ON NE S'EST JAMAIS DIT "JE T'AIME" |
CHAPITRE 4 Dans la tour sarrasine |
"Ici nous serons certainement bien en été..." murmura Libero quand ils furent seuls. "Oui, et nous crèverons de froid en hiver." commenta Alfredo commençant à ranger ses quelques affaires dans l'un des deux coffres bancals qui meublaient la pièce où ils allaient dormir. "Même en hiver, on ne sera certainement pas trop mal. J'ai vu que nous avons une bonne réserve de charbon." "Oui, et deux braseros demi défoncés à garder sous le lit. Je pense que nous devrons dormir vêtus." grommela Alfredo. "Tu sais cuisiner ?" demanda Libero. "Cuisiner ? Non, je ne sais que manger. Et toi ?" "Des choses simples..." "Mais oui, on s'en tirera. Si elle n'était pas si petite, on pourrait dormir dans la cuisine. Cuisine... si on peut appeler comme ça cet antre de sorcières." "Oui, on s'en tirera. On est certainement mieux ici que là-haut dans les tunnels de montagne... creuser et creuser... en espérant être plus malins et plus rapides que les Autrichiens." "Maintenant, voyons à faire un bon nettoyage de... notre palais, comme l'appelait le vieil homme. Ensuite, nous devons partir pour le premier tour du domaine, pour nous rendre compte à quel point il est grand et comment il est fait." "Il dit que nous devons également contrôler le mur d'enclos, pour voir s'il y a des parties à réparer." lui fit remarquer Lino. "Toi, Lino, où veux tu dormir, à droite ou à gauche ?" "Ça m'est égal. Tu choisis. Notre maison était certainement pauvre... mais moins laide que ce trou." "Qu'est-ce que t'en as à foutre ? Nous ne devons pas passer notre vie ici." "Avec l'hiver qui vient... certainement, nous allons passer plus de temps ici dedans qu'à l'extérieur." Alfredo remarqua que Libero enfilait l'intercalaire «certainement» dans presque chaque phrase... et se demanda si cela pouvait être un signe inconscient qui trahissait son incertitude. Une façon de se donner une assurance qu'il ne ressentait pas vraiment. Pendant qu'ils s'affairaient à nettoyer et tâcher de donner une apparence civilisé à cet endroit à demi abandonné, Alfredo suivait du coin de l'œil les mouvements de Libero : ce grand garçon lui plaisait de plus en plus, il se sentait de plus en plus attiré par lui. Il se demanda s'il pourrait faire quelque chose ? Le fait que la veille il lui avait fait comprendre de ne pas avoir encore eu aucun type d'expérience sexuelle, rendrait les choses plus faciles ou plus difficiles ? Ils devaient vivre ensemble... donc il ne devait faire aucun faux pas. Mais il aurait aimé faire quelque chose avec lui... "Qu'as-tu à me regarder ?" lui demanda soudain Libero. Il ne croyait pas que l'autre s'en était rendu compte... "Je tâche de comprendre quel type tu es et si nous nous entendrons, toi et moi, vu que nous devrons passer jour et nuit ensemble." répondit-il, tranquillement. "Nous allons ranger les provisions dans la cuisine. Nous allons voir ainsi ce que nous avons." Ils traversèrent la cour, où l'âne était tranquillement en train de manger son avoine, et entrèrent dans la petite pièce qui servait de cuisine. Sur une étagère, il y avait deux marmites, deux poêles, quatre verres différents les uns des autres, deux carafes, trois tasses, quatre assiettes. "Aujourd'hui, pour déjeuner... que dirais-tu de pâtes avec ail et huile, et un morceau de viande ? Dommage qu'il n'y ait pas de légumes..." dit Alfredo alors qu'ils mettaient sur un plan libre de l'étagère les provisions qu'ils avaient apportées. "Oh, il y a aussi un pot de sauce tomate. Ah, j'ai apporté la napolitaine et un sachet de café. Alors je vais les prendre et les mettre ici." "J'ai une bouteille d'eau de vie. Pour les jours plus froids. Le café... moulu ?" "Non, j'ai aussi apporté le moulin. Fraîchement moulu il est meilleur." "Et le sucre ?" "Non... je le bois amer, d'habitude." dit Alfredo. "Amer je n'aime pas. Et il n'y a pas de sucre dans les provisions..." "La première fois qu'on va acheter des provisions, nous en achèterons un peu. Pour l'instant, tu peux y mettre une goutte d'eau de vie." "Au moins au front ils nous donnaient aussi du chocolat et des cigarettes..." se plaignit Libero. "Et bien nous en achèterons. L'huile semble de bonne qualité, elle a une belle couleur. Et en plus de la tranche de viande, tu vois, il y a aussi du salami et deux formes de fromage. Oh, et aussi un morceau de morue sèche et une boîte