Sans répondre, le garçon se coucha sur le ventre, mit sa joue en sueur sur ses bras croisés et ferma les yeux. Il n'y avait pas un souffle d'air, ce jour-lŕ, sur la plage. Le bruit du ressac était quelque chose d'hypnotique et semblait presque le bercer ; il se sentait comme immergé dans une atmosphčre ouatée.
Non loin de lŕ, des voix retentissantes d'enfants qui se poursuivaient, qui barbotaient dans l'eau, qui jouaient heureux. L'appel préoccupé d'une mčre : "Ne va pas trop au large, Isidore, c'est dangereux !" Et la réponse agacée de l'enfant, "Mais oui, oui, maman !"
Freddy pensa paresseusement qu'heureusement sa mčre ne l'avait pas appelé Isidore : il haďssait ce nom. Il se demandait pourquoi il lui était si désagréable, mais il ne pouvait pas trouver la réponse. Il chercha dans sa mémoire si par hasard dans le passé, il avait connu quelque Isidore haineux, mais il lui sembla qu'il n'y eűt personne avec ce nom.
"Douglas, y a-t-il encore un peu d'eau dans le sac ?" Entendit-il sa mčre lui demander.
"Non, Joy ; veux-tu que j'aille en acheter une bouteille ?"
"Tu serais si gentil ?" demanda la mčre avec le ton charmeur qu'elle avait l'habitude d'utiliser quand elle voulait obtenir quelque chose.
"D'accord, ma sŚur." répondit l'homme.
Freddy se demanda pourquoi sa mčre et son homme s'appelaient souvent sŚur et frčre... Cela ne le dérangeait pas, il trouvait simplement ça drôle. En outre, męme si Douglas lui avait pratiquement servi de pčre, il ne réussissait pas ŕ l'appeler papa... Joy et Douglas s'étaient mis ensemble quinze ans auparavant, quand il avait seulement trois ans. Douglas lui plaisait, c'était vraiment un homme bien. Et il était aussi bien fait...
Douglas revint, tendit la bouteille ŕ Joy et une canette de jus pour Freddy. "Voilŕ, tu dois t'hydrater un peu. J'ai trouvé le jus de poire que tu aimes."
"Merci, Douglas." dit le garçon, se tournant et s'asseyant ; il tendit la main et en prenant la canette froide il sentit une vague sensation de plaisir. Avant de l'ouvrir il se la passa d'abord sur le front, puis sur sa poitrine. Il frissonna agréablement.
"Et pour toi, tu n'as rien pris, frčre ?" lui demanda Joy pendant que l'homme s'asseyait ŕ côté d'elle.
Douglas répondit avec un haussement d'épaules, et dit : "Donne-moi une cigarette, allez ! Oů allons-nous déjeuner aujourd'hui ?"
"Que diriez-vous si nous revenions ŕ ce petit restaurant qu'il y a vers Warkworth Castle ?" demanda Joy.
"Oui, pourquoi pas ? Ça te va, Freddy ?"
"Oui, on mange bien, lŕ..." répondit le garçon, se souvenant du beau garçon qui les avait servis la derničre fois.
Tout en sirotant le jus de poire, Freddy regardait oisivement les tatouages de style celtique qui ornaient le corps de Douglas. Il pensait qu'il devait avoir dépensé une fortune pour les faire faire, si complexes et si nombreux. Ils étaient vraiment beaux, trčs bien faits, artistiques, mais Freddy n'aurait pas aimé se les faire tatouer. Il en avait un seul, petit et sur une partie du corps habituellement bien cachée. Il se l'était fait faire quelques mois auparavant, quand ils étaient ŕ Londres... ni sa mčre, ni Douglas n'en avaient connaissance, pensait-il, rigolant intérieurement.
Il se leva pour aller jeter la canette vide ŕ la poubelle. Il passa devant un garçon qui devait avoir son âge. Il avait les cheveux courts comme lui, mais c'était un garçon aux cheveux noirs, vętu seulement d'une paire de shorts blancs, il était assis sur une serviette rouge et était plongé dans la lecture d'une bande dessinée.
"Mmmhhh mignon..." pensa Freddy.
