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histore originale par Andrej Koymasky


LE CONCIERGE CHAPITRE 6
UN AN PLUS TARD

Un an était passé de son embauche comme concierge. Un an passé assez rapidement et, dans l'ensemble, agréablement. Soit les locataires soit l'administrateur étaient satisfait de lui, la seule qui se plaignait était, inutile de le dire, la veuve Ravera, mais celle-là n'était jamais contente avec quoi que ce soit.

Le juge Gamberali s'arrêtait assez souvent pour échanger un mot avec Fausto, dont il admirait la nature réflexive et la culture qu'il s'était fait tout seul en lisant beaucoup et en réfléchissant. Fausto, pour sa part, en appréciait particulièrement l'équilibre et la simplicité avec lesquelles il abordait aussi des sujets complexes.

"Vous ne vous sentez pas seul, monsieur le juge ?" lui demanda une fois Fausto.

"Non. Mis à part le fait que j'ai toujours aimé soit être en compagnie soit être seul avec moi-même... J'ai aussi, généralement, trop de choses à faire, donc je ne peux pas me sentir seul. Parfois, mes enfants viennent me rendre visite ou m'invitent, parfois viennent aussi me visiter des amis. Je pense que quiconque se sent seul est celui qui n'est pas à l'aise avec soi-même. Disons que je sais me tenir compagnie..." dit le juge en souriant.

Une autre fois Fausto demanda au juge : "Vous, que pensez-vous de la religion ? J'ai une attitude ambivalente, d'une part elle me fascine mais de l'autre... elle m'ennuie."

"Quand tu parles de religion, je suppose que tu te réfères au catholicisme, ou du moins au christianisme, n'est-ce pas ?"

"Oui..."

"Eh bien, tu vois, chaque religion organisée est basée sur un ensemble de règles : spirituelles, qui est ce que tu dois croire pour en faire partie ; sociales, qui est, ce qui devrait être ta relation avec d'autres qui partagent ta même foi, ou qui ne la partagent pas ; et enfin physiques, qui est ce qui doit être fait ou pas fait. La religion est donc un ensemble de règles, pratiques, rites et croyances par lesquelles l'homme veut se rapporter à une réalité qu'il considère divine, sacrée, ou de toute façon supérieure."

"Peut-être que ce sont les règles celles qui moins me plaisent."

"Mais tu vois, Fausto, toute société cesse d'exister si elle ne se donne pas des règles. La règle en soi est nécessaire. Cependant, ce que je n'aime pas beaucoup dans les règles, c'est la norme négative."

"C'est à dire ?"

"Regarde le Décalogue : combien de fois il commence par un : tu ne dois pas... Par exemple, ne tuer pas."

"Il me semble important..."

"Tu aurais le même résultat, mais avec une positivité plus grande, si elle disait : respecte la vie. Ne pas voler, il serait mieux exprimé et beaucoup plus valable avec un : respecter la propriété d'autrui. Ne commettre pas d'adultère, aurait une valeur complètement différente en disant : vis une vie pure. Et ainsi de suite."

"Eh bien, mais il y a aussi des préceptes positifs tels que : honore ton père et ta mère."

"Oui, il est vrai, mais pourquoi pas honore ta femme, tes enfants... et tous les autres. Et rappelle-toi de sanctifier le jour du sabbat, ne serait-il pas plus valide avec : rappelle-toi de sanctifier chaque jour de ta vie ? Et, en tant que juge, un m'intéresse en particulier : ne pas dire un faux témoignage, à mon avis, serait plus complet s'il était formulée comme : sois toujours sincère."

"Y a-t-il une religion qui ait seulement des préceptes positifs ?"

"Je crains que non, parce que dans toute religion organisée il y a nécessairement certains qui ont un pouvoir, même si seulement spirituel, sur les autres, qu'ils soient appelés prêtres ou chamans, ou enseignants, ou pasteurs, ou ce que tu veux. Et qui a le pouvoir, est principalement concerné par le fait de mettre des interdictions faites de défenses, de «ne fais pas»."