d'anchois salés ! On ne va pas mourir de faim..." dit gaiment Alfredo, en continuant à ranger les provisions. "Mais le vin est à nos frais..." "Si je trouve un crayon et un bout de papier, nous écrivons la liste des choses à acheter, quand nous allons faire des provisions." dit Alfredo. "Je ne sais pas écrire. Je sais seulement faire la signature..." "Mais je sais écrire." "Il faut voir si celui qui va faire les provisions sait lire." "Il suffit que le gars de la boutique sache lire." dit Alfredo avec un haussement d'épaules et un sourire. Le rangement fini avant de préparer le déjeuner, ils prirent les fusils, les chargèrent, les mirent à l'épaule et sortirent pour faire un premier tour d'exploration. Ils marchaient côte à côte, en silence, regardant autour pour se familiariser avec les lieux. Libero marchait plus facilement sur un sol inégal entre les arbres, en véritable montagnard. Il avait l'air plus agile que quand il marchait dans la rue, contrairement à Alfredo. Le bois avait besoin d'un bon nettoyage, mais ce n'était pas leur tâche c'était à d'autres à y penser. Ici et là, généralement à côté d'un ruisseau, ils virent les perchoirs en bois où ils devraient porter les sacs de fourrage pour les animaux sauvages, quand arriverait la neige. "Certainement, je préfère être à l'extérieur." dit à un certain moment Libero. "Attends qu'il y ait la neige..." " La neige ne me dérange pas. Il suffit d'être bien couvert. Là-haut à la montagne, certainement, nous en avions pendant des mois. As-tu déjà mangé une tasse de neige avec le café ?" "Non, jamais. Mais elle ne fond pas lorsque t'y verse dessus le café ?" "On utilise du café froid, bien sûr. Froid mais sucré. C'est bon." "Eh bien, quand il neigera nous en ferons." "Attends une minute, je dois me vider..." dit Libero qui alla derrière un arbre. Alfredo attendit. Il entendit le bruit de l'urine... Il aurait voulu aller derrière l'arbre avec l'excuse de pisser lui ainsi, pour le lui voir... mais il ne le fit pas. Il y aura d'autres occasions, se dit-il. Mais cette pensée lui avait procuré une légère érection. Ils rentrèrent, préparèrent à manger et déjeunèrent assis sur les côtés opposés de la petite table dans la cuisine. Libero alors sortit de la poche du manteau militaire une boîte de fer blanc, en sortit une cigarette et l'alluma, tandis que Alfredo faisait du café en plaçant la Napolitaine sur un coin de la grille sur la braise. Comme ils le sirotaient, amer, Libero fit une légère grimace, et Alfredo sourit. "C'est juste une question d'habitude..." dit-il. "Mais si nous achetons un peu de sucre c'est certainement mieux..." dit Libero. Ils sortirent pour faire un autre tour, dans une autre direction. Le domaine de chasse était très vaste. Le long mur d'enclos semblait encore en bon état. Au crépuscule, ils revinrent à la tour sarrasine et se préparèrent le dîner. Puis, la braise éteinte, ils allèrent dans la grande pièce avec les deux lits. Il ne faisait pas encore trop froid, donc ils se déshabillèrent, ne gardant sur eux que les sous-vêtements de laine, et chacun s'enfila sous la couverture dans son lit. Ils éteignirent les lanternes. "Bonne nuit, Lino." "Nuit. J'espère ne pas ronfler..." "Je suis assez fatigué pour ne pas me réveiller, de toute façon." répliqua Alfredo gaiment. Alors qu'ils se déshabillaient, Alfredo avait jeté un coup d'œil vers Libero. Sous la culotte de laine, on devinait le gonflement des génitaux du camarade... et cela l'excita un peu. Pendant qu'il s'endormait, il se demandait comment faire pour combiner quelque chose avec le camarade, qui l'attirait de plus en plus... "Ne précipite pas les choses..." se dit-il : "T'as tout le temps que tu veux, vas-y mollo mollo..." Alors qu'il s'endormait lentement, il caressa sa demi érection qui poussait sous sa culotte. Ainsi commença leur routine, qui se répétait presque identique, tous les jours. Ils étaient là-haut depuis environ un mois. La journée avait été terne, d'épais nuages noirs avaient envahi le ciel. Alfredo avait dit à Libero qu'il sentait la tempête. Pendant le souper Libero dit : "Je me demande pourquoi nous avons tant de noms pour les couleurs, mais pas pour les odeurs ? Nous devons toujours dire odeur de... et quelque chose. Odeur de tempête, comme tu le dis. Rouge, pourpre, violet, carmin, bleu clair... azur, indigo... Autant de noms pour les couleurs... Mais pas pour les