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histore originale par Andrej Koymasky


LA CORBURE
DU COU
CHAPITRE 6
QUATRIÈME RENCONTRE AVEC GIAN-BELLE-COURBE

Vendredi 29 - 8 heures 30

J'emmène Laura et Roberto à l'école, puis Silvia à la maternelle. Quand elle devait descendre elle me dit : "J'ai mal au ventre..."

"Silvia ! Pourquoi tu cherches toujours une excuse pour ne pas aller à l'école ? Qu'est-ce qui te déplait ?"

"La maîtresse Iris..."

"Au point de te faire mal au ventre ?" je lui demande.

"Mais je veux pas qu'on me fasse une piqûre, alors je vais à la maternelle." me dit-elle en me faisant la gueule.

Je souris.

"Mais si tu as mal au ventre, il vaut peut-être mieux que je t'emmène voir le docteur Caetani, non ?"

"Ça fait pas si mal. Je peux aller à l'école."

"Mais pourquoi tu n'aimes pas la maîtresse Iris ? Elle m'a l'air d'une bonne maîtresse."

"Elle nous fait aligner des cubes en bois, c'est idiot... Elle nous fait jamais jouer avec les crétines de couleur."

"Et c'est qui les crétines de couleur ?"

"Les crétines de la boîte pour faire des pantins, des fruits, des visages... Elle dit qu'on cochonne tout, qu'on pourra y jouer que quand on aura cinq ans."

"Crétine... ça veut dire stupide. On dit craie."

"Mais elle est dans des petit pots !" me dit-elle décidée, sure d'elle, et elle descend.

Elle entre dans la maternelle en traînant les pieds, comme une condamnée à mort, pour exprimer toute sa contrariété...

Je fais un signe à la maîtresse sur le perron, elle me regarde les yeux vides mais elle répond d'un signe... je remonte en voiture et je rentre à la maison.


11 heures 12

J'ai pris les nouvelles lunettes de Roberto et je me précipite au supermarché. J'ai pris un caddie et je navigue à vide entre les rayons pour voir s'il est déjà là.

Queue dalle !

Je commence tristement à faire les courses. Je me demande s'il est en retard où s'il ne viendra pas.

Une voix derrière moi, basse, chaude, qui me fait frémir...

"Salut..."

Je me tourne et je reste là à le regarder, sans un mot. Mon dieu ce qu'il me semble beau aujourd'hui ! Et c'est lui qui m'a salué... Donc... je l'intéresse... Il a plaisir à me voir...

"Et bien ? Que t'arrive-t-il ?" me demande-t-il en souriant.

"Oh... rien... j'étais perdu dans mes pensées. Salut..." je balbutie presque.

"Tu es plus élégant que d'habitude ce matin..." me dit-il en se mettant à côté de moi avec son caddie.

Eh, je veux... j'ai mis deux fois plus de temps que d'habitude à choisir ce que je mettrais... et aussi un tout petit peu d'eau de toilette... pour lui...

"Toi, tu es toujours élégant..."

Putain, je flirte pas un peu trop ouvertement, là ? Bof, après tout... C'est lui qui a commencé, non ? Ça va de dire à quelqu'un qu'il est élégant... un compliment sur ses habits, ou au plus sur son bon goût. C'est encore neutre, non ?

"Tu trouves ?"

"Quoi ?"

"Que je suis toujours élégant ?"

"Ah... Oui... C'est sûr."

J'ai l'impression d'être en terrain miné. Je voudrais lui dire... lui demander quelque chose de plus personnel...Je voudrais lui tendre une perche et voir s'il l'attrape... Je me serre contre lui pour laisser passer une femme et son caddie qui viennent en sens inverse. Nos coudes s'effleurent et... chaleur... et il y en a un qui se réveille immédiatement et cherche à dresser la tête... gêné par mes habits...

J'étudie sa réaction. Il n'en a pas : Il ne se rapproche pas de moi mais ne s'éloigne pas. Il s'arrête au rayon café. Il prend une boîte de Illy...

