"Mais non, je te dis que nous ne sommes pas encore dans le nouveau siècle ! Pense aux dizaines : le dix fait partie de la première dizaine et la seconde commence avec les onze, non ?" dit Stephen.
"Mais comme tu écris le dix : une dizaine et zéro unité..." dit Nathan, mais sur un ton peu convaincu.
"Il a raison Stephen. Exactement ! Le dix fait partie de la première dizaine. Donc, le nouveau siècle commence l'année prochaine, en 1901." Lui dit Vincent.
"Ah. Alors, pourquoi tous fêtent-t-ils le nouveau siècle ?" Demanda Nathan.
"Parce que les gens ne réfléchissent pas assez. Quelqu'un a dit par erreur que cette année commence le nouveau siècle, et tous le répètent comme des perroquets." dit Stephen.
"Ah, merci de me donner du perroquet..." dit Nathan en souriant.
"Le perroquet est un bel animal, bariolé..." dit Stephen. "Vous n'allez pas plutôt célébrer vos cinq premières années ensemble, vous deux ?"
"Oui, le mois prochain. On a pensé faire un voyage pour le célébrer. Nous avons décidé d'aller en Espagne, dans l'espoir de trouver du matériel pour mes cours à l'université." dit Vincent.
"Mais alors, ce ne sera pas un voyage d'agrément..." Stephen objecta.
"D'agrément et de recherche ensemble." dit Vincent. "Par ailleurs, nous devons faire un saut dans ta boutique pour acheter des paniers de voyage. Tu en as, non ? Et tu nous feras un bon prix, j'espère..."
"J'ai de très belles valises et malles en bandelettes de bambou tissées, doublées de toile imperméable, provenant d'Inde. Elles sont très robustes. Et ma mère vous fera certainement un excellent prix. Hé, je me souviens, rappelez-vous qu'à ma mère j'ai toujours parlé de vous comme des cousins, pas comme des amants..."
"Et quand tu te feras un amant, tu le présenteras à ta mère en lui disant que t'as trouvé un cousin ?" Nathan lui demanda ironiquement.
"Tais-toi, quelques années après la mort de mon père, quand j'avais treize ans, ma mère s'était fait un amant, un certain Albert... et elle l'avait fait passer pour son cousin ! Je vais trouver le cousin Albert... disait-elle, à moi et à ma sœur quand elle allait baiser avec lui... Puis, après moins de trois ans, le cousin Albert, comme il avait paru, a disparu." Ricana Stephen.
"Pourquoi ta mère ne se remarie pas ? Après tout, c'est une belle femme encore jeune." Observa Vincent.
"Jeune non, elle a quarante-neuf ans. Cependant tu as raison, c'est encore une belle femme. Bah, qui sait ? Ce n'est pas avec nous ses fils qu'elle parle de ces choses. Qui par contre va se marier c'est ma sœur. Avec un type que, si je le pouvais j'épouserais volontiers à sa place !" dit Stephen.
"Il est si beau ?" les deux amis demandèrent presque à l'unisson.
"Beau et sensuel ! Il a vingt-neuf ans, trois de plus que ma sœur, et il est l'entraîneur du London Football Association. Une fois je l'ai vu nu aux douches après une séance d'entraînement et..."
"Et ?" Lui demanda Nathan.
"Je me suis presque évanoui ! Et tous les boutons de la braguette de mon pantalon ont presque sauté !" Rigola Stephen. "Heureusement, ils sont cousus avec un fil très fort !"
Il bavarda encore un peu avec les deux amis, puis il les laissa. Il était très bien avec les deux, il les avait connus trois ans plus tôt à la fête pour son vingtième anniversaire, que l'homme avec qui il était alors avait organisé. Et avec lequel ils s'étaient quittés seulement cinq mois après cette fête. Mais l'amitié avec Vincent et Nathan était restée.
Stephen était en train d'aller à vive allure vers le Blackfriars Bridge, quand il fut arrêté par un jeune homme.
"Excusez-moi si j'ose vous déranger..." avait dit le type, avec un accent étranger.
"Oui ? Dites." Stephen avait répondu avec un sourire, en pensant que l'étranger était vraiment beau, attrayant...
"Vous pourriez courtoisement m'indiquer la voie pour la cathédrale Saint Paul ?"
"Ce n'est pas loin d'ici. Vous devez traverser le pont et... Mais si vous voulez, je vais vous accompagner ; je dois aller pas loin de là."
