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histore originale par Andrej Koymasky


LA CORBURE
DU COU
CHAPITRE 9
L'ÉVOLUTION DE MES RELATIONS

Dimanche 8 - 9 heures

On frappe à ma porte.

"Entrez !" je crie, ensommeillé.

Laura entre, elle vient près de mon lit. Elle me regarde.

"Tu es malade, tonton ?" elle me demande, inquiète.

"Non, Laura, pourquoi ?"

"Il est neuf heures et tu dors encore..."

"Non, je ne dors plus, tu m'as réveillé !" je lui dis en souriant. "Je me lève tout de suite."

"Mais tu n'es jamais resté si tard au lit, même le dimanche." me dit-elle, toujours préoccupée.

"Et bien maintenant si. Dorénavant si. Peu importe... je me lève maintenant. Roberto et Silvia ?"

"Silvia dort encore. Roberto est au cabinet."

"Allez, réveille Silvia et allez vous laver, je vais me lever et préparer votre petit déjeuner."

"Mais... tu t'es disputé avec grand-père ?"

"Pas vraiment... juste un peu..."

"Mais tu as toujours dit qu'on devait pas se disputer, non ?" elle me dit, mi accusatrice mi incrédule.

"J'ai juste demandé à grand-père d'aider un peu à la maison. Allez, maintenant vas-y."

Papa, avant, il ne me parlait presque pas, maintenant il échange avec moi à peine plus que des grognements. Au moins, il va acheter son journal tout seul et il s'occupe des médicaments de maman. Et s'il a soif, il se lève et se cherche à boire. Et il va découvrir encore bien d'autres choses à faire... Je suis sur le pied de guerre maintenant. Hug !

C'est un bon début, le matin je peux me lever trois quarts d'heure plus tard, maintenant. Et le dimanche, à partir de maintenant, je prends mes aises.

J'ai envie de revoir Gian... Est-ce qu'il en a aussi envie lui ? Le dimanche, aujourd'hui en particulier, il est chez lui ou il sort ? Je me décide à lui envoyer un message.

"Tu fais quoi, aujourd'hui ?"

La réponse arrive tout de suite. Il est donc déjà debout.

"Rien de spécial. Et toi ? On peut se voir ?"

Il a envie de me voir... je souris, content.

"Cet après-midi, vers trois heures ?"

"Je t'attends chez moi."

La journée est grise, mais elle me semble tourner au lumineux. Je vais, en pyjama, préparer le petit déjeuner, parce que les deux salles de bain sont occupées par les trois monstres. J'irai après.

Roberto arrive à la cuisine. Ses cheveux ont l'air ravagés par une tempête.

"Pourquoi tu ne t'es pas coiffé, Roberto ?"

"Mais si je me suis coiffé." dit-il en s'asseyant à table dans l'attente de son petit déjeuner.

"Mais tes cheveux sont en pétard !"

"Non... je les ai coiffés comme il fait Valentino Rossi !"

"Sur quelle photo ? Moi je l'ai toujours vu bien coiffé !" je lui dis en essayant de garder mon sérieux.

"Non non. Après, si tu veux, je te montre."

Puis arrivent les deux miss. Je mets la table. J'ai remarqué que papa a pris son petit déjeuner avant : il y a sa tasse dans l'évier. Ça lui coûtait quoi de la nettoyer ? Bof, laisse béton !

Petit déj. terminé, j'envoie les petits jouer et je débarrasse. Puis je vais au séjour affronter papa.

"À deux heures et demie je sors et je serai absent trois ou quatre heures." je lui annonce. Puis, pour que ce soit clair, j'ajoute : "Alors c'est toi qui t'occupes des petits."

Il arrache sa tête du journal et me regarde comme si j'étais fou : "Comment ? Tu ne les sors pas ?"

"Non."

"Et tu vas où ?"

J'ai envie de lui dire que c'est mes affaires, mais je reste coi et je sors du séjour.

À voix haute il dit : "Je ne peux pas les sortir ! Qui restera avec ta mère ?"

"Alors sors-les ce matin !" je lui dis d'un ton acerbe.

