ON NE S'EST JAMAIS DIT
"JE T'AIME"
CHAPITRE 22
Les enfants grandissent

Apparemment, à la maison Norzi, la vie avait repris comme avant. Tant Cecilia que sa mère ainsi que Libero, avaient réussi à se mettre le masque de la normalité, assez pour tout le monde. Le père de Cecilia ignorait l'incident. Le seul changement visible fut que le lit matrimonial avait été divisé en deux lits simples. Et la photo de Libero avec Alfredo disparut de la salle de séjour.

Un autre changement fut que Libero cessa ses réunions secrètes avec Pietro. Cependant, il continua à aller chez le docteur Fazzini, trois ou quatre fois par an, pour se faire donner la fausse demande d'analyse... et donc il continua à se rencontrer, de temps en temps, avec Alfredo. Ils avaient recommencé à faire l'amour. Maintenant, c'était la seule occasion où Libero avait un peu de sexe donc, si possible, leurs rencontres intimes étaient devenues encore plus passionnées que jamais.

Mais graduellement Libero se rendit compte que les jumeaux, Maurizio et Massimo, étaient en train de se détacher de lui, ils le cherchaient moins, ils semblaient devenir plus fermés et froids. Seul Alfredino continuait à être affectueux et tendre avec son père.

Un soir, comme Libero était dans le salon avec les enfants et Cecilia dans la cuisine finissant de préparer le dîner, Libero leur demanda de ranger leurs affaires et de mettre la table.

Maurizio regarda avec un air de défi et dit : "Prépare-toi la table, je n'en ai pas envie !"

"Et moi non plus !" ajouta Massimo tout de suite.

"Les garçons, nous sommes une famille ou non ? Ce que nous avons envie de faire ou pas, importe peu. Nous devons nous aider les uns les autres. Maintenant, vous devez préparer la table. Je dois finir d'huiler les gonds de la porte. Allez, arrêtez et mettez la table."

"Je mets la table, papa..." dit Alfredino.

"Vous devez mettre la table tous les trois, il est pas juste qu'ils continuent à jouer et toi..."

"Peu importe, papa." dit Alfredino en souriant.

"Il importe oui. Obéissez tout de suite, vous deux !" dit sévèrement Libero.

"Mais va au diable !" lui répondit Maurizio.

Libero resta de pierre : jamais ses fils ne s'étaient adressés à lui de cette façon. Cecilia, qui avait entendu de la cuisine, arriva tout de suite au séjour et donna une gifle à Massimo, pensant qu'il avait répondu à son père ainsi.

"Mais maman ! Qu'ai-je fait ?" protesta le garçon.

"On ne répond pas ainsi à votre père ! Honte à toi !"

"Mais je ne l'ai pas envoyé au diable ! C'était Maurizio !"

Cecilia alors donna une gifle aussi à l'autre jumeau et dit : "De toute façon, vous avez tous les deux désobéi. Dans cette maison, qui ne respecte pas les autres, ne mange pas, c'est clair ? Ni papa ni moi ne vous avons jamais envoyé au diable, et autant votre père que moi nous avons toujours fait tout ce que qu'on pouvait, et même plus, pour vous ! Honte à vous. Allez immédiatement dans votre chambre, ce soir au lit sans dîner !"

"Mais maman..." protestèrent les jumeaux en chœur.

"Mais maman, rien ! Allez, ou je prends la tapette, et je la repasse sur vos fesses. Dehors !"

"Je mets la table, maman..." insista Alfredino.

"Merci, mon trésor. Bientôt à table. Quand tu as mis la table, tu vas appeler les grands-parents et leur dire que c'est presque prêt."

"Oui, maman."

Quand les grands-parents arrivèrent et se mirent à table, Gemma demanda : "Maurizio et Massimo ? Va les appeler, Alfredino."

"Non, maman. Je les ai envoyés au lit sans dîner."

"Et qu'est-ce qu'ils ont fait ?"

"Ils ont désobéi à leur père et lui ont mal répondu."

"Mais ce sont juste des enfants..." dit le grand-père.

"Non, Cecilia a raison." dit tout de suite la grand-mère.

"Mais tu le sais qu'à leur âge..." insista le grand-père.

"Ce qui est décidé, est décidé. En dehors du fait que Cecilia a bien fait, on ne dit pas avant une chose et puis son contraire !" dit Gemma, avec force.

Mais cela ne fut que le premier symptôme de quelque chose qui n'allait pas bien avec les deux aînés. Seul Alfredino restait tendre et affectueux comme toujours. Maurizio et Massimo, même s'ils ne se hasardèrent plus à désobéir, et encore moins à utiliser des expressions moins que respectueuses avec le père, c'était évident qu'ils l'évitaient et qu'ils ne le tenaient pas en considération.