"Pour conserver leur pouvoir ?"

"Pas nécessairement. Nombreux, je crois, le font de bonne foi, parce qu'ils se sentent investis d'une responsabilité, qu'elle vienne de leur dieu, ou des membres de la communauté. Tu vois, même les parents, trop souvent, montrent à leurs enfants ce qu'ils «ne» devraient pas faire, au lieu de ce qu'il est bon qu'ils fassent."

"Et vous, avec vos enfants, vous avez agi ainsi ? En leur disant ce qu'ils ne devaient pas faire ?" lui demanda Fausto.

Le juge Gamberali sourit : "Je crains pas, bien que j'essayé de l'éviter."

Une autre personne avec laquelle parfois il faisait quelque conversation était Nestore Grasso, le locataire du huitième étage de l'escalier B. C'était un célibataire de quarante-deux ans, il avait un magasin d'habillement pour hommes, des choses plutôt belles, moderne, soit à la mode soit classiques. Fausto y était allé deux ou trois fois pour acheter quelque chose, et Nestore lui avait fait des rabais généreux, sans qu'il les demande.

Nestore avait deux vendeurs, jeunes et mignons, qui s'appelaient Dino et Angelo, et Fausto avait l'impression que, en particulier avec Dino, il avait une relation un peu plus que professionnelle et il se demande si par hasard entre ces deux... Puis il se dit de ne pas faire des soupçons, et il n'y pensa plus. Quand il était allé dans son magasin, c'était toujours Nestore à le servir, et si par hasard il servait déjà un autre client, il le confiait à un des vendeurs pour s'occuper de lui personnellement.

Avec Nestore, il n'avait jamais eu des discussions comme celles avec le juge Gamberali. Peut-être aussi pour son travail, il parlait le plus souvent de mode, de styles, de couleurs et ainsi de suite, mais pas seulement.

Une fois ils s'étaient rencontrés dans le jardin arrière de la maison et il y avait aussi les trois petits des Donato qui jouaient, couraient et se déchainaient ensemble, surveillés par leur mère qui était en train de lire un magazine.

Nestore lui avait dit : "Ces trois petits me plaisent bien, parce qu'ils sont très vifs, pourtant gentils et obéissants. Si seulement pour avoir des enfants aussi bien, il vaudrait le coup de se marier."

"Souvent, on apprécie les petits quand ils sont enfants des autres, parce qu'on en a pas la responsabilité et on ne vit pas avec eux jour après jour..." lui fit remarquer Fausto.

"Vous avez raison, cependant, ces trois sont délicieux. Regardez le plus grand comme il prend soin du petit... et en tout cas combien d'harmonie existe entre les trois. J'aurais aimé avoir des frères."

"Je les ai... trois frères plus petits... et pourtant je suis heureux de ne pas avoir plus de contact avec eux, croyez-moi."

"Peut-être que chacun de nous envie la situation des autres... juste parce qu'elle n'est pas la sienne, parce qu'on ne la vit pas." dit Nestore. "La même chose est vraie pour le travail : beaucoup pensent que le travail des autres est meilleur que le leur, moins lourd, mieux payé et ainsi de suite... justement parce qu'il ne le fait pas ; de l'extérieur on ne peut voir que les aspects positifs, mais, quand on le fait, on se rend compte également des aspects négatifs..."

Même à lui, Fausto demanda : "Vous ne vous sentez pas seul, parfois ?"

"Oui... parfois oui. Peut-être que c'est pourquoi ça me plaît d'avoir la boutique, parce que, en plus de mes deux assistants, il y a des contacts avec les clients et... et cela apaise tout à fait mon sentiment de solitude."

"Ils semblent deux garçon bien, vos vendeurs." remarqua Fausto.