Il bredouille quelque chose, je ne comprends pas, mais je m'en fiche. Mais Silvia qui a tout entendu m'attaque de front.

"Mais comment ça, tonton ! Tu nous emmènes pas au parc ?"

"Non. Pas aujourd'hui."

"Mais j'ai pas envie de passer la journée à la maison."

"Demande à grand-père de t'emmener."

"Mais tu nous aimes plus, toi ?"

"Mais si que je vous aime... mais je m'aime bien aussi, Silvia, et aujourd'hui je prends un petit repos."

Laura intervient : "T'as trouvé une fiancée, tonton Mario ?" elle me demande avec un sourire malicieux. "Tu sors avec elle ?"

"Et quand bien même ? Il serait temps, non ?" je lui réponds.

"Vous allez vous peloter elle et toi ?" Cette fois c'est Roberto qui arrête de monter son robot.

Mais où il va trouver ces mots ? Il a l'air d'en faire collection ces derniers temps.

"Pas encore..." je lui réponds, hésitant.

"C'est quoi, plotter?" demande Silvia.

"C'est se faire des petits bisous..." explique Laura.

"C'est se toucher partout avant de baiser !" précise Roberto.

Mon dieu ! Et maintenant, je dis quoi ? Mais pas la peine de rien dire, ils sont à nouveau plongés dans leur jeu.

Je vais me peloter avec Gian ? Ben... ça me dirait bien. Se faire des bisous... se toucher partout... et puis baiser... Beau programme, non ? Mais même respirer un peu, m'arracher à cette routine... même sans obligatoirement "se plotter"...

Je me mets au ménage. Je sors maman de son lit pour changer les draps et faire le lit. Je l'emmène s'asseoir au séjour, pour pouvoir ouvrir les fenêtres de sa chambre et aérer, je passe l'aspirateur, je range sa chambre. Puis j'attaque les autres chambres.


15 heures

Super ponctuel, je sonne chez Gian. Il me répond à l'interphone, il ouvre, je monte. Il m'attend à la porte.

"Salut..." il m'accueille d'un chaud sourire et de sa voix chaude et sensuelle.

Je frémis. J'entre. "Salut, Gian... Je suis arrivé à me libérer."

"Sans recourir à la guillotine ?" il plaisante, en me rappelant mon message.

"Pour l'instant non. Mais je suis encore en liberté surveillée. Louis XVI est encore sur le trône." Je plaisante pendant qu'on s'assied au séjour.

"Je suis content que tu aies pu venir."

"Oui. Moi aussi. Tu fais quoi d'habitude, le dimanche ?"

"Ça dépend. Il faut que je commence à voir les magasins de meubles pour choisir comment arranger cet appartement."

"Le dimanche ?"

"Oui, autour de la ville il y a plein de magasins de meubles ouverts aussi le dimanche."

"Alors... Aujourd'hui tu n'y vas pas à cause de moi."

"Non, par ce temps gris je n'avais pas envie de sortir et je suis content que tu sois là."

J'ai envie de "plotter"... Sa main est posée sur le divan à un centimètre de la mienne. Je la bouge à peine pour que nos petits doigts s'effleurent. Je sens un choc électrique. Il bouge son petit doigt et le glisse entre le mien et mon annulaire. Je sens qu'il me regarde. Je sens qu'il sourit.

"J'ai envie de toi, Mario..." il murmure.

Et moi de toi, je voudrais dire, mais ma voix a l'air de ne pas vouloir que ça sorte. J'entrelace mon petit doigt avec le sien... et je me dis qu'on ressemble à des fiancés d'il y a cent ans, à des amoureux de Peynet... timides et embarrassés.

Il lâche ma main, se lève, il va au lecteur de CD, appuie sur quelques boutons. Une petite musique flotte dans la pièce, je ne vois pas ce que c'est... peut-être indien... Il se tourne et me regarde. Il sourit. Je souris.

"C'est quoi comme musique ?" je lui demande.

"Un groupe norvégien... de la musique de relaxation, pour rêver. Parfois j'aime bien, en bruit de fond. Elle a des influences orientales, mais retravaillées avec liberté."

"Il me faudrait ça, à la maison..."