Par exemple, s'ils voulaient la permission de sortir de maison, ils le demandaient à Cecilia si elle était avec eux, ils le demandaient à Libero seulement s'il n'y avait aucun autre adulte dans la maison. Parfois Cecilia leur disait : "Demandez le à papa." et de ça Libero lui était reconnaissant.

Lorsque Libero leur demandait quelque chose, ils répondaient par monosyllabes et, contrairement au passé, ils ne se confiaient plus avec lui. Libero en souffrait, mais il savait qu'il serait inutile d'essayer de les faire changer à son égard.

Un jour, il avait essayé d'en parler avec eux, mais sans succès. Ils étaient à la maison seulement tous les trois et les jumeaux étaient en train de faire leurs devoirs.

"Vous avez besoin d'un coup de main ?" leur avait demandé Libero.

"Non." Ils avaient répondu en chœur, sans même le regarder.

Libero était assis à la table en face d'eux. "Maurizio, Massimo, je crois qu'on devrait parler tous les trois."

"Et de quoi ?" demanda Maurizio.

"Il me semble évident que, entre vous et moi il y a un problème. N'est-il pas mieux d'en parler ?"

"Aucun problème entre nous et toi." dit Massimo sèchement. "Ce n'est pas du tout ainsi. Un problème existe, et comment. Vous avez certainement changé à mon égard... et je voudrais comprendre pourquoi. Je voudrais que nous on revienne au rapport qu'il y avait toujours eu entre nous."

"Nous ne sommes plus des petits enfants, papa. Laisse nous seuls." dit Maurizio.

"Tu ne peux plus nous tenir en laisse comme avant..." dit Massimo.

"En laisse ? Je ne vous ai jamais tenus en laisse, il me semble. Je sais bien que vous n'êtes plus des petits enfants, vous avez grandi, Dieu merci, forts et beaux. Mais entre vous et maman, rien n'a changé... ou très peu ; avec moi vous avez changé d'attitude. Pourquoi ?"

"Mais qu'est-ce que j'en sais !" dit à voix basse Massimo.

"Ce n'est pas toi qui as changé ?" lui demanda Maurizio en le regardant dans les yeux, et Libero put lire dans les yeux de son fils un air de défi.

"Changé ? Moi ? Non, je suis toujours le même, surtout avec vous. Je vous ai toujours aimé et je vous ai toujours respecté. Parfois, j'ai dû vous punir... mais je dirais que cela se produise maintenant moins qu'une époque. J'ai toujours fait tout ce que j'ai pu faire pour vous, vous ne pouvez pas le nier."

"Et qui le nie ?" dit Maurizio, en continuant à le défier avec le regard.

"Tu veux que nous te disons merci, papa ? Alors merci, papa !" lui dit Massimo avec un ton de sarcasme dans sa voix, qui fit mal à Libero.

Libero émit un soupir de reddition : "J'ai essayé, les garçons. Parce que je vous aime, et vous devez savoir que vous pouvez toujours compter sur moi. J'ai essayé de faire le premier pas vers vous... mais si vous ne voulez pas... patience. Je ne peux pas vous forcer à vous ouvrir avec moi. J'espère qu'un jour vous voudrez le faire, et ce jour-là je serai prêt à vous écouter. Parce que vous êtes mes fils, parce que je vous aime." dit-il, il se leva et les laissa seuls, en se sentant triste.

Il pensa qu'il aurait peut-être dû en parler avec Cecilia... mais il se dit que soit elle le réalisait toute seule, soit il aurait été futile de lui en parler. Maintenant, entre eux deux, ils parlaient le minimum nécessaire, plus comme deux... collègues de travail que comme un couple. D'ailleurs, la seule chose qui les tenait encore ensemble, c'étaient leurs fils. Rien d'autre.

Comme père, était-il en train de faire faillite aussi ? Ce doute lui fit mal. Seul Alfredino n'avait pas changé avec lui, en effet, il semblait être devenu encore plus affectueux que jamais. Au moins avec Alfredino il ne semblait pas avoir échoué... mais quand il aurait grandi, quand il serait devenu un adolescent lui aussi... il changerait également ? Si tel était le cas, il ferait bien de s'en aller loin de la maison.

Il aurait voulu pouvoir se faire conseiller, se confier, se défouler avec quelqu'un, mais avec qui ? Il ne pouvait pas chaque fois courir vers Alfredo... Et il avait dit à Pietro, qu'entre eux, il n'était pas possible de continuer... Avec Pietro, il n'y avait pas eu juste du sexe, il y avait eu aussi de l'amitié : certainement pas même de loin comparable à celle qu'il y avait entre lui et Alfredo, mais quand même de l'amitié.