"Tu m'en prends une aussi, s'il te plait ?"

"Bien sûr..." Il en prend une et me la tend. "Tu aimes aussi cette marque ? Un peu cher, mais c'est le meilleur..."

"Oui, vraiment..." Putain de platitude cette réponse.

Il me regarde avec un petit sourire, il a l'air de me jauger... je réponds à son sourire et je soutiens son regard.

"Je ne sais même pas comment tu t'appelles..." me dit-il.

"Ma-Mario..."

"Moi c'est Gian-Maria... Mais je préfère qu'on m'appelle juste Gian. Parfois je reçois du courrier : chère madame Maria G...." il rit.

Mon dieu qu'il est beau quand il rit... On dirait que quelque chose s'illumine derrière ses yeux.

"Tu n'as vraiment pas l'air d'une madame..." dis-je dans l'espoir que la plaisanterie soit drôle mais surtout qu'il comprenne qu'il me plait....

"En fait... je suis encore demoiselle..." dit-il en riant en me montrant sa main sans alliance.

Je prends les sucrettes pour maman.

"Tu es au régime ? Pas de sucre ?"

"Non, c'est pour ma mère. Moi je prends mon café sans sucre."

"Ça veut dire que tu es quelqu'un de doux... qui n'a pas besoin de sucre..." dit-il en me regardant droit dans les yeux.

J'ai l'impression que ses pupilles sont un peu dilatées. La musique de fond du supermarché passe "parce que j'ai le diable au corps..." Putain, c'est vraiment ça... Je lui sauterais dessus et je l'embrasserais en plein supermarché. Son sourire s'accentue mais il détourne le regard, lentement...

Un voix sèche derrière : "Excusez-moi !"

Une pouffe qui veut passer avec son caddie. Gian me dépasse rapidement et se met devant moi pour la laisser passer. Ouah... maintenant je peux admirer de nouveau la douce courbe de son beau cou ! La pouffe nous dépasse en nous jetant un sale regard.

"Vous n'êtes pas tout seuls ici !" lance-t-elle grincheuse.

Mais va te faire foutre, connasse ! Gian se tourne pour me regarder et hausse les épaules.

"La bonne éducation semble devenir une denrée rare..." commente-t-il à mi-voix.

Je voudrais faire une plaisanterie sympa, lui dire quelque chose de tendre, mais je ne trouve rien qui vaille à dire... On recommence à arpenter les rayons, côte à côte, piochant ça et là ce qu'il nous faut. Je ne sais pas qui des deux "suit" l'autre... On passe tous les rayons...

"Tu cuisines, toi ?" je lui demande...

"Oui, bien sûr. Je suis seul chez moi."

"Et tu aimes ça ?"

"Etre seul ou cuisiner ? Etre seul... ni oui ni non... Cuisiner... ce serait plus sympa de le faire pour un autre..."

Il a dit un autre, pas une autre... Mais ça veut peut-être rien dire... Il examine une boîte de couscous précuit. J'en profite pour vérifier toutes ses courbes, puisque aujourd'hui il porte un blouson court, en cuir souple qui laisse voir la ceinture et en dessous... Je recommence à bander... j'ai l'impression d'être un satyre... Il est incroyablement sexy.

Il repose le couscous sur l'étagère. J'ai envie de le toucher, mais pas juste du coude... Il me regarde et il sourit. Au moins je lui suis sympathique. Au moins...

"Tu n'as pas d'amis ?" je lui demande.

"Je viens de m'installer ici, dans ce quartier. Avant je travaillais à la campagne."

C'est quoi ton travail ? Je voudrais le lui demander, mais je ne le fais pas. Parce que s'il me le demande à moi, après, je lui dis quoi ? Que je suis homme au foyer ? Ça le ferait peut-être rire...