"J'ai beaucoup pensé au peu que tu m'as dit de ta vie quotidienne... Je crois que tu as bien fait de... de prendre la Bastille. Tu as le droit... non, le devoir, de te ménager un espace à toi. Vivre pour les autres c'est beau et juste, pour autant qu'on ai le temps de prendre soin de soi. Tu ne crois pas ?"

Il revient s'asseoir à côté de moi et met un bras sur le dossier, derrière moi. Il ne me touche pas, mais je le sens, presque comme sur mon épaule. Je glisse les fesses un peu en avant et j'appuie la tête vers l'arrière, sur son bras. Il me regarde, serein, et même avec les yeux lumineux.

Je ferme les yeux et j'attends. J'attends qu'il m'embrasse... mais il ne le fait pas. Mais sa mais effleure mon oreille, ses doigts jouent avec mes cheveux. Je frémis.

"Je suis si bien, avec toi..." il murmure et je sens que son visage est tout près du mien.

Embrasse-moi... embrasse-moi... embrasse-moi... c'est comme une invocation en moi.

Oui.

Je sens ses lèvres effleurer les miennes... Je les ouvre. La pointe de sa langue les suit doucement. J'attends. Elle s'aventure entre elles. J'écarte les dents et la pointe de ma langue rencontre la sienne... se retire... la sienne avance... Toujours les yeux clos je soulève un bras et le passe à son épaule, en le tirant doucement contre moi. Son baiser se fait plus profond, plus intime et je frémis...

Je lâche un petit gémissement et je le tire plus contre moi. Nos langues jouent, légères et douces. Je me relâche complètement... Non, pas complètement... entre mes jambes quelque chose est bien loin du relâchement... frémit, palpite... je voudrais sentir sa main sur ma braguette, mais je n'ose pas l'y poser, j'ai peur que ce soit un geste trop... charnel, trop effronté.

Il éloigne un peu ses lèvres de miennes et murmure : "J'ai envie de toi..." et je sens son souffle léger contre mes lèvre quand il dit ces mots.

"À quel point ?"

"De plus en plus."

"Je suis là..." je murmure, ému.

"Pas encore... Pas entièrement..."

J'ouvre les yeux et je le regarde, interrogatif. "Que dis-tu ?"

"Je le dis. Tu en veux la preuve ?"

Je fais oui de la tête.

"Si je te disais que je te veux... pour toujours ?"

"Non... je ne peux pas, tu le sais... Mais j'aimerais..."

"Justement. Même si tu voulais être à moi... tu ne peux pas."

J'ai l'impression de m'effondrer, je me sens triste. Gian me sourit, me caresse une joue.

"Je ne t'en tiens pas coupable, Mario. Crois-moi. Je comprends que la vie t'a chargé d'énormes responsabilités... Et je t'admire pour le courage que tu as montré en les assumant. Un autre... aurait pris ses jambes à son cou..."

"Et alors... tu veux me refuser... même ces quelques petits moments... moments heureux... sereins ?" je lui demande, désolé.

"Ce ne serait pas un simple palliatif, pour toi ?"

"C'est mieux que rien..." je murmure. "Que puis-je faire ? Je dois... les abandonner ?"

"Je ne peux pas te demander ça, je le sais. Et puis ce ne serait pas juste. Mais il y aurait toujours, entre toi et moi, ta famille et tes responsabilités."

"Toujours..." je murmure et on dirait une sentence.

"Parce que..." il continue, "moi je ne voudrais pas qu'entre nous il n'y ait que... du sexe... et seulement... des instants volés. Et puis, toi et moi ne savons pas si nous sommes vraiment faits l'un pour l'autre..."

Ça me fait mal d'entendre ces mots, pourtant je sais qu'ils sont sensés, honnêtes et justes. Je rouvre les yeux et je le regarde, et j'ai envie de pleurer... mais je ne veux pas... je ne veux pas éveiller sa pitié... Mais... mais je voudrais... j'ai soif... faim.. d'amour !

"Je suis quoi, pour toi ?" je lui demande et je retiens mon souffle.

Il sourit : "Un jardin merveilleux, qu'il m'est juste permis de regarder, mais pas de le cultiver. Peut-être bien aussi d'y entrer en cachette, quelques minutes, mais pas d'y vivre comme je le voudrais."