"Oui, tout à fait. Surtout parce que leur travail leur plaît. Angelo est très ordonné, ce qui n'est pas mal dans un magasin. Dino a plus d'adresse dans la vente, en dépit d'être plus jeune que Angelo."

"Ils travaillent depuis longtemps avec vous ?"

"Angelo depuis sept ans, depuis que j'ai ouvert la boutique, et Dino trois. Avant j'avais un autre garçon, mais vraiment il ne savait pas vendre... Alors je l'ai licencié et j'ai cherché un nouveau vendeur et j'ai eu la chance de trouver Dino."

"Il semble un gars de caractère bien agréable..." dit Fausto.

"Oui, il l'est. Même Angelo, honnêtement, mais Dino me plaît plus. Angelo est parfois un peu trop pointilleux, un peu trop ... méticuleux. Cependant, je ne peux certainement pas me plaindre de l'un d'eux. Chacun a ses talents."

"Quel âge a-t-il, Dino ?"

"Je pense votre âge : il a vingt-six ans."

"Ah, juste un de moins que moi. Il me semblait plus jeune."

"Oui, c'est vrai. C'est à cause de son visage propre, les yeux bleus, et parce qu'il est brun clair, presque blond. Avez-vous déjà remarqué que les blonds semblent plus jeunes des bruns ?"

"Je ne l'avais jamais remarqué... mais je crois que c'est comme vous dites. Je ne les connais pas bien, mais ils me paraissent des gars très agréables, surtout Dino..." insista Fausto, qui continuait à penser que peut-être entre monsieur Nestore et Dino il pouvait y avoir une relation.

"Oui, surtout Dino..." dit l'homme avec un léger sourire.

Fausto devait revenir à la loge. Il salua Nestore et les Donato et s'en alla. L'après-midi passa régulièrement. Dans la soirée, comme il baissait les vénitiennes sur les fenêtres de la loge, Serse Jacovoni rentra.

"Salut, Fausto..." salua-t-il.

"Salut. Aujourd'hui, t'es rentré plus tôt que d'habitude..."

"Oui. Une période de calme, dans l'étude de mon père. Nous avons livré hier le dernier travail et papa avec Silvia sont en train de mettre en place le nouveau. En certains moments, nous en avons trois ou quatre à la fois, dans d'autres, comme celui-ci, non. Tu dînes à la maison, Fausto ?"

"Je pensais que oui, mais je dois encore cuisiner..."

"Les miens sont à dîner dehors avec le client. Je pensais que je vais me faire une pizza près d'ici, chez Ferruccio. Veux-tu venir manger quelque chose avec moi ?"

"Pourquoi pas ? Donne-moi le temps de ranger et je viens."

Ainsi, il commuta le clavier des sonnettes, changea les cassettes des moniteurs, verrouilla et ils sortirent ensemble. À la pizzeria il n'y avait pas trop de monde. Ils choisirent une table et commandèrent.

"Tu sais, Fausto, papa m'a envoyé à la dernière réunion de la copropriété, parce que lui et Elisa étaient occupés. Tout le monde était très heureux de t'avoir comme concierge..."

"Même madame Ravera ?" demanda le jeune homme avec un léger sourire.

"Elle ne s'est pas plainte de toi, donc je dirais que oui. La Ravera... je ne l'ai jamais entendue dire quelque chose de positif, donc si elle n'a dit rien de négatif c'est déjà un très bon signe. Le juge Gamberali est toujours le plus enthousiaste au sujet de ton travail. Il a eu de très beaux mots à ton égard. Et aussi madame Gerbino."

"Et toi ?"

"Moi, quoi ?"

"T'as bien parlé de moi ?"

Serse sourit : "Eh bien, tu m'es sympathique. Tu me rappelles mon professeur préféré, celui de technique photographique. Pas physiquement, mais comme caractère. En plus d'être un excellent professeur, c'était celui avec qui nous avions presque tous le meilleur rapport... Hors de la salle de classe, on pouvait parler de quoi que ce soit avec lui, on pouvait se confier, demander conseil. Il était toujours prêt à t'écouter, à te donner un avis, ou un appui. Il était aussi le seul professeur que nous pouvions tutoyer, même s'il n'était pas le plus jeune."