Sur le chemin de retour il passa de nouveau devant ce garçon, et celui-ci leva les yeux de ses bandes dessinées. Leurs regards se rencontrčrent, mais seulement pour un instant, parce que Freddy passa au-delŕ. Cependant, il eut le temps de remarquer qu'ils étaient d'un gris-vert clair, incroyable. Il pensait qu'il était toujours, et surtout, attiré par les garçons bruns, peut-ętre parce qu'il était blond.
Il revint s'asseoir et il vit que Douglas était en train de refaire les tresses ŕ sa mčre. Il pensa qu'ils étaient trop mignons, quand ils s'occupaient l'un de l'autre. Oui, ils formaient un trčs joli couple. Ŕ ce moment lŕ, Douglas avait une drôle d'expression parce que, ayant ses mains occupées avec les cheveux de Joy, il tenait sa cigarette d'un côté des lčvres et, en gardant l'Śil fermé parce que la fumée l'importunait.
Freddy s'allongea sur le ventre, posant son menton sur ses bras croisés. Il regarda autour, paresseusement. Ŕ gauche il y avait un jeune couple ŕ moitié enlacé. Lui, était assis avec les jambes un peu écartées et il avait le costume de bain bien rempli tel que mčre nature l'avait fourni. Il souleva les yeux jusqu'ŕ en regarder le visage... il était banal. "Eh bien," pensa-t-il amusé, "s'il avait été beau j'aurais regretté qu'il aime les filles ; c'est mieux ainsi."
Il regarda vers la droite et vit le garçon aux cheveux noirs d'avant... Vraiment mignon, trčs ! Et le garçon aux cheveux noirs le regardait avec une expression absorbée. Ou il n'avait pas réalisé que Freddy le regardait, ou il ne s'en souciait pas. Dommage qu'il porte ces shorts blancs, souples, qui ne laissent pas deviner quelque chose entre ses jambes... Mais il avait un corps vraiment beau et un beau visage. Le garçon continuait de le regarder...
"Il doit juste ętre curieux, ou peut-ętre... peut-ętre qu'il aime les garçons lui aussi ?" se demanda Freddy. Avec celui-ci il aurait volontiers fait un tour... męme plus d'un, s'il était partant et s'il savait baiser comme il se doit. Cette pensée causa tout de suite ŕ Freddy une belle érection, et il la sentit pousser contre son maillot de bain et contre la serviette sous lui.
Le garçon continuait ŕ le regarder. Immobile. Il était assis sur sa serviette rouge sur le sable, ses genoux relevés, ses bras autour des genoux. Freddy pensa que peut-ętre le garçon n'était pas vraiment intéressé par lui, mais qu'il regardait simplement dans sa direction, perdu dans le vide, qu'il était plongé dans dieu sait quelles pensées, et que par hasard sa tęte était tournée vers lui...
Une famille passa entre lui et le brun, et en marchant souleva un peu de sable qui alla sur sa tęte.
"Hey !" Protesta-t-il, se levant un peu sur un coude et brossant avec une main le sable de ses cheveux.
La petite famille avança sans męme avoir remarqué ce qui était arrivé.
Freddy regarda de nouveau le garçon aux cheveux noirs : il était toujours immobile dans la męme position.
"Les gens ne font pas attention aux autres." dit Freddy, se tournant vers lui.
Le garçon aux cheveux noirs ne réagit pas, et cela fit penser ŕ Freddy, comme il l'avait supposé, que peut-ętre il n'était pas vraiment en train de le regarder. Il se coucha de nouveau, le regardant toujours. Le garçon aux cheveux noirs leva le bras et il se passa les doigts dans les cheveux. Puis il atteignit le sac ŕ côté de lui et en sortit une bouteille de crčme solaire, qu'il commença ŕ étaler soigneusement sur tout son corps.
Lorsque Freddy vit les contorsions que le garçon faisait pour l'étaler aussi sur son dos, il pensa se lever et aller lui offrir de la lui étaler, mais il ne bougea pas.
"Tourne de l'autre côté, Freddy !" dit la mčre.
Le garçon ne voulait pas se tourner, parce qu'il voulait continuer ŕ regarder ce garçon aux cheveux noirs, mais il savait que sa mčre avait raison, si on ne veut pas se brűler, donc ŕ contrecŚur, il se tourna sur le dos.
"Mais sais-tu, ma sŚur, que parfois tu nous les casses ?" déclara Douglas, mais avec un sourire.