"Vous êtes très gentil, je ne voudrais pas profiter de votre gentillesse..."
« Oh, profites-en bien! » Pensa Stephen, se sentant vivement attiré par ce jeune homme. "Rendez-vous compte. Je vous accompagne bien volontiers."
Ils étaient repartis et Stephen ne réussissait pas à enlever ses yeux de son dos ; il le regardait du coin de l'œil, comme ils marchaient côte à côte. "Excusez-moi, mais... vous n'êtes pas anglais, non ?"
"Non, je suis arrivé récemment. Je suis venu pour améliorer ma connaissance de votre langue, je vais rester ici pendant un an."
"Vous le parlez déjà assez bien, il me semble..."
"Pas très bien, mais surtout j'ai un accent que je voudrais perdre. Je ne vous dérange vraiment pas ?"
"Pas du tout, pas du tout. Aujourd'hui c'est Dimanche, je ne dois pas travailler."
"Puis-je me permettre de vous demander ce que vous faites ?"
"Ma mère a un magasin de vannerie et je l'aide, avec ma sœur. Et logiquement c'est fermé le dimanche. Vous aimez Londres ?"
"Une grande, élégante et belle ville. Elle a un aspect... impérial. Je suis en train de la visiter peu à peu. Une ville cosmopolite, où je pense qu'aucun étranger ne se sent étranger. Et vous les anglais, même ceux des classes sociales inférieures, vous semblez tous de vrais gentlemen. Et la mode anglaise, spécialement masculine, est très raffinée..."
"Vous vous êtes déjà fait beaucoup d'amis, ici à Londres ?"
"Pas encore. Je ne suis arrivé que depuis dix jours, je n'ai pas encore eu le temps de me faire des amis. J'espère pouvoir m'en faire bientôt. Vous... faites du sport ?"
"Du sport ?" Demanda Stephen, un peu surpris. "Non... pourquoi ?"
"Vous avez un aspect très athlétique pour ce qu'on peut voir et comme vous bougez. Moi, dans mon pays, je faisais beaucoup d'équitation. Nous on monte à cru, sans selle. Puis aussi un peu d'escrime."
"Vous avez vraiment une allure sportive..." Dit Stephen, se sentant de plus en plus attiré par cet étranger. "Oh, nous y voici : Voici la cathédrale Saint Paul." Ils s'étaient arrêtés devant un pub.
"Me permettez-vous de vous offrir une boisson, pour vous remercier pour votre courtoisie ?" Lui demanda l'étranger avec un sourire.
Stephen était sur le point de remercier et de refuser, mais il voulait rester encore un peu avec ce beau jeune homme : "Je vous remercie, vous êtes très gentil, j'accepte volontiers." Dit-il.
Ils entrèrent dans le pub et s'assirent. "On ne s'est pas encore présentés... Mon nom est Anthony Peterson..." Dit l'étranger.
"Enchanté, je suis Stephen Walker. Mais votre nom est anglais..."
"Mon père était anglais. Il émigra quand il était gamin... et il s'arrêta là, chez nous. Puis il épousa ma mère et resta dans mon pays jusqu'à la fin de sa vie..." dit Antoni, donnant la version officielle de son identité.
"Voilà pourquoi vous parlez si bien notre langue..."
"À la maison, on ne parlait pas anglais, cependant."
"Donc, le vôtre est un peu un retour aux origines."
"Puis-je vous appeler Stephen ? Et vous, m'appeler Anthony ?"
"Avec plaisir. Êtes-vous marié ?" Demanda Stephen.
"Marié ? Non, et je ne suis même pas engagé. Bien que dans mon pays un homme de vingt-six ans, comme moi, est généralement déjà marié et aussi père d'un ou deux petits. Quel âge avez-vous ? Non, attendez, laissez-moi deviner..." il lui dit en le regardant avec attention. "Disons... vingt-trois ans ?"
"Vous avez parfaitement deviné! Moi aussi je ne suis pas engagé ni encore moins marié, bien sûr. Peut-être parce que j'ai grandi avec deux femmes dans la maison, je n'en veux pas une autre dans les pattes." Dit Stephen, avec un léger sourire. "Je préfère un bon ami, honnêtement." Ajouta-t-il, en le regardant droit dans les yeux.