"Je n'ai pas eu de professeur dont je me souviens avec beaucoup de plaisir. Non pas que je n'ai pas eu de bons professeurs, mais avec aucun il n'y avait un rapport plus qu'entre enseignant de élève. Ils faisaient leur travail, peut-être même bien, et voilà. Eh bien... sauf un, à vrai dire, mais... involontairement il m'a causé des ennuis avec ma famille."

"Le professeur Carlini était beaucoup plus qu'un enseignant pour nous. Quand j'avais seize ans... il m'a beaucoup aidé à... me comprendre, à m'accepter. Tu sais, quand on est adolescent... les parents ne sont plus assez, dans un certain sens, et alors on a besoin d'un autre adulte à qui se confier, à qui s'appuyer. Je l'ai trouvé dans le professeur Carlini."

"Je crois que l'adolescence est l'âge le plus difficile, car là ont lieu les plus grands changements... et pas seulement physiques."

"Oui, tout à fait. C'est l'âge où tu te sens tout puissant et fragile en même temps. Tu n'es plus un enfant mais pas encore un adulte. Ni viande ni poisson. Surtout sur le plan sexuel, qui est celui où tu ne peux pas te comparer, te confier avec les tiens."

"C'est vrai. Même pour moi, ce fut ainsi. Peut-être que sur ce plan, on se sent plus vulnérables."

"Le fait est que je... je me sentais si loin, si... inadéquat par rapport à mes pairs, mes compagnons. J'ai commence à me sentir ainsi, quand j'étais juste entré dans l'école supérieure et plus les mois passaient, plus je me sentais bizarre. C'était comme si la société, la famille me présentaient un modèle unique auquel je ne me sentais pas appartenir. Je devenais conscient d'être différent... mais différent, comment ?"

"Ouais, je pense que je peux te comprendre, Serse. À moi aussi, il est arrivé quelque chose comme ça. Et c'est laid, parce que si d'une part nous voudrions être différent des autres, nous aimerions aussi être comme les autres, pour être acceptés..."

"C'est bien ça : la peur de ne pas être accepté. Tu vois, je trouvais que mes camarades de classe étaient trop agressifs, mais en même temps, ce n'est pas que je me trouvais mieux avec mes copines, trop différentes de moi, et donc je me sentais exclu des uns et des autres : mais en réalité, ce n'étaient pas eux à me exclure. Mais d'autre part, ce n'était même pas moi qui voulait être exclu, différent."

"Oui, j'y suis passé moi aussi."

"J'étais troublé... En conséquence, j'ai commencé à être moins performant à l'école, alors que je tâchais de m'engager comme avant. J'avais seize ans, comme je t'ai dit, quand le professeur Carlini a réalisé qu'il y avait quelque chose en moi qui n'allait pas. Alors, comme toujours, en prenant le discours très au large, il a réussi peu à peu à me faire me déboutonner. Avec lui, je sentais que je pouvais le faire. Je lui ai fait confiance, je savais qu'il ne m'aurait pas jugé, condamné, moqué. Je savais que quoi que je lui eusse dit, il aurait cherché de me comprendre et de m'aider à me comprendre moi-même."

Fausto sentit que Serse était en train d'essayer de lui dire quelque chose, mais ne savait pas encore dans quelle mesure il pouvait se confier à lui et surtout lui faire confiance. Et il pensait que peut-être à cause de cela il lui avait suggéré d'aller manger la pizza ensemble.