odeurs. Pourtant, elles sont certainement importantes. Là-haut, sur le Lagazuoi, il y avait des odeurs de pierre, de poudre et... odeur de peur... Oui, l'odeur de peur. Mais il n'y a pas un nom différent pour chaque type d'odeur. " "Eh oui." Alfredo dit, se coupant une tranche de pain pour bien nettoyer son assiette. "Peut-être parce que contrairement à d'autres animaux, nous avons oublié l'importance des odeurs... nous nous fions plus de notre vue." "Les autres animaux ?" "Bien sûr, nous les humains nous sommes aussi animaux, pas des plantes ou des pierres n'est-ce pas ? Et parfois même des bêtes..." rit Alfredo. "Oui... certainement en guerre, nous devenons tous plus ou moins des bêtes." avait acquiescé gravement Libero. Après le dîner, ils avaient traversé la cour au pas de course : il commençait à pleuvoir, la pluie tombait avec violence. Ils étaient allés se coucher. Ils avaient encore échangé quelques mots et s'étaient endormis, tranquillement. Soudain, au milieu de la nuit, on entendit un tonnerre très fort et juste après la voix de Libero s'était exclamée, dans un gémissement terrifié : "Les Autrichiens... les Autrichiens..." C'était une voix déchirante, comme celle d'un animal blessé. Alfredo abandonna en hâte son lit, traversa en trébuchant la grande pièce, tâtonnant pour trouver le lit du compagnon, avec ses mains il avait senti qu'il était assis sur son lit, et qu'il continuait à gémir, à dire des mots incohérents. Il s'assit à côté de lui et le prit entre ses bras, le tenant étroitement contre lui. Libero tremblait violemment. "Hey, hey, calme toi... Ce n'était que le tonnerre, fort, ici au-dessus... La guerre est finie depuis bien de temps... Calme-toi, Lino... Nous sommes en sécurité ici... Calme toi..." Libero était presque accroupi, se tenant sur lui, ses bras autour de sa taille, sa tête contre sa poitrine, et il tremblait encore. "Allez, calme toi..." répéta Alfredo. Il sentit la légère chaleur du corps de son camarade, ce qui lui procura une forte érection : c'était la première fois que leurs corps étaient si fortement enlacés. Mais il essaya de se contrôler, de ne pas le faire sentir au camarade : il avait besoin de confort, de sécurité, pas d'une baise. Ce n'était sûrement pas le moment de se livrer à ce que depuis quelque temps il sentait de désirer de plus en plus. "Je suis désolé de t'avoir réveillé..." se plaignait Libero, sans bouger de leur étreinte, le tremblement encore perceptible, bien que moins fort. "Mais non, le tonnerre m'a réveillé, pas toi... T'as eu juste un cauchemar, mais il n'y a pas de danger, ici, maintenant. Calme toi, Lino." "Je rêve presque chaque nuit, de la guerre..." "Bientôt, tu arrêteras de la rêver, d'avoir ces cauchemars." "Nous les entendions creuser, creuser, pour nous foutre avant que nous les foutions. Certainement pour nous faire sauter tous en air, comme des rats dans un piège, avant que nous réussissions les faire sauter en air eux." "Histoire du passé, Lino." "Oui... oui... ça passera... Je suis désolé, Fredo, je regrette..." "Mais non, tout va bien..." dit-il doucement, et presque inconsciemment il commença à caresser son dos, mais il arrêta presque immédiatement, parce qu'il sentait qu'il prenait une pente dangereuse. "Dieu, combien je le désire !" pensa-t-il pendant qu'il reprenait avec fatigue le plein contrôle de lui. Il aurait suffi de si peu... le caresser de plus en plus intimement... peut-être même l'embrasser, d'abord comme un ami, un frère, mais puis... puis une chose mène à une autre... Là, dans l'obscurité, sur le lit, à moitié nus, enlacés... Mais il comprenait qu'il ne devait pas le faire. Il lui aurait semblé profiter de lui. À ce moment-là, il avait besoin d'un ami, pas d'une baise, se répéta-t-il. Quand il sentit que le tremblement avait cessé, Alfredo brisa leur demi câlin. "Eh bien... Je vais me rendormir, Lino. Tu te sens mieux, non ?" "Oui, merci. Tu es un ami. Bonne nuit..." À ce moment on entendit un nouveau coup de tonnerre, très fort, mais maintenant Libero ne tremblait plus. En effet, il eut un petit rire embarrassé et répéta, "Bonne nuit, et merci..." "Dors bien, mon ami. Et essaye de ne pas avoir plus de cauchemars." lui dit-il en descendant de son lit. "Si cela ne dépendait que de moi..." Alfredo, encore une fois à tâtons, retourna sur son lit et se glissa sous la couverture. L'érection puissante qui lui était venue en enlaçant Libero, ne