"Entre hommes... on s'entend beaucoup mieux. Je préfère aussi avoir un bon ami. Un ami avec qui, si possible, grandir ensemble. Avec qui partager les moments les plus importants, agréables et beaux de la vie." Dit Anthony, le regardant avec une expression si intense qu'elle fit frémir Stephen.
"Un ami... intime ?" Suggéra-t-il, presque en retenant son souffle.
"Intime, oui. Avec lequel on puisse être soi-même... à qui on puisse offrir... nue... aussi son âme."
"Aussi..." Répéta Stephen, comme pour souligner ce mot et ce que cela pouvait impliquer.
"Oui... aussi." Confirma Anthony, et dans ses yeux brilla comme un éclair bref mais intense.
"Aussi..." Soupira Stephen, doucement.
Leurs yeux étaient maintenant comme aimantés, leur léger sourire était comme congelé, mais sans rien perdre de la chaleur qu'il contenait. Stephen porta lentement la cruche à ses lèvres et, pendant qu'il sirotait, il ne déplaça pas ses yeux du très bel inconnu.
"Combien intime ?" Demanda Anthony dans un murmure chaud et persuasif.
"Totalement. me... et corps."
"Et corps..."
"Oui."
"Ce serait bien de trouver un tel ami." Suggéra Anthony.
"Et ça me plairait d'être un tel ami pour toi..."
"On se connaît à peine, mais... je crois qu'à moi aussi cela me ferait plaisir. Nous pourrions commencer par... si maintenant tu en as le temps... par rester ensemble plus longtemps, afin d'arriver à mieux nous connaître et de voir si vraiment... il pourrait se former une telle amitié entre nous."
"J'en serais enchanté. Je n'ai pas de problèmes de temps, aujourd'hui..."
"Moi non plus."
Ils restèrent donc ensemble, à parler longtemps, en se promenant dans Londres, et le soir, Anthony voulut lui offrir le dîner. Il était évident que les deux se sentaient attirés l'un par l'autre, et peu à peu, ils en vinrent à se révéler de plus en plus clairement et graduellement l'attraction réciproque qu'ils ressentaient.
Après le dîner, Anthony lui dit : "Voudrais-tu venir terminer la soirée dans mon appartement, Stephen ?"
"Tu y vis tout seul ?"
"Il y a mon serviteur, mais... je peux lui donner sa soirée."
"C'est seulement un serviteur ?" Lui demanda Stephen avec un sourire un peu malicieux.
"Non, quelque chose de plus, mais... rien de vraiment... sérieux. Il m'est cher et il m'est affectionné, mais nous ne sommes pas vraiment faits l'un pour l'autre."
"Et nous deux ?" Demanda Stephen, alors qu'ils allaient vers l'appartement d'Anthony.
"J'ai un solide espoir qu'entre nous puisse naître quelque chose de sérieux et de beau."
Quand ils montèrent, Anthony donna sa soirée à Besnik qui comprit et avec un sourire, leur souhaita une bonne nuit puis sortit.
"Quel uniforme curieux a ton serviteur. Beau et très sensuel..."
"C'est de fait, notre costume national, légèrement adapté. Nous sommes un peuple aimant ses traditions."
"Si bien habillé et beau comme il est... il ne lui sera pas difficile de trouver un compagnon pour passer la soirée." dit Stephen.
Anthony le prit enfin dans ses bras et l'embrassa. Ils étaient tous les deux très excités, pleins de désir mutuel.
"Aurais-tu préféré mon Besnik à moi ?" Lui demanda Anthony, en le caressant intimement.
"Non, il est beau, il me plaît, si je l'avais rencontré avant toi j'aurais presque certainement essayé avec lui, mais... Je préfère être avec toi, maintenant !"
"Tu es galant."
"Non. Ton serviteur a tout juste une vingtaine d'années, je suppose..."
"Exactement vingt ans."
"... et je préfère une personne plus mature, comme toi. Et tu es très beau et très sensuel."
"Merci. Toi aussi, tu l'es. Mais je n'ai pas encore vu toute ta beauté.." dit Anthony, en commençant à lui ouvrir les habits.
"Ne m'emmènes-tu pas dans ta chambre?" Demanda Stephen en le caressant entre les jambes et en sentant avec plaisir la forte érection palpiter sous les tissus.
"Viens..." répondit l'autre, en le guidant.