"Personne ne devrait jamais se moquer, juger ou condamner une autre. J'avais aussi une sensation de peur... ou du moins d'anxiété, pour moi-même, et aussi je l'avais dépassé grâce au fait que je m'étais ouvert avec mon professeur... qui m'a aidé à comprendre que je n'étais pas... bizarre, mal fait." dit Fausto. "Alors j'ai trouvé le courage d'en parler avec les miens... mais non seulement ils ne m'ont pas accepté, mais ils m'ont rendu la vie impossible, si bien que, dès que j'ai eu dix-huit ans, je suis parti de la maison, comme je t'ai raconté."

"Pour moi, heureusement, ça a été différent. Mon père m'a accepté. Ma sœur moins, mais à cause de l'acceptation de mon père, elle a dû s'adapter... Maintenant aussi pour Elisa ce n'est pas un problème que je sois... gay."

Voilà, il l'avait dit. Pendant qu'il le lui disait il regardait droit dans les yeux Fausto, comme pour en évaluer la réaction. Fausto sourit et hocha la tête.

"Bien qu'il semble que pour un gay ce soit maintenant moins difficile qu'il y a une génération, nous avons encore beaucoup de problèmes. Nous ne sommes pas encore pleinement acceptés. Il y a encore de forts préjugés contre nous, des barrières de toutes sortes." dit Fausto. "Pense, par exemple, si je me faisais un garçon et je voulais l'amener vivre avec moi... comment crois-tu que les colocataires du bâtiment réagiraient ? Mis à part madame Ravera, combien d'autres ne seraient pas... scandalisés ?"

"Très peu. Surtout dans ton cas, dans ta position. Pour moi, ce serait plus facile que pour toi d'amener chez moi mon partenaire et vivre avec lui."

Maintenant qu'ils s'étaient confiés l'un à l'autre d'être à la fois gay, ils se sentaient plus libres, plus sereins. Serse raconta à Fausto comme il avait compris d'être gay.

"J'avais treize ans quand j'ai commencé à comprendre que je n'étais pas comme les autres garçons. Tous ne faisaient que dire ce qu'ils auraient aimé faire avec une ou une autre de nos copines, et à quel point ils bandaient juste à penser à ce sujet et... Mais je m'apercevais que pour moi, c'était différent et que je bandais à penser à certains de mes camarades de classe déjà plus bien développés que moi.

"Même si on était déjà en 1999, et bien qu'on en parle dans les journaux et à la TV, je ne pouvais pas dire être totalement ignorant de ce que signifiait être gay, la chose m'avait troublé. Je sentais autour de moi la désapprobation, le mépris ou même simplement l'ironie qui entourait et entoure toujours les gays. Aussi à cause de la TV, où ils font souvent voir des gens comme Platinette, ou tout au moins des gays plus ou moins efféminés, je ne me sentais pas du tout, ni efféminé, ni féminin.

"J'entendais les déclarations de sarcasme de certains hommes politiques, celles de condamnation de l'église, et aussi la confusion entre les pédophiles et les homosexuels... et pourtant je ne me sentais pas même un pédophile, en ce sens que je ne regardais jamais les enfants plus jeunes que moi, donc... Tout cela avait crée en moi une confusion croissante.

"Puis, à quatorze ans je me suis inscrit à l'école secondaire, à l'Institut pour graphiques publicitaires comme mon père voulait et comme ça me plaisait à moi aussi. Il y avait des gars plus âgés que moi, et je mourais littéralement derrière quelques-uns de mes plus grands compagnons. Il est clair que je n'avais pas le courage de leur faire comprendre, et je me contentais de les rêver, de les désirer... même si bien sûr aucun d'eux ne semblait me remarquer. Et surtout, il me semblait être le seul avec ce problème.

"C'est laid, à quatorze ans, de se sentir seul, en particulier dans ce sens. Je pense que c'est un peu comme devaient se sentir les enfants des divorcés, il y a vingt ou trente ans. Et surtout, le problème était de ne pas pouvoir faire confiance, me comparer avec personne. J'avais un cher ami, et je pensais déjà que je pourrais prendre le risque de m'ouvrir à lui, mais un jour, il fit des remarques sarcastiques et lourdes sur les «tapettes» et je me suis aperçu que je ne pouvais pas lui dire... même pas à lui !