Il repart avec son caddie et je le suis... Ce beau cul qu'il a ! Tout est bon... ! Le rayon est large. Il s'arrête et je comprends qu'il veut que je me mette de nouveau à côté de lui. J'accélère et je le rejoins. Maintenant on a arpenté tout le supermarché, alors on va à la caisse.

On se met dans la file où il y a le moins de gens. Il n'y a que deux femmes devant nous. Je le laisse passer devant. En attendant il se tourne, le corps de profil et la tête vers moi et il me regarde et il me sourit encore.

Je sens que je rougis, j'espère que non... Le regarder dans les yeux, ça me semble mal élevé... regarder la courbe de la braguette serait effronté... Alors je regarde ses mains. Même si je ne regarde pas son visage, je sens qu'il sourit encore. Pourquoi je me sens si gêné ? On avance encore un peu vers la caisse et il se retourne encore.

Sans le vouloir, je lui touche les fesses avec le caddie. Il se tourne pour me regarder. Je le regarde aussi et je lui souris. Il répond à mon sourire. Je crois que je n'ai vraiment pas besoin de Viagra, moi... Quelle pensée idiote ! Heureusement il ne peut pas lire mes pensées... ou malheureusement ? Il me sourirait comme ça s'il savait que je suis gay ? Ou peut-être qu'il me sourit comme ça justement parce que lui aussi il est gay ? Si seulement il l'était...

On avance d'une place dans la queue. Il y a déjà deux autres personnes derrière moi, un vieux gras et une femme avec un petit dans son caddie. Je regarde de nouveau vers Gian... il me regarde encore... ou de nouveau.

Je regarde ma montre. J'ai mis plus longtemps que d'habitude à faire les courses...

"Quelle heure est-il ?" me demande Gian.

"Onze heures vingt sept..."

"Et combien de secondes ?"

Je le regarde un peu surpris. Il rigole. Je ris moi aussi. C'est son tour à la caisse. La caissière le salue : mais il les connaît toutes ? Je me sens... jaloux ! Mais de quoi ? C'est mon tour. Pendant que je remplis mes sacs, il a déjà fini les siens, mais il m'attend. Ça me fait plaisir... J'essaie de faire vite pour ne pas le faire trop attendre. On sort, côte à côte.

Sur le trottoir, il me tend la main. Je pose un sac et je lui serre la main... et je sens une décharge électrique traverser tout mon corps de haut en bas. Une poignée virile, pas trop forte, pas trop légère. Très agréable... Je ne la lâcherais jamais cette main. Notre premier contact volontaire et réciproque...

"À vendredi prochain, Mario ?"

Que c'est bon de l'entendre m'appeler par mon nom ! C'est comme de reconnaître qu'une sorte de lien s'est établi...

"Bien sûr, Gian..." je réponds.

Bien sûr ? ! Putain, c'est pas trop... transparent comme mot ? Un simple oui aurait été plus indiqué, non ?"

"Bien sûr." dit-il d'une voix grave et chaude. "Salut..."

"Salut."

Je le regarde s'éloigner... je le suivrais, comme les petits enfants qui suivaient le joueur de flûte de Hamelin... Je soupire. Je reprends le sachet posé et je traverse le boulevard. J'ai l'impression que mes pieds ne touchent pas terre. Contact stabilisé... "Bien sûr" a-t-il répondu. Alors il est content de me revoir. Lui aussi il est content... Mais peut-être n'est que parce que, comme il a dit, il n'a pas encore d'amis...

Bah, tu voulais quoi ? Une déclaration d'amour ? Un pas à la fois, d'accord ? Si ça se passe bien... parfait. Et sinon... je ne veux pas y penser. Je ne veux pas me faire d'illusions. Mais putain, je me suis attaché à cette courbe si sensuelle de son cou... Bah, non, ça c'est juste la première chose que j'ai remarquée chez lui... Il est beau à en crever, et sympathique, et il sourit comme un soleil de printemps...

J'arrive à la maison.