"Bien sűr que je le sais. Mais avoir ŕ traiter avec deux hommes, ce n'est pas une petite chose ! Si je n'étais pas lŕ... vous seriez tous les deux perdus ! Surtout toi, mon frčre !"
Les deux continučrent ŕ se taquiner et Freddy les regarda en souriant, amusé. Oui, il était vraiment bien avec ces deux-lŕ, avec la mčre et son homme. Peut-ętre parce qu'ils étaient presque toujours de bonne humeur, peut-ętre parce qu'ils le comprenaient... Il se demanda comment ça serait si au lieu de Douglas son vrai pčre était lŕ ? La mčre n'avait jamais beaucoup parlé de ces choses avec lui, męme s'il aurait aimé en savoir plus. Mais il comprit vite qu'elle ne voulait pas en parler, donc il ne lui avait presque jamais demandé quoi que ce soit.
Une fois, quand il avait douze ans, il lui avait demandé si elle avait une photo de son pčre.
"Non... quand il est parti, quand il m'a largué, je les ai jetées tout de suite."
"Cela m'aurait plu de voir comment il était..."
"Regarde dans le miroir... tu as tout pris de lui. Plus tu grandis, plus tu lui ressembles. "
"Ça te dérange ?"
"Que tu lui ressembles ? Mais non... c'était un trčs bel homme. "
"Plus que Douglas ?"
"Oui, un peu ... mais j'aime Douglas. As-tu fait tes devoirs ?"
Freddy comprit que cette question était une façon de lui dire qu'elle ne voulait pas continuer ŕ parler de son pčre.
Quand il eut quinze ans, il lui demanda : "Pourquoi mon pčre est parti ?"
Joy l'avait regardé un long moment avant de répondre. Puis elle fit un soupir et dit : "Parce que c'était un mec immature... il ne pouvait pas prendre la responsabilité d'une famille. Il a bien fait de s'en aller. De toute façon, il n'était pas souvent ŕ la maison, ŕ cause de son travail."
Le pčre, en fait, était un marin de la marine marchande.
"Pourquoi tu t'étais mise avec lui ?" demanda Freddy.
"Parce que... parce que c'était un homme trčs beau, et... sympathique... et aussi parce qu'il baisait bien. Voilŕ. Un peu trop peu, cependant, pour quelque chose de sérieux. Peut-ętre que nous étions trop jeunes aussi. Il était certainement immature, męme si on avait le męme âge. Tu as acheté les nouvelles partitions ?"
Une question sur un tout autre sujet pour lui dire, comme elle avait coutume de le faire, qu'elle n'avait pas envie d'en parler. Surtout parce qu'elle-męme les avait vues, les nouvelles partitions...
Douglas s'était mis avec sa mčre quand il avait trois ans. Il avait été et était un pčre excellent, pour Freddy, męme s'il n'arrivait pas ŕ l'appeler papa. C'était Douglas qui les avait pris dans sa roulotte, une plus petite que celle qu'ils avaient ŕ présent, et qui leur avait appris ŕ jouer, d'abord ŕ Joy puis aussi ŕ Freddy dčs qu'il fut assez grand pour jouer. En fait, Douglas, et maintenant tous les trois, gagnait sa vie en jouant, tournant dans tout le Royaume-Uni. C'était un Ť musicien de rue ť trčs doué.
Ils gagnaient bien, męme s'ils n'étaient pas riches. Ils gagnaient bien parce qu'ils étaient tous les trois trčs doués pour la musique. Maintenant, cela faisait quatre ans qu'ils allaient passer le mois d'aoűt ŕ Amble, Northumberland. Le jour ils profitaient de la plage et en soirée ils allaient jouer sur la place de la petite ville.
Le Northumberland a quelques-unes des plages les plus propres de toute l'Angleterre, et l'ensemble de ses plages les plus importantes avait été approuvé par l'Agence de l'Environnement pour l'extręme propreté de leurs eaux et des plages. Et la plage d'Amble, une petite ville ŕ l'embouchure de la rivičre Coquet, un centre de moins de 6000 habitants, était intacte et était la plus propre de l'ensemble du comté. Il y avait aussi des piscines d'eau de mer entre les rochers, ŕ l'abri d'une longue série de dunes. On ne voyait pas d'ordures autour, les gens étaient polis, le service de propreté et de contrôle municipal impeccable. Il n'y avait pas trop de gens, mais toutefois un bon nombre de touristes.