Ils se déshabillèrent l'un l'autre, se caressant et s'embrassant. Puis, presque en hâte, ils montèrent sur le lit, où ils entremêlèrent leurs membres, se pressant l'un contre l'autre, en accroissant le désir réciproque avec d'autres caresses et des baisers.
Stephen se sentait incroyablement bien avec le bel étranger : il sentait en lui une charge de tendresse virile qui le charmait littéralement. Surtout, contrairement aux autres, il sentait avec plaisir qu'Anthony était en train de se dédier à lui, bien évidemment en recherchant aussi sa satisfaction.
Pendant qu'ils continuaient à se consacrer l'un à l'autre ils ne parlaient pas, mais chaque fois que leurs yeux se rencontraient, ils échangeaient des sourires pleins de joie. Quand Anthony s'apprêta à prendre Stephen, celui-ci s'offrit avec enthousiasme et l'accueillit en lui avec un long gémissement de plaisir soumis. Anthony, en le taquinant avec art sur les points les plus sensibles, commença à remuer en lui.
Stephen pouvait le sentir glisser dedans et dehors en a-fonds calmes et forts et pensa qu'il ne s'était jamais senti aussi bien entre les bras d'un homme ! Il devait donc venir d'un pays étranger cet homme juste pour lui ? Se demanda-t-il, en jouissant de ses poussées viriles et en se poussant contre lui pour mieux le sentir et le goûter.
Il vit le regard d'Anthony se faire plus intense, plus chaud, il sentait que ses mouvements en lui devenaient plus rapides et forts et il comprit que son compagnon était sur le point d'expérimenter le plaisir convoité. Il se remua sous lui légèrement, instinctivement, pour accentuer les sensations, pour amener l'autre à passer la ligne de plus en plus ténue entre désir et assouvissement.
Et enfin, il le sentit se vider en lui dans une série de poussées énergiques, chacune soulignée par un halètement bas et chaud. Puis il le sentit s'immobiliser, encore tendu comme la corde d'un arc. Enfin, il perçut que, très graduellement, il se détendait tandis que sa respiration devenait peu à peu plus légère, en retournant à la normale.
Il le caressa et lui sourit. "Tu as été vraiment fantastique... Merci." Murmura-t-il, en lui caressant légèrement la poitrine.
Anthony répondit à son sourire et caressa son membre encore tendu et dur : "Mais maintenant, tu dois me payer de la même monnaie. Ne va pas croire que je me contente d'un merci. Fais-moi voir ce que vous êtes capable de faire, vous les Anglais..."
"Je suis le premier Anglais que... que tu connais ?"
"Dans ce sens, oui." Dit Anthony, pendant qu'il changeait de position de façon à s'offrir à lui.
Stephen, toujours incroyablement excité et plein de désir, alla sur lui, et avec quelques poussées bien calibrées, plongea en lui. Anthony, comme il l'accueillait en lui, lui chatouillait légèrement les mamelons et un avec sourire l'incitait à se mettre au travail. Chose que Stephen se consacra sans réserve à faire de tout cœur... et de tout corps.
"Oui... ainsi..." murmura Anthony gaiement.
Au début Stephen réussit à se remuer de façon à donner le maximum de plaisir au jeune homme, mais peu à peu il ne fut plus en mesure de se contrôler et de régler ses mouvements et se lança dans un galop effréné qu'Anthony semblait apprécier beaucoup, de toute façon. Et enfin, lui aussi atteignit l'extase dans les profondeurs chaudes de son compagnon.
Il se détendit sur lui tout à coup, haletant avec force, tandis qu'Anthony lui caressait délicatement le dos, en accompagnant avec de doux baisers sa détente graduelle. En silence, ils restèrent pendant de longues minutes à échanger des caresses légères et de tendres baisers.
Lorsque Stephen revint chez lui, il se sentait ragaillardi, heureux. D'autant plus qu'Anthony avait dit qu'il avait très envie de le revoir. Ainsi, ils commencèrent à se voir et chaque fois qu'ils se rencontraient ils se trouvaient toujours mieux ensemble...
Un jour, Stephen lui dit : "Anthony... Je t'aime... Je veux rester avec toi pour toujours !"
Anthony lui fit un sourire voilé de tristesse : "Je le voudrais aussi, mais... Je ne peux pas rester à Londres, ni t'emmener avec moi dans mon pays, malheureusement. C'est bien triste, crois-moi... C'est très triste d'avoir trouvé quelqu'un comme toi et d'avoir à t'abandonner."
