterie.
"La vie est si belle... surtout quand nous sommes unis comme ça..."
"Oui, vraiment splendide. Malgré toutes les difficultés que nous avons dû surmonter."
"Peut-être est-ce justement grâce à elles que nous sommes ensemble. Tu ne crois pas ?"
"Sans toi... je ne les aurais jamais surmontées."
"Ni moi sans toi. Contrairement à toi... moi j'ai fait l'amour avec tant d'hommes... avec trop d'hommes et de garçons, et pourtant... tu es mon premier vrai amant."
"Oui... c'est à cause de l'amour, Tu ne crois pas ?"
"Une belle cause ! Je t'aime vraiment... vraiment tant..." murmura Petru en commençant à bouger d'avant en arrière dans son aimé, en lents, longs et vigoureux mouvements.
Petru, tout en prenant Mario, se donnait à lui, il pensait qu'aucun garçon et sans doute aucune fille, ayant connu la beauté du sexe qui exprime l'amour, n'aurait jamais accepté de coucher juste pour s'amuser et moins encore pour de l'argent.
Il le savait bien, lui qui avait commencé pour s'amuser avec ses frères, puis avait dû en faire son métier, puis de nouveau pour s'amuser avec Fane. Parfois cela avait été même agréable, parfois ouvertement déplaisant... Mais même quand c'était lui qui le désirait, ce n'était rien, comparé à ce qu'il vivait à présent avec son Mario.
Il comprit à cet instant ce qu'avait cherché à lui dire grand-mère Félicité quand ils en avaient parlé. Et il se dit que cette femme avait très certainement rencontré le vrai amour lors de sa première expérience. C'est pourquoi elle avait accepté avec une telle sérénité leur relation et sans doute était-ce aussi pour cela qu'elle avait accepté la cour d'Arnaldo, le juge.
Puis il pensa à Fane, le gentil Fane, qui faisait sans doute l'amour avec Zubeir, le jeune et beau tunisien... et il leur souhaita qu'ils puissent connaître le même bonheur que lui il éprouvait.
En bas, au jardin, côte à côte sous la vague clarté de la lune, Arnaldo et Félicité étaient assis, la main dans la main. Seules deux fenêtres de l'hôtel étaient encore éclairées, celle de Mario et Petru et celle de Fane et Zubeir.
"C'est bien que nos jeunes s'aiment..." dit Arnaldo.
"Et qu'en ce moment ils se le démontrent..." chuchota Félicité, avec un sourire tendre.
"Oui, c'est vraiment bien..."
"Et toi ? Quand me le démontreras-tu ?" demanda-t-elle, espiègle.
"Dès que nous serons mariés, Félicité."
"Que tu es vieux jeu !" se moqua-t-elle gentiment.
"C'est un défaut ?" demanda Arnaldo.
"Non... Mais... si près de toi... je me sens de nouveau comme une jeune fille... même si mon corps a vieilli et n'est plus ce qu'il était."
"Moi aussi, je me sens un jeune garçon quand je suis près de toi..."
Félicité tendit la main et le caressa doucement entre les jambes, elle eut un petit rire et dit : "Mais tu dis vrai ! Il faut qu'on se marie vite, alors, puisque tu ne veux pas le faire avant..."