Peu de temps avant d'arriver ŕ Amble, pour ses dix-huit ans, Douglas et Joy lui avaient donné une guitare acoustique classique douze cordes, une belle Fender, pas électrique. Il ne s'attendait vraiment pas ŕ recevoir un cadeau si merveilleux, et il en fut ému. Il n'avait pas encore appris ŕ en jouer en en exploitant tout le potentiel, mais il était en train de vite s'améliorer. Il aimait jouer, et il avait un vaste répertoire, adapté ŕ toutes les occasions.
Douglas regarda sa montre : "Que diriez-vous si nous allions manger ?" Demanda-t-il.
Ils se rhabillčrent. Freddy en profita pour se retourner, comme fortuitement, pour regarder vers le joli brun. Il était toujours lŕ, et le regardait. Leurs yeux se rencontrčrent et cette fois le garçon aux cheveux noirs détourna les yeux et Freddy eut l'impression qu'il avait légčrement rougi. "Donc, il était toujours en train de me regarder... ou de nouveau... Je pense que ce beau garçon est un pédé, comme moi !" Se dit Freddy, amusé.
La plage laissée, ils prirent leurs trois vélos, qu'ils avaient enchaînés ŕ un réverbčre de la rue longeant la rivičre, ils y fixčrent les sacs et allčrent vers Warkworth, en prenant la A1068, en pédalant tranquillement.
Oui, il aimait Douglas, pensait-il, comme il pédalait derričre lui. Quand il avait seize ans et leur avait dit qu'il avait compris ętre gay, retenant son souffle en attente de leur réaction, aprčs un bref silence sa mčre lui avait demandé, d'un ton calme : "En es-tu sűr ? Tu es encore si jeune..."
"Oui, maman, je suis sűr..." répondit-il, continuant ŕ regarder de l'un ŕ l'autre, en attente de leur réaction.
Douglas avait éteint sa cigarette dans le cendrier, et il avait acquiescé en hochant la tęte. Tout simplement. Joy avait tendu la main vers lui, la mit sur sa main dans une sorte de caresse légčre, et demanda d'une voix basse, gentille : "Et... ça va bien, pour toi ?"
"Oui, maman, ça va bien pour moi."
"Eh bien, ça c'est important." Avait dit alors Douglas, hochant la tęte ŕ nouveau. Puis il demanda : "Mais as-tu déjŕ essayé... les deux possibilités ?"
Au début, Freddy avait pensé que Douglas lui demandait s'il avait déjŕ essayé de le mettre et le prendre, et ça lui semblait une question un peu trop intime.
Comme s'il avait compris le malentendu, peut-ętre ŕ l'expression du garçon, Douglas ajouta : "Avec les garçons et les filles, je veux dire..."
"Oui quelques fois... donc j'ai compris." dit Freddy, en faisant un sourire timide. "Avec les filles... rien. Avec les garçons, au contraire... "
"Rien du tout, avec les filles ?" avait alors demandé la mčre .
"Rien." Freddy avait confirmé, se sentant un léger sentiment de culpabilité, ou peut-ętre de honte.
"Eh bien... Reste juste loin de lui, frčre..." dit alors la mčre ŕ voix trčs basse.
L'homme l'avait regardée avec une expression étonnée, puis d'un ton presque offensé, avait protesté : "Depuis que je suis avec toi, je n'ai jamais essayé, soit avec des filles ou des garçons, sŚur, et tu le sais !"
Freddy les avait regardés étonné : il n'a jamais soupçonné que Douglas pourrait aussi aimer les garçons, qu'il était bisexuel. Il se demanda si c'était pour cela qu'ils ne s'étaient pas mariés... Portant non, ils semblaient ętre d'accord en amour.
Douglas avait remarqué l'expression étonnée du garçon. "Eh bien... tu le sais maintenant, Freddy. Oui, avant de me mettre avec ta mčre, ça m'allait bien de me balader sur les deux côtés de la rivičre... Maintenant, en revanche, seulement avec ta mčre."
"Ne le lui dis pas d'un air si désolé, frčre !" Lui avait répliqué Joy, mais avec un sourire.
"Non, pas désolé, absolument pas. Tu me suffis ma sŚur, tu le sais. "
"Et toi ŕ moi." Chuchota Joy, heureuse, et ils avaient échangé un baiser.