"Mais pourquoi ? Donne-moi une bonne raison..."
"Je te l'ai dit, je ne peux pas rester en Angleterre, et même pas t'emmener avec moi. N'insiste pas, s'il te plaît... ou tu feras saigner mon cœur davantage qu'il ne saigne déjà... Jouissons des mois qui nous restent... Plus que ça, c'est malheureusement impossible."
En Morgovie, le premier ministre avait lâché les meilleurs éléments, à la fois du Secrétariat aux Affaires Étrangères et des services secrets, dans l'espoir de trouver un héritier légitime à son roi. D'autant plus que ces derniers temps le bon roi Jedrek avait une santé de plus en plus chancelante et les médecins de la cour n'avaient pas beaucoup d'espoir que ses maladies soient passagères : en effet, ils étaient unanimes à dire que c'était le début de la fin.
Le Conseil de la Couronne était de plus en plus inquiet et augmentait la pression sur Tanek Petrovic', le premier ministre, lui demandant de faire plus rapidement et peut-être d'investir de plus grosses sommes d'argent dans la recherche. Quelqu'un également insista sur la possibilité de fabriquer de faux documents, si on ne trouvait pas un héritier légitime, hypothèse que le premier ministre, à bon escient, continuait à repousser.
"Votre Majesté... comment allez-vous aujourd'hui ?" Demanda Tanek quand il alla faire le rapport périodique au souverain sur l'état du royaume.
"Inquiet, hein ? Vous n'avez pas encore trouvé une personne de sexe masculin avec quelques gouttes de sang des Markovic' dans ses veines..."
"Je suis surtout préoccupé par votre santé... cependant aussi de ne pas avoir encore trouvé un héritier légitime."
"Aujourd'hui, je pense que cela va un peu mieux, mais je sais que c'est juste une rémission temporaire. Bien que les médecins continuent à me rendre espoir, je suppose qu'ils vous ont dit que, en réalité, il n'y en a pas. Cela fait partie de leur métier. Et même parce que, si par chance je guérissais, leur mérite en serait doublé." Dit le roi avec un léger sourire. "C'est comme à la guerre : le général sage définit toujours l'ennemi comme formidable. S'il perd, sa culpabilité sera atténuée, s'il gagne, sa victoire sera amplifiée."
Le Premier ministre soumit des documents au roi et discuta avec lui sur certains sujets.
Puis le roi lui dit : "Le Conseil de la Couronne a raison : puisez dans le trésor d'état et faites le possible et l'impossible pour trouver, s'il existe, un héritier. Mais je suis d'accord avec vous qu'il est trop dangereux de falsifier des documents. Le roi de Pannirie ne s'y laisserait pas prendre, car il a à son service les faussaires les plus qualifiés de la région. Il ne nous reste qu'à espérer que vos agents et les prières du Métropolite et de mes sujets obtiennent des résultats !"
Quelques mois plus tard, le Superviseur Général des Services Secrets demanda audience au Premier ministre.
"Nous avons peut-être trouvé une piste à suivre..." Dit-il très agité, mettant une grande liasse de papiers sur son bureau.
"Oui ?"
"Le roi Jakub, comme vous le savez, a eu deux enfants, Filip, qui lui succéda sur le trône et Konrad qui voyagea en Europe, puis s'établit en Drgovine, à Dragburg, où il mourut et fut enterré."
"Oui, jusqu'ici rien de nouveau. Mais le prince Konrad ne s'est jamais marié et, au moins officiellement, n'a pas d'enfants..."
"Vous dites, non sans raisons, qu'il n'a pas d'enfants, officiellement. Mais nous avons trouvé, et nous avons réussi à nous procurer quelques lettres qui ont été adressées au prince Konrad, montrant qu'il avait au moins deux enfants illégitimes..."
"Mâles ?"
"Oui, les deux. Du second, nous ne savons pas le nom, nous savons seulement qu'il l'a eu d'une servante drgovinienne... Mais du premier, nous savons qu'il l'a eu d'une femme de chambre, une gouvernante anglaise nommée Eleanor Walker, qui lui a donné un fils, à qui fut donné le prénom de Tomasz. Nous avons quelques unes des lettres de la demoiselle, dont il est ressort que : Premièrement, Tomasz a été conçu par le prince ; deuxièmement, le prince avait reconnu sa paternité, bien qu'il ne lui ait pas donné son nom de famille ; troisièmement - le prince, jusqu'à sa mort, entretint à la fois mademoiselle Eleanor et son fils Tomasz, envoyant chaque année une somme à Londres." dit le Superviseur en déposant les lettres devant le Premier Ministre.