Est-ce qu'il pouvait maintenant aller demander un conseil à Pietro ? Ça ne serait pas été honnête, après avoir coupé les liens avec lui ? On ne cherche pas un ami que lorsque on en a besoin, ce ne serait pas juste.

Mais après tout, qui d'autre il avait ? Personne. Et qu'est ce qu'il risquait en essayant de s'ouvrir avec lui ? Tout au plus un refus, ou quelques banalités inutiles... Après avoir tout coupé avec Pietro, quand ils se rencontraient ils échangeaient encore un salut, quelques mots...

Ainsi, il se décida. À la première occasion, quand il rencontra Pietro sur la voie, il le salua et lui demanda : "Pietro, tu n'aurais pas un peu de temps pour moi ?"

Le jeune homme le regarda avec un sourire et lui demanda : "T'es venu de nouveau envie, Libero ?"

"Non... pas pour ce que..." dit Libero, embarrassé. "J'ai besoin de… d'un ami à qui... avec lequel parler..."

"Bon, d'accord. Je n'ai rien d'urgent à faire. De quoi s'agit-il ?"

"Nous pouvons faire une promenade en dehors des murs ?"

"Oui, aucun problème."

Ils sortirent de Porta Romana, et quand ils étaient sur la route sous les murailles, Pietro demanda : "Alors ?"

Libero lui raconta de son problème avec les jumeaux. Pietro l'écouta sans l'interrompre.

Puis il dit : "Peut-être qu'il a raison ton beau-père, peut-être qu'ils sont juste en train de grandir. Les adolescents s'éloignent de leurs parents, c'est tout à fait commun, tout à fait normal."

"Mais seulement de moi et pas de Cecilia ?" répliqua Libero.

"Ben... non, c'est vrai. Mais moi aussi, quand j'étais adolescent, j'ai eu une sorte de... rébellion contre mon père. Puis elle m'est passée."

"J'ai l'impression qu'il y a quelque chose de plus. Mais je ne peux pas comprendre quoi. Et je ne peux certainement pas les forcer à m'en parler. Ça ne servirait à rien. Mais je voudrais comprendre ce qu'ils ont."

"Ils ne le savent probablement même pas eux, tu ne penses pas ?"

"Mes fils... mes fils sont ma vie, Pietro. Et deux ne m'acceptent plus dans leur vie. Il me reste Alfredino, c'est vrai... mais je crains que, lui aussi, un jour... que lui aussi... Et alors, qu'est-ce qui me reste ?"

"Ta femme, comme minimum."

"Mais tu le sais que... tu le sais qu'avec elle il n'y a jamais eu... tu sais comment je suis fait, non ?"

"Cependant, il n'est pas dit qu'aussi Alfredino... Ne te soigne pas la tête avant qu'elle ne soit cassée. Comme je t'ai dit, je m'étais rebellé à mon père, mais pas mon frère Paolo. Et comme puis j'ai retrouvé une bonne relation avec mon père, peut-être que, tôt ou tard, même tes jumeaux retrouveront leur rapport avec toi. Tu dois continuer à te comporter avec eux comme d'habitude, comme s'ils n'avaient pas changé... et aie patience.

"Je n'ai pas d'enfants, ce n'est donc pas que j'aie beaucoup d'expérience, à part comme fils. Mais, selon moi, plus tu te dis qu'il y a un problème, plus le problème devient grand. Toi, les jumeaux, tu les aimes comme avant, n'est-ce pas ? Sinon tu ne te sentirais pas si mal."

"Certainement. Bien sûr que je les aime, tous les deux comme Alfredino, exactement de la même façon, mais le problème certainement existe. Comment puis-je prétendre qu'il n'existe pas ? Le problème est là, et il pèse sur moi de plus en plus. Je ne sais plus quoi faire."

"Ce que je t'ai dit : de les traiter comme si le problème n'existait pas... et supporter leurs réactions. Mais ils doivent sentir que tu es là, que tu es là pour eux, qu'ils sont importants pour toi ni plus ni moins qu'avant. Le métier de père... je crois qu'il est l'un des plus difficiles au monde... peut-être juste après celui de mère. Parce que les femmes ont souvent à supporter leurs maris, en plus de leurs enfants."

"Ouais, c'est vrai. Cecilia est une bonne femme... et très forte. Plus forte que moi. Elle aurait certainement mérité un mari meilleur que moi."

"Les femmes sont souvent plus fortes que nous les hommes. Et toi ne te rabaisses pas. Je t'ai toujours estimé, Libero, j'ai toujours pensé que tu es un homme bien... en dehors de ce qu'il y avait entre nous. Je t'ai toujours estimé et je t'estime toujours."