Freddy pensait qu'ils étaient vraiment adorables. Et il était ŕ la fois heureux et surpris qu'ils aient pris si tranquillement la nouvelle.
Alors la mčre lui demanda : "Mais... as-tu un petit ami ?"
"Mais comment pourrais-je en avoir, si nous sommes toujours en tournée ?" répondit Freddy.
"Douglas aussi était toujours en tournée quand je l'ai rencontré. Pourtant, on s'est mis ensemble, n'est-ce pas ?" dit la mčre. "Il a fallu les trois jours oů il s'était arręté ŕ Gloucester pour me donner envie de tout laisser tomber, ramasser nos affaires et nous installer dans sa caravane."
"Tout le monde n'est pas fou comme vous, madame Stone..." rétorqua Freddy, avec un doux sourire. Puis il lui demanda : "Mais tu le savais que pour lui... que Douglas allait autant avec les garçons qu'avec les filles ?"
"Oui, quand il m'a demandé si nous voulions aller avec lui, il m'a dit que, avant de décider, je devais savoir une chose et il me l'a dit. Je lui ai alors répondu que ça ne m'importait pas, mais que si nous nous mettions ensemble, je ne voulais pas le partager ni avec des filles ni avec des garçons. Douglas me l'a promis. Et il a tenu sa promesse."
"Comment peux-tu en ętre si sűre, ma sŚur ?" Lui demanda Douglas avec un sourire, entre amusé et espičgle.
"Je te connais, je sais que tu n'as qu'une parole. Dans un premier temps, de toute façon... je te tenais ŕ l'Śil, je l'avoue. Mais aprčs... "
"Aprčs tu as arręté. Oui, je m'en suis aperçu. C'est pour ça que je t'avais offert la parure aztčque..." répondit Douglas, la tirant pour l'asseoir sur ses genoux.
"Ne me dis pas que... que tu me l'avais donné pour ça." dit Joy, en lui appuyant sa tęte sur l'épaule et le caressant.
"Il n'y en avait pas besoin..." répondit Douglas, tournant la tęte pour l'embrasser.
Freddy alors se leva et sortit de la caravane, pour les laisser seuls, se sentant euphorique et soulagé. Il avait pensé qu'il lui plairait de le faire avec Douglas... qui était vraiment un bel homme. Mais il n'avait jamais essayé, jamais, et męme pas Douglas avec lui. Parce que, aprčs tout, ils étaient vraiment comme pčre et fils.
Quelques mois aprčs son Ť coming-out ť avec la famille, Freddy avait ŕ nouveau parlé avec Douglas. Il lui avait demandé quand et comment il avait compris qu'il aimait les garçons et les filles.
"Dčs la premičre fois..." répondit l'homme. "Je faisais la cour ŕ une fille qui m'attirait beaucoup... elle avait un frčre jumeau gay... et elle me dit que c'était ou avec les deux, ou rien ŕ faire. Et alors..."
"Quel âge avais-tu ? Et les jumeaux ?"
"J'avais seize ans, et eux dix-neuf."
"Et tu as aimé tout de suite avec les deux ? Et vous l'avez fait ŕ trois ?"
"Non, d'abord avec lui, puis avec elle. Oui, j'ai beaucoup aimé avec les deux."
"Lequel t'avait plu le plus ?"
"Je ne saurais pas te dire. C'étaient deux expériences différentes, mais belles, au moins pour moi."
"Moi, la premičre fois, je me sentais tellement... tellement gęné ! C'était une fille de quinze ans... mais elle était déjŕ experte... "
"Et la premičre fois avec un mec ?"
"Pareil, au début, j'étais trčs embarrassé. Mais alors... alors je me suis aperçu que les filles ne m'intéressaient pas."
"Tu l'as fait seulement avec cette fille ou avec d'autres ?"
"Deux autres, juste pour ętre sűr."
"Et avec les garçons ? Combien ?"
"Eh bien... peut-ętre dix, je ne sais pas, je devrais y réfléchir..." répondit Freddy, se sentant rougir.
"Mais jamais rien de... de sérieux ?"
"Non. On est toujours en mouvement. Au plus deux ou trois fois avec le męme. Et puis, il y a du temps pour les choses sérieuses... Tu avais vingt-huit ans quand tu t'es mis avec maman, non ?"
