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histore originale par Andrej Koymasky


LE BARYTON ET LE TORERO CHAPITRE 8
ENFIN MARIÉS

Toute la presse et les médias espagnols donnèrent beaucoup d'importance au fait que Rafael Jiménez, el reyecito, s'était coupée la coleta, avait abandonné le monde de la tauromachie.

Malgré les demandes pressantes des médias pour une interview avec Rafael, il la refusa à tous ; la seule chose qui fut leur accordée fut une brève conférence de presse organisée par Alba, dans laquelle il annonça sa décision, et dans laquelle il répondit brièvement aux questions concernant seulement sa vie professionnelle.

Certains journaux avaient discuté dans leurs pages de la raison de son abandon, mais malgré le fait que parmi les proches collaborateurs de Rafael on connaissait sa décision de vivre avec Fernando, aucun article n'en parlait ni même ne le mentionnait.

Lorsque l'agent de Fernando lui communiqua le projet et les dates de sa deuxième tournée en Espagne, le baryton en discuta avec Rafael, sur son conseil il apporta quelques changements et accepta. En dehors d'un concert à nouveau à Madrid, toutes les autres villes étaient différentes de celles de la première tournée.

Fernando mit l'air du Toréador de la Carmen dans les programmes de ses concerts. Chaque fois, avant de chanter, il déclarait au public qu'il chantait cet air en honneur de Rafael Jiménez, el reyecito, cette dédicace suscitait de grands applaudissements partout.

Puis il revint en Italie, toujours accompagné par Rafael. Lorsque l'Arena de Vérone décida de l'engager pour Carmen, Rafael déclara : "En ce qui concerne le chant, je ne peux que t'écouter et t'admirer, mais sur la façon de te déplacer sur scène, comme un vrai torero, je peux te donner quelques conseils... et je voudrais que toi, lorsque tu joues le rôle d'Escamillo, tu portes mon costume de lumière, il suffira de le faire mettre à tes mesures par un bon tailleur, ainsi que mon plus beau «capote de paseo», le manteau de parade."

Fernando fut ému par cette offre, qu'il accepta volontiers. Rafael lui montra comment se déplacer sur scène, dans les diverses scènes où Escamillo apparait, afin d'avoir un comportement comme un vrai torero, ni trop exagéré ni erroné, mais naturel. Au son d'un disque, Rafael lui montra les mouvements, la posture et les gestes qui lui semblaient plus appropriés, puis il laissait Fernando les essayer. Rafael était un enseignant méticuleux, il supervisait chaque petit geste de Fernando, en discutant avec lui les sentiments que chaque pièce exprimait.

Ceci, en plus bien sûr de sa belle voix claire, amena bientôt à considérer Fernando comme le meilleur «Escamillo» du moment, et les signatures ont afflué de partout dans le monde. Rafael, officiellement présenté comme «secrétaire» de Fernando, était inséparable de lui.

Naturellement dans le répertoire lyrique de Fernando, il y avait non seulement la Carmen, mais aussi la partie de Figaro dans Le Barbier de Séville, le Don Juan dans l'opéra homonyme, Belcore dans l'Elixir d'amour, Enrico dans Lucia de Lammermoor, de Rigoletto, de Iago dans l'Otello, de Falstaff, et de Scarpia dans la Tosca, de Nabucco, ainsi que d'autres rôles dans des œuvres moins connues.

Fernando était un chanteur sérieux, il continuait à tester et affiner les parties, souvent en discutant avec les divers chefs d'orchestre, afin d'améliorer progressivement ses performances. Rafael aimait, lors de ces répétitions, être présent et écouter, assis dans un coin, souvent dans le parterre désert.

Un jour aux Etats-Unis, au cours de la répétition générales de Don Juan, Rafael était assis au milieu d'un groupe de critiques de musique. L'un d'eux, qui écrivait sur un quotidien national connu, fit à un moment donné une remarque sarcastique.

"Un homme dont on murmure qu'il est un homosexuel invétéré, comment peut-il représenter de manière crédible un personnage comme Don Juan ? C'est tout simplement ridicule !"

Rafael lui dit immédiatement : "Monsieur, le jour où vous apprendrez à juger les hommes pour la façon dont ils utilisent leur cerveau et leur cœur, et non pas comment et avec qui ils utilisent les quelques centimètres de l'appendice qu'ils ont entre leurs jambes, alors et seulement alors vous serez digne d'être appelé un homme civilisé. Pendant ce temps, vous devriez apprendre à être plus humble, si vous en êtes capable."