"Et ce... Tomasz n'a pas été appelé Thomas, étant né en Angleterre et ayant la nationalité britannique ?"
"Non ! Mademoiselle avait voulu lui donner un nom de notre terre..."
"Je vois... Alors, ce Tomasz avait des fils ?"
"Nous ne le savons pas encore. Le fait est que nous savons seulement qu'il est né à Londres en 1825, rien d'autre."
"Et l'autre fils du prince Konrad ? Pas de nouvelles ?"
"L'initiale seulement : K. comme son père, et qui, comme je vous l'ai dit, est né en Drgovine d'une servante. Nous ne savons pas le nom de famille de la servante, nous savons seulement que son prénom était Halina et nous ne savons pas de qui elle était la servante, si elle l'était du prince ou d'une autre famille locale, et nous ne savons même pas l'année de naissance de ce K., donc... "
"Allez à la recherche de cet insaisissable K. dans Drgovine, de toute façon. Mais maintenant envoyez vos meilleurs agents à Londres pour essayer de trouver des informations sur ce Tomasz ! Et nous espérons qu'il a eu des descendants mâles !"
"Il n'est pas à Londres votre fils, en ce moment ?" Demanda le Surintendant.
"Si, mais je ne veux pas l'impliquer dans cette recherche. Tout d'abord, parce qu'il y est incognito, et surtout parce qu'il ne connait pas les astuces de vos agents secrets. Combien avez-vous l'intention d'en faire partir en Angleterre, et quand ?"
"Environ dix, je pense... et dans quelques jours, une semaine au plus."
"Faites aussi rapidement que vous le pouvez !"
"Il est... si grave l'état de santé de Sa Majesté ?"
"Non, pas encore, mais... le plus tôt on le fait, le mieux c'est. En espérant que ce ne soit pas un autre trou dans l'eau. Le comble serait que ce Tomasz n'ait pas eu d'enfants ou qu'il en ait eu seulement du beau sexe ! Ne faites pas trop attention aux dépenses : la question est trop importante pour lésiner."
"Je m'en rends tout à fait compte, monsieur le premier ministre. Pas de doute, nous sommes tous des patriotes fidèles et nous ne voulons pas finir dans les griffes des pannires ! Nous allons faire de faux papiers pour..."
"Non, rien de faux ! Seulement des documents parfaitement légaux !" s'écria sévèrement Tanek Petrovic'.
"Bien sûr, je sais. C'était juste façon de parler, Votre Excellence." se hâta de dire le Surintendant.
"Ces cartes, ces lettres, vous êtes en mesure de les faire authentifier toutes, hors de tout doute ?"
"Les originaux sont encore conservés à la cour du duc. Ce sont des copies certifiées conformes par l'Archiviste Majeur du duché et contresignés par l'intendant de la Maison Ducale. Et au verso de chaque feuille est clairement indiqué le nom et l'adresse du prince Konrad Markovic', auquel elles avaient été adressées."
"Très bien. Plaise à Dieu que nous soyons enfin sur la bonne piste !"
Tanek Petrovic' alla immédiatement, avec les copies des documents, faire son rapport au roi Jedrek.
"... Et vous voyez, Votre Majesté, cette lettre..."
"Vous savez bien que je ne peux pas lire sans mes lunettes, et maintenant je ne veux pas me fatiguer. Que dit-il ?"
"Ici, Votre Majesté... vous voyez... mademoiselle Eleanor Walker écrit : votre enfant Tomasz se développe bien, il vous ressemble de plus en plus. Il me demande souvent qui est son père, mais comme vous l'avez écrit, je lui dis que malheureusement, il est parti quand j'étais enceinte de lui, et je lui ai seulement dit que c'était un gentilhomme étranger, mais sans révéler votre nom, ni votre rang, ni enfin, votre nationalité..."
"Si le prince Konrad envoyait périodiquement des sommes à cette femme pour elle et pour l'enfant, il devrait y en avoir la trace dans les banques, tant en Drgovine qu'en Angleterre, je suppose."