"Oui."
"Et avant... tu n'as jamais été amoureux ?"
"Un amour de gamin. J'avais dix-huit ans..."
Freddy rit : "Alors, je serais un gamin ?"
Douglas sourit, et continua : "... mais je ne voulais pas qu'elle sache. Des gens de famille bourgeoise, un type marginal comme moi ça n'allait pas bien. Je lui avais suggéré de s'échapper avec moi. Mais elle ne le sentait pas."
"Maman, dans un sens, a fui avec toi..."
"Bon, mais elle avait vingt-cinq ans, et était libre."
"Pas vraiment : elle m'avait..."
"Tu faisais partie du paquet : ou tous les deux ou rien. Quoi qu'il en soit, tu n'étais pas un morveux casse-couilles, tu étais mignon, trčs vif mais bien élevé, je t'ai aimé tout de suite. Nous nous sommes liés trčs vite, toi et moi."
"Je suis content que tu sois avec maman. Mais... cela ne te manque pas... jamais une aventure ? Un... un garçon ?"
"Non. Lorsque l'amour est lŕ pour de vrai, il n'y a pas de place pour un autre ou une autre."
"Pourquoi ne vous ętes-vous jamais mariés ?"
"Quel besoin y a-t-il ? Le mariage est juste un contrat légal ; il n'a rien ŕ voir avec l'amour, ŕ mon avis. Quoi qu'il en soit, Joy n'est pas intéressée. Mais si elle me le demandait... je l'épouserais."
"Pourquoi tu l'appelle sŚur, parfois ?"
"Ça a commencé comme une plaisanterie, quand nous avons découvert la coďncidence d'avoir le męme nom de famille Stone... Et puis, un peu comme le faisaient entre eux les enfants des fleurs, tu vois... Et nous avons pris l'habitude, et ainsi..."
"Avant ou aprčs avoir baisé la premičre fois ?" Lui demanda Freddy.
Douglas le regarda en soulevant un sourcil, puis il haussa les épaules : "Avant... Juste avant... C'était l'amour ŕ premičre vue... pour tous les deux... Aprčs moins d'une heure... nous étions dans mon camping-car et..."
"Et quand tu lui as demandé de partir avec toi ?"
"Cette premičre fois."
"Tu te sentais si... sűr ?"
"Je dirais que oui. Tu vois, quand tu sens que tu as trouvé quelqu'un qui est vraiment fait pour toi... Et si l'autre sent la męme chose... Y penser et y repenser c'est absolument inutile."
"Cela pouvait mal se passer."
"Ça ne dépendait que de nous deux. Et de toute façon, ça va bien."
"Oui, ça s'est trčs bien passé. Pour tous les trois."
"Bien sűr, pour tous les trois."
"Et... pourquoi vous ne m'avez pas donné un petit frčre ou une sŚur ?"
"Nous faisons de notre mieux, et on a aussi beaucoup de plaisir ŕ essayer... mais il ne vient pas. Peut-ętre que c'est ma faute... qui sait ? Certainement pas de Joy, car elle t'a eu."
"Et... tu ne regrettes pas ?"
"Non... je t'ai toi, non ? Tu me suffis, comme... comme fils."
"Męme si... męme si je ne t'appelle pas papa ?"
"Et ça change quoi ? Tu m'aimes, je t'aime, cela seul compte. Un peu comme pour le mariage, les formalités ne comptent pas."
Freddy était en train de penser ŕ ces choses, tout en pédalant derričre Douglas, et il se sentait insouciant et heureux. Il pensa qu'il avait eu de la chance, tout d'abord d'avoir une mčre comme Joy, puis qu'elle ait choisi Douglas comme compagnon.
Qui sait comment aurait été sa vie si son pčre, Shane Bulwer le matelot, était resté avec Joy ? Ils ne feraient pas les joueurs ambulants... et il aurait vu trčs peu son pčre, qui était toujours en mer. C'est bien mieux ainsi, aprčs tout. Et il aimait ętre un musicien de rue, tournant en long et en large dans le Royaume-Uni. Ils étaient vraiment une belle famille.
