Lundi 18
J'accompagne mon frère à l'aéroport. À peine Silvia laissée à la maternelle, je démarre et il me regarde.
"Quelle patience tu as, avec mes enfants !"
Je jette un œil sur lui, pour voir s'il se fout de ma gueule. Il a pas l'air. Je regarde la route. Il continue.
"Dire que tu n'en auras jamais, dommage, tu ferais un bon père. Tu m'as pas dit si tu t'es fait un garçon..."
Je lui lance un autre regard, cette fois un peu soucieux.
"Tu me dis quand je trouve le temps d'en chercher un ?"
"Oui... entre papa, maman et mes trois petits..."
"Justement."
"Et papa qui lève pas un doigt..."
Autre œillade, sarcastique cette fois. "Tout comme toi..." je dis.
"Ben, je viens juste voir les petits, et me reposer..."
"Justement." Je répète. J'essaie de ne pas m'énerver.
Et moi ? Je me repose quand ? Mais ils s'en tapent ! Tant que ce crétin tire la charrette... Heureusement que ma santé me joue pas de sale blague, mais pour encore combien de temps ?
"C'était quand la dernière fois que tu as baisé ?"
Je ne le regarde même plus. Mais putain, il veut se payer la tête de moi ou quoi ?
"Et toi ?" je demande.
"Deux mois..."
"Je te bats à dix contre un !"
"Enfin... Ne t'en fais pas..."
"Mais qui s'en fait ? Je n'ai pas le temps pour ça."
"Enfin, je veux dire... J'ai pris une décision. J'ai un bon boulot et... quand mes petits sauront se débrouiller tout seuls, je les reprendrai. Et quand papa et maman s'en iront... je renoncerai à ma part et tu hériteras de tout."
"Oui, et un jour mon prince viendra !"
"C'est tout ce que je peux faire pour toi. J'ai essayé de convaincre papa et maman de prendre une garde malade et une femme de ménage, mais tu sais bien qu'ils ne veulent pas en entendre parler..."
"Oui."
"Il faut que tu tiennes bon, Mario..."
"Oui."
"Je te comprends, tu sais ?"
À vraiment ? Tu me comprends... Oh, merci ! Putain ce que je me sens mieux de le savoir ! Il ne manquerait plus que tu sortes que j'ai toute ta solidarité !
"Tu as toute ma solidarité, Mario..."
J'éclate de rire. Non, mais je rêve. Du coin de l'œil je vois qu'il me regarde. Je ne le regarde pas. Je conduis.
"Sûr que... si tu aimais les filles... tu te marierais et au moins... le travail serait partagé à deux... mais comme tu es gay..."
"Je l'ai dans le cul et je le garde."
Putain, ça m'a échappé ! Mais comment peut-il me sortir ça ? Enfin, vu ce que je viens de dire, je surenchéris.
"Mais je préférerais un beau garçon à prendre dans le cul, juré !"
Ah ah, le voila un peu gêné. Alors j'ajoute, juste pour l'asticoter...
"Tu sais, je crois bien que dès mon retour... tout à l'heure, je dis à papa et maman que je suis pédé."
"Non ! Non, Mario, tu peux pas. Ils le prendraient mal tous les deux, ils ne comprendraient pas..."
"Je le dirai en italien. Pas en allemand."
"Ils réagiraient très mal, tous les deux."
"Et tu crois qu'ils pourraient me mettre dehors et que je pourrais commencer à vivre ?" je réponds sèchement.
"Ce serait un rude coup pour maman."
"Au moins elle arrêterait de souffrir."
"Allez, va !"
Et oui, allez va. Tu sais bien que je ne le ferai pas. Toi aussi tu me connais trop bien.
Quand je lui ai dit que j'étais gay j'avais vingt ans et lui vingt neuf. Ça m'a fait du bien d'en parler, et aussi qu'il ne soit pas le moins du monde scandalisé ou surpris. Il m'a dit que pour lui ça ne changeait vraiment rien, que je restais son petit frère, tout comme avant. Et il m'a dit de ne rien dire aux parents. Et qu'il me couvrirait quand je sortirais baiser chez un copain...
Mais après, depuis quatre ans, ils l'ont muté à l'étranger, à Amsterdam... Juste après la naissance de Silvia. Et un an après mourait Giulia, sa femme... et voila comment je me suis retrouvé coincé avec cinq personnes sur les épaules.
"Je suis désolé..." dit-il après un long silence.