"C'est vrai, Votre Majesté. Nous étudions également ce point. Même si ce sont des opérations qui ont eu lieu il y a plusieurs années, il devrait encore en exister une trace."
"Et dites-moi, Tanek... selon nos lois, à un fils illégitime peut-on donner le nom de famille du père, même si le père est mort ?"
"Ah... Je vois... Je vais me dépêcher de charger les juristes de compulser les lois du royaume... De toute façon, cependant, je pense que vous pourriez émettre une loi qui le rendrait possible pour toute la ligne des héritiers mâles."
"Il s'y opposerait, le roi de Pannirie ?"
"Il n'y aurait aucune raison, cependant, si nous pouvions trouver votre héritier légitime. Le fait qu'il assume votre nom de famille ne change pas la substance de la chose."
"Mais je pense que ce serait important pour mes sujets. Avoir un roi... avec un nom étranger, anglais, peut ne pas être acceptable."
"Afin de ne pas devenir des sujets de Pannirie, Majesté, je suis sûr qu'ils accepteraient même un roi étranger. Mais certainement, s'il était un Markovic', ce serait encore mieux. Je vais immédiatement prendre soin aussi de cette question, Votre Majesté. "
"Et nous espérons que, s'il existe un tel héritier, il ne soit pas pire... que le roi de Pannirie. Il n'est pas dit que, juste parce qu'il a le sang de Markovic' qui coule dans ses veines, il soit une personne apte à diriger d'une manière digne un royaume. "
"C'est difficile d'être indigne et méchant comme le roi de Pannirie. Quoi qu'il en soit, nous tous serions à ses côtés pour le diriger... pour le conseiller, je voulais dire, de sorte qu'il joue son rôle de la meilleure façon possible."
"Le diriger, me semble le terme le plus approprié pour moi, si tel était le cas. Et étant un étranger, ne connaissant pas nos lois, donc... vous pourriez avoir un bon échange avec lui, si nécessaire."
" Très probablement, il ne connaîtra pas non plus notre langue, ni nos coutumes et nos traditions... Au moins au début."
"J'espère que, si un tel héritier existe effectivement, vous le trouverez et le mènerez ici à la cour avant ma fin. Je voudrais au moins voir comment il est fait... quel est son caractère..."
"Nous sommes en train de faire de notre mieux pour retrouver un de vos héritiers, en espérant qu'il existe réellement."
"Dites-moi, Tanek... quand votre fils reviendra de Londres?"
"Dans une paire de mois, Votre Majesté."
"Le Secrétaire aux Affaires Étrangères m'a dit que notre ambassadeur à Vienne avait l'intention de prendre sa retraite dans un ou deux ans. Votre fils connaît l'Allemand, je crois, donc j'ai l'intention de l'envoyer comme ambassadeur adjoint à Vienne, de sorte que, en temps utile il puisse prendre le poste d'ambassadeur."
"Ce sera un grand honneur pour ma famille et pour mon fils Antoni. Vous le jugez vraiment digne de remplir un tel rôle ?"
"Pour autant que je le connaisse, je dirais que oui. Et vous qui en êtes le père ?" Lui demanda le roi avec un sourire.
"C'est un jeune homme très cultivé, honnête et dévoué à notre pays... J'ai pleine confiance qu'il n'avilirait pas votre royaume à la cour de Vienne."
"Très bien. Je vais informer le Secrétaire de ma décision, afin de préparer les documents nécessaires pour que, de retour de Londres, cette tâche lui soit confiée. Il a vingt-six ans, si je me souviens bien."
"Presque vingt-sept."
"Un âge excellent pour commencer la carrière diplomatique. Et de toute façon, il a un aspect beaucoup plus agréable que celui de l'ambassadeur actuel..." Dit le roi en riant.
"Le comte Stojanovic'... n'est pas un bel homme, mais il est certainement un homme de grande valeur."
"Oui... Je ne peux pas le nier... mais au moins en regard de son aspect, il me semble que nous ne faisons pas une très bonne impression. Ce n'est pas de sa faute, après tout... Tous les Stojanovic' sont connus pour ne pas avoir un bel aspect... Ne savez vous pas que à la cour, on disait depuis l'époque de mon père, que les femmes des Stojanovic' ont toujours voulu faire leur devoir conjugal dans l'obscurité totale... pour réussir à le faire ?"