"Ce fut un véritable enfer, crois-moi, au fur et à mesure que je grandissais, le fait que mes élans vers d'autres garçons se faisaient plus forts, plus urgents, et je me sentais comme... un prisonnier. C'est quand j'ai décidé que je ne pouvais pas continuer comme ça et quand mon professeur a réalisé qu'en moi il y avait quelque chose qui ne marchait pas, que je me suis confié à lui. Pour moi, ce fut une véritable libération pouvoir parler et être compris, accepté, même conseillé."

"Oui, pour moi aussi... mais alors, quand j'en ai parlé à la maison, l'enfer se déchaîna." commenta Fausto.

"Pour moi, par contre, ça s'est bien passé. À ce point-là, j'ai décidé d'en parler à mon père. C'était un dimanche et nous étions partis, lui et moi seul, pour pêcher. Elisa était ailleurs avec ses amies. Ainsi, alors qu'on était côte à côte avec nos cannes à pêche, en attendant que quelques poissons mordent, je l'ai dit à papa. Il m'a dit qu'il était loin d'en être certain, mais qu'il avait pensé qu'il pouvait en être ainsi. Il m'a demandé si j'avais déjà eu quelque expérience avec... un garçon ou une fille. Je lui ai dit non, parce que les filles tout simplement ne m'attiraient en rien et je ne connaissais pas de gars comme moi.

"Nous avons parlé pendant longtemps... La chose qui m'a étonné et qui m'a soulevé, était comme papa en parlait avec moi comme si c'était la chose la plus naturelle du monde, tout comme il m'aurait parlé si je lui avais dit que j'aimais les filles. Il m'a donné beaucoup de conseils, aussi bien sur le sexe sûr, à la fois sur les dangers des rencontres désagréables, et sur le côté émotionnel. Je me souviens que je me sentais comme si... comme si j'avais été amnistié. De nouveau libre, en dépit des problèmes qu'il y a sans aucun doute pour des gens comme nous.

"Être si bien accepté par mon père était quelque chose de très beau et si, déjà avant j'avais préféré rester avec lui, quand il s'était séparé de ma mère, maintenant j'en étais encore plus heureux. Mais à ce stade, je voulais, plus que jamais trouver un partenaire, un ami avec qui explorer ma sexualité.

"Un dimanche, après être allé visiter ma mère avec Elisa, elle avait déjà décidé de rentrer le lendemain matin parce qu'elle devait être avec quelques amies, donc dans l'après-midi je suis allé seul à la gare pour prendre le train. Je remarquai un beau mec sur les dix-huit, vingt ans, grand, brun, qui me regardait avec une intensité particulière, et je me demandais si par hasard on se connaissait...

"Puis il m'a approché et m'a demandé à quelle heure j'avais le train. Quand je lui ai dit qu'il était une demi-heure plus tard, il m'a demandé si je ne pouvais pas prendre celui d'après, parce qu'il aurait aimé pouvoir passer un peu de temps avec moi. Il me souriait et il me fit comprendre, avec une périphrase assez claire, ce qu'il voulait de moi... Je me suis senti immédiatement ravi, mais aussi hésitant, indécis.

"Il a insisté, il me dit que je lui plaisais beaucoup, que j'étais mignon, et qu'il aurait vraiment voulu rester tout seul avec moi pendant un moment. Je lui ai dit que je n'en étais pas sûr parce que... je ne l'avais jamais fait. Maintenant, c'était clair ce qu'il voulait faire avec moi... et ce que je voulais moi aussi. Il me dit de lui faire confiance et je ne sais pas pourquoi, mais je sentais que je pouvais le faire. Peut-être la façon dont il me regardait, peut-être parce qu'il était bien habillé, je ne saurais pas te le dire.