Les autres critiques rirent, et nombreux approuvèrent les mots de Rafael.

Le critique, piqué, écrivit un article de feu, dans lequel il soulignait presque exclusivement l'homosexualité du baryton. Mais le lendemain, de nombreux autres journaux avaient également publié l'observation de Rafael, et cela provoqua un vif débat dans les médias.

Nombreux demandèrent des interviews avec Fernando qui, en accord avec Rafael et avec son agent, décida d'accepter une conférence de presse et de faire, à l'occasion, son coming-out officiel.

"Monsieur Adami, avez vous lu l'article dans lequel on affirme que seul un hétérosexuel peut représenter efficacement la figure de Don Juan sur scène ?"

"Je ne l'ai pas lu, j'ai des choses plus utiles, importantes et amusantes à faire. Ce que je peux dire est que cette affirmation est tout aussi absurde que celle selon laquelle seul un médecin malade de cancer peut guérir un patient atteint de cancer. Si c'était le cas, le meilleur médecin du monde serait un médecin mort."

Les journalistes rirent. Un autre demanda : "Avec votre réponse vous êtes peut-être en train de nous dire que les rumeurs sur votre sexualité ont un fondement de vérité ?"

"Avec cette réponse, j'ai exclusivement dit ce que j'ai dit. Un acteur de cinéma, par exemple, qui doive personnifier l'identité d'un tueur en série, devrait être un tueur en série ? À vous la réponse."

Une journaliste insista : "Je suis d'accord avec vous, Maître. Mais nos lecteurs aimeraient savoir si vous confirmer ou démentez les rumeurs sur votre homosexualité."

"Je souhaite que vos lecteurs soient plus intéressés par ma capacité à bien interpréter les rôles de baryton qui me sont confiés. Si toutefois vous êtes tellement intéressée de savoir si vous pouvez réussir à m'avoir dans votre lit, ou à venir dans le mien, mademoiselle, je peux vous dire que vous n'avez aucun espoir. Je suis déjà engagé sentimentalement avec une autre personne que je n'ai pas intention de trahir."

"Il s'agit peut-être de votre secrétaire, l'ancien torero Rafael Jiménez ?" demanda un autre journaliste.

"Je vois que vous êtes très bien informé. J'apprécierais beaucoup si vous étiez aussi bien informé sur l'opéra. Si je ne me trompe pas, vous tous ici présents vous êtes qualifiés de journalistes spécialisés dans l'opéra. Eh bien, je n'ai pas l'intention de faire spectacle de ma vie privée, de ma relation avec Rafael. Aussi parce que," ajouta-t-il avec une expression ironique, "toutes mes représentations dans les théâtres d'opéra sont, au moins, payés convenablement. Je n'entends pas donner des spectacles gratuits sur ma vie privée."

"Il est internationalement reconnu que vous êtes, de nos jours, de loin le meilleur interprète du rôle d'Escamillo dans le Carmen de Berlioz..."

"Excusez-moi... mais Carmen est de Bizet..." l'interrompit Fernando. "Il est vrai que les deux noms sont français, à la fois en commençant par B et ils ont en commun même un Z, mais je vous assure que leur musique est profondément différente..."

"Un lapsus...." s'est excusé le journaliste. _

"J'espère pour vous. On peut tous faire des lapsus."

"Je voulais vous demander si vous, Maître, aimez d'une manière spéciale la figure du torero...." demanda le journaliste avec un sourire espiègle. _

"En ce qui concerne votre question et le double sens qu'elle contient.... En plus d'une profonde étude musicale sur les partitions de Carmen, qui m'a certainement aidé, ou plutôt m'a appris à mieux interpréter la figure d'Escamillo était mon secrétaire, ami, compagnon, et amant Rafael Jímenez, ici présent, qui était l'un des toreros espagnols les plus célèbres, connu sous le nom de el reyecito.

"Le besoin de parler, l'embarras de ne rien avoir à dire et le désir de se montrer comme des gens d'esprit sont trois choses capables de rendre ridicule même le plus grand homme, a dit Voltaire, qui pour votre information était un grand philosophe français.... sans parler de ce qu'ils font à un petit petit homme !" dit sur un ton ironique Fernando.