"Tu le voudrais ? Mais tu as dit qu'on ne se connaît pas encore assez..."

"C'est la raison qui dit ça... mais mon cœur dit que peut-être c'est vraiment ton jardin que j'ai toujours rêvé de pouvoir explorer, où j'ai toujours rêvé de pouvoir vivre."

"Pourquoi ? pourquoi moi ?"

Il soupire. Il me regarde avec une intensité qui me fait frémir. Il caresse doucement ma poitrine, à travers les habits.

"Des sensations. Toujours plus fortes. Fortes au point de... de ne pas vouloir... juste jouer, m'amuser, passer mon envie avec toi. Je ne sais pas si tu comprends ce que je veux dire."

"Mais à celui qui a faim... si on ne peut pas l'inviter à déjeuner, pourquoi lui refuser aussi un simple sandwich ?"

Il sourit.

"C'est toi le déjeuner que je désire, mais c'est toi qui ne peut me donner qu'un sandwich, Mario."

"Et... tu ne peux pas... t'en contenter ?"

Il sourit encore et me caresse la joue.

"Tu dis qu'on devrait... s'en contenter ? Moi, avant toi... j'ai eu seulement deux garçons... et, à part eux, aucune aventure. Avec eux... je m'en suis contenté... pour plusieurs raisons. Mais ça n'a pas duré. Peut-être... peut-être que j'en veux trop, je ne sais pas."

"Je cherche la clé..."

"La clé ?"

"De la grille du jardinier, pour te la donner. Mais je ne sais pas si je pourrai la trouver. Mais au moins... même si nous sommes séparés par cette grille fermée... on pourrait quand même se toucher, se parler, rêver... Au moins ça..."

"C'est ce qu'on fait, Mario. Et, tu sais, je pourrais même grimper sur le grillage et sauter dedans... tant que je ne serai pas forcé de ressortir."

"Je... ne voudrais pas que tu ressortes jamais, si tu entrais..."

"Ni moi non plus. Mais crois-tu vraiment que je pourrais entrer dans ce jardin et y rester prisonnier avec toi ? Si je pouvais prendre sur mes épaules une partie du poids qui t'écrases... crois-tu que je ne le ferais pas ? Mais comment pourrait-on, devant tes parents et tes trois neveux ? Si l'un de nous était une fille, une femme, on pourrait se marier et partager ton fardeau, mais là ?"

"Tu... m'épouserais ?"

"Pour ce que je connais de toi, j'y penserais sérieusement. Disons que je te proposerais de... nous fiancer. De me présenter à ta famille. Mais est-ce possible ?"

"Non..." je dois admettre. Et je me sens terriblement triste. Et une voix en moi crie que c'est injuste !

Je ferme les yeux pour cacher mon désarroi.

"Alors... nous devons y renoncer ?" je lui demande en me sentant complètement abattu.

"Je ne veux pas... ce n'est pas dit... pas encore. Mais on ne doit pas se faire d'illusions, Mario. Si tu... si tu en as besoin... je pense que ce serait beau si toi et moi... si on faisait l'amour. Je le ferais même là, tout de suite, tellement tu m'attires. Mais je ne crois pas que tu aies juste besoin de... d'une baise. Je me trompe ?"

Je secoue la tête : "Ce n'est pas que tu te trompes. J'ai besoin d'amour... d'en donner, d'en recevoir... Moi aussi je te désire, moi aussi je me sens... enflammé, pour toi, avec toi... Mais c'est vrai, moi aussi j'en voudrais plus."

"Tu crois qu'il m'est facile de... de ne pas te déshabiller, de ne pas te porter dans mon lit et de faire enfin l'amour avec toi ?"

"Mais tu veux plus que ça..." je lui dis dans un filet de voix. "Quelque chose que je ne peux pas encore te donner. Mais... mais ne m'abandonne pas, Gian... ne me rejette pas..."

"Je ne crois pas que j'en serais capable, de toute façon. Depuis que je te connais, je ne fais que penser à toi et... à ce que ça pourrait être beau si on arrivait à vivre ensemble et... comme ce serait beau qu'on fasse l'amour."