"En bref, je l'ai suivi. Il avait la moto là dehors de la gare. Il m'emmena dans une maison, dans le box du garage, où il y avait un lit de camp... À peine fermé, il se déshabilla rapidement : je pensais qu'il était beau, et il était déjà excité. Le premier gars nu que je voyais. Il me sourit et me dit de me déshabiller.

"Je me sentais le cœur battre furieusement soit parce qu'il était vraiment beau, il était là pour moi, plein de désir, soit parce que bientôt je pourrais enfin essayer... je me déshabillais. Il s'assit sur le lit et me tira vers lui, debout entre ses jambes, et il commença à me sucer. Je sentis mes jambes céder d'émotion. Après un certain temps, nous étions couchés sur le lit, nous faisions un soixante-neuf, j'étais dans le ciel et j'étais si heureux et excité, que je tremblais et je sentais le sang battre dans mes tempes...

"Il me souriait, je lisais le désir dans ses yeux et cela me donnait du plaisir. Il me léchait, me caressait, m'embrassait et je me sentais de plus en plus excité et... comme au paradis. Il était beaucoup mieux que je ne l'avais imaginé. Il prit d'une boîte un sachet de préservatifs, s'en enfila un, prit un flacon de gel et commença à me lubrifier le trou...

"Je craignais un peu ce qu'il était sur le point de me faire, mais je le voulais aussi. Il me prépara longtemps, continuant à me sourire et à m'embrasser alors que ses doigts commençaient à me pénétrer et il continuait à me préparer. Je le laissais faire un peu craintif, mais décidé d'aller jusqu'au bout. Il me fit finalement mettre à quatre pattes et il me prit. Il le fit avec beaucoup de précaution, car je lui avais dit que c'était ma première fois.

"Je sentais un peu de gêne, mais je le voulais. J'ai essayé de me détendre comme il me disait... et finalement je l'ai senti m'envahir peu à peu et c'était agréable, la gêne passait en arrière-plan. J'aimais sentir ses mains fortes me tenir à la taille, son membre dur et chaud me glisser à l'intérieur, me dilatant. L'inconfort était toujours là, mais le plaisir était plus fort. Et enfin il était tout à l'intérieur de moi et il commença à me baiser avec une vigueur croissante.

"J'étais très excité, je commençai à me masturber, mais il me fit arrêter et me dit qu'il me ferait venir après lui. Il me prenait avec énergie, mais pas violemment, je dirais qu'il était bon, il me le faisait aimer. Et finalement il déchargea en moi tout son désir. Puis, lentement il se désenfila de moi, il me fit tourner, m'asseoir sur le matelas ; il est descendu sur mon aine et a commencé à me sucer jusqu'à ce que je vienne, quelques minutes plus tard, dans sa chaude, humide, et experte bouche et il but tout.

"Il m'a demandé si ça m'avait plu. Je lui dis oui, ça m'avait bien plu, et je l'ai remercié. Nous nos rhabillâmes et bavardâmes un peu. Il me ramena à la gare. Il me laissa son numéro de téléphone et me demanda de l'appeler quand je reviendrai visiter ma mère. Pendant le voyage de retour je sentais encore un vague embarras dans le cul, mais j'étais heureux.

"On s'est revu une seule fois, après cela, parce qu'alors il avait obtenu un emploi à l'étranger. Voilà, ce fut ma première fois. Dans ces quatre années, après j'ai eu d'autres aventures et j'ai aussi essayé de faire la partie active. Maintenant, j'ai quelques amis avec qui parfois on s'amuse. Et grâce à l'un d'entre eux, j'ai découvert qu'il existe un autre comme nous, ici, dans notre immeuble..."

"Qui, Nestore Grasso ?" demanda Fausto intéressé.

"Non ... Mais il n'est pas vraiment gay comme nous, c'est un bisexuel. En effet il s'est marié et a eu des enfants..."

"Qui est-ce ?" insista Fausto.

"Je ne sais pas si ça lui plaira que je te le dise."