"Pourquoi as-tu mis si longtemps ?" voix de papa depuis son terrier.

"Il y avait plein de monde, aujourd'hui..." je réponds à voix haute et je vais à la cuisine ranger les courses.

Je ne veux pas laisser ruiner la sensation de béatitude que j'éprouve encore par les observations idiotes de papa. Gian-Maria... quel beau nom... Noble... Mon prince charmant... Même s'il ne le sait pas. Je vais mettre à la salle de bain un flacon de bain moussant que j'ai acheté. Je me regarde dans le miroir et je me souris.

Je ne suis pas Narcisse, mais je vérifie si je peux plaire et il me semble que oui. J'arrange une mèche rebelle. Non, trop soigné... je la redérange. Je ferme les yeux et je soupire. Je me berce de la pensée que Gian me prend dans ses bras...

Tu t'imagines... On ne se voit qu'au supermarché ! Mets un frein à tes rêves, idiot ! Je retourne à la cuisine. Mais qu'est-ce qu'il me reste, à part les rêves ? On n'a pas besoin de bien connaître une personne pour en rêver... pour alimenter le rêve secret de se faire aimer de lui...

Aimer, oui, pas juste baiser. Non que ça me déplairait de baiser avec lui, au contraire, mais... je veux être aimé, je veux pouvoir aimer.

Je veux...

Je voudrais...

J'aimerais... Oh, comme j'aimerais ça !

Je me mets à nettoyer les asperges, importées dieu sait d'où, puisque ici c'est un légume de printemps : pour aujourd'hui j'ai décidé fusilli au parmesan et touches d'asperges. Puis je pense préparer des croquettes en feuilles de choux... avec des patates grillées au four. J'ébouillante les feuilles de choux et je rassemble les ingrédients de la farce des croquettes.

Puis je change d'idée : les croquettes ce sera pour le dîner, à déjeuner omelette aux courgettes (surgelées) et tranches de fontina d'Aoste. Comme ça ce sera fait. Et les petits monstres adorent les croquettes. Les "petits oiseaux" comme dit maman.

Comment peut-il bien cuisiner, Gian ? J'aimerais cuisiner pour lui... ou lui demander de cuisiner pour moi...

C'est possible ça que, quoi que je fasse, Gian tourne dans ma tête ? Ce n'est pas que je m'en plaigne, au contraire... Médicament de maman... Elle me demande de l'aider à aller aux toilettes. Je l'aide à s'asseoir sur la cuvette. J'attends dehors. C'est comme si je devais m'occuper de cinq enfants et pas de trois... Le médecin continue à dire que maman devrait se bouger plus, elle, elle dit que "il parle bien vite, celui-là, c'est pas lui qui est malade !"

Putain ! Mais je n'ai que vingt-cinq ans. C'est une vie, ma vie ?

Maman a fini et m'appelle. Je la raccompagne à sa chambre et je retourne nettoyer les toilettes. Je vais à la cuisine, terminer le repas.

Quand je mets la table, papa commence : "Comment ça se fait que maintenant tu fais les courses le vendredi en plus du mardi ?"

"Un jour vaut l'autre et comme ça je ne suis pas trop chargé. Enfin, en dehors du lundi et du samedi..." je réponds sans le regarder.

"Et pourquoi lundi et vendredi ça va pas ?" insiste-t-il en me parlant comme à un idiot...

"Le samedi il n'y a que les restes et le lundi matin il manque plein d'articles..." je tranche en le regardant droit dans les yeux, décidé à avoir le dernier mot.

"Tu as toujours une réponse prête, toi !" il me dit. "Pour en faire à ta tête."

"Et pourquoi pas ?"

Eh, je veux avoir le dernier mot, bordel !

"C'est impossible de parler avec toi. Tu es devenu intraitable." dit papa à voix basse.

"Alors ne me parle pas !" je réponds, le visage sombre.

"Arrêtez..." gémit maman. "Vous me faites venir un mal de tête avec vos disputes stupides..."