"Mais... mais qu'est-ce qu'on peut faire ?"

"Tu vois, Mario, peut-être... peut-être que je ne t'aime pas encore vraiment et que c'est pour ça que je vois encore les obstacles. Et que pour ça je ne me jette pas encore à corps perdu dans ce qui pourrait être une belle histoire... Peut-être suis-je juste en train de tomber amoureux de toi... mais je ne le suis pas encore assez... Tu comprends ?"

Je fais oui de la tête. Bien sûr, je comprends, même si je préférerais ne pas comprendre.

"Je regrette de t'avoir rendu triste, Mario... J'aimerais tant pouvoir faire quelque chose pour toi... pour nous..."

"Mais je dois être le premier à faire quelque chose pour moi... pour nous. Pas vrai ?"

Il acquiesce. Il me prend dans ses bras et me serre contre lui. Il pose un baiser sur mon cou. Mon dieu comme je me sens bien entre ses bras, malgré ce qu'il m' dit.

"Es-tu honnête avec moi ?" je lui demande en rouvrant les yeux et en le regardant.

Il semble étonné par ma demande. "Oui, bien sûr. Pourquoi ?"

"Tu n'est pas en train d'essayer de me larguer parce qu'au fond je ne t'intéresse pas ? Dis-moi la vérité, je t'en prie."

"Tout ce que je t'ai dit jusque là est la vérité : je te désire, tu me plais, je n'ai aucune intention de te larguer. Juste, je vois encore les difficultés qui nous empêchent d'être vraiment ensemble. C'est pour ça que, honnêtement, je t'en ai parlé."

"Mais on ne pourrait pas... essayer de... de voir si..."

Je me rends compte que je m'agrippe à lui et je ne sais pas si c'est juste, si je fais bien, si je ne vais pas l'épouvanter à agir ainsi. Je me sens terriblement agité et incertain...

"Bien sûr qu'on pourrait." me dit-il avec un sourire tendre, qui descend en moi comme un baume.


19 heures 30

Je suis à la maison. Je prépare le dîner. Silvia me fait la tête, sans doute parce que je suis parti. Mais je me sens... comment ? Bien, je dirais.

On n'a pas fait l'amour. Mais on s'est embrassés encore deux ou trois fois. On s'est caressés... un peu "plottés"... Et on s'est donné rendez-vous pour mercredi matin.

Je ne veux pas le perdre. Non ! Je dois trouver le moyen... je dois faire quelque chose... Les idées, les solutions se bousculent dans ma tête, certaines définitivement absurde, invraisemblables.

Le téléphone sonne. Laura court répondre. C'est Daniel et elle le salue d'un "papinou !" vrillant. Comme d'habitude j'entends que les trois monstres essaient de s'arracher le combiné pour parler à leur père.

Laura vient à la cuisine : "Papa veut te parler."

J'allais y aller quand j'ai une idée : "Dis-lui que là je ne peux vraiment pas... qu'il m'appelle sur mon portable vers onze heures. Sur le portable, c'est clair ?"

"Oui, j'ai compris."

Bien, au moins une idée qui prend forme, entre les autres.


23 heures 06

Je suis dans ma chambre, après avoir couché les trois petits. Assis, mon portable en main, j'attends. J'ai très bien préparé le discours que je vais faire à Daniel.

Ça sonne et je bondis presque au bord du lit.

"Daniel ?"

"Oui. Comment ça va ?"

"Écoute." Je dis, bien décidé à affronter tout de suite l'argument. "Quelque chose doit changer ici..."

"Papa m'a appelé pour me dire que... que tu es..."

"Je me suis rebellé ! Avant de travailler du chapeau. J'aurais dû le faire dès le début, Daniel. Et c'est de ça que je dois te parler."

"Oui ?" dit-il hésitant : peut-être soupçonne-t-il qu'il en reste pour lui aussi.

"Tes enfants ont besoin de toi : il suffit de voir comme ils s'arrachent le téléphone quand tu appelles... Tu leurs manques."

"Ils me manquent aussi, qu'est-ce que tu crois ? Mais tu sais bien que..."