"Mais il sait pour toi ? Et que tu sais pour lui ?"

"Oui, parce que j'ai rencontré un homme qui a une liaison avec lui."

"Eh bien... alors tu pourrais lui dire... de moi ? Et s'il veut, il me le dit ou t'autorise à me le dire ?"

"Oui, bien sûr, je peux. Tu n'as pas un petit ami maintenant ?"

"Non..."

"Et tu aimes les hommes plus âgés, ou plus jeunes que toi ?"

"Fondamentalement plus jeunes..." lui dit Fausto en souriant. "Mais ce n'est pas si important."

"Tu m'es très sympathique, mais..." dit Serse, hésitant.

"Je ne suis pas en train de te proposer de venir au lit avec moi... même si je ne regretterais pas. Mais je suis très content de savoir pour toi et que tu saches pour moi. Tu as quelque... quelqu'un en vue, maintenant ?"

"Pas vraiment. Mais après tout, j'ai seulement dix-neuf ans, j'ai le temps. Bien sûr, tôt ou tard, ça me plairait d'avoir un fixe, qui m'aime et non seulement avec qui baiser."

"Qui ne le voudrait pas ?" dit Fausto avec un sourire.

"Non, il y en a qui ne veulent pas de liens."

"Oui, t'as raison, mais il me semble si... Eh bien, je veux dire, il est agréable de juste s'amuser, mais... Je voudrais avoir un véritable amant. Tôt ou tard, j'espère le trouver."

"Je pense comme toi, mais... pas maintenant. Je ne suis pas encore assez mature pour me mettre dans une relation stable."

"Tu diras à ton père pour moi ?" lui demanda Fausto.

"Si tu veux. Sûrement papa n'aura pas de problème pour toi, il te respecte. Comme tu veux."

"Pour ma part il n'y a pas de problème. En fait, dans un sens, plus les gens savent plus je me sens libre."

"Ça te va de me parler de toi, maintenant ? Comment tu l'as compris, quelles expériences t'as eu..."

"Oui, bien sûr..." dit Fausto, et il lui raconta de lui-même et de ses expériences.

Ils avaient quitté la pizzeria et revenaient lentement vers la maison, tandis que Fausto continuait à lui raconter son parcours. De temps en temps Serse lui posait quelques questions auxquelles Fausto répondait tranquillement. Il voulut savoir surtout à propos de son histoire avec Gildo et pourquoi et comment tout cela avait cessé.

"Pourquoi chez nous gays est-il si difficile d'avoir une relation durable ?" lui demanda Serse.

"Pas plus que chez les hétérosexuels. Et encore il y a quelques différences qui font que nous rompons plus librement une relation qui ne fonctionne pas. La première est que beaucoup de femmes sont encore des femmes au foyer, qui ne sont pas économiquement indépendantes. Une autre est le fait que nous n'avons pas d'enfants, qui dans certains cas cimentent un couple... aussi le fait de ne pas être en mesure même de se marier : le mariage crée un lien un peu plus fort, car il a une valeur sociale."

"Ouais... en fait, même chez les couples hétérosexuels, augmentent progressivement les séparations ou les divorces. Donc, à ton avis, ça ne changerait pas grand-chose, dans les couples hétérosexuels et homosexuels, s'il y avait une plus grande égalité des droits et devoirs ?"

"Je pense que oui. Et s'il y avait la même acceptation par la société. L'homme est l'homme, dans ses désirs et ses défauts, qu'il soit gay ou hétéro. Et même la soi-disante promiscuité des gays, à mon avis, c'est juste une déclaration de canular et hypocrite. Combien d'hétérosexuels, mariés ou célibataires, baisent à gauche et à droite sans problèmes ? Pourtant, personne ne les accuse d'être à partenaires multiples."

"Ouais... Il y a encore beaucoup de préjugés contre nous gays." dit Serse.

Ils parlèrent un peu plus, dans la loge fermée, puis ils se souhaitèrent bonne nuit.


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