"De quoi ?" je lui demande.
"Je voudrais pouvoir faire quelque chose pour toi..."
"Merci."
Je dis ça avec sarcasme, mais je suis sûr qu'il ne l'a pas réalisé. Lui au moins a juste deux mois d'abstinence. Moi vingt. C'était Février... Papa m'avait envoyé chez son cousin, celui qui a des vignes, chercher une caisse de vin. Je rentrais par des départementales. Il faisait du stop. Il avait à peu près mon âge. Blondinet, mignon...
D'habitude on dit que c'est le chauffeur qui se fait payer en nature par l'auto-stoppeur, là au contraire...C'est lui qui s'est lancé, sans trop tourner autour du pot... et quand il a vu que j'en étais, il m'a convaincu de tourner dans un petit chemin, puis vers les peupliers et enfin de m'arrêter pour baiser...
Dès que j'ai arrêté le moteur, il m'a mis la main au paquet et il s'est tourné vers moi, m'a tiré contre lui et sans un mot... une bonne langue en bouche, bon début...
"Tu fumes pas, toi... tu as bon goût..." m'a-t-il dit.
Je sentais ses mains partout, comme si je baisais la déesse Kali. J'avais si envie que je ne pensais même pas que quelqu'un pourrait arriver et nous surprendre... En quelques minutes nous étions déjà à moitié nus, pantalons aux genoux... Puis il s'est penché pour me sucer... il savait y faire. On était mal installés, à l'étroit... mais qui s'en soucie ?
"Tu me la mets ?"
Il a sorti de sa poche une capote et il me l'a mise. Je n'y avais même pas pensé... Le volant nous gênait, le levier de vitesse encore plus... Après deux ou trois tentatives, on est sortis et on a fait le tour de la voiture. Il s'est couché, le dos sur la banquette et le cul hors de l'auto. Je me suis mis sur lui et je l'ai enfilé d'un trait.
D'une main il se branlait, de l'autre il me travaillait les tétons, il avait fermé les yeux et il se mordillait la lèvre et il gémissait doucement : " mmhh... mmhh... mmhh..." La voiture oscillait à chacune de mes poussées... L'autoradio diffusait un match de foot...
"À quoi tu penses ?" me demande Daniel.
"Hein ? Ah... à ma dernière baise."
"C'était qui ?"
"Un stoppeur. Je sais même pas comment il s'appelle..."
"Ah. Et c'était où ?"
"Ici. Dans la voiture. Arrêtés sous les arbres, à la campagne. Il était là où tu es et moi, de dehors, je l'enculais."
Daniel rigole.
"Bonne baise, au moins ?"
"Oui... c'est juste dommage qu'il m'ait pas mis lui aussi."
"Tu préfères quoi ? Mettre ou prendre ?"
Ça tu me l'avais jamais demandé... va savoir depuis quand ça te démange. Parce que, enfin je crois, ça te paraîtrait moins "bizarre" que je préfère mettre que prendre... Je veux dire que dans ta tête de macho, tu te demandes si je fais "le mec" ou "la fille" et je crois bien que, vu que t'es hétéro, tu ramènes tout à ta propre expérience dont tu crois que c'est tout ce qui compte...
"Les deux. Tu devrais essayer de te faire baiser..."
"Tu sais bien que j'aime que les filles, hein ?"
"Une bite en plastique... on en vend..." je lui suggère.
Il rigole encore.
"Tu dirais quoi si un jour tu découvrais que Roberto est gay ? Ou que Laura ou Silvia est lesbienne ?"
"Rien. Enfin plus ou moins ce que je t'ai dit à toi."
"Tu... ça ne t'attristerait pas ?"
"Non."
Je sais qu'il est sincère. Pour ça au moins je l'admire. Allez, pour d'autres choses aussi, c'est mon grand frère. Je sais qu'il m'aime bien, même s'il a hérité d'un peu de l'égoïsme de papa.
"Pourquoi tu te remaries pas ?" je lui demande.
"Faudrait que je trouve une femme qui veuille de trois petits... Tu crois que c'est facile. Peut-être quand ils seront grands."
"Celle... d'il y a deux mois... c'était une hollandaise ?"
"Non, une anglaise avec qui je travaille."
"Et pourquoi vous n'avez pas remis ça ?"
"Elle est mariée. Elle a dit qu'elle ne voulait pas continuer, elle a peur de tomber amoureuse de moi."