_Certains journalistes étaient debout. _"Malgré la controverse suscitée par certains médias au sujet de votre sexualité, votre performance dans Carmen a reçu des applaudissements nourris." dit un autre journaliste.

"Selon vous, quelle est la raison de votre triomphe sur la scène ?"

"Il est évident que le public qui est venu voir l'opéra, contrairement à beaucoup d'entre vous, s'intéressait à mon chant et non pas à la façon dont j'utilise mes organes génitaux et avec qui j'utilise mes organes génitaux ! Et mon public voulait me le dire avec des applaudissements."

Enfin, après ces escarmouches initiales, les questions des journalistes portèrent toutes sur sa carrière de chanteur, sur ses projets, les opéras qu'il aimait chanter et pourquoi, sur ce qu'il pensait des opéras américains. Fernando répondit avec brio et un bon sens de l'humour.

À la fin de la conférence de presse tous les journalistes l'applaudirent. Dans les jours suivants parurent des articles très positifs sur Fernando, et seuls quelques uns dédiaient un peu plus d'une ligne dans laquelle ils mentionnait d'une façon très sobre son homosexualité, la plupart du temps avec des phrases comme «Le professeur Adami, avec son partenaire de vie monsieur Jiménez...» ou similaire.

Ces articles eurent comme conséquence que Fernando commença à recevoir des lettres de ses admirateurs, parfois accompagnés de photographies plus ou moins explicites, indiquant d'être gay où on proposait, plus ou moins entre les lignes, une rencontre sexuelle ; mais aussi quelques lettres d'insultes, presque toujours anonymes, par des homophobes qui invoquaient la colère de Dieu sur lui. Rafael était celui qui les ouvrait et qui, habituellement, jetait à la fois les unes et les autres, mais parfois lui faisait lire les plus drôles.

Après les États-Unis, Fernando fut engagé pour une saison d'opéra au Japon. Il fut surpris quand il débarqua à l'aéroport de Tokyo : ils furent accueillis par un grand groupe de fans avec des bannières et des signes de bienvenue dans lequel étaient écrits aussi bien le nom de Fernando, que celui de Rafael. Tous deux durent signer une grande quantité d'autographes.

Ayant entendu de grandes choses au sujet des ryokans, les hôtels traditionnels japonais, ils avaient demandé à leur agent de ne réserver que dans ce type d'hôtel. Les propriétaires, honorés que leurs hôtels aient été choisis, firent préparer spécialement pour eux des yukatas à utiliser dans des moments de détente, dont ils leur firent don. Ils étaient toujours entourés par une grande courtoisie et beaucoup de gentillesse. Aucun des journalistes japonais ne leur firent jamais des questions sur leur relation, qui était prise pour acquise et ne souleva aucune curiosité.

Quand ils furent sur le point de quitter le Japon, Fernando lut sur un journal en langue anglaise que le parlement espagnol avait approuvé une modification dans la loi, qui autorisait le mariage entre des personnes du même sexe. Fernando montra immédiatement l'article à Rafael.

Alors il lui demanda : "Puis-je te demander de voler en Espagne pour nous marier ?"

Rafael le regarda avec des yeux lumineux : "Bien sûr, tu peux me le demander."

"Veux-tu m'épouser, Rafael ?"

"Oui, de tout mon cœur, l'âme et le sentiment !"

Donc, ils volèrent à Madrid où Rafael avait sa résidence légale, et s'adressèrent au Registro Civil nico, demandant quelles étaient les démarches qui devaient être faites. Fernando chargea une agence de lui envoyer dès que possible tous les documents nécessaires de sa ville natale en Italie, puis de les apporter au consulat pour les faire traduire et certifier. Quand enfin tout fut prêt, ils ont fait une cérémonie très simple, en plus de eux deux, il y avait seulement deux témoins, deux vieux amis de Rafael.

Après la cérémonie, ils ont allés tous les quatre fêter le mariage dans un restaurant, puis les deux époux se firent conduire à la villa de Rafael, où le personnel, qui les attendait, avait organisé une petite fête surprise. Quand finalement ils se retirèrent dans leur chambre, ils trouvèrent sur le lit deux guirlandes de fleurs blanches entrelacées.