semblait pas vouloir s'en aller. Il aurait suffi si peu... se dit-il, mais il sentait qu'il avait bien fait de se contrôler. Il glissa une main sous sa culotte, saisit sa forte érection et commença à se masturber lentement, silencieusement, en imaginant être toujours sur le lit de Libero, de le faire avec lui... Il arrêta graduellement. Il n'arriva pas à l'orgasme, il s'endormit avant. Et pour la première fois depuis qu'ils étaient là-haut, il rêva qu'il était en train de faire passionnément l'amour avec son beau camarade de travail. Il rêva qu'ils étaient sur l'un des deux lits, mais pas dans la grande salle du donjon. Ils étaient sur le lit, mais entre les arbres, en plein jour, les rayons du soleil pénétraient ici et là dans la végétation touffue. Ils étaient nus, enlacés, les membres entrelacés, et ils s'embrassaient avec passion. Libero alors se tournait lentement entre ses bras jusqu'à lui donner son derrière et poussait ses fesses contre l'érection dure, en lui disant sans besoin de mots qu'il voulait être pris. Alfredo commençait à pousser et se sentait glisser dans les canal chaud du plaisir, pendant que Libero gémissait légèrement et il continuait à se pousser contre lui, pour être pénétré plus à fond. Il rêva qu'il commençait à aller et venir dans le canal chaud, serré, avec des poussées plus énergiques, plus déterminées, tandis que Libero à voix basse l'incitait à faire plus fort, à le pénétrer plus à fond. Ils étaient couchés sur leurs côtés, lui derrière son ami, et il agitait énergiquement le bassin, lui faisant tourner un peu le torse afin de pouvoir aussi l'embrasser comme il continuait à le baiser joyeusement et avec croissant plaisir. "Fredo... Fredo... Fredo..." Libero murmurait à voix basse et chaude, pendant qu'il était sur le point d'atteindre le plaisir dans son ami complaisant. "Fredo..." répétait... "Fredo !" il se sentit appeler pendant qu'il se sentait secouer légèrement. Il ouvrit les yeux : Libero était déjà habillé, debout à côté du lit, et le secouait doucement. "Lève-toi, espèce de loir !" dit-il avec un léger sourire comme pour lui présenter ses excuses. "Oh, merde ! Je faisais un si beau rêve et tu m'as interrompu à l'apogée !" murmura-t-il d'une voix épaisse, et il s'assit. "Je suis désolé. Mais il est l'heure... Allez, habille toi, pendant que je vais faire du café. Aujourd'hui, nous devons terminer le tour de la muraille." "Est-ce qu'il pleut encore?" "Non, le ciel se dégage." répondit Libero qui alla préparer le petit déjeuner. Comme il se levait, il se dit que, heureusement, Libero ne lui avait pas demandé ce à quoi il était en train de rêver. Oh, eh bien, il aurait sûrement inventé un mensonge, il ne pouvait pas lui dire que le beau rêve était qu'ils baisaient ensemble! Qui sait comment il aurait réagi s'il le lui disait ? Il ricana et alla dans la cuisine. Une bonne odeur de café l'imprégnait et le léger gargouillis dans le pot semblait mettre l'accent sur sa bonne humeur. "Je regrette, pour cette nuit..." dit Libero pendant qu'il s'asseyait à table et versait du café dans leurs tasses. "Mais non, il n'y a aucun problème. Au moins, ensuite, t'as bien dormi ?" "Oui. Merci, de toute façon." "Et pour quoi ? Mmhh, bon le café, tu es en train d'apprendre à le faire vraiment bien !" "Merci." Ils prirent leurs fusils et sortirent. "J'aime l'odeur de la terre trempée après la pluie. L'odeur des feuilles sèches qui se décomposent. Des fougères... de la mousse..." dit Libero. "Oui, tu as raison. Quand je suis avec toi, je perçois plus les odeurs qu'avant. C'est à dire, avant je n'y faisais pas attention comme maintenant." "Peut-être parce que pour toi, qui étais un paysan, c'étaient juste des odeurs... seulement normales. Pour moi, ça a toujours été différent, parce que je passais plus d'heures dans les entrailles de la terre qu'à l'extérieur. J'aime pouvoir rester ainsi en plein air." Alfredo le regarda et vit qu'il avait un léger sourire sur ses lèvres. Il pensa qu'il était trop beau... oui, vraiment, beau et désirable. Ils s'étaient arrêtés à contempler la vallée, tranquille après l'orage de la nuit. Les derniers nuages étaient en train de s'en aller, balayés par un léger vent froid. "Oui, ça me plaît certainement de rester ainsi en plein air..." murmura Libero, dans un ton presque rêveur. "Et avec un bon ami à côté de moi."
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