Oh ça... maman qui répond à papa... même si elle a parlé au pluriel. Elle doit vraiment être mal. Elle aurait dû se mettre à lui répondre sur ce ton il y a trente cinq ans !

Enfin, comme ça, moi j'ai eu le dernier mot, avec papa.

"Tu as mis quoi dans cette omelette ?" demande papa après en avoir mis un petit bout en bouche.

"Des œufs !" je lui réponds sec.

"C'est bon..." murmure maman, mais elle ne regarde ni moi ni papa.

Silence. La tension monte. Le déjeuner s'achève sans autre échange de répliques ni "conversations".


16 heures 45

Je vais jeter les ordures, puis prendre Laura et Roberto à l'école. À la maison. Médicament de maman. Vite, au pas de course, aller chercher Silvia aussi. Aujourd'hui en voiture.

"Comment va ton ventre ?" je lui demande à peine elle sort.

"Aujourd'hui il est arrivé un nouveau garçon." annonce-t-elle pendant que je l'attache au siège-auto.

"Ah oui ? Et il est comment ? Comment il s'appelle?"

"Hamid et il est frisé et il a l'air sale mais il est pas sale mais il a la peau foncée même s'il se lave. Mais non... il ne paraît pas vraiment sale, il a l'air bronzé par la plage. C'est un marocain d'Algérie."

"Alors il n'est pas marocain, il est algérien. Tu sais où c'est l'Algérie ?"

"Oui, la maîtresse nous a montré sur la carte : c'est en bas à gauche. De l'autre côté de la mer. Il sait pas parler. Il sait juste dire salut, oui et non et son nom. Clara l'appelait Amidon, mais lui il a dit que c'est Hamid, qu'avant de dire son nom faut faire hhh avec la gorge."

Mais pourquoi donc est-elle si bavarde, aujourd'hui ?

"Tu l'aimes bien, Hamid ?"

"Il sait juste dire salut, oui et non et son nom." répète-t-elle. "Mais il joue bien. La maîtresse dit que c'est un innigré et que son papa est ingénieur."

"Immigré." je la corrige.

"Oui, un truc comme ça. La maîtresse dit qu'on doit être gentils avec lui."

"Bien sûr."

"Mais la maîtresse dit que lui il fait pas ses prières à Jésus mais à quelqu'un qui s'appelle... qui s'appelle..."

"Allah ?"

"Euh, oui."

"Ils appellent Dieu Allah, dans leur langue."

"Oui, mais ils prient pas comme nous. Ils prient pas Jésus."

"L'important c'est qu'il soit gentil, Hamid. Il n'est pas gentil ?"

"Si, il a l'air... Il a les yeux noirs noirs. Des boucles noires noires. Et il est pas rose comme nous mais plus foncé. Et puis il peut pas manger de charcuterie, tu sais, le pauvre."

À la maison elle va tout de suite raconter Hamid au grand-père.

Roberto se douche tout seul. Quand il sort je lui donne ses nouvelles lunettes. Il va tout de suite se pavaner devant le miroir.

"Tu y vois mieux, maintenant ?" je lui demande, quand il se tourne vers moi, tout content.

"D'enfer !"

Tiens, même pas de 'bordel' cette fois.

Le téléphone sonne. Laura arrête de jouer du piano et court répondre.

"Maison Passa... Papa !" elle crie.

Tout de suite les deux autres accourent au téléphone et la bataille commence pour parler à papa.

Roberto hurle : "J'ai des nouvelles lunettes comme Erri Potter !"

Silvia, bien que la plus petite, arrive à arracher l'écouteur à sa sœur et dit : "Papinou ! Tonton Mario m'a fait aller à la maternelle même que j'avais mal au ventre !"

Roberto hurle : "J'y vois plus mieux !"

Laura arrache le combiné à sa sœur : "Laisse-moi finir de parler avec papa, mégère!"