"La bonne excuse."
"Non... elle est amoureuse de son mari..."
"Mais elle a baisé avec toi..."
"Elle a capitulé. C'est ma faute..."
"T'es trop généreux. De toute façon ce n'est jamais la faute d'un seul..."
On arrive à l'aéroport. Il descend et prend sa valise dans le coffre. Il se penche à la fenêtre pour me dire salut et "merci pour tout" avec un sourire. Je rentre en ville. Je mets l'autoradio. Mais je l'écoute pas : je planifie et mets en ordre tout ce que je dois faire aujourd'hui. C'est comme un puzzle, ce n'est qu'en plaçant chaque pièce bien à sa place que j'arriverai à éviter de devenir fou.
Devenir fou... Si seulement j'avais un copain, un amant, je sais que j'arriverais mieux à supporter cette vie... Pas rien qu'une baise... même si ça aussi ça me manque... non, un amant.
C'est un beau mot, amant, même si souvent méprisé. L'amant, c'est celui qui aime. Qui m'aime, aujourd'hui ? Personne... Si, il faut le dire, mon frère Daniel m'aime bien... les petits... bon, ils ont besoin de moi, comme maman, mais au fonds c'est... des égoïstes. Et je ne parle pas de papa... non, n'en parlons pas !
"Après tout, je t'entretiens." A-t-il eu le culot de me dire.
C'est pas moi qui lui ai demandé de m'entretenir. S'ils ne m'avaient pas mis toute la famille sur le dos, j'aurais pu terminer mes études, me trouver un job décent et m'entretenir tout seul. Et puis... après tout ce que je fais sans m'arrêter un instant... M'entretenir ! Je t'en foutrai !
Un amant... un aimé... Et je le trouve où ? Et il me trouve où ? C'est sûr que d'ici quelques années je me retrouverai vieux garçon, quand je serai libéré de cette famille. Ou vieille folle hystérique. Parfois, franchement, je voudrais m'endormir et ne plus me réveiller...
Oh, un stoppeur ! Un jeune... Je freine... Il court, il se montre à la fenêtre ouverte... il sourit... il est super...
"Tu m'emmènes en ville, s'il te plait ?"
"Monte." Je lui dis en ouvrant la portière.
Il me remercie, jette son sac sur la banquette arrière, s'installe, met sa ceinture.
"Moi c'est Mario..." je lui dis.
"Salut. Moi c'est Gerry... Gerolamo, mais j'aime pas."
Et mon regard, presque de lui même, parcourt rapidement la belle courbe bien pleine de sa braguette...
Je frémis...
"Tu as quel âge ?"
"Vingt et un ans. Et toi ?"
"Vingt cinq. Tu fais du sport ?"
"Non... Ah, le sac de sport ? Non, c'est un cadeau."
Je l'avais pas vu ce sac, moi. C'est ses habits serrés qui font deviner un beau corps, solide, d'athlète. Autre coup d'œil. Il a un peu ouvert les jambes... Je m'excite... Je pense que je vais essayer . Si je lui mettais la main là...
"Tu travailles ou tu fais des études ?" je lui demande, encore hésitant à tendre la main.
"Des études. Les beaux-Arts."
"C'est vrai que c'est plein de gays l'académie des beaux-arts ?"
Mais qu'est-ce qui me prend de lui demander ça ? Mais... une approche en vaut une autre. Il rigole.
"Oui, on est pas mal..."
On est ? Il me regarde. On est ? Donc...
"Et... tu as un copain, toi ?" je lui demande.
Autant se renseigner, non ? Puisqu'il l'a admis si tranquillement.
"Oui et non... un copain d'études. On loue une chambre ensemble..."
"Et... vous baisez ?"
"Parfois."
"Heureux hommes... moi ça fait des siècles que j'ai pas baisé."
"Tu n'as pas de copine ?"
Une copine ? Mais est que nous aussi les pédés on imagine que tout le monde est hétéro... Une copine...
"Une copine ? Moi ? Mais je suis 100 % pédé moi..."
"Ah, bien. Et... je suis ton genre ?"
Direct. Je lui jette un coup d'œil. Il sourit... alléchant... Je regarde ma montre... Je pourrais m'éclipser un moment si...
"Mais je n'ai pas d'endroit pour... te le montrer..." je dis avec un petit sourire.
"Si tu m'amènes chez moi, Dado n'y est pas ce matin, il est en cours et tu pourrais...me le montrer."