Alors que, en se caressant et en s'embrassant, ils ont commencé à se déshabiller l'un l'autre, Fernando dit : "Après une année de résidence effective en Espagne, je peux obtenir la nationalité espagnole. Donc je dirai à mon agent de me faire avoir pour les prochaines années, des concerts dans les théâtres espagnols."

"Très bien. Tu es heureux, Fernando ?"

"Je ne pourrais pas l'être plus. Tu m'aimes, Je t'aime... que pourrais-je vouloir plus de la vie ? Même ma carrière d'opéra va de mieux en mieux, je suis de plus en plus sollicité. La seule chose que je me demande est de savoir si pour toi aussi cette vie est satisfaisante. Pour toi, ça a été un grand changement arrêter de faire le torero..."

"Le vrai changement pour moi, commença ce soir-là au théâtre de Pampelune... quand tu m'as tourné le dos !" dit gaiement Rafael. "Ne t'inquiète pas pour moi. J'aime partager ta vie de chanteur d'opéra, je tiens à assister à tes triomphes, j'aime pouvoir m'occuper ainsi de toi."

"Les corridas ne te manquent pas ? Tu n'as jamais plus mis le pied dans une plaza de toros..."

"Habituellement, aucun toréador, après avoir coupé sa coleta et avoir complètement abandonné le milieu de la tauromachie, ne met le pied dans une arène. Nous ne pouvons pas supporter d'être de simples spectateurs. Je ne sais pas si c'est pareil pour vous, chanteurs d'opéra ou pas. Mais il ne me pèse pas du tout de ne plus faire partie du monde de la tauromachie. Merci à toi et à ton art, je suis en train de découvrir un monde que je ne connaissais pas, et qui a un grand charme."

"Tu sais, Rafael, que ce qui est plus important dans mon cœur est ton bonheur, non ? Ta joie. Être capable de t'offrir une vie agréable et sereine."

"Oui, je sais, mon bien-aimé, et tu es en train d'y réussir parfaitement."

Quand enfin ils furent tous deux nus, Fernando attira Rafael sur le lit et, s'étendant, il tira son mari sur lui, en l'enlaçant étroitement et l'embrassant avec tendresse et passion. Ils se caressaient et s'embrassaient sur tout le corps, augmentant progressivement leur désir l'un pour l'autre et se donnant de plus en plus de plaisir.

Leurs membres s'entrelaçaient et se délivraient sans arrêt. C'était comme une danse hautement érotique qu'ils faisaient en harmonie parfaite, l'un avec l'autre et l'un pour l'autre, presque comme si une musique secrète scandait leurs évolutions.

Comme les petits oiseaux dans le jardin chantaient sans pas du tout penser à la façon dont ils devraient chanter, mais ils chantaient pour la simple nécessité de s'exprimer, les deux époux étaient en train de faire de la même façon l'amour. Ils créaient avec leur corps tout ce qu'ils avaient besoin de s'exprimer l'un l'autre.

Tous deux savaient, plus ou moins consciemment, combien dans l'art il n'y a pas de possibilité de définir le bien et le mal, parce que c'est simplement l'expression de l'artiste, donc ils savaient que même en faisant l'amour il n'y avait pas de bonne ou de mauvaise façon de le faire, tant que c'était l'expression de leur amour.

Ni l'un ni l'autre ne se souciait de comparer tout ce qu'ils étaient en train de construire ensemble avec leurs nombreuses ou peu d'expériences sexuelles antérieures : ils savaient qu'il y a toujours quelqu'un de plus ou de moins «expert», quelqu'un de plus ou de moins adroit ; ils ne s'en souciaient bien peu. Se préoccuper de savoir faire «mieux que les autres», ils le sentaient, aurait été un poison pour leur amour. La seule chose qui importait était d'être capable de donner bonheur et plaisir à l'être aimé.

Les petits oiseaux de la forêts ne se soucient pas de la façon de chanter, ni arrêtent de chanter parce que d'autres oiseaux chantent mieux qu'eux. Il leur suffit de faire ce que leur nature les amène à faire. C'était ainsi pour Fernando et Rafael, en fait, et ils savaient que leurs instincts avaient un seul guide, l'amour.

Ils laissent leurs âmes jouir, chanter et rire heureux d'être ensemble, grâce à leur corps, avec l'âme de l'homme à qui ils avaient juré amour.


F I N


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