"Mégère toi-même." crie Silvia.

"Non, c'est Laura, papa... Tu viens demain ? Tu peux pas ? Alors quand ? Ah, j'ai compris. Oui, bien sûr, moi aussi, mais... Mais non, papa, jusqu'à il y a une minute elle jouait tranquillement... Je l'appelle tout de suite..." dit-elle et elle m'appelle.

Elle me passe le combiné.

"Salut, Daniel... Oui, compris. D'accord. Non, elle n'avait pas envie d'aller à l'école... Rien qu'un caprice..."

Silvia me regarde avec haine et me tire la langue. Je la lui tire aussi, en écoutant mon frère. Il me demande des nouvelles de papa, de maman... je réponds par monosylabes... Il comprend que je ne peux pas tout dire, alors il me pose des questions auxquelles je peux répondre par oui ou par non. On a l'habitude.

Je passe le téléphone à Roberto qui de nouveau lui raconte tout excité qu'il a de nouvelles lunettes comme Harry Potter... Silvia est assise sur le tapis, profondément offensée. Laura a les mains croisées dans le dos et se pavanne en regardant sa petite sœur avec suffisance.


21 heures 30

Je mets Roberto au lit. Je m'assieds au bord de son petit lit et je lui enlève ses lunettes. Je lui fais une caresse.

"Tu me racontes quoi ce soir, tonton ?"

Je n'ai pas eu le temps de penser à son histoire, aujourd'hui... J'improvise.

"Dans les égouts de Gobble City, il y avait une bande de méchant rats..."

"Non, tonton, j'aime pas la bande de méchant rats d'égouts..."

Etrange, il veut toujours des histoires de monstres, même si à la fin évidemment les gentils doivent gagner...

"Et alors... On met qui dans les égouts de Gooble City ?"

"On pourrait mettre des petits enfants qui se sont enfuis de la maison parce que les méchantes marâtres voulaient les faire rôtir !"

"Ah, d'accord... Et ils étaient combien ?"

"Beaucoup... vingt, cent !"

Et comme ça j'arrive à lui faire créer l'histoire comme il la veut lui, jusqu'à ce que sa voix se fasse empâtée et pesante et qu'il s'endorme. Il est dix heures dix... Lauretta est déjà au lit et quand je passe la tête par la porte de sa chambre, elle me fait salut de la main. Silvia dort déjà.

Je vais tout préparer pour le petit déjeuner de demain. Papa arrive à la cuisine et s'arrête sur le pas de la porte.

"C'est quoi cette histoire que tu as obligé Silvia à aller à l'école alors qu'elle était malade ?"

Ben tiens !

"C'était juste un caprice. Tu n'as pas vu comment elle a dîné tranquillement et qu'elle a tout mangé ?"

"C'est ta responsabilité !"

"Bien sûr, certainement pas la tienne, puisque tu ne fais rien !" je lui réponds sèchement, énervé.

"On ne plaisante pas avec la santé des petits."

"Tu as raison, on ne plaisante qu'avec la mienne !" je lui dis.

Mon dieu, je ne le supporte plus ! Au moins qu'il se taise, déjà qu'il ne bouge pas un doigt.

"Tu ne peux pas te payer le luxe de tomber malade !"

Ooohhh, nooon ! Bien sûr que non ! Bordel, mais il se rend compte de ce qu'il dit ? Comment arrive-t-il à me sortir de tels trucs ? J'essaie de rester calme... calme... calme... mais c'est vraiment au dessus de mes forces.

"Mais va regarder la télé ! Et fiches-moi la paix." je dis pour ne pas être plus explicite...

Il faudrait que je lui dise "visage de quéquette" comme dit Roberto...

C'est l'heure d'apporter son médicament à maman... Puis après je peux enfin aller me coucher et essayer d'oublier tout...

Ben, non, presque tout... Je veux m'endormir en pensant à Gian-Douce-Courbe, au moins peut-être que je dormirai bien...


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