Tout est si simple. Incroyable. Apparemment je suis son type, si il est si facile à convaincre. Je commence à bander.
"Alors ?" insiste Gerry.
"J'ai peu de temps... ça me plairait..."
"Peu de temps... combien ?"
"Une petite demi heure pas beaucoup plus."
"C'est mieux que rien. Tu me ramènes chez moi alors ?"
"Oui... où ?"
"Via Médicis n° 115. Tu sais où c'est ?"
"Non."
"Je te guide..."
Il sourit. Je souris. Il tend la main et me caresse entre les jambes... Il palpe...
"Tu es déjà excité... très bien..."
Oh oui... Je ne dis rien.
"Tu es actif ou passif ?"
Comme mon frère, presque la même question. Mais pour Gerry c'est une question pratique, pas rien que de la curiosité.
"Les deux..."
"Mh... comme moi. Mais comme on a peu de temps... c'est toi qui me prends, d'accord ?"
"Comme tu veux."
"Tu me plais, t'es un sacré mec."
"Merci. Toi aussi tu me plais. Comment ça se fait que tu n'aies pas cours, toi ?"
C'est pas que ça m'importe tant, c'est juste pour parler.
"J'ai passé le week-end chez mes parents, au village et ce matin je ne manque pas grand chose à sécher. Et Dado me passera ses notes. Et toi, tu fais quoi : travail ou études ?"
"Je fais... l'homme au foyer."
"Chez des particulier ? Tu es domestique ?"
"En quelque sorte. Homme à tout faire, infirmière, baby-sitter, etc... Arrête de me palper comme ça ou je vais jouir dans mon pantalon..."
Il rigole mais retire sa main. Je suis ses indications. Je ne connais pas ce quartier. On traverse une place avec un marché. On arrive devant chez lui. Quel cul ! Quelqu'un s'en va. Je prends sa place. Il prend son sac, je ferme l'auto, retire la clé et je le suis. Ascenseur. Cinquième étage.
On entre. Le bordel prévisible de deux étudiants qui vivent seuls. Grand poster au mur d'un bellâtre nu. Sur la table un Mac dernier cri avec scanner, imprimante, etc, etc... Il m'amène tout de suite à la chambre : on a peu de temps. Lit défait, à une place et demi...
"Vous dormez là tous les deux ?"
"Oui, bien sûr. Il n'y a pas deux chambres et comme on est gays tous les deux et qu'on aime bien baiser ensemble..."
Il commence à enlever mes habits. Je lui enlève les siens. Beau corps. En moins de deux on est nus comme nos mère nous ont faits. Je le prends dans mes bras et je l'embrasse. Il répond avec plaisir. On se frotte l'un à l'autre. Mon dieu, que c'est bon, enfin !
Il m'attire vers le lit en reculant. Il s'étend et je viens sur lui.
"Attends..." dit-il.
Il ouvre un tiroir de la commode en hâte. Préservatif... Exact. Merde, je devrais y penser... Mais après presque deux ans d'abstinence et de jeûne... Il m'en enfile un.
"Comme tu voudrais me prendre ?"
Je ne réponds pas, je le fais s'allonger de nouveau, sur le dos, et je lui soulève les jambes. Il comprend... c'était facile... Il pose ses chevilles sur mes épaules et me la guide d'une main. Je commence à pousser et je sens une grande chaleur en moi... enfin ! Je commence à glisser en lui. Quel dommage que je manque de temps et qu'il faille passer tout de suite au concret. Mais peut-être que lui n'aime pas les préliminaires.
Il sourit... fait une petite grimace... et sourit de nouveau.
"C'est que t'en as une grosse..." murmure-t-il, l'air réjouis.
J'ai l'impression d'en avoir une normale, dans la moyenne... Oh... j'aime ça... je pousse... je glisse dedans... je le remplis... la chaleur maintenant se concentre dans mon oiseau qui a enfin trouvé un nid chaud et accueillant. Il était temps. Il me caresse les tétons, c'est bon...
"Vas-y mollo ou je jouis tout de suite..." je lui dis.
Il arrête. Me voila tout en lui. Je reprends mon souffle... je n'avais pas remarqué l'avoir perdu. Je le regarde. Il sourit. Je mets la marche arrière, puis la première... j'accélère... Trop agréable, trop bon... Et Gerry a l'air d'apprécier. Je me lance... formule un... Schumacher peut se rhabiller ! Gerry se caresse la poitrine, le ventre et se masturbe pendant que je fonce en lui.