Le premier ministre se mit à rire : "Oui, Votre Majesté, j'ai entendu cela. Comme des marquis Dobrycic' on dit que... ils ont généré plus d'enfants avec des noms de famille différents qu'avec leur nom."
"Non, celle-ci je ne la connaissais pas ! Ils sont tous ainsi... des hommes à dames, alors ? Et dire qu'ils ont l'air si pieux et dévot..."
"En effet, en effet, ils appliquent à la lettre la maxime biblique : unissez-vous et multipliez-vous !" Le Premier Ministre se mit à rire, heureux de voir son roi un peu plus gai que d'habitude.
"Et qu'est-ce qu'on dit de moi, dans les couloirs du château ?" demanda le roi.
"Oh, Votre Majesté... tout le bien possible !"
"Allons, pas de commérages ? Je n'en suis pas digne, alors ?" demanda gaiement le vieux souverain.
"Eh bien... un... mais tout petit... Insignifiant..."
"Oui ?"
"Voila... on murmure que... on murmure que..."
"Alors ? Vous vous décidez à me le dire ?"
"... que vous avez une petite... manie..."
"Oui ?" le roi insista.
"Que... vous ne mettez jamais rien sous votre pantalon."
Le roi se mit à rire : "Ça, alors ! C'est vrai, mais comment ont-ils su ? Certes c'est mon valet de chambre qui a répandu cette anecdote. Je dois lui donner une bonne réprimande. On ne doit pas parler des sous-vêtements du roi !"
"Non, en fait, plus que votre valet... Je pense que sont les lavandières de la cour qui n'ont jamais trouvé vos sous-vêtements parmi les choses à laver..."
"Vous voyez ? Un roi est comme s'il vivait sur la place. Il ne peut même pas avoir une vie privée. Je vais vous dire... Quand j'étais enfant, ma mère m'a toujours fait porter des culottes qui étaient un véritable instrument de torture ! Étroites, moulantes... Parce que, je crois qu'elle avait lu quelque part que par ce moyen, avec le début du développement de la virilité, ça aurait évité que je me consacre à... certaines pratiques intimes... manuelles. Juste entre nous, ce fut une grande histoire! En fait, ils n'ont absolument rien évité, mais... quoi qu'il en soit, quand j'ai pu commencer à décider par moi-même quoi porter, j'ai interdit cette pièce de vêtement dans ma garde-robe !" dit le roi en riant.
"Votre Majesté aurait du frotter l'un de ces sous-vêtements et le laisser entre les linges à laver..." lui dit le Premier Ministre.
"J'aurais dû y avoir pensé il y a plus d'un demi-siècle ... Mais après tout, qu'importe ? Je vais passer à la postérité comme le roi sans culottes ! Mieux vaut ainsi que... sans attributs masculins. Bien que je n'aie pas réussi à donner au royaume un seul enfant mâle."
"L'homme propose et Dieu dispose, Votre Majesté."
"Et alors, Dieu doit être en colère contre moi. Maintenant, espérons qu'il nous fasse trouver un héritier à temps... et qu'il soit un homme digne de ceindre ma couronne et de s'asseoir sur le trône des Markovic'. La Pannirie est un beau pays, dommage qu'il soit habité par les pannires et qu'ils aient un roi... indigne d'un tel rôle. Vous devez travailler dur, mon bon Tanek. «Tempus fugit» ! Nous n'avons pas beaucoup de temps."
"Nous espérons que les hommes envoyés à Londres nous fassent parvenir de bonnes nouvelles, Votre Majesté."
"Mon aïeul aurait dû établir une monarchie élective, comme j'ai entendu dire que cela existait dans le nord de l'Allemagne. Au moins, aujourd'hui, nous ne serions pas dans une telle angoisse."
"Il aurait été suffisant de ne pas signer le traité avec le roi de Pannirie..."
"Il ne pouvait pas ne pas le faire : c'était la condition d'une alliance pour le protéger contre une tentative de vengeance des troupes du sultan de Turquie. Le Morgovie seul n'aurait pas pu survivre longtemps contre un éventuel retour et une attaque turque, comme vous le savez bien. La Drgovine a pu éviter un tel traité seulement parce que le duc Jovan était parent et allié de la famille royale de Markaze."
"Tous vos sujets prient pour votre santé et pour l'accomplissement de vos désirs, Votre Majesté."
"Nous espérons que Dieu ait les oreilles plus propres que celles de notre digne Métropolite !" dit le roi avec une ironie légère.