Ils arrivčrent au "No16 Restaurant, Bar & Bistro" de Warkworth, dans Bridge Street, ils attachčrent leurs vélos et y entrčrent. Le garçon de la derničre fois vint prendre leurs commandes. C'était un gars sur la vingtaine, mince, mignon, cheveux brun rougeâtre courts et les yeux entre verts et noisettes. Ils ont commandé trois déjeuners fixes ŕ 12,95 livres chacun, comme précédemment. 12,95, pour ne pas dire 13, mais ainsi on se rappeler d'avoir dépensé seulement 12 livres... Freddy le regarda aller ŕ la cuisine pour donner des ordres.
Joy lui donna un léger coup coude : "Le serveur est mignon, non ?" Lui demanda-t-elle
"Uhhh-uhhh" répondit Freddy avec un haussement d'épaules.
"Selon moi... tu lui plais..." dit la mčre trčs doucement. "T'as vu comment il te mate ?"
"Allez, maman ! Tout simplement parce que je suis gay, maintenant je dois ŕ tout prix trouver un mec ?" Demanda doucement Freddy.
Douglas ricana : "Toutes les męmes, les mčres, elles veulent voir les enfants mariés..."
Freddy le regarda avec un sourire : "Eh bien... je ferais bien un essai avec ce serveur..."
"Ah, coquin !" dit Douglas avec un sourire. Puis il ajouta : "Tu peux rester ici, et peut-ętre qu'aprčs son service... Simplement sois ŕ de retour ŕ temps pour le spectacle de ce soir..."
"Mais quoi, tu t'y mets toi aussi ?" Lui demanda Freddy amusé.
"Non, quel rapport ? Seulement si tu veux, pour nous il n'y a pas de problčme... Tu devrais le savoir, non ?"
"Bah, on verra..." dit Freddy ŕ voix basse.
Cependant Joy avait raison : le garçon ne semblait pas quitter ses yeux de lui et Freddy bientôt se sentit un peu excité. Quand leurs regards se croisaient, le mec détournait immédiatement le sien et faisait semblant d'ętre occupé ŕ faire quelque chose.
Le jeu de regards continua pour presque tout le temps du déjeuner. Freddy commença ŕ penser que peut-ętre il pouvait vraiment essayer... Quand ils eurent fini de manger, il se leva sans rien dire et alla prčs du garçon qui nettoyait une table que des clients venaient de quitter.
"Pardon, les toilettes ?" lui demanda-t-il.
"Cette porte..." répondit le garçon en le regardant.
"Ŕ quelle heure tu quittes le service ?"
"Excusez-moi ?"
"Oui, ŕ quelle heure tu es libre ?"
"Euh... euh... dans un peu moins de deux heures..."
"Tu as un lieu ?"
"Un lieu ?"
"Oui, pour... rester un peu ensemble." dit Freddy avec un petit sourire.
"Ah. Eh bien... ensemble..."
"Oui, toi et moi, seuls..."
"Oui... ma chambre... Mais..."
"Ça ne te va pas ?"
"Euh... euh... oui, mais..."
"Mais ?"
Le garçon regarda sa montre, avec un geste nerveux, puis le regarda, puis demanda, ŕ voix basse : "Voulez-vous baiser ? Me baiser ?"
"Bien sűr !"
"Je... attendez-moi au pont. J'habite ŕ proximité..."
"Au pont, bien sűr. Ŕ plus tard. Ah, je suis Freddy. Quel est ton nom ?"
"Kenneth... Je vais essayer de faire vite..."
"Parfait, Kenneth." Dit Freddy avec un sourire satisfait et il alla aux toilettes.
Quand il revint, Douglas payait le déjeuner ŕ la caisse et Joy était déjŕ ŕ la porte qui les attendait. Comme ils sortaient, Douglas lui demanda, avec un sourire complice : "Alors, t'es-tu arrangé avec le beau serveur ?"
"Bien sűr..."
"Bien. Donc, on se voit ce soir sur la place d'Amble. Nous apportons tes instruments. Prends ton temps et amuse-toi bien."
Ils allčrent prendre leurs vélos, se dirent au revoir et tandis que Douglas et Joy rentraient en pédalant, Freddy marcha lentement vers le pont, tenant son vélo ŕ la main. Il se demanda comment passer le temps.
Il arriva ŕ la porte ancienne avant le pont sur la rivičre Coquet et s'assit sur la blanche palissade, ŕ côté du mât du lever des couleurs. Il espérait que cela valait la peine d'attendre prčs de deux heures, et espérait que Kenneth puisse se libérer avant.