"Que tant qu'il y quelqu'un pour prendre soin d'eux, tu fais ta vie. Mais si je n'étais pas là ? Tu ferais quoi ? Tu les mettrais en pension ?"

"Mais tu es là, grâce à dieu."

"Moi, grâce à dieu, je suis athée ! Daniel, t'es-tu jamais demandé à quel point ils te limiteraient si tu devais t'en occuper ?"

"Si, bien sûr."

"Parfait, alors tu as une idée de combien ils me limitent, moi ? Et ce sont tes enfants, c'est toi qui leur as donné le jour, pas moi."

"Mais... je ne pourrais pas les emmener ici. Et venir travailler là... c'est loin d'être chose facile, tu devrais le savoir."

"Mais moi j'ai besoin de faire ma vie. Oh, tu es généreux de dire que quand ils seront grands tu les reprendras et tu me laisseras tout quand papa et maman ne seront plus... combien de temps ? Dix ans ? Vingt ? Et je dois balancer dix, vingt années de ma vie ? de ma jeunesse ?"

"Mais Mario... ils sont trop petits pour les emmener ici, ce serait un traumatisme et..."

"Un traumatisme pour toi ? Non, je ne te dis pas de les emmener là-bas. Et même si tu cherchais un travail ici, je ne sais pas quand tu le trouverais. Mais je veux ma liberté, Daniel. Je veux... non, je dois faire ma vie !"

"Oui... je comprends... mais..."

"Bien sûr que non, tu ne comprends pas !"

"Mais que puis-je faire ?"

"Deux choses. Primo, venir ici tous les week-ends et les passer avec tes petits et me laisser libre. Secondo, payer une baby-sitter pendant la semaine, de façon à ce que je puisse reprendre mon souffle. Et Tercio, convaincre papa qu'il doit prendre une infirmière pour maman, et à lâcher ses sous, qui ne manquent pas. Je veux pouvoir passer la nuit dehors quand j'en ai envie. Deux... trois femmes qui fassent des postes."

"Mais.. oui... je comprends, mais... ce sera cher, trois femmes..."

"Tu gagnes très bien ta vie, papa a plein de fric en banque ! Arrangez-vous. C'est ça ou... ou je quitte vraiment la maison et je vous laisse dans la merde. C'est clair ?"

"Mais qu'est-ce qu'il te prend, si à l'improviste..." il me demande, mais sans défi ni colère dans la voix, je dirais plutôt complètement perdu.

"Quand on tire trop sur une corde, c'est justement à l'improviste qu'elle casse, Daniel. Et tu veux savoir pourquoi si à l'improviste ? Si tu es curieux je te le dis..."

"Oui..."

"J'ai peut-être trouvé un garçon... enfin un homme, il a sept ans de plus que moi. Il m'aime bien, moi aussi, mais nous ne voulons pas qu'une baise de temps en temps et à la va-vite. Alors que veux-tu, que je parte à sa recherche dans vingt ans ? Non ! Je le veux maintenant !"

"Ah."

"C'est tout ce que tu as à dire ?"

"Non, mais... Non, je te comprends, mais..."

"Mais quoi ? Si je me faisais une fille ce serait sans doute plus simple, à part que rares sont celles disposées à se marier à six personnes ! Tu l'as dit, pour toi aussi c'est difficile de trouver une femme qui prenne en charge trois enfants pas à elle, non ? Bon, et bien pour nous les gays il en est exactement de même."

"Alors... tu veux partir de la maison ?"

"Je ne sais pas. Pas tout de suite, de toute façon, mais ce n'est pas exclus. Mais je veux me mettre en position de pouvoir le faire, et puis pour l'instant d'avoir plus de temps libre... beaucoup plus de temps libre. C'est clair ? C'est ça ou... ou je pars vraiment."

"C'est du chantage..."

"Oui, appelle ça comme ça, si tu ne comprends vraiment pas. Moi j'appelle ça un combat de libération ! Et j'aurais dû m'y mettre il y a trois ans, Daniel. Je vous ai déjà offert trois ans de ma vie... et quand je dis trois ans je parle de vingt quatre heures par jour et trois cent soixante cinq jours à l'année, bordel !"


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