"Merci, Pietro. Je vais essayer de faire comme tu m'as dit... J'avais peur que tu m'envoies au diable, pour venir m'épancher auprès de toi, après avoir rompu avec toi..."

"Mais non, allez ! Bien sûr, si on avait continué, toi et moi... j'aurais bien aimé. Mais nous savons que dans cette vie, rien n'est éternel, non ? Courage, Libero ! Et quand tu as envie de t'épancher auprès de moi, ne te pose pas de problèmes. Pour autant que j'en suis capable... nous sommes amis, non ? Bon courage, allez !"

Libero essaya de mettre en pratique ce que Pietro lui avait conseillé : traiter les jumeaux comme il l'avait toujours fait, comme si rien n'avait changé.

"Quelles sont les devoirs que vous avez à faire aujourd'hui ?" Il demandait, par exemple.

"Ceux qu'on nous ont donné à faire !" c'était la réponse de l'un ou de l'autre des jumeaux.

"Je dois faire un dessin du Duce qui parle à nous les enfants... Tu m'aides, papa ?" répondait joyeusement Alfredino.

Ou à l'occasion de la fête du saint patron, proposa Libero : "Que diriez-vous les gars, si nous allons aux manèges ? Ils les ont déjà montés dehors de la Porte Ducale."

"Quand nous en avons envie, nous y allons tout seuls. Nous sommes assez grands." répondaient les jumeaux.

"Que c'est beau, papa ! Oui ! On y va ensemble, s'il te plaît ?" s'exclamait tout de suite, joyeusement Alfredino.

Et encore : "Les gars, demain c'est l'anniversaire de maman. Qu'en dites-vous si nous lui préparons une surprise ?"

"Nous deux nous l'avons déjà préparée !" répondirent les jumeaux.

"Oui, oui, papa, hourra ! Qu'est-ce que nous pouvons préparer ?" répondit avec un grand sourire Alfredino.

Libero supportait les réactions de Massimo et Maurizio, et il se réjouissait de celles d'Alfredino, en allant de l'avant comme il s'était proposé de faire.

De toute façon, quand finalement il put rencontrer de nouveau Alfredo, il se confia à lui aussi.

Celui-ci réfléchit un peu, puis lui demanda : "Tu ne penses pas que ta femme ou tes beaux-parents ont peut-être dit quelque chose aux garçons ? De toi et moi, je veux dire."

"Non... Mon beau-père n'en sait rien, et sûrement ni Cecilia ni sa mère ont dit quoi que ce soit aux enfants. Elles ont été les premières à dire que nos enfants ne devraient pas le savoir."

"Mais ... enlève-moi une curiosité, Lino... Ta femme, quand tu viens ici pour qu'on se rencontre... à ce point elle le sait, le comprend, je suppose."

"Oui. Certainement elle sait. Elle sait que si je vais officiellement faire des visites de contrôle à Rome, en fait je viens te rencontrer."

"Et... elle ne dit rien ?"

"Non... Comme si je devais vraiment aller à Rome. Je pense que certainement... qu'elle s'en est faite une raison, pauvre Cecilia."

"Mais... avec toi... comment elle est, habituellement ?"

"Correcte. Malheur à eux, si nos enfants me manque de respect ou ne m'obéissent pas. D'ailleurs elle non plus, même quand nous sommes seuls, ne fait jamais une mauvaise blague sur moi... et elle ne te nomme jamais, ne fait jamais d'allusions. Nous sommes comme... comme deux qui travaillent dans le même bureau... ou à la même machine : nous devons collaborer et on collabore, nous devons nous respecter et on se respecte."

"Eh bien, chapeau ! Je ne sais pas combien de femmes à sa place auraient réagi de cette façon."

"Certainement, par ma faute, elle a perdu la sérénité... Et elle a perdu un mari... Je regrette, elle ne le méritait pas. Pourtant... s'il n'y avait pas les enfants... y compris les jumeaux... je la laisserais et je viendrais à toi... si tu avais encore envie d'être avec moi."

"Tu ne dois pas même le dire. Si après tant d'années encore je t'attends, encore je ne t'envoie pas en enfer... Je ne pourrais qu'en être heureux si nous pouvions vivre réellement ensemble."

"Et ainsi je n'ai pas donné ni ne donne pas ce que vous mériteriez et que je voudrais ni à toi ni à ma femme."

Alfredo l'enlaça et le serra à soi : "Et pourtant... Je serai un imbécile, mais... tu me plais tellement, tout comme tu es. Allez, mon Lino, tu verras que les choses iront mieux, tôt ou tard. Pour l'instant, jouissons de ce que la vie nous permet d'avoir. Je ne veux pas te voir si déprimé. Au moins pendant ces quelques jours, essaye de tout oublier et de penser seulement à moi, seulement à nous."


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