Va savoir pourquoi mais je pense à mon frère dans l'avion... aucune chance qu'il imagine ce qui m'arrive... Vendredi pas de viande, mais on est lundi... Pensée absurde... Profite-en, tu sais pas avant combien de temps... Il remue sous moi, légèrement, il a l'air d'en profiter lui aussi... tant mieux... Il me sourit...
Soudain ma vue se trouble... Voila... je... vais... là... je vais... je vais... j-jeee vaais vaaaai... ooh...
Lui aussi... il tremble... il gémit... il jouit...
Je me relâche d'un coup, ma tête tourne doucement... je soupire... il me caresse le dos... nos ventres sont glissants de son sperme... sensation agréable... Je glisse de sur lui. Il prends un mouchoir, me nettoie, se nettoie. Il me sourit.
"Tu veux qu'on prenne une douche ?" me demande-t-il d'une voix langoureuse.
Je regarde ma montre : "Non merci... il vaut mieux que je rentre... au travail..."
"Tu as été bon, meilleur que Dado..."
"Eh... après vingt mois tout seul... J'en avais besoin... Merci..."
Il sourit. Nous sortons du lit et nous nous rhabillons. Dommage de n'avoir pas plus de temps.
"Je te laisse mon numéro de portable ?"
"Je n'ai presque jamais le temps, malheureusement. Ça me plairait, mais... Et puis toi au moins tu as ton ami..."
Il n'insiste pas et il continue à me regarder avec ce léger sourire. J'aimerais vraiment le revoir, mais... Si au moins il habitait mon quartier. Mais on est presque à l'opposé de la ville... Je me sens presque coupable de lui dire qu'on ne se reverra plus. Je ne peux pas tout lui expliquer... Il m'accompagne à la porte. Je descends. Je monte en voiture.
Sur tout le trajet du retour je pense à Gerry... j'ai peut-être eu tort de ne pas prendre son numéro. Ça lui a plu, ça m'a plu. Mais comment faire ?
Je m'arrête au feu rouge. La voiture d'a côté a la radio si fort qu'elle couvre ma musique. Le conducteur a une tête à claque... ou plutôt une tête de cochon. Ou il est sourd ou c'est un péquenot... J'ai envie de lui tirer la langue et de lui faire une grimace... Mais il va peut-être se fâcher, descendre et me casser la gueule...
Vert ! Ce cochon sourd de péquenot démarre en faisant crisser les pneus, comme s'il avait le diable au cul. Que con ! Et sans doute il se croit futé. Je passe la première et je démarre, l'autre est déjà au carrefour suivant, à zigzaguer entre les autos... Un de ceux qui conduisent en se fiant à la prudence des autres. Un vrai con...
J'arrive à la maison. Je me gare et je sors.
À peine rentré, papa, debout à la porte du séjour, me regarde l'air suspicieux.
"Pourquoi as-tu mis si longtemps à rentrer ?"
Mais va te faire foutre ! Tu fais quoi, tu me chronomètres ? Je me sens furieux. J'essaie de ne rien dire pour ne pas l'insulter.
"Alors ? Tu as fait quoi ?" il insiste.
"Je me suis arrêté pour baiser !" J'explose et je vais dans ma chambre enlever ma veste et mes souliers. Je mets mes pantoufles. Je sors dans le couloir.
Papa est encore planté à la porte du séjour et il me regarde sortir de ma chambre.
"Tu te crois drôle ?" me demande-t-il.
"Non, sincère. Tu voulais savoir, non ? Ça me démangeait alors je suis allé baiser. Une objection, papa ?"
"Tu as une copine ?"
"Non..."
Bon, d'accord, Daniel, ne t'en fais pas, je lui dirai pas que je suis pédé.
"Une putain ?"
Oh le con ! Tu vas arrêter, non ? C'est mes oignons !
"Non."
Il fait une tête froncée. Mais il ne dit rien, il se tourne et rentre au séjour. Il doit s'être convaincu que ce n'était qu'une mauvaise blague sortie par méchanceté.
La journée continue, comme toujours. Mais au moins aujourd'hui ça a été une agréable parenthèse. Je me sens presque euphorique. Presque.
Gerry... oui, j'aurais peut-être dû te donner mon numéro de portable ou au moins prendre le tien... Dommage qu'on ait dû faire ça en hâte, hein ?